[273]
“« Clarté », ou le rêve
d’un Front populaire.”
par Marcel Fournier
Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand DUMONT, Jean-Paul MONTMINY et Jean HAMELIN, IDÉOLOGIES AU Canada FRANÇAIS, 1930-1939, pp. 273-294. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1978, 361 pp. Collection: Histoire et sociologie de la culture, no 11. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, Chomedey, Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée le 7 décembre 2009, par le directeur général des Presses de l’Université Laval, M. Denis DION, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]
- 1. D'une « classe contre classe » au « Front populaire »
- 2. Nationalisme et fascisme
- 3. Action syndicale et politisation de la classe ouvrière
- 4. Le principal ennemi : Duplessis
Au cours de la décennie qui suit la dépression mondiale de 1929, dont l'intensité est particulièrement grande au Québec (chômage, baisse de salaire, misère généralisée, diminution des investissements, etc.), le communisme - le bolchévisme, disait-on alors - apparaît aux intellectuels, aux membres du clergé et aux dirigeants de divers partis politiques et des mouvements sociaux, comme le principal danger qui guette la population canadienne-française.
Dès 1929, le sénateur C.P. Beaubien prononce un virulent discours, dont l'objet est la « propagande communiste au Canada » et demande que le gouvernement effectue une sélection plus sévère des immigrants et qu'il déporte tous les agitateurs [1]. Pour sa part l'archevêque de Montréal, Mgr Gauthier, déplore en janvier 1931 les nombreuses déclarations d'apostasie recueillies par l'Université ouvrière et s'étonne que « les Soviets aient trouvé des adeptes parmi les nôtres et que des hommes de notre sang et de notre ville se soient voués à la même tâche [2] ». L'année suivante, dans une lettre pastorale qui porte sur la crise économique, les évêques de Québec, de Montréal et d'Ottawa recommandent aux chômeurs de « se méfier des semeurs de fausses idées et suggèrent aux « pouvoirs publics » de « faire échec au prosélytisme des agents de désolation spirituelle [3] ». Les membres du bas-clergé, principalement ceux qui oeuvrent dans les syndicats, dans les institutions d'enseignement et dans les mouvements d'action catholique (Ligue du Sacré-Coeur, J.O.C., A.C.J.C., École sociale populaire, etc.), luttent alors activement pour assurer la « victoire du catholicisme sur le communisme, du Christ sur Lénine, de Rome sur Moscou ». Le R.P. Papin Archambault, qui est responsable des Semaines sociales du Canada et qui participe aux activités de l'École sociale populaire, est un des « propagandistes » les plus acharnés. Dans un tract intitulé « La [274] menace du communisme au Canada [4] », celui-ci présente les principes et énumère les méthodes de la lutte contre le mouvement communiste : d'abord, l'action de l'État au moyen de la répression légale (application de l'article 98, lois contre la propagande athée, contrôle de l'immigration) et de réformes sociales (par exemple, la réglementation des grandes corporations), ensuite l'action des associations catholiques, ces « véritables digues contre le communisme » qui peuvent « éclairer, protéger et aider matériellement les ouvriers », et enfin l'action individuelle (donner l'exemple en accomplissant ses devoirs religieux et sociaux, prier).
Toutes les lettres pastorales, les discours ou sermons, les colloques, les articles et les ouvrages, qui exhortent les Canadiens français à lutter contre le communisme exercent alors un contrôle social indéniable, dont l'effet est d'autant plus efficace qu'il s'articule à une répression gouvernementale (Loi concernant la propagande communiste ou « Loi du cadenas » sanctionnée le 24 mai 1937). Malgré ces nombreux obstacles, qui s'ajoutent à diverses difficultés (refus des propriétaires de louer des salles, interdiction des autorités locales, contre-manifestations, défections, infiltration d' « espions », etc.), les membres canadiens-français du Parti communiste canadien n'en poursuivent pas moins, en collaboration avec leurs camarades canadiens-anglais et néo-canadiens, leurs activités : organisation des chômeurs, action syndicale, sensibilisation de la population à la guerre d'Espagne, recrutement et formation de militants [5], etc. Ceux-ci parviennent même à publier régulièrement (bi-mensuellement) pendant quatre ans un journal, Clarté [6], dont la responsabilité de la rédaction est confiée d'abord à un jeune intellectuel canadien-français, Paul Moisan, et ensuite à un ingénieur d'origine belge, Jean Péron [7]. Habituellement imprimé à trois mille exemplaires, ce journal, qui ne compte jamais plus de trois cents abonnements, est distribué grâce au dévouement et, à partir de 1937, grâce à l'audace et à l'habileté des militants, qui réussissent à déjouer la surveillance étroite de la police. La distribution du journal est alors pour ces militants une de leurs activités les plus importantes : Clarté est l'instrument de propagande qu'ils utilisent auprès des ouvriers et des chômeurs dans leur travail d'organisation syndicale et de recrutement de nouveaux membres. Cependant cette distribution du journal n'en permet pas le financement, qui est en fait assuré par l'équipe de la rédaction elle-même : celle-ci organise des campagnes d'abonnements, des « pique-niques antifascistes », etc. Et lorsqu'il est impossible de couvrir les frais de publication, l'on fait appel à la générosité de quelques « bourgeois sympathisants » ou au Comité central de Toronto.
[275]
1. D'une « classe contre classe »
au « Front populaire »
Même si ce sont des militants du P.C. qui assurent la rédaction et la distribution de Clarté, l'identité du journal est habituellement camouflée : celui-ci est présenté comme un « journal de combat en vue du relèvement social, politique et économique de notre peuple [8] ». Une seule fois, l'identité communiste est explicitement niée :
- Nous tenons à dire que Clarté n'est pas l'organe du Parti Communiste (…). Nous ne sommes liés à aucune caisse politique. Clarté est un journal essentiellement ouvrier, créé par l'ouvrier pour l'ouvrier. Nous ne soulevons pas la haine des races. Nous ne nous occupons pas de questions religieuses. Nous ne tendons pas la main à tout le monde. Nos amis, ce sont les ouvriers.
- Nous le répétons, nous sommes au service de l'ouvrier, de l'ouvrier misérable, de l'ouvrier malheureux, peu importe ses opinions politiques, peu importe l'étiquette dont il se pare (...). Là où il y a de la misère, là où l'ouvrier est exploité, notre organe pénètre et apporte une lueur d'espoir. Clarté dénonce les patrons oppresseurs, met à jour leurs machinations et révèle tous les abus, de quelque parti qu'ils viennent (...). Notre but, envers et contre tous, demeure : de meilleures conditions et de meilleurs salaires pour les ouvriers et une forte union dans toutes les usines [9].
Si les responsables du journal refusent de dévoiler leur véritable identité et parfois même la nient, c'est que la situation particulière dans laquelle ils doivent poursuivre leurs activités et qui en est une de répression très sévère [10], les oblige à adopter une telle stratégie, qui elle-même n'est pas totalement indépendante de celle qu'adopte l'exécutif de la Troisième Internationale. L'on ne peut pas ignorer en effet que le septième congrès de l'Internationale a étudié, en août 1935, la formule du Front populaire déjà mise de l'avant par le Parti communiste français et que le secrétaire général, M. Georgi Dimitroff a proposé que les partis communistes locaux ou nationaux cessent leurs attaques contre la social-démocratie et mettent sur pied des « fronts populaires antifascistes sur la base d'un front prolétarien uni [11] ». D'ailleurs, conformément aux directives de l'Internationale et suivant l'exemple du Parti communiste français, le Parti communiste canadien, dont le secrétaire est alors Tim Buck, a lui-même adopté en octobre 1937 [12] un « programme d'action démocratique », qui ne veut être « ni un programme de socialisme ni même un document spécifique du Parti communiste, mais plutôt le terrain commun où peuvent se rencontrer ceux qui de bonne foi veulent jeter les bases du développement et de la croissance de la lutte des masses en faveur du bien-être actuel sous le présent régime de notre société [13] ». L’objectif n'est plus, du moins à [276] court terme, la prise du pouvoir politique et la transformation du mode de production capitaliste mais l'obtention de certaines revendications : salaires d'existence normale et sécurité pour tous (semaine de quarante heures, congés payés, salaire égal pour la femme, système d'assurances sociales, programme de travaux publics, etc.) ; protection du cultivateur et de l'agriculture en général (prêts, régularisation des prix, etc.) juste taxation pour faire payer les riches (abolition de la taxe de vente, nationalisation du système bancaire et de l'électricité) ; garantie des libertés civiles (révision de l'A.A.B.N. afin de donner droit au gouvernement fédéral de légiférer sur les questions sociales et les salaires, dissolution du Sénat, droit d'organisation, réforme électorale, etc.).
Au Québec, le Front populaire qui a été créé sur papier en 1935 n'entreprend ses travaux qu'en avril 1937. Ceux-ci consistent principalement en l'élaboration d'un « programme minimum » de revendications qui puisse rallier les travailleurs, les chômeurs et les classes moyennes dans leur lutte pour obtenir une « vie meilleure » et en l'organisation de quelques grandes manifestations unitaires des forces progressives [14]. Cependant les efforts des membres du P.C. en vue d'établir des alliances tactiques avec d'autres groupements ne donnent guère de résultats positifs : par exemple, à aucune élection fédérale ou provinciale, il n'y a constitution d'un Front, qui réunit le P.C. et d'autres partis. Mais, même si peu fructueuse, l'adoption de cette stratégie n'en influence pas moins profondément les discours que les militants tiennent, les thèmes qu'ils abordent, le ton qu'ils utilisent [15], etc. Ainsi, dans leur journal Clarté, ceux-ci ne présentent que rarement les objectifs réels du mouvement communiste, à savoir le renversement du pouvoir, la dictature du prolétariat et l'établissement d'une société socialiste : la présentation de ces objectifs et aussi la contestation de l'ordre social et de l'idéologie dominante sont en effet l'objet de moins de 15 pour cent de l'ensemble des articles publiés entre 1935 et 1939.
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Distribution des articles [16] publiés dans clarté entre 1935 et 1939,
selon les composantes de l'action privilégiées [17]
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Composantes
|
%
|
Définition de la situation
|
50,6
|
Tensions, contradictions
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21,6
|
Identification des responsables
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28,4
|
Appel à la mobilisation
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16,4
|
Présentation de revendications « immédiates »
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19,6
|
Contestation de l'ordre social
|
|
Présentation des objectifs du P.C.
|
13,4
|
|
100
|
TOTAL
|
(1 172)
|
Il semble donc que la principale tâche que se donnent les rédacteurs et les collaborateurs du journal soit de transmettre un nouveau code de lecture, de nouvelles catégories de perception de la réalité québécoise. En effet, plus de la moitié des articles se limitent à une description de la situation (crise économique, chômage, misère, etc.) et à l'identification des responsables. L'on ne néglige pas pour autant les appels à la mobilisation (organisation syndicale, Parti ouvrier, etc.) ou la formulation de revendications « immédiates », mais ces tâches apparaissent secondaires. En d'autres termes, la préoccupation des rédacteurs est d'abord de se faire le porte-parole d'une insatisfaction ou d'un mécontentement et de faire prendre conscience d'intérêts opposés. À cet égard, l'importance de l'identification des agents responsables ou « ennemis » et l'expression d'une opposition à divers groupes dirigeants est très significative : parmi les articles où il est explicitement fait référence à des groupes ou à des individus, plus des trois quarts sont défavorables ou manifestent une opposition et seulement 22 pour cent expriment une alliance ou une identité. C'est donc dire que Clarté se définit d'abord comme un journal d'opposition [18] : critique de Duplessis, des fascistes (Hitler, Mussolini, Arcand, etc.), des nationalistes (abbé Groulx), etc. Et il apparaît, sur la base de cette analyse de l'attitude (favorable, défavorable ou ambivalente) du journal à l'égard de divers individus et groupes, que la constitution de nouvelles alliances, qui est l'objectif du Front [278] populaire, pose aux membres du P.C. de nombreux problèmes : par exemple, l'on donne un appui à la C.I.O. mais l'on exprime certaines réserves envers les « candidats ouvriers », la C.T.C.C., la C.C.F., etc. En fait, les seuls véritables symboles de ralliement sont les « Patriotes de 1837 », auxquels Clarté consacre un numéro complet en 1937. Ceux-ci représentent la possibilité d'une solidarité entre Canadiens français et Canadiens anglais dans la lutte « pour la dissolution du système féodal et l'établissement de la démocratie ».
« Faire du Canada en même temps une démocratie et une nation », tel est l'objectif que propose alors Clarté. Et les deux mots d'ordre les plus fréquemment utilisés sont « Pour la démocratie et la paix » et « Vers l'émancipation de notre peuple et la souveraineté de ses libertés ». Ainsi, même si les membres du P.C. ont quelques difficultés à réaliser des alliances et à organiser un véritable Front populaire, ils n'en respectent pas moins les directives de l'Internationale communiste : la lutte révolutionnaire se transforme en lutte pour la démocratie et la lutte contre le capitalisme devient la lutte contre le fascisme [19]. Le P.C. ne se définit plus comme un parti de révolutionnaires professionnels mais comme la base d'un vaste regroupement des forces populaires et progressives et il fait appel à l'unité d'action entre le P.C., le Parti ouvrier et le C.C.F. pour « mettre à exécution un plan d'ensemble de lutte contre l'effarante pauvreté de la population, pour organiser tous les travailleurs industriels du Québec et pour la défense commune des libertés démocratiques [20] ». « Sauver la province de la honte du fascisme » devient le nouveau cri de ralliement.
2. Nationalisme et fascisme
L'une des conséquences de l'adoption de ce mot d'ordre et donc de la stratégie du Front populaire est habituellement de modifier la position des membres des P.C. à l'égard du nationalisme : « Pendant les périodes de front unique, il y a un développement extraordinaire du nationalisme dans les partis communistes [21]. » Paradoxalement, les rédacteurs du journal Clarté n'expriment guère de sympathie envers le mouvement nationaliste canadien-français et ses dirigeants. La raison en est peut-être que le nationalisme qui est alors reconnu par l'Internationale communiste est celui de grandes entités, telles que les nations anglaise, française, allemande, américaine, russe ou canadienne et non pas celui des petits groupes ethniques, qui eux sont voués, en tant qu'entités politiques et culturelles, à l'extinction soit par l'assimilation soit par l'intégration. Mais si les nationalistes canadiens-français et en particulier [279] l'abbé Lionel Groulx sont l'objet de critiques virulentes, c'est que leurs positions apparaissent aux membres du P.C. « étroites », « réactionnaires », « quasi-fascistes », etc.
En effet, loin d'attribuer une vocation agriculturiste au Québec et de défendre une politique du « retour au rouet », Clarté affirme la nature et l'avenir industriels du Québec. Le Québec n'est pas considéré comme une région ou un pays différent des autres régions ou pays : comme dans toute situation où domine une minorité possédante, il y a accumulation des richesses entre les mains d'une minorité et pauvreté (inconfort, manque de vêtements, chômage, etc.) croissante des masses. La seule caractéristique spécifique du Québec, c'est que ce « résultat logique du capitalisme » y trouve une « expression plus brutale ». En comparaison de l'Ontario, les salaires sont moins élevés, le niveau d'instruction est plus bas, le taux de mortalité est plus élevé, le nombre de victimes de la tuberculose est plus élevé, etc. Cette situation de misère et d'exploitation fait du Québec un « maillon faible de la chaîne », où le potentiel de mécontentement et de revendication apparaît grand.
Mais malheureusement ce potentiel de mécontentement est étouffé, les Canadiens français refusent le « progrès » et la « modernité » et préfèrent « s'isoler ». La cause en est, selon Clarté, leur trop grande soumission au clergé, dont l'objectif semble être de « créer un nouveau type d'homme : une sorte de bipède qui n'a rien d'humain, un être irréel, mystique, dégagé du poids lourd de sa chair, se contentant de peu dans ce siècle d'abondance ». Aussi n'est-ce pas un hasard si les Canadiens français, « ces Français qui n'ont pu bénéficier de l'influence de Montesquieu, de Voltaire, de Rousseau et de la Révolution française », sont maintenus dans une « condition arriérée et semi-féodale » et qu'ils sont devenus, une « main-d'oeuvre docile et à bon marché [22] ». Certes, l'on reconnaît que « le clergé a rendu de grands services à la province », mais l'on regrette qu'il « continue indéfiniment à entourer le peuple d'une sollicitude dont celui-ci cherche à s'affranchir [23] ». Et pour démontrer cette emprise morale et aussi politique du clergé, il suffit à Clarté de faire référence à la discrimination envers les unions internationales au profit de la C.T.C.C., à la tolérance envers les fascistes et à l'application de la « Loi du cadenas ».
Cependant si les Canadiens français demeurent une « main-d'oeuvre docile et ne prennent pas conscience de l'« oppression capitaliste », c'est aussi et surtout, selon Clarté, parce que plusieurs Canadiens français (par exemple « notre élite clérico-bourgeoise ») tendent à réduire le problème de la misère à un problème de race. Aussi, toute doctrine [280] qui véhicule une « haine de races » et toute politique autonomiste ou d'« isolement » apparaissent-elles aux membres du P.C. comme des subterfuges pour assurer la domination des « quelque deux cents familles », qui sont tout autant canadiennes-françaises que canadiennes-anglaises : les Beaudry, Rainville, Ducharme, Godin, Joubert, Raymond, Geoffrion et Beaubien ne sont en effet pas des prolétaires mais bien des Canadiens français qui « partagent avec les capitalistes anglais le fruit du pillage du peuple canadien ». D'ailleurs, Clarté n'hésite pas à qualifier tout mot d'ordre nationaliste ou d'isolement de « trahison de notre véritable intérêt national, qui est l'affranchissement du joug du capital profiteur des Holt, Beaubien et Raymond [24] ».
Parmi les « accusés » ou « traîtres », figurent tous les « pseudo-nationalistes » (abbé Groulx) et les « séparatistes-corporatistes » (Paul Bouchard de la Nation et Dostaler O'Leary des Jeunes Patriotes), qui sont présentés comme des « complices de la finance » puisque l'isolement du peuple canadien-français a pour seul but de « l'empêcher de se réveiller pour s'affranchi [25] ». Mais ce sont les positions de l'abbé Groulx qui sont les plus fréquemment contestées dans Clarté [26]. Son nationalisme est qualifié d'« étroit », d'« outrancier » et d'« utopiste réactionnaire » parce qu'il propose une politique de retour à la production artisanale et d'isolement et qu'il refuse de reconnaître la « faillite totale et indiscutable du système capitaliste ». Des critiques semblables sont aussi formulées contre les membres de la Nation et des Jeunes Patriotes. Ainsi, lorsque Paul Bouchard présente sa candidature en décembre 1937 dans Lotbinière, Clarté lui consacre un long article dans lequel il est dénoncé en tant que « ultra-nationaliste », « agent fasciste » et « opportuniste à la remorque de Duplessis et de son régime trustard [27] ». De même ne passe pas inaperçue la publication par le leader des Jeunes Patriotes, Dostaler O'Leary, d'un ouvrage intitulé le Séparatisme, doctrine constructive, dans lequel le communisme est décrit comme « un monde à face asiatique, extrait par un juif immonde et rachitique, des théories de 89 » et dans lequel le séparatisme est présenté comme la seule alternative. E. Roger consacre en effet deux longs articles à la critique de cet ouvrage, qu'il considère comme un mélange curieux de bonnes intentions et de camelote, de sincérité et d'aplatventrisme devant les inepties nazistes (...), d'échafaudage d'abstractions qui n'est que doctrine fasciste, c'est-à-dire rétrograde et réactionnaire [28] ». Quant à O'Leary lui-même, il est traité de « jeune morveux », de « personnage dépourvu de sens moral », de « menteur conscient » et d'« étroit de conception », etc.
[281]
Mais à travers ces diverses critiques de nationalistes, ce que Clarté attaque c'est en fait 1) toute association du nationalisme et du fascisme et 2) l'utilisation du sentiment nationaliste pour camoufler des pratiques politiques réactionnaires. Tel est par exemple le cas de la politique autonomiste de Duplessis, qui n'est somme toute qu'un moyen pour « imposer son conservatisme, pour mettre en oeuvre la politique de la haute finance de la rue St-Jacques » : tout comme la « menace communiste », cette exploitation du sentiment nationaliste sert à « justifier les attaques contre les libertés démocratiques les plus élémentaires [29] ». Clarté n'en reconnaît pas moins des droits aux Canadiens français, s'oppose à toute atteinte aux droits acquis par le Québec et s'engage à lutter « pour élever le standard de vie de cette partie du pays au même niveau que celui du reste de la Confédération ». Cependant, la solution n'est pas, selon les membres du P.C., dans l'isolement mais « dans la mobilisation du peuple canadien, sur la base d'une charte de revendications populaires, dans un front commun anti-fasciste et dans la formation d'un véritable Parti ouvrier-fermier ».
Clarté refuse donc de fonder son action politique sur une différence ethnique : le cadre de sa lutte pour la démocratie est la nation canadienne [30]. Mais en adoptant une telle position et en critiquant plusieurs leaders du mouvement nationaliste canadien-français, celui-ci (et le P.C.) s'aliène une partie importante de la population québécoise et rend la possibilité de constituer des alliances beaucoup plus limitée.
3. Action syndicale
et politisation de la classe ouvrière
Par la création du Front populaire, le P.C. cherche à s'approcher des « fermiers pauvres » et aussi des « classes moyennes ». Cependant, sa première préoccupation semble demeurer la mobilisation de la « classe ouvrière industrielle ». D'ailleurs dans Clarté, plus de 20 pour cent de l'ensemble des articles concerne le syndicalisme ouvrier, les conflits ouvriers-patrons, les conventions de travail, les conflits intersyndicaux.
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Répartition des articles publiés dans clarté selon le thème
|
Thèmes
|
|
Politique
|
53,0
|
Économie
|
16,2
|
Syndicalisme
|
22,2
|
Question sociales et culturelles [31]
|
8,6
|
TOTAL
|
100 (1172)
|
Par la description de situations particulières (MacDonald Tobacco, Dominion Textile, etc.) ou d'événements concrets (grèves), Clarté tente de démontrer l'exploitation de la classe ouvrière. Rarement il est porté un jugement global et radical, tel : « Dans notre société capitaliste, la force de travail est une marchandise sur laquelle on spécule [32]. » Habituellement, l'on se limite à parler d'« esclavage », d'« exploitation », d'« oppression » et aussi d'« inorganisation de la classe ouvrière ». L'accent est ici mis sur l'existence d'intérêts opposés ou d'adversaires, que sont :
- 1) Les capitalistes ou propriétaires des moyens de production : d'abord les cinquante grandes familles multi-millionnaires [33], mais aussi les petits propriétaires, les manufacturiers et leurs associations. Ce sont eux qui sont les premiers responsables des conditions de vie des travailleurs.
- 2) Le gouvernement Duplessis, qui est étroitement associé à la campagne anti-ouvrière et à l'avarice des patrons. L'on dénonce son attitude lors de la grève du textile, ses diverses lois anti-ouvrières, etc.
- 3) Enfin, certains syndicalistes : les dirigeants de la C.T.C.C. et quelques dirigeants d'unions internationales.
L'on peut s'étonner qu'en période de Front populaire, Clarté identifie comme adversaires de la classe ouvrière des membres du mouvement syndicaliste et qu'il formule à leur égard des critiques très sévères. Par exemple, l'on reproche à la C.T.C.C. son attaque contre le mouvement communiste et ses pressions auprès des gouvernements pour obtenir sa répression ; son utilisation de la confessionnalité et du nationalisme pour « imposer des échelles de salaires scandaleuses dans l'intérêt des bourgeois [34] » ; son attitude tolérante et conservatrice [283] envers les patrons ; sa doctrine de collaboration entre classes et sa doctrine corporatiste, etc. Ce n'est en fait qu'à la suite de l'appui de la C.T.C.C. au projet fédéral d'assurance-chômage, de sa lutte lors des grèves de l'acier et du textile et enfin de son front commun avec la C.M.T.C. contre les bills 19 et 20 que Clarté tempère son opposition à cette centrale syndicale et lance, comme le fait en France Thorez, des appels à l'unité avec les catholiques. L'on demande alors aux travailleurs de « mettre de côté les superstitions et de revenir à la réalité matérielle » et de « ne pas mêler la question de religion à la vie matérielle », bref de « dissocier la pratique (revendications) de la doctrine [35] ».
Quant à l'opposition entre Clarté et certains leaders des unions internationales, elle est quelque peu différente : elle a pour base l'appui du P.C. au syndicalisme industriel et donc au C.I.O. plutôt qu'à la F.A.T. La cause que défend Lewis est qualifiée de « saine et intelligente », de « conforme à la destinée progressive de la classe ouvrière [36] », alors même que la lutte que mènent Green et les autres dirigeants de la F.A.T. est présentée comme une « lutte pour le passé, l'ancien ordre des choses ». Le « jeune, frais et triomphant » est ici opposé au « périmé, usé et décadent ». Toutefois, cette critique du syndicalisme de métier, cette « idée vieillotte » n'empêche pas des membres du P.C. de militer au sein d'unions internationales affiliées à la F.A.T. ni Clarté de prôner « l'union de tous les exploités contre l'asservissement ». Il y a à la fois critique de la « tête » - par exemple les leaders et en particulier Gustave Francq du journal le Monde ouvrier sont qualifiés de « grands fonctionnaires ouvriers qui vont à Québec où l'eau bénite de cour leur est aspergée par Duplessis [37] » ou, selon les termes de Lénine, d'« aristocrates ouvriers embourgeoisés [38] » - et appel à l'unité de la base. Ce qui divise en fait les diverses organisations ouvrières, ce ne sont pas leurs objectifs immédiats (droit d'organisation, semaine de travail plus courte, assurance-chômage, assurance-maladie, législation ouvrière et sociale, etc.) mais les moyens qu'ils utilisent : la C.T.C.C. espère obtenir ces revendications en établissant des « relations de cordialité entre le Capital et le Travail » ; la C.M.T.C. s'appuie sur la seule force économique des organisations ouvrières [39] ; enfin le P.C. privilégie la politisation de la classe ouvrière. Ce dernier point de vue est aussi celui de Clarté qui affirme que « tourner le dos à la politique actuelle, c'est ouvrir les portes toutes grandes aux ennemis d'intérêts populaires [40] » et qui propose la création d'un « Parti ouvrier régénéré, groupant dans ses rangs tous les hommes et les femmes de bonne foi, décidés à une action de progrès et d'émancipation politique et sociale [41] ».
[284]
4. Le principal ennemi : Duplessis
L'on comprend dès lors que Clarté accorde dans ses pages une très grande place à la politique : en effet, plus de 53 pour cent des articles portent sur la politique (élections, partis politiques, politiques des gouvernements, situation politique internationale). Cette catégorisation des articles n'est cependant pas adéquate, en ce sens que dans Clarté l'analyse de la politique (et du politique) n'est pas dissociée d'une étude de la situation économique. Ainsi, dans la plupart des articles où il est question de politique, il y a d'abord description de la situation économique du Québec et des conditions de vie (exploitation, misère) des travailleurs et des chômeurs québécois. Le Québec est présenté comme le « royaume des capitalistes » et la « partie du capitalisme déchaîné qui exploite une main-d'oeuvre nombreuse, docile et à bon marché ». Et les termes qui sont utilisés pour décrire cette situation sont les suivants :
- La misère est grande, le chômage augmente, les salaires sont bas, le peuple commence à connaître ceux qui sont responsables des misères populaires [42].
- On offre aux chômeurs des taudis, des hangars, des trous malpropres à des prix honteux et exagérés. Tout cela est une politique voulue des trusts et des grands bourgeois [43].
- Depuis 1929, l'exploitation s'est faite de plus en plus intense. Depuis neuf ans, les suceurs de sueur humaine se gavent de la misère du peuple [44].
De nombreux articles portent aussi sur les problèmes de logement - un numéro spécial de Clarté est d'ailleurs consacré aux taudis de Québec [45] -, le manque de chauffage, d'espace et du « nécessaire » (eau chaude, baignoire, etc.), la maladie, la mortalité infantile, la délinquance, la prostitution, etc., sont là des indices de l'« asservissement et de l'arriération » du Québec.
Le problème de l'éducation n'est pas non plus négligé : chiffres à l'appui, E. Roger démontre, dans le Réveil du Canada français, que le taux d'instruction et le nombre de bibliothèques sont beaucoup plus bas au Québec qu'en Ontario [46]. Celui-ci critique aussi l'organisation et même le contenu de l'éducation au Québec : le système d'éducation est « archaïque », les professeurs laïcs et religieux sont « incompétents », l'éducation est un « mélange confus de catéchisme et d'histoire sainte qui prépare l'élève à la mort plutôt qu'à la vie [47] », etc. Et s'il y a « étouffement du développement industriel de Québec », c'est en partie à cause de cet « obscurantisme », qui s'exprime à travers le système d'éducation et aussi dans les moeurs. Enfin même si Clarté évite habituellement de mettre en question les moeurs, coutumes et modes [285] de vie des Québécois, il n'en dénonce pas moins, dans quelques articles, le « puritanisme » québécois, qui permet des loisirs à la classe riche et les défend aux pauvres [48]. Le journal tourne en dérision diverses mesures : fermeture des restaurants le soir, défense aux jeunes filles de porter le pantalon, enlèvement des sculptures « indécentes », etc. L'on critique aussi les tombolas et les bingos qui sont organisés sur l'île de Montréal au profit d'oeuvres paroissiales : « ce sont là des niaiseries qui font des gens des êtres matérialistes et louches de même que des baiseux de balustres [49] ».
La situation québécoise apparaît donc, à Clarté, dramatique : les seuls droits que possède la masse sont de « travailler, de suer et de se faire mourir pour enrichir quelques millionnaires [50] ». Et la principale cause n'en est pas la crise économique elle-même mais, plus généralement, le système capitaliste, c'est-à-dire les Holt, Beaudry, Gordon et Beatty, dont la puissance est énorme comparativement à la faiblesse du mouvement ouvrier. Parmi les responsables, Clarté identifie aussi les hommes qui administrent les affaires publiques et en particulier Maurice Duplessis.
À l'élection de 1936, il semble que les « éléments progressifs » (dont les membres du P.C.) aient appuyé Duplessis, qui leur était devenu sympathique à la suite de son alliance avec l'Action libérale nationale.
- Il y a un an au mois d'août, écrit E. Roger, le peuple québécois a balayé le régime corrompu de Taschereau. On a voté pour Duplessis, pour l'U.N., dont le programme annonçait l'action contre les trusts, des salaires raisonnables, la sauvegarde du capital humain, l'élimination de la corruption et la punition des voleurs [51].
Clarté, pour sa part, associe, peu de temps après son élection, Duplessis aux « intérêts des financiers de la rue Saint-Jacques et des trusts » et l'accuse « d'avoir trahi tous ceux parmi ses alliés ou adhérents qui s'opposaient au trust de l'électricité » et « d'avoir tranquillement enterré l'enquête des comptes publics [52] ». Cette opposition s'accentue à la suite de l'attitude que Duplessis prend pendant la grève du textiles [53], des lois anti-ouvrières qu'il présente à l'Assemblée nationale, de son opposition à l'amendement de l'A.A.N.B. et enfin de l'application de la Loi du cadenas.
Des actions telles la Loi relative aux salaires des ouvriers et la création d'un Office des salaires raisonnables apparaissent à Clarté comme des moyens pour supprimer le principe du contrat collectif et les libertés syndicales, et pour « mettre en oeuvre le corporatisme », qui est défini comme le « remplacement de la liberté d'action ouvrière [286] par la dictature des trusts [54] ». De même, l'ordonnance n° 4 des salaires raisonnables et aussi les bills 19 et 20, qui rendent illégal l'atelier fermier et qui excluent tous les travaux publics de la précédente Loi des salaires minimum, sont qualifiés de mesures anti-ouvrières. Celles-ci ont pour seul « mérite » de provoquer la formation d'un front commun de la C.T.C.C. et du C.M.T.M. et de transformer Duplessis en « symbole d'unanimité ».
- Duplessis est l'homme des tours de force, écrit J. Péron : il est parvenu à rallier contre lui l'unanimité ouvrière [55].
Quant à l'opposition de Duplessis à l'amendement de l'A.A.N.B., Clarté la considère comme « une escroquerie des plus malhonnêtes ».
- Les trusts et Maurice Duplessis, qui se prosterne devant eux, sont en train, écrit E, Roger, d'utiliser notre indépendance provinciale pour maintenir le peuple québécois dans la dépendance éternelle vis-à-vis ses exploiteurs [56].
Progressivement, c'est-à-dire à chaque fois que Duplessis « brise ses promesses », celui-ci devient le principal adversaire de Clarté. Mais ce n'est qu'au moment de l'application de la Loi du cadenas que l'opposition de Clarté à Duplessis se radicalise. La première page de Clarté, qui devient alors un journal clandestin, affiche les grands titres suivants :
- Avis à Duplessis : Personne... Jamais personne... n'étouffera Clarté, Défenseur du peuple et des libertés civiles et ouvrières.
- En avant plus que jamais : pour la démocratie... contre le fascisme.
Dès lors, Duplessis n'est plus seulement associé aux trusts mais aussi au fascisme.
- Les attaques (de Duplessis) contre la liberté démocratiques et syndicale marquent, écrit E. Dubé, une nouvelle étape qui conduit au fascisme, à la destruction de toute liberté dans l'intérêt des trusts. Le régime s'engage sur la pente qui conduit à l'illégalité et à la violence érigées en système, le fascisme [57].
De plus, Clarté n'hésite pas à utiliser des qualificatifs tels Fasciste, Führer, P'tit cochon, etc. Les deux textes suivants, écrits d'une façon stylisée, expriment bien l'attitude du journal.
Maurice Duplessis, notre Don Quichotte national, monté sur l'Union, son bidet favori, et armé de cadenas en guise de lance, guerroie contre les moulins de la liberté. Comme dans le roman de Cervantes, les moulins sortiront du combat victorieux [58].
[287]
- Cieux, écoutez ma voix, terre prête l'oreille,
- Ne dis plus, Ô Québec, que Duplessis sommeille !
- Chômeurs disparaissez, Duplessis se réveille,
- Et en dictateur vil le pouvoir l'a changé
- Quel est dans Montréal ce journal égorgé ?
- Tremble politicien, tremble homme perfide
- Des droits des citoyens malheureux homicide,
- De son amour pour toi Québec s'est dépouillé
- Ton régime à ses yeux est infâme et souillé
- Où menez-vous ces hommes et femmes ?
- Duplessis a détruit nos moindres libertés
- Ses agents sont actifs, nos droits sont rejetés
- Maurice ne veut plus lire ses vérités
- Plèbe, relève-toi, ouvriers séchez vos larmes
- Prolétariat, objet de ma douleur,
- Quelle main en un jour t'a causé tant de larmes ?
- Qui changera mes bras en deux puissantes armes
- Pour vaincre ton malheur [59] ?
Mais, même si ce sont les militants du P.C. qui sont principalement l'objet de la répression, Clarté évite cependant de se présenter comme le seul groupe « attaqué » : il s'agit là, selon lui, d'une « attaque, sous le prétexte de l'anticommunisme, contre les unions ouvrières, les presses ouvrières et toute opinion progressive ». Et il tente d'identifier son action à celle des Patriotes de 1837.
- Il y a cent ans la répression d'un gouvernement avait tenté d'étouffer des droits populaires (...). M. Duplessis veut-il célébrer le centenaire de 1837 en répétant les actes de répression d'alors ? Qu'il ose ! Il trouvera à travers son chemin de nombreux Chénier, de nouveaux Papineau, de nouveaux MacKenzie de la classe ouvrière [60].
Tout comme pour le nationalisme, Clarté refuse le système dominant de classement des groupements et des hommes politiques et cherche à en constituer un nouveau : celui où s'opposent fascisme et démocratie. Ainsi l'on associe à Duplessis et l'on qualifie de « fascistes » les financiers de la rue Saint-Jacques, une partie du clergé [61], Arcand, Raynault [62], Camilien Houde [63], Paul Bouchard, etc. Mais l'on parvient difficilement à rassembler des groupements ou des hommes politiques dans la classe des « démocrates ». Par exemple, l'attitude de Clarté à l'égard du Parti libéral apparaît ambivalente : dans l'espace de quelques mois, E. Roger critique et appuie la politique de ce parti. Celui-ci accuse d'abord le Parti libéral de s'être dérobé à la responsabilité d'élaborer un « programme d'action basé sur les revendications populaires, la défense des ouvriers, la liberté d'organisation et de parole, donc un [288] programme basé sur la défense de la démocratie menacée, qui puisse rallier tous les groupements à tendance libérale, ouvrière et progressive [64] ». Quelques mois plus tard, Roger écrit un texte élogieux dans lequel il souligne le « réveil des libéraux qui relèvent le défi de la réaction Tory en rappelant la tradition authentique du libéralisme [65] ». Cependant moins de trois mois plus tard, celui-ci publie un autre article dont le ton est très différent : il exprime des craintes à l'égard du Parti libéral qui manifeste certaines tendances corporatistes et qui risque sous les pressions de la « Haute-Finance », d'être ramené au « bercail de l'antidémocratie ». Les possibilités d'une action commune entre le P.C. et le Parti libéral sont alors très faibles... Clarté n'en poursuit pas moins son effort de mobilisation des « forces progressives », parle de « Front du Progrès contre la réaction, le fascisme et la guerre », « d'unité du travail, du libéralisme honnête et des amis de la paix [66] », « du mouvement d'action politique des forces ouvrières et progressives [67] ». L'on évite même de présenter le socialisme comme la solution à tous les problèmes actuels (chômage, pauvreté, guerre, oppression) - Dubé affirme même que cet objectif ne peut être réalisé actuellement parce que le peuple n'est pas convaincu [68] - et l'on se limite à « lutter sur les problèmes immédiats », à revendiquer du « pain et du beurre »et à « travailler à l'unité des groupes avancés et progressifs autour d'un programme minimum ». Les mots d'ordre sont démocratie, liberté, progrès et justice.
* * *
Clarté met donc entre parenthèses, et cela conformément aux directives de l'Internationale communiste, les objectifs du Parti communiste que sont la dictature du prolétariat et l'établissement du socialisme, et il propose des objectifs « populaires » ou, selon l'expression d'Almond, « exotériques » : démocratie, paix et liberté. Sa principale tâche est alors de définir un champ d'action commun, basé sur des revendications de salaires, de logement, de liberté syndicale, etc., et de regrouper les forces ouvrières et progressistes contre Duplessis, les trusts, les dangers du fascisme et d'une guerre impérialiste. Quant aux conditions qui lui semblent préalables à la création d'un véritable Front populaire, elles sont : l'organisation des milliers d'ouvriers dans les syndicats internationaux, l'action commune entre les syndicats catholiques et les syndicats internationaux et l'action politique indépendante des « vieux »partis politiques.
[289]
Le Front populaire n'a cependant existé, au Québec, que sur le papier. La seule alliance entre des « forces progressives » qui ait été réalisée au cours des années 30, est en fait celle de l'Union nationale, que présidera Maurice Duplessis mais qui fut de courte durée. En raison même de sa faiblesse numérique et de sa marginalité, le Parti communiste en fut exclu... Si l'on se limite à ne considérer que la création d'un Front populaire, il semble donc que celui-ci ait subi un échec. Dans un Québec encore monolithique et farouchement anticommuniste, ses chances de réussir étaient d'ailleurs faibles. Néanmoins, c'est durant cette période où Duplessis appliqua la Loi du cadenas que les militants communistes québécois recrutèrent de nouveaux membres [69], contribuèrent à la syndicalisation de milliers d'ouvriers, mirent sur pied des organisations de chômeurs (la Fédération des Sans-Travail du Québec), de femmes (la Solidarité féminine) et de jeunes (Fédération des Jeunes Travailleurs) et sensibilisèrent une partie de la population, dont plusieurs intellectuels, aux dangers du fascisme (guerre d'Espagne, etc.) [70]. Beaucoup plus que la stratégie du Front populaire, ce sont la modification de la politique de l'U. R. S. S. à l'égard de l'Allemagne (1939), l'expulsion de Fred Rose du Canada (1945), le refus du Comité central du P. C. canadien de reconnaître l'autonomie de la section québécoise (1947) et la lutte contre les militants communistes dans les syndicats internationaux au début des années 50 qui semblent avoir été à l'origine de l'affaiblissement du mouvement communiste au Québec.
Marcel FOURNIER
Département de sociologie,
Université de Montréal.
[1] C.P. BEAUBIEN, la Propagande communiste au Canada, Débats du Sénat, 3 mai 1929.
[2] Jean HULLIGER, l'Enseignement social des évêques canadiens de 1891 à 1950, Montréal, Fides, 1958.
[3] Archidiocèse de Montréal, Mandements, lettres pastorales et autres documents, Montréal, 1940. Dans « Erreurs d'ordre social », les Ordinaires de la province civile de Québec condamnent, en mai 1933, le communisme soviétique. Cette condamnation est réaffirmée en octobre 1933 par l'épiscopat canadien, qui invite alors les catholiques à mener une lutte intense contre le communisme soit par la propagande soit par la pratique personnelle des vertus catholiques.
[4] P. ARCHAMBAULT, S.J., la Menace communiste au Canada, École sociale populaire, nos 254-255, 1934.
[5] Marcel FOURNIER, « Histoire et idéologie du groupe canadien-français du P.C., 1920-1945 », Socialisme 69, janvier-mars 1969, 63-78.
[6] Ce titre est celui-là même du journal qu'Henri Barbusse a dirigé en France au début des années 1920. Celui-ci a embrassé, au lendemain de la première guerre mondiale, la cause communiste et fut très actif, au cours des années 30, dans la lutte contre le fascisme (Gérard WALTER, Histoire du Parti communiste français, Paris, Somogy, 1948).
[7] Jean Péron, qui était membre du C.C.F., adhère au P.C. à l'automne 1936. Deux années plus tard, il en est exclu « pour conduite déloyale et duplicité ». On lui reproche de « n'avoir jamais accepté la politique du Parti sur la question de la lutte pour l'unité dans le mouvement ouvrier et pour l'unité avec la masse du peuple catholique ». D'autres critiques à son égard concernent ses « tendances à l'opportunisme carriériste » et sa « manie illusoire de la grandeur » (Clarté, 18 janvier 1939, 1).
[8] Clarté, 27 octobre 1937, 2. En 1938, le comité de rédaction discute d'une réorientation du journal afin de le rendre « plus attrayant, plus vivant et plus efficace comme organe de combat ». L'on se propose alors de s'occuper, en plus des questions politiques et économiques, de ce qui intéresse les jeunes, d'inaugurer une page féminine et même d'intéresser les enfants au moyen de contes, de jeux d'enfants, etc. (Clarté, 7 mai 1938, 2). Ces modifications ne sont par la suite que partiellement réalisées : Clarté demeure un journal avant tout ouvrier.
[9] Clarté, 30 octobre 1937, 1.
[10] C’est par exemple le local du journal Clarté qui est le premier visité et cadenassé. L'ordonnance, datée du 5 novembre 1937 et signée par Maurice Duplessis, qui occupe alors les fonctions de premier ministre et de procureur général, prévoit même la fermeture du local durant une année. La même journée, les policiers s'introduisent dans l'appartement qu'occupe le rédacteur du journal, Jean Péron, et saisissent papiers, dossiers et lettres. D'autres « descentes » sont aussi effectuées au Modern Book Shop et aux imprimeries Artistic Print Shop et Old Rose Printing.
[11] G. DIMITROFF, The United Front, New York International Publishers, 1938, p. 39. Une autre caractéristique du mouvement communiste international entre les années 1935 et 1940 est sa dépendance très grande à l'égard de Staline. Déjà s'effectue ce que les analystes appelleront la « mythification de Staline » (A. KRIEGEL, les Internationales ouvrières, Paris, Presses universitaires de France, 1966).
[12] Ce congrès, qui est le premier que tient le Parti communiste canadien depuis 1931, confirme un regain d'activités : quatre cent cinquante-deux délégués, dont plus de soixante viennent de Québec, y sont présents. Les invités d'honneur sont : Earl Browder, secrétaire général du Parti communiste américain, Alfred Costes, délégué du Parti communiste français et le Dr Béthune. Sur la tribune d'honneur, prennent aussi place Tim Buck, Sam Can et les membres du Comité central, dont S. B. Ryerson et Évariste Dubé, respectivement secrétaire et président de la section québécoise du P. C. L'importance du groupe québécois est aussi confirmée par le fait qu'Évariste Dubé présente à ce congrès le co-rapport du Parti (cf. « Historical Notes : Canadien Communists and the French Canadian Nation », The Marxist Quarterly, Automne 1965, n° 15, 29-30).
[13] Les revendications sont les suivantes : augmentation de l'indemnité familiale de chômage, augmentation de l'allocation de chômage des célibataires, augmentation pour travaux de chômage, campagne pour le lait gratuit dans les écoles, etc. (Clarté, 24 avril 1937, 5). Ce programme comprend aussi un certain nombre de revendications qui intéressent les jeunes, les petits commerçants, les petits propriétaires, les cultivateurs et les bûcherons. Dans Pourquoi la Loi du Cadenas (Montréal, 1937), Évariste DUBÉ, qui est président de la section québécoise du P. C. rappelle les grandes lignes du « programme minimum » : « les salaires avant les dividendes ; la liberté d'union ; la sécurité économique par un programme de travaux publics, le maintien des secours, l'assurance-chômage et des pensions de vieillesse à soixante ans ; protection et aide aux cultivateurs ; nationalisation de l'électricité et électrification des campagnes ; liberté civile et religieuse, c'est-à-dire rappel de la Loi du Cadenas et garantie de liberté de presse, parole et organisation ; abolition des dépôts nécessaires à une candidature ; abolition du Sénat ; interdiction de propagande de haine raciale et enquête sur les activités nazistes ; système de bourses et instruction gratuite ; contre le réarmement et la conscription et pour la paix ».
[14] L'une de ces manifestations les plus importantes est celle que tiennent le premier mai 1938 la C.C.F., le Parti ouvrier et le Parti communiste à l'Aréna Mont-Royal. Plus de 4 000 travailleurs et chômeurs y assistent. À ces manifestations, il faut aussi ajouter diverses assemblées publiques organisées lors du passage à Montréal du Dr Béthune, d'Alfred Costès ou d'André Malraux : celles-ci ont habituellement pour thème la guerre d'Espagne et sont souvent l'objet de contre-manifestations.
[15] Dans le cas du journal Clarté, il apparaît clairement que toute analyse de contenu n'est pas parfaitement fondée si elle ne subordonne pas à l'analyse des conditions sociales dans lesquelles celui-ci est produit et aussi des fonctions qu'il remplit pour ses responsables et pour ses diverses catégories de lecteurs.
[16] L'unité d'analyse est l'article. Est défini comme article tout texte continu de cent mots ou plus.
[17] Cette classification des composantes de l'action s'inspire largement de celle qu'élabore N. S. Smelser (The Theory of Collective Behavior, N.Y. Free Press of Glencoe, 1963). Les catégories choisies ne sont pas parfaitement exclusives : celles-ci marquent une gradation dans le traitement des divers thèmes ou problèmes en fonction même de ce que Smelser appelle la « valeur ajoutée ». Ainsi, un article classé dans la catégorie « Objectifs » peut comporter des « revendications », un « appel à la mobilisation », une « description de la situation ». Mais l'inverse n'est pas possible : est classé dans la catégorie « description », l'article qui n'aborde que cet aspect de l'action sociale.
[18] Cette conclusion rejoint celle de G.A. ALMOND (The Appeals of Communism, Princeton University Press, 1954) : « Les premiers buts du mouvement communiste est, écrit-il, de décrire les caractéristiques mauvaises des acteurs de l'ordre établi, alors que ses propres actions (le soi) sont négligées. » Cette conclusion est cependant différente de celle de LASSWELL et BLUMENSTOCK (World Revolutionnary Propaganda : A Chicago Study, N.Y., 1939) : ceux-ci ont analysé les slogans du P.C. à Chicago et ont constaté une prédominance des symboles d'« identification » par rapport à ceux de « fait » et de « demande ».
[19] Pour rendre compte de cette transformation, il suffit de comparer le contenu du journal Clarté au contenu d'un autre journal, l'Ouvrier canadien, que les membres du P.C. ont publié au début des années 30. À un moment où l'Internationale communiste propose la formule « classe contre classe » et invite les partis communistes locaux à attaquer les leaders sociaux-démocrates, l'orientation est explicitement beaucoup plus radicale : la société est présentée, dans l'Ouvrier canadien, comme dominée par l'antagonisme de classes et caractérisée par l'exploitation du grand nombre par la minorité. Les groupements socio-démocrates sont dénoncés comme les alliés du capitalisme. Et la tâche première du P.C. est alors de « mener la lutte quotidienne des travailleurs dans les usines et dans la rue » et l'objectif de la lutte de la classe ouvrière est « le renversement du capitalisme et l'établissement d'un gouvernement révolutionnaire ouvrier et paysan » (l'Ouvrier canadien, 15 juillet 1930).
[20] E. ROGER, le Réveil du Canada français, Montréal, Éditions du Peuple, 1937, p. 35. Il s'agit d'un court ouvrage qui a été rédigé par un membre du P.C., qui collabore alors activement à la rédaction de Clarté : E. Roger est le pseudonyme qu'utilise S.B. Ryerson, secrétaire de la section québécoise du P.C.
[21] M. RODINSON, « Le marxisme et la nation », l'Homme et la Société, janvier-mars 1968, 131.
[22] SONIA, dans Clarté, 6 mars 1937, 5.
[23] E. ROGER, le Réveil du Canada français, p. 13.
[24] IDEM, « L'éducation antinationale de l'abbé L. Groulx », Clarté, 19 septembre 1936, 2.
[26] IDEM, « M. Groulx et tous les corporatistes trahissent notre peuple », Clarté, 20 décembre 1937, 3.
[27] IDEM, « Paul Bouchard se vend », Clarté, 13 mars 1938, 2.
[28] IDEM, dans Clarté, 8 mai 1937, 3.
[29] IDEM, dans le Réveil du Canada français, p. 39. Voir aussi le mémoire que le P.C. présente à la Commission Rowsell et qui est résumé dans Clarté (« Forces derrière le conflit de l'U.N. et les droits provinciaux »), 11 juin 1938.
[30] Au sujet du Canada comme nation, Ph. RICHER écrit : « Historiquement, les gens (les différents groupes ethniques du Canada) ont constitué une nation, c'est-à-dire qu'ils ont vécu sous la même forme d'économie » (Clarté, 24 avril 1937).
[31] Sous ce thème sont regroupés les articles traitant de criminalité, jeunesse, éducation, loisirs, femme, famille, religion, littérature, sports, langue française.
[32] La suite de la citation est : « C'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Notre système d'éducation a bien soin de préparer les cerveaux de nos ouvriers en conséquence (...). La société capitaliste n'a pas su organiser la société sur des bases d'équité. Quelques-uns se sont arrogé des droits qu'ils n'avaient pas » (F. X. LESSARD, dans Clarté, 1er juillet 1937).
[33] E. ROGER, dans Clarté, 9 janvier 1937, 8.
[34] Ibid., 9 janvier 1937, 8.
[35] La position du P.C. à l'égard des catholiques est aussi explicitée dans des circulaires qu'il distribue : « Tout spécialement nous faisons appel, écrit E. DUBÉ dans une circulaire intitulée Ce Canada, notre pays et datée de juillet 1938, pour l'unité avec le peuple catholique, à qui en toute sincérité, nous tendrons la main d'amitié. Nous sommes liés par la lutte commune, des besoins communs (salaires meilleurs, travail, sécurité, relèvement culturel, santé). Le même idéal de la dignité de la personne humaine anime notre lutte contre la dégradation de notre existence qu'apporte l'exploitation trustard. » Voir aussi de DUBÉ, Pourquoi la Loi du Cadenas, Montréal, 1937.
[36] J. PÉRON, dans Clarté, 19 décembre 1936, 2.
[37] Ibid., 27 février 1937, 2.
[38] Clarté, 13 mars 1937, 1. Cette opposition à la C.M.T.C. semble principalement le fait du rédacteur d'alors, Jean Péron. A la suite de son départ en 1938, la critique disparaît pour faire place à des appels à l'unité.
[39] Par exemple, le mot d'ordre de Gustave Francq, du Monde ouvrier, qui s'oppose à toute intervention gouvernementale dans le domaine des relations de travail est : « Aide-toi et le ciel t'aidera. »
[40] « Éditorial », Clarté, 18 juin 1935, 2.
[41] Clarté, 19 décembre 1936, 2.
[42] E. SAMUEL, dans Clarté, 7 mai 1938, 2.
[43] J. PÉRON, dans Clarté, 13 mars 1937, 2.
[45] Clarté, 12 juin 1937.
[47] Voir aussi un article signé MICHELINE, dans Clarté, 18 décembre 1937. Celle-ci critique le cours classique, qui est trop orienté vers l'étude des langues anciennes et de vieilles théories et qui ne répond plus aux besoins du temps.
[48] Clarté, 5 décembre 1936, « La joie de vivre n'est pas faite, écrit-on, pour les pauvres : on ne permet à ceux-ci que la résignation et la douleur. »
[49] J. L, dans Clarté, 19 décembre 1936, 4.
[50] C.A. MARANDA, dans Clarté, 7 mai 1938, 2.
[51] E. ROGER, dans Clarté, 20 novembre 1938.
[52] E. DUBÉ, dans Clarté, 15 janvier 1938, 2.
[53] « Duplessis a pris ouvertement, écrit E. Roger, la partie des trusts du textile et des Holt et Gordon dans la lutte contre les dix mille grévistes » (Clarté, 20 novembre 1938, 2).
[54] E. ROGER, dans Clarté, 8 janvier 1938, 3.
[55] J. PÉRON, dans Clarté, 5 mars 1938, 3.
[56] E. ROGER, dans Clarté, 4 décembre 1937, 2.
[57] E. DUBÉ, Pourquoi la Loi du Cadenas, p. 1.
[58] Clarté, 19 mars 1938, 3.
[59] C.D., « À la Plèbe », Clarté, 11 décembre 1937, 3.
[60] Clarté, 20 mars 1937, p. 1.
[61] Selon Clarté, une partie du clergé du Québec serait sympathique au corporatisme de Mussolini et collabore au mouvement fasciste d'Arcand et de Lambert (27 novembre 1937, 2).
[62] « Duplessis et Raynault sont devenus, écrit J. PÉRON, l'élite choisie de la masse réactionnaire : combattre le communisme n'est pour eux qu'un prétexte pour nier les principes primordiaux de la démocratie » (Clarté, 30 octobre 1937, 4).
[63] Lors d'une élection en 1939, le Comité provincial du Parti communiste demande aux ouvriers de battre Camilien Houde « qui est près du groupe fasciste et qui appuie la politique autonomiste de Duplessis » (Clarté, 15 janvier 1939).
[64] E. ROGER, dans Clarté, 2 juillet 1937, 2.
[65] Ibid., 11 octobre 1937, 4.
[66] E. DUBÉ, dans Clarté, 15 janvier 1938, 1.
[67] Clarté, 27 novembre 1937, 4. L'on parle aussi d'« union de tous les esprits sains restés épris de vraie liberté ».
[68] E. DUBÉ, Pourquoi la Loi de Cadenas, p. 15.
[69] Selon une évaluation faite par d'anciens militants, le nombre de membres du P.C. à Montréal serait passé entre 1930 et 1940, de quatre-vingts (dont vingt Canadiens français) à mille (dont deux cents Canadiens français). La croissance des effectifs à la toute fin des années 30 semble être déterminée par la campagne populaire du P.C. au sujet de la guerre d'Espagne (1937-1939) et le relâchement de la répression avec le retour au pouvoir du Parti libéral en 1939.
[70] De plus, entre 1930 et 1940, des membres du P.C. se présentèrent sous l'étiquette Ouvrier-Progressiste à divers élections fédérales et provinciales mais ne parvinrent pas à réunir suffisamment de votes pour ne pas perdre leur dépôt. Le P.C. n'obtient des succès électoraux qu'à partir de la Deuxième Guerre mondiale : ces succès furent alors le fait de candidats qui n'étaient pas Canadiens français (par exemple Fred Rose en 1943) et qui se présentaient dans des circonscriptions montréalaises très cosmopolites (Saint-Laurent, Saint-Georges, Cartier, Outremont, Saint-Louis).
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