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Répliques aux détracteurs
de la souveraineté du Québec
Présentation
Alain-G. Gagnon François Rocher
Le débat qui a cours à l'heure actuelle sur la possible accession du Québec à la souveraineté politique ne manque pas de participants. Nul ne peut plus contester le sérieux de l'option souverainiste. L'échec de l'Accord du lac Meech a bien mis en évidence la difficulté qu'a le reste du Canada à accepter toute forme de compromis politique qui permettrait au Québec de s'épanouir en tant que société. De plus, les Québécois ont réalisé qu’il était maintenant possible de songer à faire cavalier seul, à défaut de pouvoir s'entendre sur un réaménagement du fédéralisme canadien qui leur serait satisfaisant. Bien que l'histoire démontre qu'il n'y a jamais rien d'inéluctable, la souveraineté est devenue un scénario de plus en plus envisagé par un nombre sans cesse croissant de Québécois, puisque le contexte politique et économique ne constitue plus un obstacle majeur à sa réalisation. Il n'est donc pas étonnant de constater, dans ce nouvel environnement, que plusieurs, tant au Québec qu'ailleurs au Canada, font déjà valoir une foule d'obstacles qui empêcheraient le Québec de suivre cette voie avec succès. Cela fait partie du jeu de la démocratie et démontre éloquemment le caractère ouvert de la discussion. C'est pourquoi il nous apparaît important de ne pas détourner le débat et de faire face sereinement à ces objections. Même si certaines d'entre elles rappellent celles évoquées il y a plus de dix ans, d'autres se sont ajoutées. De plus, les conclusions des analyses réalisées naguère ne [10] sont plus nécessairement les mêmes aujourd'hui, compte tenu des développements récents de l'économie québécoise, du contexte politique québécois et canadien et de l'environnement international. L'objectif de cet ouvrage est donc de relever ces arguments, d'en saisir les fondements et d'en proposer une analyse critique, éclairée et convaincante. Il entend réfuter, de la manière la plus approfondie et intelligible possible, les arguments avancés s'opposant, sous divers aspects, à la souveraineté du Québec. En somme, il s'agit de présenter ces obstacles, qui souvent sont réels, et de voir dans quelle mesure la société québécoise peut éventuellement y faire face.
Les textes qui composent ce livre s'adressent à un large public. Le langage y est accessible, évite le plus possible d'être descriptif ou d'entrer dans des considérations trop techniques. C'est pourquoi nous avons privilégié la forme de l'exposé. Pour chaque auteur, il s'agit essentiellement de soulever les enjeux et de fournir une argumentation articulée démontrant qu'il est possible de répondre rationnellement et de bonne foi aux détracteurs de la souveraineté du Québec. Ces enjeux sont de plusieurs ordres. Ils concernent tout aussi bien le projet politique et ses implications sociales que la question des incidences économiques de la souveraineté.
Le projet politique
La première partie de l'ouvrage s'intéresse aux dimensions politiques de la souveraineté. Elle analyse le contexte politique canadien qui a poussé un nombre considérable de Québécois à opter pour la souveraineté et répond aux problèmes politiques associés au passage du statut de province à celui d'État.
Dans le premier chapitre, les auteurs (A.-G. Gagnon et F. Rocher) rappellent les raisons qui ont amené un nombre croissant de Québécois à soutenir l'option souverainiste. On y démontre que le cadre politique canadien actuel ne [11] permet plus aux Québécois de s'épanouir comme collectivité unique à l'intérieur du nouveau Canada issu des modifications constitutionnelles de 1982, c'est-à-dire depuis le rapatriement de la Constitution et l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, qui ont eu pour effet de limiter la capacité d'intervention de l'État québécois. De plus, les aspirations de la majorité des provinces canadiennes vont de plus en plus dans le sens d'un accroissement des pouvoirs du gouvernement central et du renforcement des institutions fédérales, au détriment des besoins traditionnellement exprimés par le Québec. Ainsi, le droit à la différence et le respect de la diversité, piliers des revendications québécoises, ont été battus en brèche depuis dix ans. À moins d'un virage majeur de la part du reste du Canada, qui semble au demeurant hautement improbable, le Québec n'a plus d'autre choix que de sortir du cadre actuel de la fédération canadienne s'il veut être en mesure d'affirmer pleinement sa personnalité collective.
Daniel Turp et Henri Brun approfondissent chacun de leur côté des aspects politiques et juridiques du processus d'accession du Québec à la souveraineté. Le premier porte son attention sur la possible négation de la part du reste du Canada du droit du Québec à accéder à la souveraineté. Cet argument fait primer le principe de la légalité du processus sur celui de sa légitimité. S'appuyant sur la reconnaissance du droit de sécession aussi bien au niveau international que canadien, Daniel Turp récuse les objections d'ordre juridique qui avancent que le Québec n'aurait pas le droit de décider seul de son statut politique. Pour sa part, Henri Brun s'interroge sur le bien-fondé de l'argument voulant que le Québec, perdrait éventuellement une partie significative de son territoire s'il devait agir de façon unilatérale et exercer son droit à l'autodétermination. Dans cette hypothèse, ce sont les tribunaux internationaux et non canadiens, ces derniers étant à la fois juges et parties, qui auraient à trancher la question. Or, à la lumière des principes juridiques qui alimentent le droit international, l’intégrité du territoire du Québec serait maintenu. Qui plus [12] est, l'accession du Québec à la souveraineté pourrait même être marquée par un accroissement sensible de son territoire par l'ajout d'espaces maritimes qui ne lui appartiennent pas actuellement en propre.
Sous-jacente à la question du territoire, se pose aussi celle relative aux communautés autochtones qui pourraient éventuellement refuser de se joindre à un Québec souverain. Mais la formulation de la question pourrait être tout autre : la souveraineté du Québec représenterait-elle un obstacle à la promotion des nations autochtones du Québec ? Éric Gourdeau rappelle que le gouvernement fédéral est toujours le fiduciaire des droits de plus des deux tiers des autochtones du Québec. L’accession du Québec à la souveraineté impliquerait un transfert vers ce dernier de ce statut de fiduciaire, transfert qui ne pourrait être refusé que si Ottawa était convaincu que le Québec ne pourrait pas assurer la protection des droits des autochtones sur son territoire. Or, le Québec a déjà montré dans le passé qu'il était non seulement disposé à leur reconnaître les droits inscrits dans la Constitution, mais aussi à en assurer l'exercice. Éric Gourdeau souligne qu'une partie importante du territoire québécois reste grevée d'une hypothèque que le Québec devra lever avec le consentement des nations concernées. Quant à la solidarité qui lie les autochtones du Québec à ceux du reste du Canada, elle pourra être maintenue même si le Québec accédait à sa souveraineté. Finalement, la modification du statut politique du Québec serait l'occasion pour les premières nations qui y sont établies de se libérer de la tutelle gouvernementale, de jouer un rôle plus actif dans leur évolution sociale et culturelle et d’accroître leur participation à l'économie générale du Québec. Pour ce faire, il importe que le gouvernement du Québec prenne des engagements précis devant les nations autochtones et la communauté internationale
Deux textes traitent de questions relatives à la sécurité. La contribution de Jean-Paul Brodeur porte sur la capacité qu'aurait le Québec de faire face aux « troubles [13] intérieurs » qui Pourraient survenir aux lendemains de son accession à la souveraineté. La question de la nécessaire réorganisation des forces policières retient davantage son attention que le risque de voir s'établir au Québec une dynamique de « guerre civile ». Ce scénario est présenté comme relevant d'une volonté démagogique d'effrayer l’opinion publique. Quant à Joseph T. Jockel, il se penche sur le rôle que le Québec devrait assumer pour assurer la défense de son territoire national. Il discute des implications militaires de la souveraineté, en tenant compte notamment de la proximité des États-Unis. Par ailleurs, il soutient que le Québec devrait se doter d'une force armée limitée, ne serait-ce que pour protéger sa souveraineté et rencontrer les engagements qu'il devra prendre à l’endroit des autres pays. Le texte conclut qu'en dernière analyse, le Québec serait en mesure d'assurer la protection de son territoire.
José Woehrling réfléchit sur la protection des droits et libertés dans un Québec souverain en portant particulièrement son attention sur les droits des minorités. Il identifie les différences qui existent actuellement entre les chartes québécoise et canadienne et propose des modifications à la première pour assurer le plein respect des droits individuels advenant un changement de statut politique. Il aborde de manière explicite les droits de la communauté anglophone qui devraient être inscrits dans une nouvelle Charte québécoise ainsi que ceux des autres minorités linguistiques et culturelles. Finalement, José Woehrling considère la possibilité d'enchâsser cette Charte dans la nouvelle Constitution québécoise et se penche sur la pertinence d'y inclure une clause dérogatoire. Il termine son texte en soulignant que la constitutionnalisation d'une Charte québécoise des droits et des libertés de la personne contribuerait aussi bien à garantir la protection des droits qu'à servir de symbole permettant de renforcer le sentiment d'identification nationale, comme cela s'est produit avec la Charte canadienne dans le reste du Canada.
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La question complexe de l'intégration des fonctionnaires fédéraux à la fonction publique québécoise est abordée par Pierre Delorme. Après avoir brossé un portrait de la situation, il met de l'avant des scénarios qui pourraient éventuellement être suivis. Il soutient que l’acquisition par le Québec d'un ensemble de nouveaux pouvoirs devrait forcer, d'une part, une redistribution des fonctions de l'État vers les niveaux inférieurs de gouvernement (dont les municipalités et les organismes qui les chapeautent) et, d'autre part, une déconcentration de certaines activités étatiques vers l'Outaouais afin d'apporter une solution temporaire à la perte d'emploi qui y surviendrait vraisemblablement. Enfin, Pierre Delorme soutient que la question de l'intégration des fonctionnaires fédéraux pourrait servir d'élément déclencheur pour une réforme en profondeur de l'administration publique québécoise au profit de l'ensemble des citoyens.
Chaque fois qu'il est question de souveraineté, le thème de la reconnaissance internationale du nouveau statut politique du Québec ne manque pas d'être soulevé. Pour Louise Beaudoin et Jacques Vallée, il ne fait pas de doute que le Québec sera reconnu sur la scène internationale et ce, en dépit de la possible opposition du gouvernement canadien. De plus, ils soutiennent que la démarche conduisant à la reconnaissance internationale du Québec ne devrait pas être la même que celle menant à son admission comme État membre des Nations unies. Les deux auteurs présentent les motifs qui pourraient être invoqués pour obtenir la reconnaissance canadienne du nouvel État québécois. Finalement, on discute de la manière dont le Québec pourrait défendre sa position devant les Américains ainsi que de l'importance d'utiliser le capital de sympathie accumulé en France à l’endroit du Québec dans le processus de sa reconnaissance internationale.
La première contribution de Daniel Latouche porte sur le danger que ferait courir la souveraineté à la démocratie québécoise. Après avoir brièvement disposé de l'argument voulant que les Québécois soient davantage [15] portés à des excès anti-démocratiques, il discute de la thèse selon laquelle le fédéralisme représente une forme supérieure d'organisation. Pour Daniel Latouche, le passage à la souveraineté serait l'occasion de revoir le mode de fonctionnement des institutions politiques québécoises afin de les moderniser. Finalement, s'inspirant d’une étude empirique sur les conséquences de la taille d'un pays sur l’organisation de la vie politique, il soutient que la dimension d'une société politique ne constitue pas le facteur déterminant pour juger de la vitalité de ses institutions.
L’outil référendaire est celui par lequel tous les citoyens du pays peuvent le plus clairement exprimer leur préférence. Edouard Cloutier discute de la supériorité de ce mécanisme sur l'élection dite référendaire qui n’établirait pas aussi clairement la légitimité d'une entreprise devant conduire à redéfinir le statut politique du Québec. Il aborde aussi la question des autres référendums qui pourraient être tenus pour entraver la souveraineté du Québec, nommément les consultations pan-canadiennes et les micro-consultations qui viseraient à soutirer certaines parties du territoire au nouvel État souverain. Même si Ottawa dispose de la même légitimité que Québec pour tenir un référendum et que toutes les forces politiques et sociales québécoises pourraient faire front commun pour rejeter l’orientation choisie par le reste du Canada, l'opposition à cette stratégie tient au fait qu'elle viendrait court-circuiter un processus déjà annoncé par le Québec. Quant aux possibilités de micro-consultations populaires, Édouard Cloutier soutient qu'elles ne tiennent ni en droit ni dans les faits, et en donne pour exemple le processus ayant conduit à l'indépendance des républiques baltes.
Les implications sociales
Les implications sociales de la souveraineté du Québec n'ont pas manqué de soulever de multiples craintes : le chef du Parti libéral du Canada, Jean Chrétien, ne disait-il [16] pas, il n'y a pas si longtemps, que cela ne profiterait qu'à « deux mille bourgeois » ? Au sein d'une certaine gauche, on craint que cette transition ne fasse oublier l'importance prioritaire qui devrait être accordée à la définition d'un nouveau projet de société ; certains milieux craignent pour la survie de la culture québécoise ou la continuité du financement de la recherche scientifique ; certains ont sorti le spectre d'un départ massif des Anglo-Québécois, ce qui en a conduit d'autres à décrier la possibilité de voir le Québec devenir une société de plus en plus homogène ; certains, moins nombreux il faut malheureusement l'admettre, ont pris fait et cause pour la francophonie hors Québec et ont dit craindre pour sa survie.
Mona-Josée Gagnon répond à l'objection voulant que la souveraineté enrichira les riches et appauvrira les pauvres. Elle fait remarquer que cette objection a été formulée par des intervenants qui n'ont pas grand-chose en commun. D'une part, on retrouve les forces politiques fédéralistes qui fondent leur évaluation sur l'hypothèse de la faillite économique qui suivrait la souveraineté, faillite qui toucherait plus durement les groupes les moins fortunés de la société. D’autre part, certains milieux de gauche ont fondé leur pronostic sur le manque de vision sociale associé à l'actuel mouvement souverainiste. Mona-Josée Gagnon montre en quoi la première vision est irrecevable alors que la seconde se fonde sur des arguments non pertinents.
Reprenant la problématique du risque que ferait courir la souveraineté aux politiques sociales, Yves Vaillancourt réplique à ceux qui font valoir que l'agenda néo-libéral pourrait s'imposer au détriment du filet de sécurité sociale qui protège l'ensemble des citoyens. Il affirme que les forces progressistes du Québec n'ont pas connu le fléchissement que certains semblent y avoir décelé et qu'au contraire, elles participent activement au processus de définition du nouveau contrat social. Elles étaient notamment bien représentées au sein de la Commission Bélanger-Campeau, trop souvent considérée comme un forum dominé par des préoccupations [17] issues du milieu des affaires. De plus, pour Yves Vaillancourt, les débats ayant entouré l'Accord du lac Meech ont démontré l'ampleur du fossé qui sépare de plus en plus les progressistes du Québec de ceux du reste du Canada pour qui le maintien et le développement des programmes et des normes pan-canadiennes ne passent que par le gouvernement central. Finalement, s'appuyant sur l'histoire des politiques sociales au Québec au cours des trente dernières années, il soutient que le Québec demeure l'une des provinces les plus avant-gardistes dans ce domaine et aurait tout à gagner à mettre fin à la lourdeur associée aux programmes à frais partagés.
À ceux qui s'inquiètent de l’avenir de la culture dans la perspective d'un Québec souverain, Jean-Paul L’Allier, avec la collaboration de Denis Vaugeois, répond que le problème est posé à l'envers. C'est plutôt la vie culturelle des Québécois qui est menacée par l'absence de souveraineté. Après avoir dressé un rapide bilan de la présence du gouvernement fédéral dans le domaine de la culture, les auteurs démontrent que le gouvernement du Québec est en mesure de soutenir le développement culturel. La culture est le fruit d'un processus de création qui plonge ses racines dans la société qui la porte, l'alimente et l'apprécie. Elle ne saurait venir d'ailleurs.
La contribution de Maurice L’Abbé porte sur l'avenir du financement de la recherche scientifique dans un Québec souverain. Il note que le bilan de l'expérience québécoise est dans l'ensemble positif et que le milieu de la recherche a acquis au cours des dernières années une maturité remarquable. La taille démographique d'un Québec souverain serait comparable à celle de plusieurs pays européens qui s'en tirent bien en ce qui concerne la recherche. De plus, le changement de statut politique pourrait contribuer à stimuler la croissance de la recherche et de l'innovation. À son avis, aucun problème n'est incontournable au point de mettre en péril le système de financement de la recherche et ce, aussi bien [18] dans les milieux universitaire et gouvernemental qu'industriel.
Parmi les multiples préoccupations sociales associées à la souveraineté, on compte celle concernant l’avenir de la communauté anglophone du Québec. Pour Josée Legault et Gary Caldwell, il est inévitable que les Anglo-Québécois quitteront le Québec en grand nombre. Toutefois, ils soutiennent que cette communauté a déjà une longue histoire de migration interprovinciale qui a contribué à l'affaiblir au cours des dernières décennies. Les causes de cette grande mobilité sont multiples et les auteurs en font largement état. Elles tiennent pour l'essentiel au fait que les anglophones peuvent s'installer partout sur le continent, réalité renforcée par leur faible sentiment d'appartenance au Québec. Josée Legault et Gary Caldwell soulignent l'importante responsabilité que doivent porter les chefs de file de la communauté anglophone qui ont participé à la victimisation et à la déresponsabilisation des anglophones. Un départ significatif des membres de cette communauté contribuerait à la minoriser davantage. Pour limiter les dégâts, c'est d'abord à la communauté anglophone de se responsabiliser, de participer plus activement à la société québécoise et de développer une identité anglo-québécoise.
S'attardant à un autre aspect du contexte démolinguistique et social du Québec, Micheline Labelle s'interroge sur le caractère pluraliste ou homogène du Québec. Plus spécifiquement, elle pose la question de la place qu'y occupent l'immigration et les diverses minorités. Or, il appert qu'un Québec souverain continuerait à être ouvert aux immigrants et que les efforts qui sont aujourd'hui déployés en faveur du pluralisme se poursuivraient. Les structures d'accueil mises en place par le Québec au cours des dernières années pourraient continuer à gérer l'immigration et à participer à l'intégration des nouveaux venus. Par ailleurs, le Québec s'est doté de plusieurs instruments juridiques et consultatifs afin de lutter contre la discrimination ethnique et raciale. En somme, compte tenu de l'ouverture manifestée par le Québec à l'endroit des nouveaux [19] venus, l'accession à la souveraineté politique ne pourrait pas être associée à un mouvement d'homogénéisation et de repli sur soi de la société québécoise.
Le Québec a historiquement manifesté son attachement et son soutien à la francophonie canadienne et acadienne. Linda Cardinal et J.-Yvon Thériault se penchent sur les relations qui devraient être établies entre un Québec souverain et la francophonie canadienne. Ils soulignent la dynamique particulière des francophones hors Québec qui les a conduits à considérer que la souveraineté du Québec les mènerait à leur perte. Ils analysent les positions contradictoires régulièrement mises de l'avant au sujet du statut des francophones hors Québec : d'une part, qu’un Québec fort constituerait une condition essentielle à la reconnaissance de leurs droits et d'autre part, qu'un Québec fort les abandonnerait. Linda Cardinal et J.-Yvon Thériault préconisent quant à eux l'établissement d'un nouveau dialogue entre les deux communautés qui devrait conduire à la signature d'accords de réciprocité qui permettraient à un Québec souverain d'assurer sa présence culturelle auprès des communautés francophone et acadienne.
Les incidences économiques
Ceux qui s'opposent au projet souverainiste ne manquent jamais une occasion de soulever le climat d'incertitude économique qui pourrait en découler. La dernière section du livre appréhende les obstacles économiques les plus couramment invoqués. Ceux-ci portent entre autres sur la petite taille de l'économie québécoise dans un environnement de plus en plus balisé par les impératifs du marché mondial, sur l'intégration économique continentale, sur le refus de négocier qui pourrait se manifester de la part du reste du Canada, sur l'avenir de l'accord de libre-échange, sur l'incidence de la souveraineté sur le développement des régions, sur le déficit dont hériterait le [20] Québec et sur la probabilité d'une union monétaire qui lierait le Québec au Canada.
Parmi les arguments économiques que l'on avance à l'encontre de la souveraineté, il y a celui de la taille du Québec à l'heure de la mondialisation des marchés et de l'interdépendance des sociétés. La seconde contribution de Daniel Latouche aborde cette question. Il soutient que l'obsession de la taille a changé de nature depuis quelques années de telle sorte que la problématique de la taille des pays dépend en grande partie maintenant du contexte géostratégique dans lequel ils évoluent. Pour Daniel Latouche, les considérations relatives à la taille d'un État doivent être examinées en fonction de la facilité avec laquelle elle permet à l’État d'atteindre ses objectifs. Il en vient donc à comparer la performance d'un Québec souverain avec celle attendue du reste du Canada. Finalement il montre ce que le Québec pourrait espérer tirer de son statut de « petite société développée », notamment en s'inscrivant dans le modèle de démocratie de partenariat tablant sur une stratégie de coopération et de consensus largement développée.
À l'heure des grands ensembles économiques, tous les choix qui s'offrent au Québec passent nécessairement par un réaménagement de ses relations avec les États-Unis. Pour Rodrigue Tremblay, la souveraineté politique et l'intégration économique nord-américaine vont de pair et constituent les deux conditions fondamentales pour la prospérité du Québec. Après avoir montré l'interdépendance de l'économie québécoise avec les marchés canadien et américain, il soutient, d'une part, que le maintien de l'espace économique Québec-Canada apparaît nécessaire si l'on tient compte de la mobilité des facteurs économiques et d'autre part qu’il n'y a aucune raison qui pousserait à revoir les termes de l'accord de libre-échange canado-américain. Si tel était le cas néanmoins, c'est surtout l'Ontario qui en souffrirait. Pour Rodrigue Tremblay, l'accession du Québec à la souveraineté devrait être accompagnée d'une entente de type « marché commun » [21] qui lierait le Québec et le reste du Canada. Il aborde les questions des subventions fédérales à l’agriculture et de la répartition des quotas de production entre provinces. Il conclut en rappelant que le Québec et le Canada sont condamnés à vivre côte à côte et que leur intégration économique est une réalité qu'aucun des partenaires ne pourra renier.
La nécessité de créer des liens avec le reste du Canada advenant la souveraineté du Québec ne fait pas de doute. Robert Young s'interroge sur l'éventuelle volonté de coopération du reste du Canada avec un Québec souverain. Alimentant sa réflexion par la théorie des jeux, il envisage plusieurs scénarios. Il en ressort que le succès du Québec dans sa volonté de créer des liens avec le reste du Canada dépendra largement du sérieux, de la détermination et du réalisme de ceux qui prônent l’option souverainiste. En l'absence de telles conditions, le reste du Canada continuera de penser que le Québec ne joue pas franc jeu et ne sera donc pas disposé à entamer des négociations. En fin de compte, Robert Young ne croit pas que le Canada anglais refusera de coopérer avec un Québec souverain dans la mesure où cela est avantageux pour lui.
Le Québec pourrait-il continuer à tirer avantage de l'accord canado-américain de libre-échange s'il devenait souverain ? C'est d'abord à cette question que Peter Bakvis a tenté de répondre. Mais avant d'aborder le thème de la reconduction du traité, il importe avant tout d'évaluer les retombées de l'entente commerciale. Or, selon lui, les avantages attendus ne se sont pas matérialisés et nous avons plutôt assisté à un déclin du secteur manufacturier québécois et canadien. Dans ce contexte, il n'est pas certain que les intérêts du Québec passent par son adhésion à ce traité. Le Québec devrait plutôt considérer d’autres options en matière de politique commerciale. Mais au-delà de l'analyse des coûts et bénéfices du libre-échange, Peter Bakvis soutient que les États-Unis seraient disposés à négocier avec le Québec une entente semblable à celle prévalant à l'heure actuelle avec le Canada, tout en [22] essayant d'obtenir des concessions de la part du Québec, ce qui n'irait pas nécessairement dans le sens des intérêts de ce dernier.
La contribution de Pierre-André Julien porte sur l’incidence de la souveraineté sur les régions du Québec. Après avoir tracé un sombre bilan des avantages que les régions québécoises ont tirés des politiques fédérales, il préconise un développement « par le bas » qui relèverait de l'entrepreneuriat local et de sa capacité à innover ou à produire de façon différente pour compenser les problèmes d'éloignement des grands marchés. À cet égard, le dynamisme des petites et moyennes entreprises québécoises est source d'optimisme. Pour assurer le dynamisme des régions, Pierre-André julien souligne la nécessité de mettre en commun toutes les énergies disponibles dans chaque région dans le but de créer un entrepreneuriat collectif dans une « synergie créatrice ». La souveraineté permettrait de consolider ces nouvelles solidarités et d'assurer le développement complémentaire des régions dans tout le Québec.
Pour Pierre Fortin, l'incidence de la souveraineté sur l'économie sera fonction entre autres de la capacité du gouvernement du Québec de gérer sainement ses finances publiques. Il analyse la portion du déficit fédéral dont hériterait le Québec, les implications sur le déficit budgétaire global du nouvel État et la rationalisation des dépenses qui devrait obligatoirement en découler. Il en conclut que la transition vers la souveraineté devrait être gérée de manière prudente et concertée pour maintenir l'activité économique et l'emploi, soutenir les secteurs qui seraient affectés, contrôler l'inflation et le déficit du Québec. L’ampleur du déficit que le Québec aurait à gérer obligerait celui-ci à maximiser les économies, notamment en supprimant les dédoublements et les incohérences dans la prise en charge des dépenses fédérales de programmes et en revoyant de fond en comble certains programmes.
Le Québec devrait-il conserver la monnaie canadienne ou, au contraire, créer la sienne ? Après avoir évalué le rôle d'une Banque centrale et démontré la faiblesse de la [23] Banque du Canada, particulièrement au chapitre de la représentation des régions dans les instances où se prennent les véritables décisions, Vély Leroy présente les différentes options monétaires à court et à long terme d'un Québec souverain. Il affirme que les conditions monétaires initiales privilégieraient l'union monétaire du Québec et du reste du Canada. Celle-ci pourrait conduire à la mise sur pied d'une Réserve fédérale articulée autour de banques régionales coiffées d'un Organisme central où siégeraient des dirigeants des institutions régionales.
En guise de conclusion :
réflexion sur l'étroitesse d’esprit des nationalistes
Constatant que le nationalisme a bien mauvaise presse, tant au Canada qu'au sein de la communauté internationale, les auteurs du dernier chapitre (Alain.-G. Gagnon et F. Rocher) soulèvent les multiples objections qui ont été avancées depuis plusieurs décennies à l'encontre de la réalité même du nationalisme québécois. Celui-ci fut perçu pendant longtemps, et encore aujourd'hui par certains, comme s'articulant autour des dynamiques d'exclusion, d'intolérance et de survalorisation de l'homogénéité sociale. Les auteurs démontrent que les objections contre le projet souverainiste qui repose sur la dénonciation du nationalisme « ethnique » des Québécois et l'aventurisme économique qui en découle ne prenne pas en compte les multiples mutations qu'il a connues. Le nationalisme contemporain a changé de visage. La « nation » qu'il cherche à ériger ne se fonde plus sur une dynamique de repli mais, au contraire, sur une volonté de faire du Québec une société pluraliste mettant l'accent sur les valeurs civiques, le respect des droits individuels et particulièrement les droits collectifs de ses minorités.
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