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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Martin Geoffroy, Pour une typologie du nouvel âge”. (1999)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Martin Geoffroy, Pour une typologie du nouvel âge”. Un article publié dans la revue Cahiers de recherche sociologique, no 33, 1999, pp. 51-83. Montréal: Département de sociologie, UQAM. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 10 janvier 2005 et reconfirmée le 24 mai 2005 de diffuser tous ses articles.]

Introduction

Depuis le début des années soixante, la plupart des chercheurs en sciences sociales constatent l'érosion progressive des formes traditionnelles de la religion dans le monde occidental. Cette érosion se caractérise par une baisse marquée de la pratique religieuse institutionnalisée dans la majorité des pays occidentaux. Au Québec, la proportion de la population catholique pratiquant régulièrement est passée de 40% à 30% entre 1975 et 1985, alors qu'en Belgique elle se situait à environ 20% en 1990, et le nombre de pratiquants continue de baisser progressivement d'année en année [1]. Parallèlement à cette désaffection, le nombre de personnes agnostiques augmente sans cesse [2]

Le phénomène du nouvel âge (NA) ayant pris une ampleur sans précédent dans la plupart des pays occidentaux, il apparaît de plus en plus évident aux chercheurs en sciences sociales que les transformations que connaît la vie spirituelle des gens, en ce début du XXIe siècle, sont considérables. Pour plusieurs auteurs, comme Champion, le christianisme occidental se désinstitutionnalise pour être progressivement remplacé par un « bricolage » de croyances et de pratiques individuelles : 

La logique du bricolage, majoritaire aujourd'hui dans le champ religieux des pays occidentaux, est à l'œuvre aussi bien au sein du christianisme que dans des mouvements où la référence à une tradition s'estompe derrière la quête du bonheur individuel par le spirituel [3]

Selon moi, ce « bricolage » signale plutôt l'émergence d'une nouvelle forme de religiosité qui ne coïnciderait plus avec la définition classique de la religion. Cette définition, habituellement fondée sur le critère d'appartenance à une Église, ne tient plus puisque, désormais, une majorité de gens se livrerait à un « bricolage » spirituel à l'extérieur des grandes traditions religieuses. Le critère d'appartenance à une institution religieuse deviendrait donc inefficace pour évaluer un phénomène comme le NA. Cette nouvelle forme de religion, appelée communément le « mouvement du nouvel âge », ou encore le « réseau de nouvel âge » [4], comporterait donc plusieurs caractéristiques organisationnelles qui auraient échappé jusqu'à maintenant aux chercheurs en sciences sociales. 

Le NA n'est pas une institution au sens usuel du terme. C'est pourquoi on ne peut l'étudier de la même façon qu'on étudie les grandes Églises. En fait, il faut aborder le NA en tant que phénomène social. Ce n'est pas seulement une mode passagère qui résulterait d'un quelconque processus « inévitable » de sécularisation. Cette affirmation est limitée par une méthode comparative qui s'inspire d'une définition institutionnelle de la religion, ce qui va très souvent fausser les résultats de la recherche : 

What are usually taken as symptoms of the decline of traditionnal Christianity may be symptoms of a more revolutionary change : the replacement of the institutional specialization of religion by a new social form of religion  [5]. 

Je dirais que le NA est la manifestation primaire de cette « nouvelle forme sociale de religion » qui, d'après Luckmann, a remplacé la religion institutionnelle et qui se caractérise par une multitude de conceptions religieuses relevant plutôt de la vie privée des individus que d'une Église déjà établie. Ces nouveaux regroupements d'individus, qui sont la plupart du temps autonomes, fonctionnent souvent à l'extérieur des structures sociales établies. En fait, ils fonctionnent parallèlement aux institutions primaires par un réseau de branches secondaires qui répondent à des besoins de plus en plus spécifiques. Le changement social et la contestation « passive » se manifestent par le boycott des institutions primaires. Par exemple, le désabusement général de la population envers la classe politique et les « vieux » partis pourrait être identifié comme une caractéristique commune aux enfants du Verseau. 

Dans la perspective de Luckmann, le mouvement du NA serait donc plutôt un résultat du déplacement des systèmes symboliques concernant la signification ultime de l'existence (ultimate concerns) des institutions publiques vers la « sphère du privé ». Ses travaux expliquent bien, à mon avis, cette transition, tout en soulignant certaines des caractéristiques du NA, comme la présence d'une idéologie un peu vague et le syncrétisme. Les institutions primaires, comme le gouvernement et l'Église, n'ont plus beaucoup de crédibilité aux yeux des populations occidentales et elles sont généralement coupées de la réalité des individus. La spiritualité humaine et la recherche d'un sens à la vie s'expriment désormais dans de nombreuses institutions secondaires. Ces organisations, contrairement à la croyance populaire, sont rarement sectaires. 

En effet, les valeurs sont devenues des objets de consommation en concurrence dans un marché ouvert. Pour être dominant dans la société, un système de croyances doit désormais bénéficier d'une large diffusion dans les médias et recueillir l'approbation d'intervenants intermédiaires comme les journalistes. D'ailleurs, de plus en plus de journalistes, tels Marilyn Ferguson ou Jacques Languirand au Québec, sortent des cadres de leur profession pour faire la promotion de l'idéologie « nouvel-âgiste ».


[1] F. Champion, « Religieux flottant, éclectisme et syncrétisme », dans J. Delumeau et autres, Le fait religieux, Paris, Fayard, 1993, p. 746.

[2] Selon le recensement canadien de 1991, même si les sectes religieuses ont connu un accroissement de leurs effectifs de 109% de 1981 à 1991, elles ne représentent que 0, 1% de la population canadienne, soit 28 160 personnes. Par ailleurs, 3,3 millions de Canadiens (dont 262000 Québécois) affirment n'avoir aucune religion. Depuis le début des années quatre-vingt, on classe une partie de ces gens « sans religion » sous « mouvement du nouvel âge ».

[3] F. Champion, art. cité, p. 746.

[4] Dans ce texte, j'utilise à la fois l'expression « réseau » et celle de « mouvement », car il n'y a pas encore consensus chez les chercheurs dans le domaine quant à l'emploi plus précis de ces concepts qui font partie des débats théoriques actuels.

[5] T. Luckmann, The Invisible Religion. The Problem of Religion in Modern Society, New York, Macmillan, 1967, p. 91.

Retour au texte de l'auteur: Martin Geoffroy, sociologue, Université du Manitoba Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 11 août 2005 21:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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