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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Le champ scientifique québécois: structure, fonctionnement et fonctions (1975) Introduction
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marcel Fournier, Annick Germain, Yves Lamarche et Louis Maheu, Le champ scientifique québécois: structure, fonctionnement et fonctions . Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. 7, no 1, mai 1975, pp. 119-132. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal. [Autorisation accordée par l'auteur le 12 décembre 2002 pour cette oeuvre et toutes celles publiées au Québec]
Introduction Principalement centrées sur les communautés scientifiques dominantes, les analyses sociologiques ont largement négligé de dégager les caractéristiques structurales spécifiques aux communautés périphériques (1). Or, souvent méprisées parce qu'elles ne produisent pas de la «grande» science ou parce qu'elles apparaissent en retard, voire même dans une situation de pré-institutionnalisation, ces «périphéries» peuvent constituer un objet d'analyse privilégié en sociologie des sciences permettant de remettre en question une certaine idée de la «communauté scientifique» et de son développement. Sans hésitation, l'on considère que la communauté scientifique est, depuis sa constitution au XVIle siècle, internationale, c'est-à-dire qu'elle est constituée d'une multitude de secteurs de recherche dans lesquels des groupes de scientifiques étudient des problèmes similaires et échangent des informations au-delà des frontières nationales (2) et l'on tend à adopter, dans l'analyse des relations entre centres et périphéries, une approche évolutionniste-diffusionniste selon laquelle les périphéries non seulement empruntent ou «transfèrent» des informations scientifiques mais aussi reproduisent le modèle de développement scientifique caractéristique des centres. Sauf de rares exceptions, les sociologues ne s'interrogent pas sur les conditions sociales de la transmissibilité des informations scientifiques (3) et ne mettent pas en question les diverses formes de « mimétisme » caractéristique des groupes de scientifiques qui occupent, au sein de la communauté internationale, une position périphérique ou dépendante (4). Il n'y a point de doute que les informations scientifiques ne soient un des biens symboliques les plus «transmissibles» ou les «plus aptes à s'internationaliser» (5) et qu'elles ne puissent être considérées comme «universelles». Il ne s'en suit pas pour autant qu'il n'existe qu'un seul modèle de développe-ment scientifique et que toutes les communautés scientifiques nationales tendent à se ressembler dans leurs structures et dans leurs fonctions. Pour rompre avec cette sociologie ethnocentrique qui épouse la philosophie évolutionniste de l'histoire et qui hiérarchise de façon univoque les différentes communautés scientifiques selon leur degré de développement (mesuré au moyen d'indicateurs tels le nombre de publications, le % du P.N.B. consacré à la recherche, etc.) il faut s'attacher à ressaisir la logique spécifique de chaque champ scientifique (6) et à examiner les rapports qu'il entretient avec les autres champs (religieux, économique, politique) et que les différents groupes d'utilisateurs entretiennent avec lui. En fait, la structure et le fonctionnement d'un champ scientifique ne dépendent pas tant de sa fonction transhistorique de production de connaissances (ou d'extension de la connaissance certifiée ou de résolution des énigmes) que des fonctions différentes et parfois contradictoires que les divers groupes et classes sociales objectivement intéressés à son fonctionne-ment lui confèrent en fonction même de leur position dans la structure sociale.
Il s'agit, en d'autres termes, de traiter du problème complexe de l'autonomie (relative) de la science en renvoyant dos à dos la problématique «autonomiste» selon laquelle la science est imperméable aux influences extérieures et a, selon l'expression de Koyré, une «vie propre, une histoire propre», et la problématique « réductionniste » selon laquelle la structure, le fonctionnement et les fonctions de groupes scientifiques peuvent se déduire directement de l'état des rapports entre groupes ou classes sociales. En particulier, l'analyse «externiste» i.e. des fonctions sociales de la science, conduit souvent à des conclusions simples et simplificatrices: il ne suffit pas, par exemple, de constater que la recherche scientifique est utilisée à des fins militaires pour dénoncer les scientifiques comme les «valets du capitalisme et de l'impérialisme». Du seul fait que les scientifiques ont acquis une légitimité en tant que détenteurs exclusifs de la compétence scientifique et qu'ils tendent à entrer progressivement pour leur propre compte dans le jeu des conflits entre les fractions de la classe dominante, il apparaît beaucoup plus judicieux d'étudier, dans le cadre de l'analyse du degré d'autonomie d'un champ scientifique, les divers mécanismes de médiation par lesquels les scientifiques parviennent à répondre aux diverses (et parfois contradictoires) demandes externes, mais en les retraduisant selon la logique de leurs disciplines et en réussissant à accomplir leurs fonctions internes que sont la constitution d'un savoir spécialisé et cumulatif, la formation de réseaux scientifiques intégrés et la transmission d'un enseignement spécifique et homogène.
Notes: (1) Au sujet de la distinction entre «centre» et «périphérie» voir: E. Shils, «Center and Periphery», in The Logic of Personal knowledge, Essays presented to Michael Polanyi in his seventhieth Birthday, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1961, pp. 117-130; J. Ben-David, The Scientist's Role in Society, New Jersey, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1971. (2) Ben-David, J., La recherche fondamentale et les universités, Paris, O.C.D.E. 1968; Diana Crane, Invisible College, Chicago, University of Chicago Press, 1973. (3) Fournier, Marcel, « De l'influence de la sociologie française au Québec », Revue Française de Sociologie, XII, suppl., 1972, pp. 630-665. (4) À ce sujet, voir: G. Jones, The Role of Science and Technology in Developing Countries, London, Oxford University Press, 1971, S. Dediger, « Underdeveloped Science in underdeveloped Countries», Minerva, vol. II, no 1, 1963, pp. 61-81; O. Sunkel, «Underdevelopment, the transfer of science and Technology, and the Latin American University », Humait Relations, vol. 24, no 1, 1971, pp. 1-18. (5) Mauss, Marcel «Notes sur la notion de civilisation», Oeuvres, tome 2, Paris, Éditions de Minuit, 1970, p. 454. (6) La notion de «champ scientifique» que nous substituons ici à celle de «communauté scientifique» est définie à la note 19.
Dernière mise à jour de cette page le samedi 20 janvier 200710:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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