Introductions
- Un cas franco-japonais
- Les scénarios de Berne
- La divination, introduction aux techniques cognitives
- Expériences prophétiques
- Opportunisme: religions et techniques
- Le paradigme cognitif
La prospective a-t-elle quelque chose à dire au sujet des religions?
Si l'on admet que celles-ci procèdent de révélations transcendantes, alors elles sont imprévisibles. Comment les faibles mortels pourraient-ils anticiper ce que les Dieux vont dire? N'est-ce pas aussi attenter au sacré que d'essayer d'en imaginer le changement?
Rassure-toi, lecteur. L’auteur de ces lignes ne se prend pas pour un prophète, ni pour un blasphémateur. Il constate seulement que les religions évoluent avec le temps, et se dit qu'il est peut-être possible de comprendre pourquoi et peut-être même d'imaginer[1] comment.
J'ai commencé à m'intéresser aux religions dans les années 70, lorsque je construisais une politique d'innovation. La question que je me posais alors[2] était de savoir si les présupposés religieux ont une influence sur la manière d'innover. Bien des indices laissent penser qu'ils en ont une. Reste à savoir laquelle.
Un cas franco-japonais
La première fois que j'ai vu la possibilité de le comprendre, c'était à l'occasion d'un voyage au Japon, en 1981, avec un groupe d'industriels venus se renseigner sur le fonctionnement des cercles de qualité dans les petites entreprises.
Cela peut paraître surprenant, car les ateliers ne sont pas des lieux du culte. En outre, le «management» affirme procéder d'une rationalité universelle, la même sur toute la planète.
Or, le constat que je fis est élémentaire dans les réunions de travail, en France, plus quelqu'un est gradé, plus il parle; au Japon, plus il est gradé, plus il écoute.
Plus généralement, les techniques de gestion inventées par les Japonais (le «ringi », les cercles de qualité) mettent l'accent sur la bonne remontée des informations, génératrice de consensus. Alors qu'en France, les dirigeants ont un étrange penchant à déverser sur leurs subordonnés quantité d'instructions ou de conseils dont ils auraient très bien pu se passer.
Évidemment, les individus ne sont pas en permanence dans une posture d'écoute au Japon, ni de prise de parole abusive en France. Mais on sent une préférence[3] respective pour ces comportements. Les professionnels l'ont admis comme un trait de culture, sans se poser trop de questions.
Je voyais tant d'exemples illustrant cette différence que je me pris à généraliser: pour les Français, la Parole descendrait du sommet vers la base pour structurer l'action. Pour les Japonais, au contraire, l'information remonterait pour construire une conscience collective.
J'avais devant moi deux «statuts de la connaissance[4]», dont la connotation religieuse paraissait évidente. En France, un modèle prophétique, où le Verbe, d'inspiration transcendante, descend en cascade et définit la forme des productions humaines. Au Japon, un modèle de méditation silencieuse, consistant à s'imprégner de la réalité pour atteindre l'Illumination.
Évidemment, ces modèles ne sont pas toujours actifs. Ce sont des «logiciels sociaux»[5]. Comme dans les logiciels d'ordinateur, certaines fonctions sont activées à certains moments et en sommeil à d'autres. Les éthologues les appellent des «organes comportementaux» signifiant ainsi qu'ils sont, par rapport au psychisme, comme les organes par rapport au corps[6].
J'en voyais l'illustration dans de multiples situations. Par exemple, un représentant d'une entreprise française négocie avec un partenaire japonais. Il se trouve en face d'une quantité de personnes aux spécialités différentes, qui posent plusieurs fois la même question pour vérifier qu'elles se sont bien imprégnées des données du problème.
Les discussions durent longtemps, très longtemps, et le Français devient soupçonneux: est-ce qu'on le mène en bateau? Est-ce qu'on essaie de lui soutirer des informations sans intention de donner suite? En fait, il sous-estime le temps de maturation nécessaire à ses partenaires, très attentifs à ce que, au-dedans, tous ceux qui auront à mettre en œuvre le nouvel accord aient assimilé et bien évalué ce qu'ils auront à faire.
La contrepartie est que l'exécution japonaise tombe comme un coup de sabre, alors que, côté français, les exécutants, plusieurs mois après, se demandent encore de quoi il s'agit...
Un autre cas: celui de l'invention. Avoir seul une idée originale est, pour un Japonais, une source de profond malaise. Il se sent en dissonance avec son environnement. Il s'éloigne du consensus et se perçoit en insécurité, comme en rupture avec sa tribu.
À l'inverse, un Français jubile d'avoir raison tout seul. Il se sent visité par la lumière de l'Esprit, choisi par la foudre bienfaisante du Créateur[7] alors que les autres, ses collègues, croupissent encore dans des ténèbres lamentables.
Les performances industrielles japonaises sont en effet plutôt dans la faculté d'assimilation d'inventions déjà développées ailleurs, leur perfectionnement et leur industrialisation, alors que les Français s'excitent sur les nouveautés, mais s'ennuient dès qu'il faut s'organiser pour produire en série.
Donc, aussi bien dans les réunions de travail ordinaires que dans les négociations ou l'apparition des innovations, je voyais - ou plutôt je sentais - le fonctionnement de logiciels différents en France et au Japon, qu'exprimaient, à leur manière métaphorique, les corpus religieux respectifs de ces deux pays.
Lors des différents voyages que je fis, en Inde, en Chine, en Amérique du Sud, aux États-Unis, en Afrique, en Turquie, au Maghreb, j'essayai de comprendre comment les peuples étaient habités par leurs schèmes religieux et comment ceux-ci avaient évolué.
Ayant été formé au respect de la rigueur scientifique, j'avais bien conscience d'avancer vers des interprétations qu'il serait parfois difficile d'étayer par l'expérience, voire seulement de confirmer par des observations suffisamment indiscutables. Puis la fréquentation de la philosophie m'accoutuma à accepter, avec précaution, l'au-delà du démontrable. Dès lors qu'il s'agit, non des choses, mais du regard que l'on porte sur elles, alors l'expérience montre que l'on voit d'abord ce qu'on s'attend à voir. «La reconnaissance précède la connaissance[8]»
Néanmoins, la gymnastique de l'esprit à laquelle ma formation mathématique m'avait entraîné me permettait quand même de relativiser ces «points de vue». Le mathématicien, en effet, sait changer de système de référence. Dès qu'il a dépassé le niveau élémentaire, il devient capable d'examiner le même objet au moyen de différents repères et sous différents angles, sans privilégier particulièrement l'un d'entre eux. Il apprend même à enrichir la réalité sensible en faisant appel à des détours imaginaires[9].
Depuis cette comparaison des attitudes françaises et japonaises, la question restait constamment présente à mon esprit: peut-on mettre en relation les pratiques quotidiennes et les formes religieuses? Plus précisément, est-ce que nous ne donnons pas un sens trop étroit au terme «religion» quand nous le limitons à ce qui se passe dans les lieux du culte? Ne faut-il pas relier sacré et profane? J'arrivai en tout cas à la conviction qu’on ne peut comprendre l'un sans l'autre.
J'y consacrai beaucoup de temps et de lectures[10]. J'acquis une certaine pratique. Des correspondances fonctionnaient, et me permettaient d'établir rapidement des relations profondes et confiantes avec mes interlocuteurs de contrées lointaines.
En même temps que je faisais ce travail, je voyais se multiplier, chez les psychanalystes, des systèmes d'interprétation tout aussi fragiles, mais possédant une certaine efficacité thérapeutique[11].
D'abord, je n'arrivais pas à dégager une vue d'ensemble qui permette de se repérer dans les différents systèmes religieux. Le foisonnement des détails et les différenciations particularistes masquaient les fondements. Mais une lente imprégnation s'effectuait. La clarté se faisait progressivement dans mon esprit. Je voyais comme un paysage émerger du brouillard.
Je me rendis compte aussi que, à trop s'enfermer dans un scientisme étriqué, on laisse le champ libre à ceux qui s'encombrent de moins de scrupules. Les métaphores religieuses sont aussi utilisées par des escrocs et des pouvoirs criminels.
Pour être tout à fait franc à ce stade, j'avoue aussi éprouver une jouissance libératrice à démasquer les escroqueries métaphysiques. Parmi toutes les escroqueries possibles en effet, celles des religions, des sectes et des idéologies constituent une sorte de quintessence, un sommet dans l'art de l'illusion, bref des morceaux de choix.
Alors, je résolus de considérer les «grilles de lecture» de mes comparaisons comme des outils mentaux, auxquels il convient de ne pas s'attacher, dont l'utilité et l'efficacité doivent constamment être remises à l'épreuve. Mieux vaut un travail honnêtement inspiré par la volonté de libérer l'Homme qu'un retrait sur des certitudes trop étroites.
Il n'empêche, et cela ajoute au plaisir de leur étude, que les récits religieux sont comme de grands rêves qui dégagent une impression de plénitude et de beauté. Ils nous touchent profondément car ils disent, dans leur langage métaphorique, les questions vitales auxquelles sont confrontées les humains et indiquent les voies de leur résolution.
Dans cette démarche, il faut faire attention de ne pas se tromper de niveau d'interprétation. «Quand le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le doigt», dit un proverbe chinois. Les invocations exercent un extraordinaire pouvoir de fascination. Les âmes faibles sont captées et tombent dans l'idolâtrie[12].
De nos jours particulièrement, la transformation d'un objet, d'un air de musique ou d'une image en idole est devenue usuelle. Elle sert à appâter le client en induisant une confusion entre le signe et la chose signifiée. Le contraste entre la France et le Japon, que je viens d'évoquer, montre bien le degré d'abstraction auquel il faut se tenir. Ce ne sont pas les images ou les récits qui comptent, mais les relations qu'ils expriment[13].
Dans ce qui suit, je m'en tiendrai à ce niveau. Je n'aborderai donc ni les détails de tel ou tel texte, ni même la question des «preuves» de l'existence des dieux ou des esprits, qui a tant occupé les théologiens depuis saint Thomas[14]. Les religions «existent» en tant que données psychiques[15] et cela nous suffit pour les prendre en considération. D'autant que nous entrons dans une civilisation «cognitive[16]» où l'Imaginaire s'impose comme une réalité.
Les scénarios de Berne
Cette approche par transposition - on pourrait dire aussi par métaphore - des schémas religieux est inspirée du psychanalyste Éric Berne, dans ce qu'il appelle la théorie des scénarios[17].
Berne observe que nous avons tous acquis, dans notre enfance, notre adolescence ou à l'occasion des événements marquants de notre vie, des scénarios (des logiciels), et nous essayons de recréer des situations telles qu'ils se reproduisent, ou encore nous les commémorons, de manière à réactiver les stimuli qu'ils avaient créés dans notre psychisme. Ce sont des comportements d'autostimulation, comme on peut en observer dans le règne animal[18].
On trouvera en annexe un exemple de décodage par Berne de l'affaire du petit chaperon rouge, de ses sous-entendus et de la manière dont les jeunes filles l'interprètent. C'est un conte, mais que ce soit une légende, un mythe ou un texte dit sacré, la manière de le lire est la même. C'est celle que j'ai employée au début en opposant les fonctionnements prophétiques en France et méditatifs au Japon.
Dans cette perspective, le récit du petit chaperon rouge est la retranscription d'un logiciel. Par la voie du conte, il se transmet de génération en génération et inspire les comportements dès l'adolescence. Il n'est pas le seul. En Occident, Peau d'âne, Cendrillon et la Belle au bois dormant constituent les références féminines. Ces contes viennent combler le vide des religions qui, depuis la disparition des cultes de Cybèle[19] et d'Ishtar, ne dit presque plus rien des fonctionnements de la féminité.
Voici un autre cas, complètement différent, en provenance d'Amérique latine: Les Quechuas[20] croient que les âmes se trouvent à l'origine dans des cavités de la terre, les Pakarinas. C'est parce que la Terre leur a concédé une part de son énergie vitale que les créatures ont une âme et une volonté de vivre. Mais cette terre mère, par endroits fertile et ailleurs desséchée, peut reprendre ce qu'elle a donné. Le lien de l'âme et du corps est fragile. Il suffit parfois d'une chute, d'une émotion, d'une surprise, pour qu'elle quitte le corps par l'un de ses orifices.
Le syndrome s'appelle le «susto». Le malade, l'«asustado», manifeste une profonde tristesse, il est affaibli, il n'a pas envie de manger ni de se lever. Nous dirions qu'il a une dépression. En plus, il est fiévreux, assoiffé, somnolent. Les cils se lèvent, ils deviennent arqués. Il a des frissons, des angoisses nocturnes, des sursauts pendant le sommeil, dont on dit qu'ils sont provoqués par le sol (la terre) qui repousse le malade.
Ce «susto» serait la «réalisation symbolique du fantasme du retour au sein maternel» (la terre mère reprend l'âme). «Réalisation qui comporte en même temps la satisfaction du désir et la maladie, dans une solution de compromis car le malade, en participant de la déesse, rejoint les deux destins qui sont attribués à la terre: alors que l'âme jouit de la force créatrice, le corps, sans âme, reste figé, inerte, voire pétrifié.»
Le traitement nécessite deux guérisseurs: l'un va chercher l'âme pendant que l'autre prépare le malade à la recevoir. Après avoir versé de l'eau de vie et des feuilles de coca sur le sol, en guise d'offrande, le premier invoque l'esprit de la terre. Il prend une chemise du malade, l'agite et invoque l'âme cinq fois. Puis il amorce son retour doucement, en tenant la chemise de manière que l'âme puisse s'y accrocher.
Arrivé chez l'asustado, qui doit être endormi, on le recouvre de la chemise. On soulève légèrement la couverture pour permettre à l'âme de rejoindre son corps. C'est alors que l'on entend comme un bruit de bois qui se casse. Quand le bruit est terminé, l'âme est supposée revenue. Le guérisseur doit quitter la pièce à reculons, ou par une porte différente, afin d'éviter d'emporter l'âme avec lui...
Ce cas montre une description parfaitement intelligible et opératoire d'un problème d'énergie vitale. Rien n'est vrai ni faux. On peut seulement constater que «ça marche». Il ne s'agit pas d'une détermination scientifique, comme serait l'utilisation d'un médicament chimique pour soigner une dépression (en fait plutôt les symptômes que la dépression elle-même), il s'agit d'une technique cognitive, que l'on ne peut d'ailleurs dissocier de la culture quechua.
Portons maintenant notre regard, à l'opposé de ce syndrome dépressif, sur un sujet central, celui de l'Innovation. Comment l'homme peut-il s'autoriser à assumer le Pouvoir créateur ? Prenons le contexte de la culture chrétienne. Que dit le récit de la vie du Christ, lu à la manière de Berne? À peu près ceci:
Celui qui dit la Vérité sera pourchassé par les institutions, condamné par les prêtres. Ponce Pilate s'en lavera les mains. Judas le trahira. Il sera crucifié, fera un voyage dans l'au-delà et ressuscitera.
Autrement dit: Toi, l'inventeur, le créateur, toi qui oses dévoiler la Vérité à la face du monde au-delà des intérêts dominants, n'attends que des épreuves. Tous seront contre toi et même certains de tes fidèles te feront défaut. Tu résisteras. Les institutions te soumettront au supplice. Car c'est la voie pour ressusciter et bâtir pour les siècles des siècles...
Armé dès l'enfance d'un tel scénario, on comprend qu'en pays chrétien l'innovateur ne se décourage pas[21]. Certains vont même jusqu'à rechercher les épreuves bienfaisantes, appellent le sacrifice ultime, inspirés par l'idée que seul le don de sa vie peut ouvrir l'issue de la prison des conformismes.
Par ce mouvement, l'Innovateur s'approprie une parcelle du pouvoir du créateur. Il ose déranger l'ordre du monde. Consciemment ou non, il s'identifie au porteur de la divine révélation. Il rejoue le théâtre de la création.
C'est pourquoi la connaissance, comparée selon les lieux et les cultures, de l'Histoire des innovations permet de voir autrement l'évolution de la spiritualité et des religions.
La divination,
introduction aux techniques cognitives
Prenons un autre exemple: la divination[22]. Ce mot, dont l'étymologie évoque l'ordre divin, désigne un des plus vieux métiers du monde...
La tradition dit que le premier empereur mythique de Chine, Fu Xi, créa l'empire du Milieu au moyen de deux inventions: les caractères (les idéogrammes) et les trigrammes ultérieurement constitutifs du Yi king, première technique codifiée de divination par tirage au sort, avec ses 64 hexagrammes et leurs textes d'interprétation.
On connaît de Mahomet le Coran et ses faits d'armes. On sait moins qu'il était géomancien. Or, la géomancie est aussi une technique de divination par tirage au sort, avec 16 figures (24) au lieu de 64 (26) pour le Yi king. Dans cette parole qui structure l'entendement, sollicitée par le «divin hasard[23]», se cache un nœud de la connaissance.
Je sens monter le scepticisme du lecteur: le Yi king, la géomancie... bientôt les tarots, 1’astrologie... où va-t-on? Qu'est-ce que cette prospective? Autant consulter la boule de cristal de Madame Irma. Je lui demande de laisser ses préjugés de côté. La divination existe depuis des millénaires[24]. Elle répond à une demande sociale. Prenons-la pour ce qu'elle est: un comportement humain qu'il faut comprendre avant de juger.
La première fois que j'ai compris comment fonctionnait la consultation du hasard, c'était lors d'une séance de créativité[25], au début des années 70. Il s'agissait de développer et de promouvoir le salon de l'innovation (Inova). La règle veut que, dans la première moitié de ces séances, la critique soit bannie. On peut associer sur les idées des autres, mais pas les démolir.
Après une période d'échauffement, le groupe avait émis une volée d'idées. Il fallait donc en rajouter d'autres, et chacun se sentait à court, comme essoufflé. C'est alors que l'animatrice sortit de son sac une série de planches, représentant des personnages ambigus dans de bien curieux décors. Elle nous les distribua au hasard et demanda à chacun d'associer à partir des images. Comme par enchantement, la créativité du groupe repartit.
À l'issue de cette expérience, je ressentis comme un vertige. Ayant subi, lors de ma scolarité, un véritable dressage, ayant été transformé en une sorte de machine capable d'enchaîner sans hésitation le majestueux discours de la Raison en marche, cette perception de la réelle fragilité de la production imaginaire me fit l'effet d'un grand vide, un précipice inévitable. Par la suite, quand je m'occupai de la politique d'innovation, je compris à quel point ce vide était nécessaire.
Il me fallait constamment maintenir ouvertes des questions sur lesquelles le discours prétendu rationnel se précipitait pour combler de ses faux-semblants. La respiration de l'Esprit ne pouvait se faire sans ces ouvertures.
Évidemment, le procédé utilisé par l'animatrice - associer sur des images - est une variante de la même technique de «déblocage de l'imaginaire» qu'utilisent le Yi king, la géomancie et le tarot. On comprend bien le principe. Devant un «hyperchoix[26])» l'imagination s'arrête. Le silence s'installe. Il isole et paralyse. C'est comme un réflexe autiste.
Face à cette hébétude, il suffit d'un élément nouveau, tiré au sort, pour redémarrer le récit intérieur. Sans doute, certaines images sont plus efficaces que d'autres et les textes associés à la géomancie comme au Yi king ont été polis par les millénaires. Mais le principe est toujours le même: réduire l'incertitude en focalisant l'attention, resserrer l'éventail des possibles, alors que le premier réflexe aurait été plutôt de l'élargir.
Expériences prophétiques
Cette expérience est une leçon d'humilité. C'est aussi une source de perplexité. Car en effet, si le tirage au sort avait été différent, est-ce que le résultat obtenu par le travail de créativité aurait changé? À première vue, on pourrait croire que oui, mais l'expérience suivante, menée par Garfinkel sur un de ses étudiants, permet d'en douter:
Il s'agissait de tester un ordinateur programmé pour tenir le rôle d'un psychothérapeute. On avertissait les étudiants que c'était une machine sophistiquée mais expérimentale, et qu'elle ne pouvait encore que répondre par oui ou non aux questions qui lui étaient posées.
Arrive un jeune homme juif[27]. Il explique à l'ordinateur consultant: «J'aime une jeune fille. Mon père m'interdit de sortir avec elle. Dois-je quand même la voir?» Réponse: non. «Mais puis-je quand même lui écrire?» Réponse: non... Malgré ces premières rebuffades, à la vingt-cinquième question, on en était aux préparatifs de mariage...
Or, l'ordinateur consultant n'était autre qu'une machine à tirer au sort, qui répondait oui ou non avec une égale probabilité à chaque question. Le tirage aurait été différent, les questions l'auraient été aussi, mais, dit Garfinkel, vers la vingt-cinquième, on serait très vraisemblablement arrivé quand même aux préparatifs du mariage. Pourquoi? Parce que le processus est guidé par l'intentionnalité implicite du jeune homme, dont l'amour s'exprime quelles que soient les vicissitudes.
Il n'empêche que les âmes moins déterminées peuvent facilement se laisser happer par la logique de faux prophètes: au XXe siècle, des peuples entiers ont succombé aux charmes d'idéologies illusoires, u nom desquelles sont tombées des dizaines de millions de morts.
Pour faire la démonstration de la vulnérabilité humaine à la prophétie, Yves Lecerf, au département d'ethnologie de l'université Paris-VII, a construit, dans les années 80, un «prophète automatique»:
Prenant comme base le discours du gourou de la secte dite des «enfants de Dieu», il a sélectionné une centaine de phrases les plus significatives. Puis il a mis au point un logiciel simple, tel que l'ordinateur réponde au moyen d'une de ces phrases aux questions qui lui sont posées. Ce logiciel effectue seulement une comparaison des mots. Il choisit la réponse type présentant un vocabulaire commun avec la question. S'il n'y en a pas, il demande de préciser.
Au-delà d'une cinquantaine de phrases en mémoire, la machine donne l'illusion d'un dialogue. Avec une centaine seulement, on peut obtenir un effet d'endoctrinement. D'autres expériences comparables ont été menées. Un psychanalyste automatique a été programmé, selon un principe voisin. Mais ces expériences, malgré leur intérêt, ne font pas l'objet d'une bien grande publicité. Elles sont peut être trop gênantes...
Opportunisme: religions et techniques
Nous savons aujourd'hui que le déterminisme (de Laplace) est une naïveté. Peu importe en effet, que les choses soient ou non «déterminées», si nous n'avons pas le moyen de nous représenter comment. Et mieux vaut traiter les blocages de notre pensée en consultant le hasard que de nous essouffler à poursuivre des certitudes inaccessibles.
Ainsi, la divination nous introduit à l'essence du religieux. Il n'est ni juste ni efficace de regarder les religions comme des croyances. La dissection des «mythes» qu'a pratiquée l'ethnologie officielle depuis un demi-siècle n'apporte finalement pas grand chose, tant qu'ils ne sont pas replacés dans leur fonctionnement concret. Il vaut mieux les voir comme des techniques pour aider à faire face à l'avenir.
Les interactions entre la vie concrète et la religion se font dans les deux sens. D'une part, les schèmes religieux inspirent les individus, notamment les innovateurs, et les collectivités. D'autre part, quand les conditions de survie évoluent, les anciennes pratiques sont abandonnées progressivement pour d'autres, plus en rapport avec la nouvelle réalité sensible.
Une civilisation ne peut pas se permettre de rester longtemps avec des pratiques en contradiction avec ses modalités de survie. Elle disparaîtrait. Il lui faut aussi faire entrer dans son imaginaire des explications qui rendent compte des conditions où elle se trouve, et justifie les techniques qu'elle emploie.
À cet égard, je me permets d'avancer que l'espèce humaine est opportuniste. Bien sûr, elle est aussi inspirée, mais parmi tous les imaginaires que son inspiration lui souffle, elle retient particulièrement ceux qui justifient sa pratique. L’autojustification est un moteur puissant, qu'il ne faut jamais perdre de vue lorsqu'on lit l'histoire des religions.
La spiritualité apparaît dans la pratique, et ce qui reste des enseignements religieux sont des techniques[28] contribuant à une bonne gestion de la survie, ainsi qu'à une recherche de l'harmonie.
Après tout, la prière elle-même n'est-elle pas une technique pour ouvrir son âme à l'Esprit? En cela, elle est une forme de yoga[29], constellation de disciplines qui se présentent intégralement sous forme technique[30].
J'observe à quel point cette nouvelle approche pacifie le champ du religieux. Pendant des siècles, les croyants se sont étripés sur des détails de leurs dogmes respectifs. On voit mal qu'ils puissent le faire avec autant d'acharnement sur des points de technique, que seul le résultat peut départager: ça marche ou ça ne marche pas.
Les méthodes divinatoires ont un objet précis: travailler l'idée qu'on se fait de l'avenir, la faire mûrir, dépasser les petits blocages de l'imaginaire qui nous empêchent de voir clair, partager une vision commune. Le cas particulier de la divination me permet de replacer l'ensemble des pratiques religieuses dans le paysage technologique: ce sont des techniques cognitives, autrement dit, elles concernent les processus de la reconnaissance et de la connaissance. Il faut comprendre ici le mot «cognitif» dans un sens large, incluant non seulement la connaissance intellectuelle mais aussi l'affectivité, qui est un mode de reconnaissance tout aussi fort.
Cette approche devrait aussi nous amener à constater que, lorsque le système technique change, ce qui n'arrive que rarement[31], de nouvelles pratiques religieuses se mettent en place, plus cohérentes avec les nouvelles conditions objectives de survie.
Si, en plus, nous arrivons à comprendre l'articulation de ce changement dans le passé, alors peut-être pourrons-nous tenter une prospective de ce qu'il pourrait être à l'occasion de l'avènement du nouveau système technique.
Le paradigme cognitif
Les transformations du système technique sont des processus séculaires, des sortes de cataclysmes au ralenti d'où la civilisation sort transfigurée. La «Révolution industrielle» s'est étendue de 1750 à 1950 pour l'Europe et termine actuellement son déploiement planétaire[32]. Elle a bouleversé les mœurs et les croyances. Elle n'est pas encore accomplie qu'apparaît déjà le système technique suivant, celui de la civilisation cognitive, qui se diffusera à toute la planète dans le courant du prochain siècle[33].
La question centrale à laquelle répond le système industriel est celle de la production. La question traitée par le nouveau système technique est tout autre: c'est celle de la cognition. Les sciences physiques procuraient aux entreprises les résultats nécessaires pour améliorer les rendements et la qualité de leurs fabrications. Demain, ce seront les sciences cognitives qui leur fourniront de quoi faire fonctionner les réseaux, fidéliser les clients, gérer les processus d'apprentissage...
La manière de penser s'en trouvera transformée. Le paradigme scientiste présuppose une sorte de sujet universel[34] qui, à chaque instant, serait informé des résultats expérimentaux et des interprétations théoriques. Il serait, en quelque sorte, dépositaire de l'état des connaissances scientifiques.
Le paradigme cognitif est tout autre: il présuppose, non pas un, mais une multiplicité de sujets, qui chacun interprète en permanence le monde à sa façon. Ces sujets forment aussi des collectivités qui ont leur manière propre de penser. Elles confrontent et négocient leurs représentations du monde[35].
Depuis la mise en évidence du code génétique, la communauté scientifique admet que la vie est un seul et même phénomène «de l'amibe à l'éléphant» en passant par l'Homme évidemment. Il en résulte une fraternité renouvelée avec l'ensemble des êtres vivants, et une attitude plus respectueuse s'installe progressivement[36]. L’autre question, parallèle, est: Est-ce que la pensée est aussi un seul et même phénomène, de l'échelle moléculaire[37] à celle de l'individu, voire au-delà jusqu'aux êtres collectifs (tribus, entreprises), à l'Espèce, voire à la biosphère[38] tout entière.
Sans encore aller jusqu'à d'aussi vertigineuses perspectives, la philosophie de la fin du XXe siècle semble, en cohérence avec cette évolution, se stabiliser aussi autour d'un nouveau paradigme[39]. Je veux dire qu'il y a convergence entre le travail de Gregory Bateson poursuivi par l'école de Palo Alto[40], l'éthologie[41], l'ethnométhodologie[42] l'ethnopsychiatrie[43], des historiens des sciences tels que Thomas Kuhn, des philosophes tels que Hubert Dreyfus ou Isabelle Stengers, un concepteur de logiciels pédagogiques tel que Seymour Papert et le mouvement des sciences cognitives dont on trouvera une bibliographie à la fin de cet ouvrage.
Si les religions sont des techniques cognitives, il me paraît évident qu'elles seront mises en mouvement par l'émergence de la civilisation cognitive. L’attitude statique et souvent passéiste des responsables d'organisations religieuses est un bien faible rempart devant l'ampleur des bouleversements qui se préparent[44].
Néanmoins, l'évolution des religions, comme celle des techniques, est lente. À chaque étape, elle remue les fondements. Avant d'envisager un avenir qui s'annonce comme mutant, je remonterai donc loin dans le passé, pour actualiser les questions que posaient nos ancêtres et les réponses qu'ils leur apportaient, encore pleines d'enseignements.
Les biologistes ont énoncé un principe: «La morphogenèse reproduit la phylogenèse.» Cela signifie que chaque individu, lors de sa gestation, suit les mêmes étapes d'évolution que l'espèce a connues dans le passé. En quelque sorte, il reproduit, dans l'élaboration de ses formes (morphogenèse), l'histoire de sa lignée (phylogenèse).
Il semble qu'il en soit de même pour les religions. Actuellement, tout se passe comme si les questions qu'elles ont posées autrefois étaient encore présentes. Nous revivons en accéléré les évolutions anciennes qui se sont étendues sur plusieurs générations.
[1] On croit souvent que la prospective consiste à prévoir et doit être jugée à ses erreurs ou à ses prémonitions. C'est une conception trop étroite. En vérité, elle consiste à travailler sur la représentation qu'on se fait du futur. Chacun prend ses décisions cri fonction d'une vision de l'avenir, le plus souvent instinctive, voire implicite. La prospective est une méthode de travail collective pour aboutir à une représentation plus mûrie, plus fondée. Le présent texte, qui n'est qu'un travail personnel, est donc seulement un commencement, un préliminaire à la prospective des religions.
[2] Avec Élisabeth Meichelbeck et Jean-Éric Aubert. Ces recherches nous ont amenés à rédiger un ouvrage sur la création technique, Pouvoirs du rêve, Éditions d'organisation, 1983.
[3] J'emploie à dessein le terme des logiciels informatiques.
[4] Cette notion est due à Jean-Éric Aubert. Toute organisation a ses réflexes d'acceptation ou de rejet, ainsi que ses processus de traitement de l'information. C'est cet ensemble que l'on peut regrouper sous le nom de statut de la connaissance. Ce sont en quelque sorte les présupposés implicites qui gouvernent la gestion de la connaissance.
[5] Ce concept de «logiciel social» a été introduit par Yves Lecerf dans le cadre de ses travaux inspirés de l'ethnométhodologie à l'université de Paris-VII. Il me paraît beaucoup plus pertinent, en ce qui concerne les religions, que les notions classiques de la sociologie (les «faits sociaux» de Durkheim).
[6] Cette métaphore organique présente le grand avantage de maintenir la problématique dans le champ de la vie. Les organes changent, mais lentement. Certains s'atrophient, d'autres se développent, selon les besoins et l'usage qui en est fait, en constante interaction avec les conditions concrètes de la survie.
[7] Allusion au fragment d'Héraclite: «La foudre gouverne toute chose», interprété par Heidegger et Fink de la manière suivante: les choses apparaissent à l'esprit comme le paysage d'une clairière soudain éclairé par la foudre, et l'impression laissée par cette illumination, par la suite, guide l'interprétation et, de ce fait, «gouverne» toute chose.
[8] J'expliquerai plus loin le rôle central de cet aphorisme.
[9] Tels que les nombres complexes (appelés aussi imaginaires), les transfinis, les fractales...
[10] Je ne prétends toutefois pas être un érudit de l'Histoire des religions comme le sont ceux qui ont consacré leur vie à ce sujet (Dumézil ou Eliade par exemple). Les spécialistes trouveront sans doute dans ce qui suit des approximations, des raccourcis, voire des erreurs. Je leur fais confiance pour rectifier et alimenter le débat. Mais si j'écris ce livre, c'est aussi parce que je sais que personne d'autre ne pourrait actuellement le faire, et qu'il est urgent de relancer le travail de compréhension dans ce domaine.
[11] L'œuvre de C. G. Jung y est tout entière consacrée, mais il faut aussi faire entrer dans le champ des thérapeutes plus «quotidiens», tels que Bruno Bettelheim et sa «psychanalyse des contes de fées», l'école de Palo Alto et Éric Berne.
[12] J'emploie ici le mot ancien pour désigner un phénomène intemporel: la capture du psychisme par des signes ou des enchaînements prédéfinis. Prendre le signe pour la chose signifiée est le degré zéro de cette «idolâtrie». «La carte n'est pas le territoire», répétait Korzybski pour aider ses disciples à sortir de l'idolâtrie.
[13] Cette observation est à mettre en relation avec ]a «théorie des catégories» du mathématicien Alexandre Grothendieck, laquelle, au lieu de s'attacher aux ensembles (théorie de Hilbert), porte son attention sur les relations. Elle raisonne sur les morphismes, c'est-à-dire le transport de relations d'une catégorie à l'autre. En grec, transport se dit «métaphorès». C'est donc une mathématique de la métaphore, inaugurant une autre approche de la réalité.
[14] La Somme théologique de saint Thomas d'Aquin (XIIIe siècle), qui constitue la grande référence, commence par cinq «preuves» de l'«existence de Dieu».
[15] Comme l'a justement remarqué le psychanalyste G G. Jung, Mythologie et Religion.
[16] Sur la prospective générale du siècle prochain, voir 2100, récit t du prochain siècle et 2100, Odyssée de l'espèce, Payot.
[17] Éric Berne, Que dites-vous après avoir dit bonjour?
[18] J'ai cru comprendre que les approches récentes des neurologues laissent supposer que ce que nous appelons notre pensée est fait de comportements d'autostimulation cérébraux. Après le mythe de l'inspiration céleste, voici donc une conception onaniste, rejoignant le mythe égyptien de la création du monde.
[19] Il ne reste de ce culte, qui mobilisait d'immenses processions dans l'Antiquité, que la chasteté (supposée) des prêtres et des moines (qui n'a rien à voir avec l'Évangile). Pour plus de détails, voir Philippe Borgeaud, /et Mère des dieux:de Cybèle à la Vierge Marie, le Seui1, 1996.
[20] Ces informations sont extraites de l'article «Susto ou le vol de l'âme», de Maria Pia Arias Schreiber, n° 8/9 de la Nouvelle Revue d’ethnopsychiatrie, 1987, p. 123 à 137.
[21] Il faut toutefois faire une distinction entre les régions de libre interprétation (protestantisme), où l'imprégnation par le scénario fonctionne plutôt librement (voir Max Weber), et les pays où l’intermédiation est assurée par une institution (l’Église), dont la parole et le jugement (inquisitorial) tiennent lieu de référence. L'énergie du scénario est alors déviée vers la commémoration, le rituel et aussi, fait positif, vers l'engagement à secourir les faibles et les opprimés.
[22] Dont la forme moderne est la prospective, avec ses multiples «méthodologies», aussi sophistiquées que les mises en scène des oracles d'autrefois (voir l'Histoire des oracles, de Fontenelle, et Georges Minois, Histoire de l'avenir, Fayard, 1996).
[23] Selon l'expression de Borges, «la bibliothèque de Babel», in Fictions, Gallimard.
[24] Voir Vernant, Bottéro et alii, Divination et Rationalité.
[25] Animée par Florence Vidal.
[26] Notion introduite par Alvin Toffler dans son ouvrage célèbre, le Choc du futur. Un individu se trouve devant un «hyperchoix» lorsqu'il a un éventail de possibilités trop large. Tel l'âne de Buridan, il n'arrive pas à se décider à en choisir une car, comme on peut l'observer chez les personnes âgées et les enfants, choisit demande un effort, un «travail cognitif».
[27] Cette mention n'est là que pour préciser qu'il vient d'une culture à forte autorité patriarcale.
[28] Les outils techniques sont eux-mêmes comme des organes extérieurs au corps humain. Ils évoluent pareillement. Comme l'a montré Konrad Lorenz (L’envers du miroir, Flammarion, 1990), sur l'exemple du wagon de chemin de fer, certains s'atrophient, d'autres se développent... et leur morphogénèse ressemble étrangement à celle des organes vivants.
[29] Étymologiquement, Yoga signifie lien. C'est donc le même sens initial que le mot religion, qui se rattache au verbe relier, c'est-à-dire au lien. En termes contemporains, on peut dire que le yoga (que je pratique modestement depuis bientôt vingt ans) est un travail sur les liens du corps de l'âme et de l'esprit. Il apprend, dès le début, à ouvrir l'âme et pacifier l'esprit en agissant sur le corps et la respiration.
[30] Les exercices spirituels d'Ignace de Loyola sont également des énoncés techniques.
[31] Bertrand Gille (in Histoire des techniques, la Pléiade, 1978) fait observer que les civilisations tendent à stabiliser leurs systèmes techniques, en harmonie avec leurs structures sociales. La société occidentale, qui a déstabilisé sa technique au XIIIe siècle, puis au XVIIe avec la Révolution industrielle, représente une anomalie dans un paysage beaucoup plus stable: les Égyptiens, Aztèques, les Indiens, les Arabes, les Turco-Mongols, les Chinois, malgré des inventions remarquables, ont vécu pendant plusieurs millénaires avec le même système technique.
[32] Environ la moitié de l'espèce humaine arrive actuellement sur le «marché du travail», dans des conditions trop souvent voisines de celles qu'on imposait autrefois aux esclaves.
[33] Voir 2100, récit du prochain siècle, op. cit.
[34] Cette question du sujet unique de la pensée, que je me garderai bien d'appeler Dieu, ce mot ayant été utilisé dans tous les sens par des cléricatures abusives, est posée depuis les débuts de la philosophie et des religions. Elle a alimenté un débat mémorable au XIIIe siècle entre les averroïstes et saint Thomas. On en trouvera une version moderne allégée dans l'annexe 3: Méditation borgésienne.
[35] C'est ainsi que les chercheurs abordent actuellement l'Histoire des sciences. Voir notamment les travaux de Michel Callon et Bruno Latour à l'Ecole des mines de Paris.
[36] Pour prendre un exemple, il faut s'attendre à ce que les techniques d'élevage intensif de poulets, de porcs oui de bovins utilisées actuellement soient, vers le milieu du siècle prochain, considérées comme une épouvantable barbarie.
[37] Voir les travaux de Francisco Varela sur la reconnaissance moléculaire et son lien avec les sciences cognitives.
[38] Thèse de James Lovelock, les Âges de Gaïa, Odile Jacob, 1997.
[39] Ce qui n'empêche pas la plupart des enseignements de philosophie de continuer à ânonner les auteurs du siècle dernier, et d'ignorer les apports de la Chine, de l'Inde et des anciennes civilisations amérindiennes.
[40] Voir notamment Pour une écologie de l'esprit, de Gregory Bateson, et l’Invention de la réalité, introduction au constructivisme, sous la direction de Paul Waztlawick, ainsi que la Nouvelle Communication, d'Yves Winkin, l'ensemble aux éditions du Seuil.
[41] Voir, entre autres, le Singe nu, de Desmond Morris, l’Agression, de Konrad Lorenz (Flammarion, 1977) et l'Ensorcellement du monde, de Boris Cyrulnik (Odile Jacob, 1997).
[42] Dont le créateur est Garfinkel, Studies in Ethnomethodology. Voir aussi l’Ethnométhodologie, de Hubert de Luze, Anthropos, 1997.
[43] Fondée par G. Devereux, voir les travaux de Tobie Nathan et la Nouvelle Revue d'ethnopsychiatrie, la Pensée sauvage.
[44] Ils seraient sans doute bien inspirés d'essayer de devancer la transformation au lieu d'attendre d'être balayés par elle. Encore faut-il pouvoir le faire. Cela demande plus que de la religion: de la spiritualité.
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