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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Pierre Fournier, Le patronat québécois au pouvoir: 1970-1976. (1979)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Pierre Fournier, Le patronat québécois au pouvoir: 1970-1976. Montréal : Cahiers du Québec / Les Éditions Hurtubise HMH, 1979, 308 pp. Collection: “Science politique”. [Le 10 mai 2006, l’auteur nous a accordé l’autorisation de diffuser, en accès libre à tous, la totalité de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

[3]

Introduction

Dans la décennie qui nous apporta le désormais célèbre Watergate, le cartel du pétrole et la mise à jour de plusieurs activités illégales des entreprises multinationales, ainsi que, près de nous, l’affaire Skyshop et le scandale du dragage, aucune justification élaborée ne semble nécessaire pour vouloir analyser l’establishment économique et politique d’un pays donné. D’une façon ou d’une autre, la plupart de ces événements, pots-devin, contributions politiques illicites et corruption, renvoient l’observateur de la scène politique aux relations entre le monde des affaires et le gouvernement.

Vers la fin des années soixante, lorsque ce travail fut entrepris, on aurait accueilli avec scepticisme dans plusieurs milieux toute prétention qu’il existait un establishment au Québec, et à plus forte raison que celui-ci ait pu exercer un pouvoir économique et politique prépondérant. On aurait accueilli de la même façon toute tentative de présenter les tractations entre le monde des affaires et le gouvernement comme contraire à l’intérêt public. Le cynisme et le fatalisme provoqués par les différents scandales, de même que les tensions sociales découlant de la crise économique dans les pays occidentaux, ont sérieusement compromis « le bénéfice du doute » dont jouissaient naguère nos « élites » du monde des affaires.

Malheureusement, le niveau d’analyse politique et la prise de conscience qui ont suivi ces événements sont demeurés, dans l’ensemble, superficiels et ont rarement dépassé le cynisme. Il y a eu une forte tendance, encouragée évidemment par les dirigeants économiques et politiques, à faire retomber le blâme sur les Richard Nixon de ce monde et quelques hommes d’affaires et politiciens peu scrupuleux. Derrière l’avalanche de scandales et les manchettes, qui ne sont, selon un vieux cliché, que la pointe de l’iceberg, se cache un système de pouvoir clairement identifiable. Une analyse de ce système et de ses rouages explique le pourquoi de ces phénomènes et démontre qu’ils sont part intégrante d’un processus continu plutôt que les résultats d’actes illicites de la part d’individus corrompus.

Il est bien connu que le rôle de l’État s’est accru substantiellement à l’ère du capitalisme monopoliste. Comme résultante de la nécessité [14] économique, l’État a dû intervenir de plus en plus activement pour tenter de pallier à la crise économique et pour assurer le développement et la survie de l’entreprise privée. Conséquemment, les relations entre le monde des affaires et les dirigeants de l’État sont devenues de plus en plus incestueuses et présentent un caractère plus frénétique que durant les belles années du capitalisme. De par leur dimension et leur force de frappe économique, les multinationales ont contribué à rendre le pouvoir économique plus visible et tangible que jamais auparavant.

Cet ouvrage se veut une analyse du pouvoir et de l’influence politique du monde des affaires québécois. Il s’agit non pas de dresser une liste des scandales qui ont déferlé sur la scène politique québécoise ces dernières années, mais plutôt d’examiner les relations entre le gouvernement et le monde des affaires. Ce livre n’est pas non plus une version québécoise de The Canadian Establishment de Peter Newman. Ce dernier analyse la vie, les habitudes et les goûts des individus qui forment l’élite économique canadienne. Notre étude, par contre, vise les institutions du monde des affaires plutôt que les élites. Si, à certains moments, nous sommes contraints de « personnifier » les milieux d’affaires, ce n’est que dans le but de mieux saisir les mécanismes et la structure de l’exercice du pouvoir. Il y a aussi des différences majeures entre ce livre et deux études importantes de la structure du pouvoir au Canada, soit The Vertical Mosaïc (1965) de John Porter et The Canadian Corporate Elite (1975) de Wallace Clement. Ces derniers traitent des différentes élites au Canada au niveau de leur structure, de leur composition et de leurs caractéristiques socioéconomiques. Us portent une attention particulière au degré de concentration économique, à la structure économique et aux élites patronales. Même si nous abordons certains aspects de ces thèmes en relation avec la situation québécoise, et cela particulièrement dans les trois premiers chapitres, notre étude vise surtout la nature et l’importance des liens entre le monde des affaires et le gouvernement, et l’influence exercée par le patronat dans des champs décisionnels précis.

En termes généraux, nous tenterons de réfuter l’hypothèse largement répandue que les démocraties électorales du monde capitaliste se composent de groupes relativement égaux en compétition les uns avec les autres, et que le rôle de l’instance politique et du gouvernement lui-même est d’agir comme intermédiaire et médiateur pour favoriser l’équilibre entre les différents groupes socio-économiques. Dans son analyse du rôle de l’État dans les démocraties occidentales, Ralph Miliband a déjà souligné que cette théorie, le pluralisme, jouit d’un appui considérable. Selon lui, en effet, « la plupart des chercheurs politiques en Occident ont tendance à partir de l’hypothèse que le pouvoir, dans les sociétés occidentales, est compétitif, fragmenté et diffus » [1].

Plus spécifiquement, la première partie de ce livre traite des différentes composantes du système de pouvoir du patronat québécois. Les [5] avantages institutionnels et stratégiques des milieux d’affaires y sont mis en relief. Le chapitre premier analyse brièvement la signification politique du pouvoir économique des entreprises. Les chapitres deux et trois examinent les institutions et les élites patronales, et en particulier le degré d’unité opérationnelle et idéologique au sein du monde des affaires. Le chapitre quatre se préoccupe du rôle que jouent les associations patronales dans l’exercice de l’influence. Le chapitre cinq examine la nature et la qualité des accès dont jouissent les milieux d’affaires à l’égard des structures décisionnelles gouvernementales. On y souligne également les divers éléments qui accentuent la dépendance structurelle du gouvernement par rapport aux milieux financiers : le financement des partis, les besoins d’emprunts gouvernementaux sur les marchés financiers, ainsi que le recoupement et les échanges de personnels entre le patronat et le gouvernement. Enfin, le chapitre six analyse le contrôle que détient l’élite économique sur les média et le chapitre sept traite des difficultés que rencontrent les syndicats dans leurs efforts pour contrebalancer le pouvoir des milieux financiers.

La seconde partie étudie les politiques gouvernementales dans trois domaines : le développement économique, les politiques ouvrières et sociales, et la langue, et tente de déterminer le degré d’influence exercé par le monde des affaires dans chacun de ces domaines. En plus d’analyser des législations précises, nous tentons de mesurer la satisfaction du milieu patronal à l’égard du gouvernement dans chaque domaine, et de déterminer dans quelle mesure les différentes politiques gouvernementales ont présenté un défi au pouvoir des milieux financiers. Le lecteur intéressé à une discussion plus élaborée de la méthodologie utilisée peut se référer à l’appendice A. Il y trouvera également un résumé et une évaluation critique de quelques-unes des études importantes sur le pouvoir et l’influence.

Cette étude est principalement axée sur les « sommets » du pouvoir patronal, et plus spécifiquement, sur les cent plus importantes entreprises et institutions financières opérant au Québec [2]. Nous allons tenter de démontrer que ces institutions, de même que les individus qui les contrôlent et les dirigent, dominent la scène économique et politique québécoise. À titre de comparaison, nous examinerons à l’occasion le comportement des petites et moyennes entreprises.

Cette analyse des relations entre le patronat et le gouvernement au Québec couvre la période allant de 1960 à 1976. Ce choix chronologique est basé sur l’importance de la période de la révolution tranquille, période qui fut le point de départ pour l’établissement d’un gouvernement provincial relativement fort et actif au Québec. Contrairement au laissez-faire et aux politiques paternalistes qui marquèrent les régimes Taschereau et Duplessis entre 1914 et 1959, les gouvernements des années soixante sont intervenus activement dans presque tous les domaines de l’activité publique. De plus, étant donné que cette période a vu l’accession au pouvoir de [6] trois gouvernements différents, il s’est avéré possible d’examiner la logique et la continuité dans les relations entre le patronat et le gouvernement. Il est à noter qu’une bonne partie des données concrètes recueillies pour cette étude recoupe le règne du gouvernement libéral à partir de 1970 et que nous faisons donc, indirectement, une autopsie du gouvernement Bourassa.

Un des problèmes principaux que pose l’étude de l’influence politique des milieux d’affaires est la très grande discrétion qui entoure souvent les activités gouvernementales et patronales. Cependant, étant donné que le patronat est lui-même la source la plus riche pour une étude de ce genre, nous nous sommes basé surtout sur des questionnaires envoyés à des hommes d’affaires [3], sur des entrevues avec des dirigeants patronaux et sur des publications du monde des affaires. Nous avons également consulté des journaux, des documents et rapports gouvernementaux, ainsi que diverses publications critiques des milieux financiers ou représentant des intérêts opposés à ces milieux, telles les études et publications syndicales. [4]

[7]
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[1] Ralph Miliband : The State in Capitalist Society, Londres : Camelot Press, 1969, p. 2.

[2] L’appendice B contient une liste des cent entreprises en question. L’appendice D souligne les critères utilisés pour sélectionner les plus grandes entreprises.

[3] Voir le questionnaire à l’appendice C.

[4] L’appendice D contient des détails concernant la méthodologie et les procédures utilisées pour la préparation des questionnaires et des entrevues, ainsi qu’une liste des sources bibliographiques consultées.



Retour au texte de l'auteur: Pierre Fournier, ex-prof, science politique UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 13 juillet 2019 19:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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