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Les identités.
Actes du colloque de l’ACSALF du 12 au 14 mai 1992.
CINQUIÈME partie :
IDENTITÉS, TRAVAIL ET CLASSES SOCIALES
“La construction de l'identité dans
un contexte de précarité d'emploi :
le cas des jeunes travailleurs
moyennement scolarisés.”
Par Madeleine GAUTHIER
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Que faut-il entendre par « construction de l'identité ? » Il importe d'abord de distinguer la notion d'identité de celle de biographie qui donne cohérence aux caractéristiques psychologiques, biologiques et sociales de l'individu. L'usage abondant que fait la psychologie de cette notion contribue parfois à créer une certaine confusion chez les sociologues. L'intériorisation des rôles sociaux dont parlent Piaget et Erikson, et qui est au principe même de la construction de l'identité psychologique, sert habituellement à distinguer un individu d'un autre. De même en est-il de la notion appliquée à des sociétés entières : la notion d'identité nationale, à titre d'exemple, constitue ce qui différencie une société d'une autre alors que le sens étymologique fait d'abord référence à « ce qui est de même nature ».
Pour la sociologie, c'est dans la relation entre l'individu et la société que se construit l'identité. La notion telle qu'utilisée par la sociologie compréhensive le champ théorique qui a principalement mis de l’avant cette notion se définit plutôt comme le résultat de l'ajustement entre la biographie et la société par des processus subjectifs, internes et externes, qui concourent en premier lieu à 1 a définition de la situation. Ces processus mettent en relation les attentes de la société d'une part, et la représentation que l'individu s'en fait en rapport avec l'image qu'il a de lui-même, d'autre part. Des mécanismes extérieurs à l'individu, comme ceux de la socialisation et intérieurs, tels ceux qui relèvent de l’adaptation, contribueront à la construction d'une identité réussie ou au stigmate chez l'individu, à des comportements socialement acceptables ou inadaptés, dans la perspective de la société. Certains domaines de la sociologie compréhensive nommeront « interaction » (Goffman, 1975), d'autres « transaction » (Dubar, 1975), ce processus qui aboutit à la formation de l'identité.
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IDENTITÉ = AJUSTEMENT
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entre deux réalités objectives
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Biographie
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Société
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par des processus subjectifs
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Internes
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Externes
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définition de la situation
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lecture :
• représentations de la société
• image de soi
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définition de rôles
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mécanismes
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adaptation
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socialisation :
• héritage
• changement
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RÉSULTAT
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réussite ou stigmate
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comportement socialement acceptable ou inadapté
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Dans le contexte de cette définition de l’identité, Berger (1970 : 375) dira que le psychologue peut affirmer de quelqu'un qu'il est plus ou moins ajusté à la réalité ; le sociologue s'empressera, lui, de demander : « Mais de quelle réalité s'agit-il ? ». Dans la même foulée, le sociologue ajoutera que chaque société possède un « répertoire » d'identités où cela semble aller de soi que les individus aient tels traits, qu'ayant tels traits ils agissent de telles manières et qu'ils agissent de telles manières dans des circonstances qui sont elles-mêmes typiques. Pendant la période de socialisation ces répertoires d'identités sont assimilés. La socialisation est d'autant plus réussie qu'il y a correspondance entre les définitions objectives de la société contenues dans ces répertoires et l'appropriation subjective qui, d'une part, rend la société intelligible à l'individu et l'adaptation possible et, d'autre part, l'assure d'une reconnaissance sociale.
L'univers des répertoires d'identité n'est pas plastique, pas plus que les mécanismes par lesquels passe la socialisation. Dans les sociétés où la tradition est forte, il y a de grandes chances que les codifications de la réalité, si elles se modifient, se fassent lentement et quasi imperceptiblement. Dans les sociétés où le changement est rapide, l'adaptation à de nouvelles lectures de la réalité devra se faire au même rythme pour qu'il y ait « identité » ou « mêmeté », selon le mot de Voltaire, entre soi agissant en société et les attentes de cette société, elle-même en [437] transformation. De là, la possibilité d’un décalage qui peut être à l’origine d'une perte ou d'une crise d'identité pour l'individu.
Les années quatre-vingt constituent un beau laboratoire pour observer la construction de l'identité chez les jeunes dans un contexte où la question du travail, lieu par excellence d'élaboration des rôles sociaux, est en transformation rapide. La représentation que les jeunes ont pu se faire du rôle de travailleur ou les aspirations qu'ils ont pu développer en regard des attentes de la société face au monde du travail au moment de la socialisation y rencontrent l'indétermination, allant même jusqu'à l’atypicité, qui caractérise les nouvelles formes de gestion du travail. Pour les fins de cet exposé, le cas des moyennement scolarisés (diplôme d'études secondaires ou études collégiales inachevées) actifs sur le marché du travail servira à l'observation des processus de formation de l'identité dans ce contexte. L'Enquête sur l'activité montre que les moyennement scolarisés qui constituent la majorité des jeunes, sont « objectivement » les plus touchés par les effets des transformations du monde du travail, beaucoup plus que les plus scolarisés et, même si c'est dans une moindre mesure, pratiquement autant que les faiblement scolarisés [1] (Fréchet et Bernier, 1951 : 14 et 47).
Le sous-groupe dont il sera question a été tiré d'un échantillon plus vaste comprenant aussi des jeunes hautement scolarisés et peu scolarisés. Vingt-et-une entrevues ont été retenues pour les fins de cet exposé. Dans tous les cas, le choix des interviewés a été orienté par le souci de diversifier l'origine géographique (grands centres urbains et régions) et sociale (origine familiale) dans des secteurs d'activité (les services, le commerce, l'industrie et autres) où se trouvent principalement les Québécois de 20-24 ans.
L'objectif sera de retracer, dans une démarche inductive, quelques-uns des processus « subjectifs » ou mécanismes qui président actuellement à la formation de l’identité et qui sont au centre du tiraillement, chez les individus, entre l'héritage issu de la socialisation première dans leur milieu d'origine (pendant l'adolescence et les études) et la nécessité de s'adapter à de nouvelles définitions de rôles et de situations pour lesquels ils n'étaient pas nécessairement préparés. Il va sans dire que cette approche est exploratoire et ne prétend pas couvrir les nombreuses façons de réagir lorsque les règles du jeu sont en train de changer.
Dans ce contexte d'instabilité et d'insécurité qui a caractérisé l'entrée sur le marché du travail au cours des années récentes, la jeunesse n'a [438] peut-être pas remplacé l'adolescence comme période de la vie qui fait problème, mais elle s'ajoute comme autre période d'incertitude, au lieu d'être ce moment où l'on franchit avec enthousiasme la barrière du monde adulte. La formation de l'identité constitue alors un processus long, inachevé, toujours à reprendre si l'on admet que le travail rémunéré demeure encore central dans les représentations de soi. Bien que l'importance du travail dans la construction de l'identité soit relative comme l'a montré Raymond Ledrut (1966) à propos du statut de chômeur, elle n'est dans aucun cas indifférente.
Le poids de l'héritage sur la « définition de la situation »
Les racines historiques de la valeur du travail ne comptent pas parmi les moindres des composantes des représentations du travail qui contribuent à la construction de l'identité. Elles ont en effet présidé à la formation des représentations au moment de la socialisation indépendamment même du contexte actuel de la situation du travail. À ces racines profondes, il faut ajouter l'influence du discours véhiculé au cours des années quatre-vingt : les représentations du travail et de l'image de soi qu'on y retrouve sont davantage passées par le filtre de la vision du chômage et de la précarité d'emploi d'une autre génération que par celle que pouvaient porter les jeunes travailleurs eux-mêmes.
Entre « le droit au travail »
et « le devoir d'assurer sa subsistance »
Dans les sociétés occidentales, le droit au travail est reconnu, souvent dans une charte, et il y a obligation pour la société de favoriser l'exercice de ce droit, obligation qui trouve à son tour son expression dans « le droit àl'assistance ». Les diverses formesd'allocationencasd'absenced'emploi (assurance-chômage, aide sociale, etc.) constituent un corollaire du droit au travail pour compenser le défaut de la société de favoriser son exercice. Le droit de l'individu au travail n'est cependant pas absolu. Il est limité par la responsabilité qui lui revient de faire sa part en vue de l'exercice de ce droit, autre notion occidentale qui n'est plus cette fois « le droit au travail », mais « le devoir de travailler » dont Malthus, au XVIIIe siècle, s'était fait le chantre. C'est dans cette perspective qu'ont été utilisées les notions d'aptitude au travail et d'employabilité au moment de la réforme de la Loi sur la sécurité du revenu par le gouvernement du Québec en 1988. « Au grand banquet de la nature, disait Malthus, il n'y a pas de [439] couvert vacant pour lui », c'est-à-dire pour celui qui ne peut obtenir sa subsistance de sa famille si la société n'a pas besoin de sa force de travail.
Ces deux orientations idéologiques sont toujours présentes aujourd'hui dans les représentations du travail et contribuent à moduler l'image que le jeune qui projette son insertion en emploi peut avoir de l'univers dans lequel il veut entrer. Plusieurs nuances sont possibles dans la perception qu'il peut avoir du « droit au travail » et du « devoir de travailler », du « chômage créateur » et du « chômage avilissant », du « travail aliénant » et du « travail épanouissant ». Cette dichotomie toujours présente indique en même temps dans quelle ambivalence le jeune est placé lorsqu'il y a rareté de l'emploi ou de l'emploi « épanouissant ». Il est tiraillé entre l'affirmation d'un droit et l'impératif de « faire sa part » pour que ce droit se concrétise, entre la possibilité d'attribuer ses difficultés à la conjoncture (la société qui ne crée pas d'emplois) et le devoir de « se débrouiller » par lui-même (Gauthier, 1988a : 54-57 et 103).
Au cours d'une période historique où la difficulté d'insertion en emploi est reconnue, la valeur du travail comme élément constitutif de l'identité sociale est-elle moins importante ? Son importance relative peut avoir changé mais dans deux directions opposées. Il peut être moins avilissant d'être chômeur parce que la situation est vécue par un plus grand nombre. Des jeunes chômeurs ont affirmé en entrevue ne pas ressentir de honte de « se trouver sur le BS » (bien-être social : ancienne appellation de la sécurité du revenu) puisque « tout le monde le fait » (Ibid. : 171-172). Il peut, par contre, être très valorisant d'avoir réussi à se dénicher un bon emploi au moment où d'autres ont tant de peine à le faire et attribuer ce fait à des mérites personnels. Cette attitude contribue à dévaloriser ceux qui n'ont pas le même succès et qui risquent alors de s'en prendre uniquement à eux-mêmes pour leur insuccès.
Ces représentations du travail, toutes deux présentes au moment de la période de socialisation, peuvent être à l'origine d'une différenciation importante entre jeunes d'une même génération. Dans le succès comme dans l'insuccès, selon que les difficultés d'insertion en emploi sont attribuées à la société (droit au travail) ou qu'elles relèvent de soi (devoir d'assurer sa subsistance), l'image de soi sera heureuse ou malheureuse. Ce fait pourrait expliquer pourquoi, interrogeant des moyennement scolarisés en cours d'emploi, il s'en est trouvé peu qui soient malheureux. Ils avaient tendance à attribuer leur relatif succès à leurs propres efforts ou stratégies dans un contexte où « la conjoncture », appellation [440] contemporaine de ce que les soixante-huitards nommaient « la société » et les jeunes des années soixante-dix « le système », ne leur est pas favorable [2] (Ibid. : 175).
Entre la résistance au changement
et les exigences de nouveaux répertoires de rôles
Le cas de la présence massive des jeunes femmes sur le marché du travail présente un intérêt certain pour l'observation des changements dans les rôles. Des répertoires anciens à propos des rôles hommes-femmes perdurent ou refont surface en même temps que se constituent des répertoires nouveaux. Comme cela s'était posé au moment des entrevues auprès des jeunes chômeurs, la présence des jeunes femmes en emploi continue, dans certains milieux, de devoir être justifiée. Souvent ce sont des jeunes femmes elles-mêmes qui renforcent cette image lorsqu'elles se disent d'accord avec le fait que les femmes gagnent moins que les hommes et excusent leurs employeurs d'exercer une discrimination salariale fondée sur le sexe.
Alors que les entrevues auprès des jeunes chômeurs mettaient en évidence la théorie du « bouc émissaire » à propos des femmes sur le marché du travail, autant de la part des jeunes femmes que des jeunes hommes, les entrevues auprès des jeunes moyennement scolarisés inscrits en emploi montrent qu'il s'agit maintenant d'un autre réflexe. La crainte de perdre un emploi ouvre la porte à toutes sortes de concessions envers l'employeur si aucune organisation ne vient au secours du travailleur. Si la précarité d'emploi ouvre la possibilité d'une association patron-ouvrier dans le meilleur intérêt des deux parues, elle peut aussi voir renaître le spectre de certaines résistances, en particulier dans le milieu des petites entreprises où les emplois ne sont pas qualifiés. La discrimination sexuelle est de celles-là.
Entre le rêve de l'emploi typique
et la réalité du travail précaire
Parmi les répertoires anciens, il y a la représentation de l'emploi typique qui hante encore les rêves des jeunes rencontrés en entrevue, même si les interviewés de 1988 sont nettement plus réalistes dans leurs attentes que ceux de 1985 (Gauthier, 1988 : 82). Au début de la décennie, au moment où les taux de chômage atteignaient des sommets inégalés chez les jeunes, ces derniers ont connu un état de choc. Un certain nombre d'articles de journaux et un volume, en particulier, traduisaient bien le [441] désarroi des jeunes devant le caractère inopiné de la situation (Benoit et Chauveau, 1986).
En quelques années, les groupes qui ont suivi ont eu le temps d'inscrire la précarité dans leur représentation des premiers emplois, conscients qu'il pouvait difficilement en être autrement lorsque l'on n'a pas d'expérience. Ils ont modulé leurs aspirations à l'aune de la réalité. La réalité, c'est que les 20-24 ans moyennement scolarisés actifs sur le marché du travail étaient seulement 13% environ à détenir un emploi de plus de six mois à temps plein avec avantages sociaux en 1986 (Gauthier, 1990), emploi qui correspondait à la définition de l'emploi typique. On verra plus loin quels mécanismes d'adaptation peuvent être inventés pour faire face à une réalité nouvelle.
Entre la reproduction de la culture du travail
du milieu d'origine et la résignation devant l'incertitude
Chez les jeunes moyennement scolarisés qui réussissent à obtenir des emplois du type de ceux que l'on retrouve traditionnellement dans leur milieu d'origine, l'assimilation des répertoires traditionnels demeure un processus important de formation de l'identité. C'est le cas des ouvriers d'usine, par exemple, le troisième secteur d'emplois par ordre d'importance où se trouvent les 20-24 ans moyennement scolarisés. Dans les entreprises qui ne présentent pas de problème particulier, la reproduction des comportements typiques semble intégrale, qu'il s'agisse de la manière d'entrer dans l'usine, de s'y maintenir et de réagir en cas de menace de fermeture.
Dans ce dernier cas, il est particulièrement intéressant d'observer ce qui préside à la formation d'une identité réussie malgré la précarité de l'institution d'embauché. Conscients de la fragilité de leur permanence lorsqu'il y a menace de fermeture ou seulement de coupure de postes, les jeunes dans ce cas font montre de beaucoup de réalisme. Ils savent que les derniers entrés en entreprise sont les premiers à en sortir. Malgré cela, des jeunes travailleurs d'usine comptent un niveau assez élevé de satisfaction. Comment expliquer ce fait ? D'une part, ces jeunes ont l'impression de reproduire dans leur propre expérience de travail ce qui existe depuis plusieurs années dans leur milieu. Devant la menace de fermeture, il se trouvera des aînés pour rappeler que l'annonce de l'apocalypse pèse depuis toujours sur le climat de travail de cette entreprise.
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La question des modèles est ici particulièrement importante. Dans le processus de reproduction observé dans les entrevues, les modèles appartiennent tous au milieu immédiat : l'employé plus ancien, la mère qui a réussi à gagner la vie de plusieurs enfants, une grande sœur ou un frère qui sont heureux sans avoir fait de longues études, un frère ou un mari qui réussissent dans ce qu'ils aiment. Les modèles que ces jeunes se donnent leur permettent de se mouvoir dans un contexte qui n'est pas idéal sans atteinte à leur intégrité puisque ces modèles ne leur posent pas d'exigences au-delà des possibilités objectives de les atteindre. La satisfaction se mesure alors à celle qui prévaut dans le milieu immédiat face à l'emploi. On se contentera de ce que l'on a parce qu'on évalue que la situation pourrait être pire ailleurs. Ces jeunes reproduisent les réactions d'un milieu où l'existence tient à des conditions sur lesquelles les individus ont peu d'emprise. Mais ils le font avec beaucoup de lucidité et avec quelques soupapes, comme certains en ont témoigné, lorsqu'ils envisagent ce qu'ils pourraient faire en cas de fermeture de l'usine où ils travaillent.
L'indifférenciation dans les travaux de recherche en ce qui concerne l'origine sociale, en particulier ceux sur les jeunes au cours des années quatre-vingt, n' a pas toujours permis de bien voir qu'il existe encore une culture ouvrière dont les aspirations prédominantes pour les plaisirs immédiats, fondées sur une notion du temps qui ne se projette pas très loin dans l'avenir et une croyance au destin (Hoggart, 1970 : 183-191), peuvent avoir ceci d'avantageux qu' elles apprennent à composer rapidement avec des situations changeantes. Les jeunes ouvriers sont différents en cela d'autres jeunes qui investissent dans le long terme, par les études par exemple, et dont la déception est d'autant plus grande qu'ils ont misé davantage et pour plus longtemps. Pour certains qui originent d'un milieu économiquement faible, l'obtention d'un emploi qui a quelque perspective de stabilité pour l'immédiat peut même représenter un symbole de mobilité sociale ascendante.
De nouveaux processus de construction de l'identité
dans un contexte de précarité
Un certain nombre de processus semblent caractériser la formation d'une identité réussie malgré les incertitudes dans ce que l'on pourrait nommer les attentes de la société. Ces processus sont assortis de conditions et impliquent un certain nombre de règles. Il n'est pas possible de [443] rendre compte ici de tout ce que recèlent les entrevues sur ces questions, tout au plus de suggérer quelques types de réactions qui reviennent le plus fréquemment et qui s'avèrent plus ou moins efficaces.
Le cheminement plutôt que la carrière
Le cheminement a remplacé la notion de carrière. Dans le cheminement, la cohérence de l'identité n'est pas assurée par un mécanisme externe, la stabilité d'emploi, la permanence ou le succès professionnel, mais par un mécanisme interne. L'individu trouve son principe d'identité dans sa propension à intégrer dans un projet des éléments à première vue disparates : des emplois de courte durée, faiblement rémunérés, non protégés par une convention collective. L'objectif de l'emploi stable et satisfaisant demeure, mais cette stratégie fait accepter qu'il ne soit pas immédiatement atteint à la fin des études. Comme il s'agit ici d'individus qui n'ont pas de formation professionnelle ou qui ont reçu une formation professionnelle de courte durée, l'objectif tient davantage à un secteur d'emploi et à des conditions d'emploi plutôt qu'à une carrière d'un type bien défini, à moins, comme l'ont mentionné certains interviewés, d'avoir rêvé depuis l'enfance de faire carrière dans certains secteurs valorisés dans leur milieu comme le transport, la grande entreprise, etc.
Les moyennement scolarisés sont sans doute les champions de ce mécanisme d'adaptation à une situation faite de transitions et non pas linéaire. Parce qu'ils n'ont qu'une formation générale ou une formation professionnelle peu poussée, ils sont pratiquement aussi susceptibles que les moins scolarisés de se retrouver dans les emplois décrits comme précaires qui ont été créés durant leur période d'insertion en emploi. Même parmi ceux qui ont un diplôme d'études professionnelles, ce n'est pas la majorité qui détient un emploi en relation avec sa formation qui pourrait inscrire dans un profil de carrière. Les enquêtes Relance au secondaire professionnel font d'ailleurs état du peu de rapport entre le secondaire professionnel court et l'obtention d'un emploi peu de temps après (46,9 chez les hommes et 41,9 chez les femmes en 1987). Ce rapport est plus élevé au secondaire professionnel long (60,8 chez les hommes et 74,1 chez les femmes la même année), mais est inférieure à ce que l'on retrouve après l'obtention d'un diplôme d'études collégiales techniques (80,5 chez les hommes et 84,6 chez les femmes) (Québec, 1987). Même en ayant un emploi dans la ligne de leur formation, le régime de travail, pour ce groupe d'âge, est le plus souvent précaire.
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Les interviewés de cette catégorie qui ont relativement réussi leur intégration au monde du travail avaient tous multiplié les expériences de travail, autant en variété qu'en nombre, ce qui n'étonne pas non plus puisqu'il s'agit aussi d'un sous-groupe qui, du point de vue du niveau de scolarité atteint, connaît un nombre de transitions en emploi presqu'aussi grand que celui des faiblement scolarisés : 46,2% des 20-24 ans sur le marché du travail (les étudiants exclus) n'ont subi aucune transition sur le marché du travail en 1988-1989 (Statistique Canada, 1988-89). Ceux qui se trouvent dans un emploi traditionnel : emploi qui exige un diplôme d'études secondaires comme condition d'entrée mais qui s'apprend sur le tas, présentent ce profil qui est l'aboutissement de multiples expériences dont ils ont essayé de tirer profit. Leurs aspirations étant plus élevées, ce n'est qu'après une certaine maturation sur le marché du travail, après avoir acquis beaucoup de confiance en eux, qu'ils ont décidé de se présenter au concours qui conduisait à l'emploi rêvé.
Ils donnent l'impression, même s'ils sont encore dans la première moitié de la vingtaine, d'avoir obtenu cet emploi après une longue attente et beaucoup de patience à la suite d'un parcours sinueux qui ne ressemble en rien à l'entrée dans un métier pour y demeurer. Le cheminement consiste plutôt à maîtriser les diverses expériences qui pourraient éventuellement conduire vers la typicité. Chaque emploi apprend quelque chose de nouveau à mettre au compte de l'expérience et élargit le réseau de relations susceptibles de favoriser ultérieurement le passage à un emploi dont les conditions seraient meilleures.
De nouvelles stratégies dans la recherche d'emploi font ainsi la démonstration de la rapidité d'ajustement à la situation nouvelle. Par exemple, certains interviewés ont dit ne s'être d'abord adressés qu' à de petites entreprises qui n'osent pas exiger d'expérience de travail aux conditions minimales qu'elles offrent. Les jeunes de 1985 frappaient tous azimuts et étaient déçus de se faire rappeler qu'ils n'avaient pas d'expérience.
La connaissance du milieu d'origine de ces jeunes (milieu socio-économique faible et moyen) permet de formuler une autre hypothèse à savoir que la réalité objective du monde du travail rencontre une autre condition dans la formation des aspirations et dans les choix professionnels, soit l'influence du milieu immédiat comme l'ont déjà souligné plusieurs auteurs (Bernier, 1986 : 33). Sans avoir été socialisés directement à la précarité et à la flexibilité qui caractérisent plus de la moitié des [445] emplois créés à la fin des années quatre-vingt (Conseil économique du Canada), les jeunes dont il est question ici ont vécu leur adolescence dans un milieu socio-économique qui a dû les garder dans les limites d'un certain réalisme dans leurs attentes face à l'emploi.
L'inversion dans les moyens d'assurer son identité
Pour retrouver ou se donner une identité qui a quelque correspondance entre sa biographie personnelle et une réalité à laquelle on ne s'attendait pas, il faut que, quelque part, il y ait eu une inversion entre les répertoires assimilés au moment de la socialisation et ceux qu'il faut apprendre dans un contexte nouveau.
Divers types d'inversion ont été repérés chez les moyennement scolarisés qui pouvaient se compter comme passablement satisfaits de leur situation en emploi lors des entrevues. Au coeur de ces inversions se trouve le noeud qui pourrait caractériser le changement social, lepoint de bascule entre ce qui pouvait être considéré comme atypique et qui devient le comportement typique appartenant aux répertoires de rôles exigés par une situation nouvelle.
Le premier cas d'inversion se trouve dans le fait de privilégier l'expérience au diplôme. Au lieu d'inciter certains jeunes à la poursuite des études, les conditions détériorées du marché du travail, combinées à l'observation d'un certain succès chez des moins scolarisés qui se trouvent dans l'entourage immédiat, conduisent plutôt à investir dans d'autres types de qualifications que la seule diplômation. Les interviewés heureux ont choisi ou accepté des emplois qui les préparaient d'une certaine manière à faire ce qu'ils ont rêvé en tenant compte des possibilités objectives de réalisation. Ils se sont insérés dans des secteurs d'emplois encore ouverts à une main-d' oeuvre suffisamment débrouillarde pour bien s'orienter dans le contexte actuel de la société tout en ne posant pas d'exigences de spécialisation poussée.
Dans le discours officiel des années quatre-vingt, la poursuite des études a été proposée comme une, sinon « la » solution au problème de l'emploi des jeunes. Les moyennement scolarisés rencontrés en entrevue ont pourtant renversé cette relation. Leur comportement, d'abord face aux études, ensuite en emploi, en constitue une critique. Pour ceux-là, trop de formation peut éloigner des emplois non qualifiés ou retarder indûment une entrée en emploi. Ou encore, c'est l'expérience du travail qui peut être à l’origine d’une recherche de formation et non les incitations en provenance d'autres sources.
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Pourquoi ceux qui ont entrepris des études collégiales, ne les ont-ils pas terminées ? Dans la plupart des cas, ces travailleurs ne voyaient pas bien la relation entre leurs études et ce qu'ils souhaitaient faire plus tard. L'investissement semblait trop onéreux pour les possibilités d'emploi par la suite (arts, technique du vêtement) ou inutile pour l'objectif à atteindre (technique forestière pour travailler sur une ferme). D'autres n'aimaient pas les études, avaient hâte d'avoir leur autonomie financière ou avaient des dettes qu'il fallait rembourser avant de poursuivre. La plupart se sont contentés d'études secondaires convaincus par leur entourage que cela suffisait et que c'est l'expérience qui comptait désormais davantage pour eux.
L'interruption des études collégiales chez les moyennement scolarisés pose le problème de la motivation et apporte un éclairage sur un angle souvent négligé dans l'analyse des raisons du décrochage scolaire. La lecture que l'individu fait de la réalité qui l'entoure semble orienter davantage son action, dans ce cas précis, que tous les discours qui pourraient l'entourer. Il y a là un beau cas d'inadéquation entre la réalité observée et le discours qui rend les choix plus problématiques. Dans l'incertitude que présente cette situation objective, l'individu choisit ce qui est le plus près ou ce qui semble le plus conforme à sa propre observation ou lecture de la réalité. Il s'agit là de ce que Berger appelle une définition de « sens commun » qui permet à l'individu de s'orienter dans l'optique de ce qui lui paraît le plus conforme à ses intérêts dans un contexte donné.
Il est intéressant de constater ici comment la définition des rôles ne se fait pas uniquement à travers le discours officiel, les grandes institutions comme l'école et le ministère de l'Éducation, ou dans le contexte anonyme des moyens de communication de masse. Des jeunes déterminent leur choix d'études à partir de leur milieu de référence. Lorsque le frère a un bon emploi après un secondaire V et que les cousins sont en chômage après des études de cégep, il est difficile de trouver une motivation à poursuivre ses études au-delà du secondaire à moins que d'autres motifs que la seule relation formation-emploi incitent aie faire. Le « principe de réalité » prévaut ici.
Deuxième cas d'inversion : devant l'insécurité du milieu de travail, les jeunes ont développé un autre mécanisme interne de compensation. Les plus insécures à cause de la précarité de leur emploi ou de la précarité de l'entreprise pour laquelle ils travaillent, ont insisté sur l'importance [447] pour eux du climat de travail : aimer ses compagnons de travail et bien s'entendre avec son patron. Les plus malheureux en emploi ont justement dit regretter ne pouvoir partager avec d'autres ce qu'ils vivaient, en particulier à cause de leur régime de travail. Les jeunes chômeurs interviewés lors d'une enquête précédente faisaient une grande place au contact avec les autres dans la représentation qu'ils se faisaient du travail et de ce qui leur manquait le plus en période de chômage. Ces observations rejoignent la constatation du sociologue allemand Zoll à l'effet que les jeunes d'aujourd'hui trouvaient leur plaisir « pendant » le travail et non « dans » le travail [3].
Lorsque le régime d'emploi ne favorise pas le compagnonnage, un autre élément de substitution au plaisir que l'on ne trouve pas dans le travail entre en ligne de compte et qu'il faudrait ajouter à l'observation de Zoll, le motif de gagner de l'argent pour assurer son autonomie et pour consommer. Le reproche souvent adressé aux jeunes de travailler uniquement pour faire de l'argent, objectif qui ressort à peu près dans tous les sondages, pourrait trouver ici une explication. Lorsque l'emploi est non seulement précaire et insécurisant et qu'en plus il ne favorise pas la sociabilité, l'individu recherche dans la rémunération le peu de satisfaction qui lui permet de conserver un certain intérêt à travailler et de développer une image de soi valorisante par les moyens que procure le revenu. L'identité n'est pas défi nie ici par le statut professionnel, maispar le statut lié à l'acquisition des biens de consommation.
Le remodelage de l'identité
Une situation fréquente chez les moyennement scolarisés consiste à remodeler son identité selon l'évolution du contexte : redéfinir ses objectifs en fonction du marché du travail avec l'approbation du milieu immédiat qui contribue à les baliser et à en montrer les possibilités par les modèles qu'il propose.
Des emplois non qualifiés peuvent donner le goût de se donner un certain perfectionnement. Ce perfectionnement a généralement peu à voir avec la culture générale, mais est de l'ordre de la formation professionnelle brève et très directement orientée vers la maîtrise d'un savoir technique en vue de ce que l’on a perçu comme possibilité d’améliorer ses conditions de travail. Ces perfectionnements ne conduisent habituellement pas à un diplôme puisque les moyennement scolarisés possèdent déjà le diplôme d'études secondaires. Ce perfectionnement n'a, de plus, [448] rien à voir avec les « certificats » universitaires que vont chercher les plus scolarisés.
Deux obstacles se posent cependant à ces remodelages : la responsabilité d'un enfant, particulièrement pénible pour les jeunes femmes qui ont connu une maternité en bas âge ; la difficulté de retourner aux conditions de vie de l'étudiant lorsque l'on a connu celles du travailleur. Ce sont les conditions de vie de l'étudiant qui en effraient plus d'un surtout lorsqu'elles sont assorties de responsabilités familiales. Dans un processus d'interaction comme celui dans lequel se construit l'identité, les responsables de la formation de la main-d'oeuvre, y compris les entreprises elles-mêmes, trouvent preneurs lorsqu'ils assortissent leurs offres de la possibilité de maintenir un niveau de vie compatible avec les responsabilités de la vie adulte (Carignan, 1992).
Parmi les remodelages observés au moment des entrevues, il y a tous ceux qui concernent la présence des jeunes femmes dans des emplois non traditionnellement féminins. Les entrevues montrent que peu de secteurs ne sont maintenant à la portée des femmes parce qu'ils exigeraient une force musculaire que seuls les jeunes hommes peuvent avoir. Des jeunes femmes font de l'entretien paysager, sont chauffeurs d'autobus ou facteurs sans se demander si elles sont capables de « jouer » ces rôles. Les jeunes interviewées s'y sentaient à l'aise. La représentation des rôles masculins ou féminins en emploi est en train de changer. Une jeune femme a raconté réaliser un rêve d'enfance en devenant chauffeur d'autobus. Les modes de socialisation en seront aussi sans doute changés : faire « vroum, vroum » dans le carré de sable ou sur le parquet de la cuisine risque de ne plus être l'apanage des seuls petits garçons !
Des erreurs ou des difficultés de parcours
Malgré certaines brisures dans l'identité, ce n'est cependant pas dans ce groupe de travailleurs moyennement scolarisés que nous avons observé le plus de stigmatisés, comme c'était le cas chez certains jeunes chômeurs à l'aide sociale, bien que le stigmate ait été atténué du fait de l'incertitude dans la définition des rôles et de la banalisation d'une condition partagée par plusieurs. Pour ces jeunes travailleurs, c' est plutôt l'erreur de parcours, à l'opposé du cheminement, qui constitue un obstacle à la construction d'une identité réussie. Cette erreur est rarement irréversible tant les remodelages sont possibles.
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La précipitation
L'adaptation au changement, à la fin des années quatre-vingt, fut parfois si rapide qu'elle a constitué une fuite en avant. Elle a pu faire oublier qu'il existait encore des emplois traditionnels et qui en avaient les caractéristiques : emplois de métier, emplois non qualifiés mais qui ont certaines exigences de base comme un diplôme d'études secondaires, etc. Des besoins de main-d'oeuvre se font pourtant sentir dans ces secteurs d'emplois et ne sont pas comblés faute de main-d'oeuvre ou par méconnaissance de leur existence (Québec, 1990). Les jeunes interviewés qui avaient fini par accéder à de tels emplois avaient un niveau de satisfaction très élevé.
La méconnaissance de l'univers du travail
et de ses exigences
Dans ce même groupe de moyennement scolarisés et actifs sur le marché du travail, il existe une catégorie de jeunes qui se perçoivent comme victimes de la situation de l'emploi. Ils attribuent leurs déboires à cette situation plus qu'à eux-mêmes. Ceux-ci se trouvent surtout chez ceux qui ont une formation professionnelle de niveau secondaire et qui s'attendaient justement à avoir plus de succès pour leur investissement dans une formation devant supposément les préparer au marché du travail. Ils ont cru qu'il y avait une relation entre la formation et l'emploi et n'ont pas trouver de démenti dans leur entourage immédiat. Tous, sans exception, originent d'un milieu socio-économique faible. Faire des études professionnelles dans ce cas ne pouvait qu'améliorer leur condition sociale d'origine.
Éloignés du marché du travail auquel les aurait conduits leur formation, les jeunes appartenant à ce sous-groupe n'ont pas pu développer des attentes réalistes, cultiver les relations qui leur auraient facilité l'entrée sur ce marché. L'éloignement des milieux de travail réels n'est pas qu'une figure de style puisque des interviewés de cette catégorie sont des déplacés qui ont quitté leur milieu d'origine faute d'emplois et qui viennent grossir la masse des demandeurs d'emplois dans les grandes villes ou les villes de moyenne importance : Montréal, Québec ou Sherbrooke.
Il faut se demander ici si l'éloignement de toute référence à des tâches manuelles pendant la période d'intériorisation des différentes possibilités de participer au monde du travail n'en a pas éloigné plus d'un de métiers [450] pour lesquels ils auraient pu avoir certaines aptitudes de base ou un intérêt. Le travail manuel ne fait plus automatiquement partie des formations de base transmises par la famille ou par le compagnonnage. Le report des études professionnelles à la fin du cours secondaire éloigne encore plus la possibilité de ce type d'apprentissage et des répertoires de métiers qui s'y rattachent.
L'erreur d'orientation
Une catégorie de jeunes travailleurs avoue, après quelques années d'expérience, s'être trompée d'orientation. Dans ce cas, les déboires ne sont pas attribués à des facteurs externes, mais tiennent à une orientation prématurée, à un coup de tête placé au mauvais endroit ou au mauvais moment. Une méconnaissance de la réalité du marché du travail a nourri une idéalisation de certains métiers, dans l'artisanat par exemple, ou dans des métiers traditionnels où se posent de multiples difficultés pour l’obtention de la carte d'apprenti, la carte de compétence et des exigences de relations pour entrer sur le marché.
À cette idéalisation du métier s'ajoute l'idéalisation des régimes d'emploi. C est dans cette catégorie que se trouvent encore les plus déçus de se trouver dans des emplois où il n'y a de travail que sur appel ou de façon occasionnelle ou encore de se sentir coupés d'un milieu de travail, l'artisanat comme le travail sur appel ne favorisant pas les contacts avec un groupe stable de travailleurs. Pour la plupart, le choix de la profession était prématuré. Il faut voir ici l'impact d'une orientation professionnelle hâtive et sans relation avec le monde concret du travail.
Conclusion
Cette brève incursion montre toute l'importance de tenir compte de divers critères de différenciation dans la formation de l'identité. La scolarisation en est un, le milieu socio-économique aussi et les divers processus par lesquels l'individu se réapproprie et fait sienne une situation défavorable à première vue et surtout indéterminée du fait de la précarité et de la flexibilité dans la gestion de l'emploi en sont une aussi. Si la première partie de la décennie quatre-vingt a surpris les jeunes au moment de leur insertion en emploi, un processus de réaction et de reprise d'un certain contrôle de la situation a facilité, vers la fin de la décennie, non pas l'entrée sur le marché du travail, mais la formation d'une identité [451] réussie malgré les difficultés d'insertion. Elle est réussie en ce qu'il y a intériorisation des définitions de la situation et de la possibilité de se les approprier par divers processus comme ceux du cheminement, de l'inversion ou du remodelage.
Beaucoup de travaux au cours des années quatre-vingt ont donné une image uniformisante des jeunes alors que la réalité est beaucoup plus diversifiée. Cette image a le plus souvent été celle de victime. L'analyse de l'identité ne peut passer outre à la question de savoir dans quelle mesure le discours « victimisant » n'aurait pas servi de « prédiction créatrice » pour un sous-groupe déjeunes qui n'auraient pas trouvé en eux ou dans leur environnement l'énergie nécessaire pour mettre en œuvre des stratégies plus adéquates. Dans quelle mesure ce discours n'a-t-il pas empêché, par une perception sans nuances de la réalité, les responsables de la création d'emplois et de la formation d'inventer de nouveaux répertoires de rôles ou d'accompagnement dans un contexte dont l'incertitude semble vouloir perdurer ? Dans quelle mesure ce même discours, en partie déconnecté de la réalité qu'il était censé représenter, n'a-t-il pas contribué à dissimuler des problèmes réels, la restructuration du monde du travail atteignant les groupes de manière différenciée ?
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[1] « Vers un affaissement du centre ? », se demandent Fréchet et Bernier (1991 : 41-47) en constatant que les gains et les avantages en emploi des moyennement scolarisés ressemblent passablement à ceux des moins scolarisés.
[2] Il se trouvait beaucoup plus de déçus chez les hautement scolarisés à cause de l'investissement qu'ils ont mis dans leurs études et qui, pour plusieurs, ne semblait pas rentable, du moins pas dans l'immédiat. Cette même observation se dégageait de l'enquête auprès des jeunes chômeurs (Gauthier 1988 : 171-172).
[3] Le sociologue allemand Rainer Zoll (1992) fait remarquer que la manière des jeunes de s'attaquer à leurs problèmes prend la forme de la communication parce que le minimum de confiance qui existait auparavant dans les institutions s'est effrité et doit être reconquis par le dialogue. Hypothèse d'un nouveau modèle culturel, Communication dans le cadre du congrès de l'Association canadienne des anthropologues et des sociologues de langue française (ACSALF), Moncton, mai 1988. Cette thèse a été reprise récemment dans le livre de Zoll (1992).
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