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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gilles Gendreau et collaborateurs, BOSCO la tendresse. BOSCOVILLE: UN DÉBAT DE SOCIÉTÉ. Montréal: Les Éditions Sciences et Culture, 1998, 364 pp.[Autorisation formelle accordée par le président de la maison d’édition Les Éditions Sciences et culture, M. Mathieu Béliveau, le 21 décembre 2005 de diffuser ce livre.] Introduction par Gilles Gendreau De toute évidence, l'hypothèse de la fermeture de Boscoville aura été à l'origine de ce livre. J'ai déjà écrit dans l'avant-propos que mon projet initial était plus large : je me proposais un essai sur l'action psychoéducative qui s'inspirerait de ma démarche professionnelle. De toute évidence également, j'allais devoir me focaliser sur le débat de société que l'annonce de la fin de cette institution spécialisée allait illustrer et rendre nécessaire, à toutes fins utiles, pour tous ceux, citoyens et professionnels, qu'interpellent les jeunes ayant des problèmes d'adaptation. En écrivant un volume sur Boscoville, je ne devais pas uniquement mettre en valeur ou défendre cette réalisation, aussi valable soit-elle, en toute objectivité historique. Boscoville n'a jamais existé pour lui-même. Il a d'abord été créé pour empêcher des jeunes de 16-18 ans d'aller en prison et leur offrir un service de qualité ; c'est d'ailleurs pour cela qu'il est devenu un centre de formation pour les étudiants en psychoéducation et un lieu d'approfondissement des méthodes innovatrices de la psychoéducation. Ensuite, pour développer le savoir et le savoir-faire en relation avec la clientèle ; c'est ainsi qu'il est devenu un lieu de recherche et d'évaluation. À Boscoville, toutes les activités ont toujours eu comme toile de fond les objectifs de l'action éducative spécialisée auprès des adolescents en difficulté. C'était, c'est encore, et ce sera toujours une expérience accaparante, exigeant un engagement personnel de la part des professionnels qui acceptent de l'animer. Des professionnels s'y sont d'ailleurs engagés avec ardeur et ténacité. De très nombreux jeunes en difficulté y ont découvert une source d'espoir pour la réussite de leur vie: il a fallu qu'ils y mettent du leur. Des parents y ont trouvé une oasis au plus creux de leur désert; ils y ont mieux compris leur rôle et leur responsabilité ; ils y ont appris à ne pas confondre responsabilité et culpabilité paralysante et destructrice. Rien de tout cela ne fut facile pour eux. Ce livre aurait voulu donner la plus grande place aux anciens [1] et aux parents car Boscoville, d'abord et avant tout, c'est EUX. Leurs témoignages ne sont-ils pas primordiaux ? Les quelques textes qu'ils ont livrés dans ce débat expriment leur vérité intérieure avec une éloquence tout empreinte de simplicité. Simplicité de gens qui ont vécu leur relation avec Boscoville de façon très positive et dynamique, et qui se sont approprié leurs responsabilités. Les mots qu'ils utilisent reflètent une expérience qu'ils considèrent unique et dont ils parlent avec émotion et bon sens. Hélas ! leurs textes ne sont qu'une toute petite partie des prises de position qu'a suscitées ce débat de société. De très nombreux anciens, en effet, ont apporté des témoignages percutants mais en empruntant d'autres modes que celui de l'écriture. Nous en retrouverons des échos un peu partout dans ce livre. Nous ne dirons jamais assez combien tous les témoignages livrés lors de conversations privées, lors de la rencontre des retrouvailles (chapitre 5), lors de tribunes téléphoniques et d'émissions d'information, ont été spontanés, chaleureux et riches de sens ! Ces anciens, ces parents s'étaient approprié Boscoville, sans l'ombre d'un doute possible. Oui, ils avaient la conviction de "se mêler de leurs affaires" en intervenant. Car l'appropriation appelle une attitude de responsabilisation, de prise de pouvoir. Ils ont pris le seul pouvoir dont ils disposaient : celui de dire ce que Boscoville leur avait permis de vivre et, quelques fois, celui de crier leur indignation en pensant aux conséquences de sa disparition pour les futures générations de jeunes et de parents. Que pouvaient-ils faire d'autre, écrasés qu'ils sont devant de grandes structures dépersolinalisées qui décident, et où les quelques professionnels qu'ils connaissent se sentent eux aussi tout à fait impuissants ? Que des décideurs les aient écoutés avec respect, c'est déjà tout un progrès ! Rares sont les personnes en autorité, en effet, qui sont convaincues de la compétence des usagers, surtout quand il s'agit de traiter d'un sujet aussi important que la fermeture d'une institution faisant partie d'un grand ensemble comme les Centres jeunesse de Montréal. Un ensemble, pourrait-on arguer, dont les bénéficiaires [2] ont une connaissance toute subjective qui leur vient de leur seule expérience personnelle de jeune ou de parent. Hélas ! ceux qui croient encore à Boscoville n'avaient pas eu le temps d'établir des statistiques officielles à partir des réactions des anciens et de leurs parents. Or, on sait que les décideurs et les scientifiques accordent peu de poids aux témoignages qui ne s'appuient pas sur une analyse statistique rigoureuse, surtout s'ils risquent d'affaiblir la portée de leurs hypothèses. Et même si les paradigmes à la mode du jour insistent sur l'importance du partenariat avec les parents, on constate, par exemple, que ce partenariat n'est possible au plan structural qu'avec une faible minorité de parents. Pourtant, quelle fierté éprouve le directeur général d'un centre jeunesse dont le comité des usagers est actif et a des représentants efficients au conseil d'administration ! Alors pourquoi classer dans la catégorie des "nostalgies" les témoignages engagés d'anciens citoyens de Boscoville et de parents de jeunes actuellement à Boscoville ? Parce qu'ils n'ont pas été colligés à partir d'un questionnaire anonyme à choix multiples ? Mais les réponses-témoignages personnalisées de ces partenaires n'apportent-elles pas une dimension qualitative tout aussi significative que la dimension quantitative ? Dans les circonstances, il me semble que oui. On sait qu'il est très difficile pour de nombreux parents d'exprimer en mots une expérience vécue, et encore plus de l'écrire. Le choix des mots et leur agencement exigent un apprentissage, et donc une énergie dont ils ont besoin pour le combat quotidien... J'ai pu constater qu'il est aussi difficile, pour les décideurs et pour l'ensemble des professionnels, de transformer les mots "partenaires" et "partenariat" en réalisations concrètes que, pour les anciens de la petite cité ou les parents des jeunes du Boscoville actuel, de trouver le vocabulaire et le ton qui sauraient rejoindre les préoccupations socio-économiques des décideurs. Quand on n'a que l'amour..., pourraient-ils fredonner eux aussi. Or, à n'en pas douter, c'est en pensant à tous les jeunes en difficulté et aux parents qu'ils ont connus et accompagnes que de nombreux professionnels ont participé, spontanément ou dans le cadre de leurs fonctions, au débat de société alimenté par l'hypothèse de la fermeture de Boscoville. Ceux qui connaissent davantage l'institution pour y avoir vécu à un moment ou l'autre de leur formation ou de leur carrière, comme stagiaires, professionnels ou chercheurs, l'ont fait de façon plus "émotive" tout en cherchant à faire valoir, avec le plus d'objectivité possible, la nécessité d'un tel milieu spécialisé pour les jeunes en difficulté de 14-18 ans. Ceux qui n'avaient aucune référence affective et qui cherchaient à comprendre, rationnellement du moins, des réactions qu'ils qualifiaient de nostalgiques, paraissaient plus froids et surtout centrés sur les aspects structuraux et économiques. Malgré les apparences, plusieurs d'entre eux étaient de bonne foi et voulaient eux aussi servir la cause des personnes en difficulté. Ils se croyaient plus rationnels et d'avant-garde que les autres, et ils l'ont affirmé haut et fort. En tant que coordonnateur de cette publication, j'ai donc tenté de regrouper ce qui s'est écrit sur Boscoville entre avril et juin 1997 : articles de professionnels publiés dans différents journaux ; lettres, dont certaines plus personnelles, résultat d'un échange épistolaire entre moi-même et un cadre supérieur des Centres jeunesse de Montréal ; avis susceptibles d'alimenter le débat et présentés lors des audiences publiques organisées par les Centres jeunesse de Montréal. En tant qu'auteur principal, je me suis permis de présenter différents événements de ce débat condensé en quelque huit semaines. Ces événements, je les analyse à partir de la lecture que j'en fais en tant que témoin-acteur de l'histoire de l'action éducative spécialisée et de Boscoville au cours des cinquante dernières années. Le vieil éducateur que je suis a cette chance extraordinaire de pouvoir regarder encore du dehors - c'est mon point de vue de retraité - et un peu du dedans - grâce à mes activités, même réduites, en recherche-action. De plus, en tant que responsable d'une collection [3], j'ai le privilège de coopérer avec un certain nombre de professionnels qui ont accepté de décrire leurs expériences actuelles et de participer ainsi à la transmission des pratiques en psychoéducation. Comme les anciens de Boscoville, comme les parents, je m'exprimerai donc en JE. Nous savons tous que les propos exprimés sous cette forme sont classés dans la catégorie des "opinions" et qu'ils ne reçoivent pas le label scientifique. Même s'ils relèvent de l'expérience, ils ne peuvent pas toujours être "validés" par des données statistiques. C'est là leur grande faiblesse, me semble-t-il. Mais, si on ne peut faire abstraction des statistiques dans un débat de société, on ne peut non plus leur faire dire plus qu'elles ne contiennent. Une société ne choisit pas ses valeurs à partir de statistiques sans risque d'aberration. « Il y a de plus en plus de jeunes dans les prisons des États-Unis, alors envoyons les nôtres aux pénitenciers ! » « Ils le font, alors faisons-le nous aussi ! » On ne peut nier que nos choix de valeur soient influencés par ceux des autres sociétés, mais chaque société digne de ce nom ne doit-elle pas chercher à répondre aux besoins spécifiques de SES jeunes, en tenant compte de ce qui fait son caractère distinct ? Il m'a semblé qu'un témoignage en JE, que des prises de position découlant de mon expérience pourraient être d'une certaine utilité dans le débat. D'autant plus que plusieurs de mes observations et opinions de professionnel rejoignent celles des parents et des anciens de Boscoville. En les exprimant, j'espérais donner à ces dernières plus de crédibilité encore. On ne pourrait me reprocher de n'avoir qu'une connaissance subjective et limitée de la situation... Or, contrairement à ce que j'avais osé imaginer, je me suis vite rendu compte que ce sont les témoignages des anciens et des parents qui ajoutèrent de la crédibilité a mes opinions professionnelles. Sans concertation préalable, nous faisions spontanément appel à nos compétences respectives pour éviter la destruction de ce qui avait ranimé l'ESPOIR d'un grand nombre de jeunes, de parents et de professionnels. De plus, je ne fus pas le seul professionnel à réagir à la fermeture de Boscoville. Des professionnels d'autres disciplines - intervenants, professeurs d'université, chercheurs -exprimèrent des positions qui rejoignaient mes préoccupations. J'apprendrai, quelques mois plus tard, que la décision de fermer Boscoville avait été aussi douloureuse à prendre pour certains décideurs que ce l'avait été pour moi de me porter de nouveau à sa défense. J'aurais aimé que, dans ce livre, il n'y ait ni bons ni méchants. Mais je pense qu'il sera très difficile, pour les uns et les autres, d'éviter une telle catégorisation tout au cours du débat. Un débat que je présenterai en huit événements. Les uns ne concernent que le narrateur, mais ils peuvent aider à comprendre le contexte. Les autres permettront d'entrer dans le vif du débat de société ; ils seront alimentés à la fois par des professionnels du réseau et par des journalistes. Chaque événement me fournira l'occasion de transmettre au lecteur les réactions d'un vieil éducateur engagé dans le débat. Le premier événement fait état de ma réaction spontanée à une rumeur concernant l'annonce de la fermeture de Boscoville et de ma participation d'urgence à une émission d'information à RDI [4]. Serai-je un acteur de ce sociodrame qui n'aura guère d'importance selon la direction des Centres jeunesse de Montréal mais qui, selon moi, ne manquera pas de provoquer des remous importants (J'étais loin cependant d'anticiper l'ampleur du raz-de-marée qui allait suivre) ? Ce fut la première question qui me vint à l'esprit. Je me rendrai compte, quelques jours plus tard, que la rumeur avait provoqué une réaction analogue chez plusieurs personnes. Le deuxième événement traduit mon état d'esprit et ma stupéfaction à la lecture d'un document produit par les Centres jeunesse de Montréal sur le virage milieu, lequel mettait en exergue des citations [5] fort malhabiles qui furent d'ailleurs rapidement retirées. Dans ce "papier", on s'inspirait d'une idéologie de terres brûlées pour contrer les résistances possibles aux nouvelles politiques et on faisait officiellement état d'une hypothèse ( !) à soumettre au conseil d'administration : la fermeture de Boscoville. En fait, au lieu de parler « d'hypothèse à soumettre », peut-être eût-il mieux valu parler de « décision à faire entériner » ? Ce texte fouetta le vieux pommier que je suis devenu. Du coup, le texte de Félix Leclerc prit pour moi un sens nouveau et très personnel : « Ce n'est pas parce qu'on est un vieux pommier que l'on produit de vieilles pommes. » Le troisième événement est centré sur la conférence de presse organisée par le Syndicat du personnel clinique de Boscoville (CEQ). Cette conférence de presse jouera un rôle déterminant dans le déroulement du débat de société auquel donna lieu l'hypothèse de thèse de fermeture de l'institution. Grâce surtout à un ancien, j'y redécouvris le côté très humain de Boscoville et ce qui avait fait sa force : la tendresse. Quel paradoxe ! Le public comprendrait bien lui, mais les décideurs... ? Quel défi ! Le quatrième événement nous transporte à une rencontre du comité ad hoc mis sur pied pour faire le point sur l'état de la question et décider de la position à prendre devant l'annonce des Centres jeunesse de Montréal. J'y présente mes observations, mais aussi mes réflexions. L'hypothèse de la fermeture de Boscoville fit se regrouper des personnes qui n'avaient pas travaillé ensemble depuis bien des années et dont certaines avaient même vécu de graves conflits interpersonnels à propos de Boscoville. Pourtant, toutes ces personnes mettaient aujourd'hui leurs compétences en commun pour affirmer la nécessité d'un Boscoville des années 2000. Le cinquième événement croque sur le vif l'extraordinaire journée des retrouvailles des anciens de Boscoville dont les témoignages émouvants firent surgir beaucoup d'espoir chez tous les participants. Hélas ! il s'agissait uniquement de fervents amis de Boscoville ! Les décideurs, eux, prendraient acte, en observateurs extérieurs, d'une catharsis inévitable et fort compréhensible dans les circonstances de la part de personnes attachées à ce symbole qu'est Boscoville. Tout cela, bien sûr, leur apparaissait purement émotif et non rationnel ! Mais ce retour en arrière, au lieu d'être uniquement nostalgique, comme le piano mécanique du chansonnier Claude Léveillé, allait provoquer une prise de conscience qui « allait donner des ailes » à tous ceux qui croyaient que la fermeture anticipée de Boscoville devait donner lieu à un débat de société. La direction des Centres jeunesse de Montréal eut la sagesse de le comprendre puisque, à la surprise quasi générale, elle annonça que des audiences publiques auraient lieu pour « bonifier les hypothèses sur le virage milieu ». Hélas ! il fallait faire vite. Encore une fois les responsables ne s'attendaient pas à ce qu'un mouvement spontané pour sauver Boscoville provoque une réaction aussi massive de la part des intervenants de toutes catégories. Au cours de ces audiences, un grand nombre d'interventions portèrent sur Boscoville, même si beaucoup d'autres avaient pour cible l'ensemble du "virage milieu". Une fois de plus, Boscoville se révélait utile pour l'ensemble du milieu, allant même jusqu'à favoriser un approfondissement de l'approche milieu. Mais accepterait-on de le voir ainsi ? Le sixième événement est constitué essentiellement de la rencontre officielle de représentants du comité ad hoc de Boscoville avec le ministre de la Santé et des Services sociaux et certains dirigeants de la Régie régionale de Montréal Centre. De telles rencontres sont toujours des événements importants pour les acteurs d'un débat comme celui que suscitait alors l'avenir des jeunes en difficulté. J'ai tenté d'en dégager l'atmosphère globale telle que j'ai pu la percevoir. J'y ai découvert des éléments révélateurs du contexte dans lequel se déroula le débat. Tout en me centrant sur ce qui se passait dans cet ici-et-maintenant bien particulier, je me rappelais des expériences analogues de mon passé professionnel et cela m'aidait à être plus réaliste dans ma façon d'être et d'envisager la portée d'une telle démarche. J'avais acquis la conviction que ni le ministre, ni les fonctionnaires quelque peu attentifs, ni les acteurs qui, comme nous, avaient une cause à faire valoir, ne perdaient leur temps. Même si de telles rencontres produisent rarement des fruits dans l'immédiat. Le septième événement nous plonge au coeur des audiences publiques et de certaines réflexions qu'elles ont suscitées chez les participants reliés de près ou de loin à Boscoville. Évidemment, je ne reprendrai pas l'ensemble des avis [6] qui ont été donnés ou des textes qui ont été publiés durant cette période intensive du débat. On pourra reprocher à ce chapitre de trop insister sur la fermeture de Boscoville, de trop mettre en valeur son rôle éventuel dans l'avenir et d'en oublier la pertinence de l'approche milieu. Il est dommage que les Centres jeunesse de Montréal aient mis en quelque sorte en opposition la nécessité de la fermeture de Boscoville et l'intensification d'une approche qui devrait être davantage un élargissement et un approfondissement des mesures de réadaptation qu'un simple "virage". Pourquoi avoir tenté de "démontrer" les faiblesses et les limites de l'apport actuel de Boscoville aux jeunes en difficulté et à leurs parents, pour faire valoir la nécessité de l'élargissement et de l'approfondissement de l'action éducative spécialisée ? Ce faisant, ils ont attiré l'attention d'un grand nombre d'intervenants sur les faiblesses et les limites mêmes de l'approche milieu pour les 14-18 ans ayant de graves difficultés. Mais le débat pourrait quand même avoir été fructueux pour les décideurs sincères et attentifs, et il faut reconnaître que ceux qui ne le sont pas sont l'exception à la règle... comme il faut espérer que les décideurs technocrates soient aussi l'exception. Le huitième chapitre fait état des suites immédiates de tout ce branle-bas de combat chez des individus, chez des cadres des Centres jeunesse de Montréal, au conseil d'administration, dans la presse et même à l'Assemblée nationale. Enfin, un télégramme du ministre, suffisamment vague pour décourager toute interprétation positive ou, au contraire, pour faire naître beaucoup d'espoir, laisse au moins entrevoir que le débat n'est pas fini. La conclusion du livre soulèvera une série de questions dont plusieurs resteront sans doute sans réponses. Comme celle du journaliste à Michel Forget lors de la conférence de presse : « Monsieur Forget, si vous n'aviez pas été à Boscoville, que pensez-vous que vous seriez devenu ? » Cet ancien ne peut évidemment pas savoir ce qu'il serait devenu. Il sait une chose cependant, c'est que Boscoville l'a aidé à devenir ce qu'il est aujourd'hui et que, au plus profond de son être, il ne comprend pas qu'on puisse seulement penser à fermer une institution qui a été si utile dans le passé, pour lui et pour des centaines d'autres jeunes. Certains spécialistes, émus par son témoignage et celui de ses semblables, avaient quand même l'impression que leur discours collait peu à la réalité des jeunes d'aujourd'hui. Michel et les autres insistèrent : « Les jeunes d'aujourd'hui, rendus à l'âge que l'on avait, et avec des problèmes analogues aux nôtres, auront toujours besoin d'un centre comme Boscoville. Quelle tristesse qu'ils n'aient pas cette chance que nous avons eue ! » Et les spécialistes de leur faire écho : « Mais ils auront pour eux le virage milieu, et ce sera bien mieux encore ! » Michel et ses semblables croient à ce qu'ils ont vécu ; les spécialistes à ce qu'ils feront vivre aux jeunes. Mais pourquoi diable faudrait-il opposer ce qui a été et ce qui sera ? Le vingtième siècle n'a pas inventé la roue ; il a permis qu'elle roule encore plus rapidement. Et heureusement, il y a encore des roues... [1] Il n'est pas sans danger pour des jeunes qui sont encore en processus de réadaptation d'exprimer publiquement leur opinion sur le milieu où ils vivent. Les éducateurs de Boscoville ont démontré leur sens de l'éthique professionnelle en refusant d'impliquer la clientèle actuelle dans ce débat de société. [2] C'est par ces termes (et parfois même par celui de "clients") que l'on désigne les jeunes et les parents utilisateurs des services de réadaptation. L'auteur a beaucoup de difficulté à apprivoiser ces termes. [3] D'un risque à l'autre, aux Éditions Sciences et Culture. [4] RDI : Réseau de l'information. [5] Parlant de la résistance naturelle au changement : « Pourtant, il existe un moyen de sortir de cette impasse : détruire le système de façon créatrice, sans parachute aucun, il s'agit de poser un geste d'anarchie éthique. » Et cette autre, tout aussi significative : « Il faut désorganiser le passé pour mieux organiser l'avenir. » [6] Les Centres jeunesse de Montréal ont publié une excellente synthèse de l'ensemble des avis présentés à ces audiences sur La proposition de transformation liée à l'approche « milieu ». Cette synthèse a été préparée par Denis Goulet, rédacteur indépendant (mai 1997).
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