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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article du Dr Hubert Van Gijseghem, “L'irréductible résistance au concept de l'aliénation parentale.” In Revue de psycho-éducation, Vol. 39, no 1, 2010, pp. 85-99. “Controverse”. [Le 16 octobre 2019, l'auteur, Hubert Van Gijseghem, nous accordait son autorisation formelle de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, en accès ouvert et gratuit à tous, cet article.]

[85]

Hubert Van Gijseghem, Ph.D. *

psychologue, professeur émérite, Université de Montréal

L'irréductible résistance au concept
de l'aliénation parentale
.
/ The tenacious resistance
to the concept of parental alienation
.”

In Revue Canadienne de psycho-éducation, Vol. 20, no 1. 1991, 75-91. Texte repris dans l’ouvrage sous la direction de Hubert Van Gijseghem, L'ENFANT MIS À NU. L'allégation d'abus sexuel: La recherche de la vérité, pp. 119-152. Montréal: Les Éditions du Médidien, 1992, 286 pp. Collection: PSYCHOLOGIE.

Résumé / Abstract [85]
Introduction [86]

Considérations historiques [86]

Les concepts précurseurs [86]
Les changements socioculturels et leur impact sur l'octroi de la garde des enfants [86]
La douce philosophie de l'âge tendre [87]
Le féminisme et la révolution socioculturelle des années 1970 [87]
La rugueuse philosophie du meilleur intérêt de l'enfant [88]
Le féminisme [89]

Le tollé autour du concept des fausses allégations d'abus sexuel [89]

Historique [89]
Des allégations bizarres et douteuses [90]
La reprise des recherches sur la suggestibilité [90]
La réaction idéologique [91]

Parmi les modèles explicatifs de la fausse allégation : l'aliénation parentale [92]

Une dynamique typique de la fausse allégation [92]
L'aliénation parentale [93]

L'opposition des psychanalystes d'allégeance traditionaliste [94]

La bonne vieille théorie du « premier objet d'amour » [94]
Le déni de l'aliénation parentale injustifié. [95]
Le légendaire jugement de Salomon [95]

L'antagonisme entre les intervenants cliniques et les intervenants judiciaires [96]

La méfiance réciproque [96]
La nécessaire intervention judiciaire [96]

Conclusion [97]
Références [97]

Résumé

Depuis son introduction dans le vocabulaire psychologique, le concept de l'aliénation parentale soulève une solide résistance aussi bien chez les cliniciens que dans le public en général. Ce concept renvoie au rejet de l'un de ses parents que manifeste un enfant à la suite, souvent, de leur séparation et ce, sans raison valable. L'auteur propose l'idée que la résistance au concept tient à son association avec celui des fausses allégations d'abus sexuel. On y soupçonnerait une nouvelle version d'un présumé déni des abus sexuels intrafamiliaux.

Mots clés : aliénation parentale ; fausses allégations ; abus sexuel ; expertise psycholégale ; garde d'enfants ; droit familial.

Abstract

Since its introduction, the concept of parental alienation has met with a solid resistance from clinicians as well as the general public. The concept refers to the situation where a child, often after parental separation, rejects one of his parents without justifiable reason. The author proposes the idea that this resistance has to do with the association that exists between this concept and the one concerning false allegations of child sexual abuse. The opponents of the concept suspect it to be a new version of a presumed denial of intra-familial sexual abuse.

Key words : Parental alienation ; false allegations ; child sexual abuse ; forensic psychology ; child custody ; family law.

[86]

Introduction

La communauté scientifique définit aujourd'hui l'« aliénation parentale », qui sera probablement nommée trouble de l'aliénation parentale dans le DSM V, comme le rejet injustifié que manifeste un enfant à l'égard de l'un de ses parents. La situation se rencontre souvent à la suite de la séparation parentale et, plus particulièrement, lorsque les ex-conjoints se disputent la garde ou contestent les droits d'accès de l'enfant. Une fois le trouble diagnostiqué chez un sujet donné, on peut tenter d'identifier les causes de ce rejet injustifié. Bien que celles-ci varient, on retrace souvent de plus ou moins subtiles influences aliénantes de la part du parent aimé.

Même si une telle situation reste tout à fait compréhensible et même si les experts psycho-légaux en matière familiale la rencontrent relativement souvent (Kopetski, 1998), le concept ne fait pas l'unanimité. Un survol des pages Internet sur ce concept suffit pour voir à quel point il est décrié et, le plus souvent, à coup d'arguments de nature émotive, sinon idéologique. D'où la question : comment un problème ou un trouble qui afflige des enfants ou des adolescents peut-il solliciter autant d'émotions et engendrer, finalement, tant de résistance ?

Considérations historiques

Les concepts précurseurs

Même s'il figure depuis peu dans la nomenclature (Gardner, 1985), le phénomène de l'aliénation parentale s'observe depuis longtemps, sans doute depuis l'Antiquité. Ce n'est pas par hasard que Wallerstein appelait en 1989 Syndrome de Médée le fait chez un parent d'utiliser les enfants pour atteindre l'autre parent. Médée renvoie à une page célèbre de la mythologie grecque. On trouve des allusions au même phénomène dans la littérature de la première moitié du XXe siècle, dont, parmi les plus spectaculaires, celle de Louise Despert en 1943 et celle de Wilhelm Reich, en 1949. Wallerstein décrit le phénomène dès le début de son extraordinaire recherche longitudinale sur les enfants du divorce (1980). Lorsque Gardner s'empare du concept en 1985, il le décrit en détail et l'appelle syndrome d'aliénation parentale (SAP). Un tollé s'en est suivi, qui dure encore.

Les changements socioculturels et leur impact
sur l'octroi de la garde des enfants


Généralement, l'aliénation parentale recoupe le problème de la garde des enfants ou des droits d'accès, notamment quand ces enjeux sont objets de litige. Or, les pratiques en matière de l'octroi de la garde ont subi d'importants changements au cours des quarante dernières années parallèlement à certains bouleversements socioculturels qui ont eu un impact sur les rôles masculins et féminins, paternels et maternels, sinon sur la cellule familiale elle-même.

[87]

La douce philosophie de l'âge tendre

Avant le XXe siècle, il semble que les enfants d'une famille unie appartenaient au père pour des raisons entre autres économiques. En cas de séparation ou de divorce parental, les enfants restaient par conséquent la propriété du père qui pouvait alors décider lui-même de leur garde. Dès le début du XXe siècle, un changement notoire est apparu dans l'octroi de la garde et ce, en fonction de la philosophie dite de l'âge tendre. Aussi bien pour les tenants des sciences humaines que pour ceux de l'appareil judiciaire, les jeunes enfants devaient rester proches de leur mère, qu'ils viennent d'une famille unie ou, a fortiori, d'une famille éclatée.

Dans l'histoire de l'éducation, le vingtième siècle restera probablement le siècle de l'enfant. Jamais n'avait-on réalisé auparavant à quel point l'enfant est un être en développement et combien les conditions affectives et existentielles dans lesquels il grandit jouent sur celui-ci. Les théories freudiennes ont sans doute beaucoup contribué à cette vision. En effet, la psychanalyse a mis au jour l'influence des premiers liens et de leur stabilité sur les processus du développement psychosocial des tout-petits. Dans le contexte de la stabilité familiale qui caractérisait l'époque, c'est à la qualité du lien maternel que revenait la priorité puisque la mère avait porté son enfant, l'avait mis au monde et l'avait allaité. Présente en permanence, elle assurait un lien stable et de qualité. La psychanalyse proposait l'idée que la figure paternelle restait somme toute relativement accessoire jusqu'à l'avènement d'un présumé stade œdipien (entre deux et trois ans). Des vulgarisateurs de la théorie freudienne prétendaient même que tout se crée ou se détruit pendant les six premières années de l'enfant. Bref, pendant les années préscolaires, la qualité du développement de l'enfant dépendait presque exclusivement de la mère. Par conséquent, lors d'une séparation parentale au cours de cette période de la vie de l'enfant - et même à l'adolescence -, nul bien-pensant ne pouvait envisager autre chose que la garde maternelle quand la mère était considérée comme suffisamment bonne, c'est-à-dire ni folle, ni droguée, ni alcoolique.

Le féminisme
et la révolution socioculturelle des années 1970


Ponctué de quelques gains appréciables, le féminisme luttait depuis plus d'un siècle pour l'égalité des sexes ou, du moins, pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes quand il profita tout à coup d'une véritable révolution socioculturelle.

Au début des années 1970, la plupart des sociétés occidentales voyaient des jeunes adultes modifier les rôles traditionnels impartis aux sexes. La révolution hippy et le flower power prenaient le relais. Délaissant peu à peu les religions traditionnelles et flirtant avec des paradigmes davantage ésotériques, les jeunes redécouvraient Jung et sa proposition de l’animus-anima. Les femmes se mirent en quête de leur dimension masculine (animus) et, de leur bord, les hommes épousèrent leur anima si longtemps tenue en veilleuse ! Le patriarcat commença de s'effriter et l'on constata, non sans étonnement, une certaine féminisation de l'homme. Le terme « unisexe » apparut dans la vitrine des commerçants.

[88]

Cette nouvelle philosophie ou vision du monde ne pouvait qu'avoir un impact sur les relations interpersonnelles, sur les rôles masculins et féminins et, inévitablement, sur la famille. Ainsi de nouvelles structures familiales se sont-elles mises en place, dont la version la plus surprenante était la commune : plusieurs familles vivaient ensemble et les enfants n'appartenaient pas toujours à un couple précis. En fait, la parentalité était exercée sans égard au sexe ou à l'identité du parent. Les pères étaient aussi proches des enfants que les mères. L'idéal édénique de l'égalité totale semblait atteint.

Bien que les communes et leurs variantes soient demeurées un épiphénomène social, la philosophie qui les appuyait a, quant à elle, marqué la société tout entière de façon indélébile. En effet, la poursuite de l'égalité des sexes, la déconsidération des rôles traditionnels et des stéréotypes sexuels ont contribué à des changements réels dans les comportements, notamment entre conjoints, et dans les rôles parentaux. Depuis cette révolution, les femmes envahissent le marché du travail, non plus pour des raisons exclusivement financières mais, le plus souvent, pour des motifs d'émancipation personnelle. Les hommes respectent généralement ce choix, sans doute parce qu'ils y trouvent leur compte.

Pour venir en aide aux familles émancipées, les gouvernements ont créé les garderies publiques, et ils encouragent qu'on y recoure. Maman et papa au travail, de nombreux enfants se voient confiés dès leur plus jeune âge à un substitut parental. Une fois la famille rentrée à la maison, il va de soi que les tâches domestiques et parentales soient équitablement partagées. Ainsi, pendant que l'un prépare le repas, l'autre donne les bains ou aide aux devoirs. Les rôles sont devenus apparemment réversibles !

La rugueuse philosophie
du meilleur intérêt de l'enfant


Soit, les rôles semblent dorénavant réversibles, mais que se passe-t-il quand les parents se séparent ?

La philosophie de l'âge tendre ne tient plus parce que, maintenant, maman est au travail, bébé est à la garderie et papa sait materner. En matière familiale, les juges ont dû troquer la philosophie de l'âge tendre pour celle du meilleur intérêt de l'enfant. Désormais, avant d'octroyer la garde des enfants à l'un ou à l'autre parent, les juges se posent des questions jusqu'ici inédites, par exemple : « qui, jusqu'à présent, a été le plus constant pourvoyeur de soins ? » ou, dit autrement : « qui est le parent psychologique de cet enfant ? » C'est précisément la réponse qui guidera sa décision quant à la garde et à la nature des droits d'accès. Toutefois, les juges n'ont pas la formation, ni la préparation, ni les outils pour trouver cette réponse et ils devront faire appel à l'expert psycho-légal qui, auparavant, ne figurait pas dans les causes à caractère familial.

Les psychologues experts en matière familiale sont massivement entrés dans les Cours familiales au début des années 1970. Ils ont entre autres pour tâche d'évaluer chaque parent afin de jauger leurs capacités parentales respectives. Ils doivent sonder les processus de développement des enfants concernés afin de préciser leurs besoins et de déterminer lequel des deux parents est le plus apte à y répondre ou encore de démontrer de quel parent psychologique l'enfant [89] a davantage besoin s'il y a lieu de réorienter son itinéraire développemental. Bref, les psychologues-experts doivent présenter au juge des recommandations qui vont dans le sens du meilleur intérêt de l'enfant.

Pendant cette période, ont eu lieu les premières décisions en faveur de la garde partagée : les intérêts de l'enfant, pensait-on, seraient mieux servis par un contact égal avec ses deux parents. Depuis, la garde partagée n'a cessé de gagner la faveur des experts et des juges. Après la « pesée » des deux parents, si leurs capacités étaient jugées équivalentes, on optait pour un accès égal dans le but d'assurer à l'enfant un développement le plus adéquat possible. Or, paradoxalement, des féministes - et d'autres groupes de pression - n'ont jamais approuvé cette nouvelle philosophie.

Le féminisme

Après avoir lutté pendant des décennies pour obtenir l'égalité entre les hommes et les femmes dans le plus de domaines possible, de nombreuses féministes se sont érigées contre l'égalité parentale en matière juridique (Bartlett & Stack, 1991 ; Kelly, 1991). Le mouvement féministe venait de remporter de belles victoires civilisatrices dont, notamment, la dénonciation de la violence conjugale finalement judiciarisée. Fortes de ce progrès social, des féministes ont ensuite dénoncé la violence sexuelle quand elle régnait dans une famille et, particulièrement, les abus sexuels perpétrés par des pères sur un enfant (Finkelhor, 1984). Là aussi, le système judiciaire a suivi et, grâce à de nouvelles lois, les Cours ont commencé à juger de nombreuses causes d'abus sexuel intrafamiliaux si bien que vers la fin des années soixante-dix, le tabou a déjà de moins en moins d'emprise sur cette problématique, et on assiste depuis à une augmentation exponentielle des condamnations pour de ce type de crimes.

Ces succès plus que légitimes ont toutefois procuré à certaines féministes des munitions pour contrecarrer les nouvelles dispositions légales en matière de garde d'enfant quand celles-ci ne favorisent pas exclusivement les droits maternels. Cette gent féministe prétend sans ambages que de nombreux pères sont dépourvus des capacités nécessaires pour assurer la garde d'un enfant, qu'ils ne s'impliquent pas suffisamment et qu'ils ont une propension à la violence (Bartlett & Stack, 1991). Voilà dressé contre les pères le spectre de la négligence, de l'abus physique, de l'abus sexuel. S'il advient qu'un enfant montre la moindre hésitation ou réticence à rejoindre son père, on conclut trop facilement à l'inadéquation de la garde paternelle. Lorsqu'un expert ou un juge déclare que, malgré la réticence de l'enfant, il est dans son intérêt de voir son père ou de partager la présence auprès de ses deux parents, des boucliers se lèvent.

Le tollé autour du concept
des fausses allégations d'abus sexuel


Historique

Les abus sexuels mettant des enfants en cause ont toujours existé, y inclus dans la cellule familiale. Plusieurs études historiques, documentaires et même empiriques suggèrent même que le vingtième siècle a vu une diminution notable de tels abus (par exemple, Rush, 1980), ce qui n'est pas sans lien avec ce qui précède, à [90] savoir la conscience accrue des processus développementaux auxquels les parents prennent part. La littérature médico-légale du XIXe siècle parle d'abondance et de l'abondance des abus sexuels (voir revue de la littérature, Van Gijseghem, 2001). Même les fausses allégations d'abus sexuel n'étaient pas inconnues à cette époque (Bayard, 1843). Étrangement, les premiers trois quarts du vingtième siècle ont ensuite été caractérisés par une sévère occultation des abus sexuels intrafamiliaux dans la littérature médico-légale. C'est ce qui explique la surprise quand, à la fin des années 1970, on a mis au jour l'ampleur du phénomène. Autrement dit, c'est la visibilité des abus sexuels qui a explosé plutôt que l'occurrence de ce phénomène. Comme les tenants de l'intervention psychosociale et judiciaire ont tout naturellement épousé cette illusion d'optique, ils sont entrés dans une espèce d'effervescence sinon d'acharnement pour détecter des cas, dans un climat de profonde indignation comme si, tout à coup, la société dégénérait. D'où, finalement, une surenchère d'allégations qui n'ont pas toujours été examinées avec toute l'acuité souhaitable.

Des allégations bizarres et douteuses

Bientôt, en effet, les intervenants psychosociaux et judiciaires se sont vus confrontés à des déclarations d'enfants qui tenaient difficilement la route. D'abord, dans des communautés fermées, se produisit une effarante escalade de dévoilements non seulement d'abus sexuels mais d'abus rituels, sataniques, perpétrés quelquefois par des extraterrestres ou ayant eu lieu dans une vie antérieure, etc. Plusieurs causes se sont écroulées du fait que le discours des enfants concernés n'était tout simplement pas crédible (Ceci & Bruck, 1995).

Déjà, on avait constaté une augmentation absolument phénoménale des allégations d'abus sexuel dans le contexte précis de séparations ou de divorces litigieux parmi les parents déjeunes enfants (Wakefield & Underwager, 1988). Alors que, cinq ans plus tôt, ce genre d'allégations était à peu près nul, la moitié des nombreuses allégations nord-américaines avaient ce contexte précis pour scène.

Ensuite, de plus en plus d'adultes en démarche psychothérapique en raison d'un mal-être diffus découvraient tout à coup, avec l'aide du psy, qu'ils avaient, en contexte familial, subi l'abus sexuel dans leur tendre enfance ; un traumatisme totalement refoulé ! Ainsi émergea le concept du « souvenir retrouvé ».

Devant ces trois phénomènes inédits, les experts et les scientifiques sont d'abord restés bouche bée puis, le doute faisant son chemin, ils ont réagi en se demandant le plus rigoureusement possible de quoi tout cela retournait. Mentionnons que la plupart des cliniciens avaient tendance à croire à ces phénomènes (Terr, 1994) tandis que les chercheurs quant à eux les réfutaient (Loftus & Ketcham, 1994).

La reprise des recherches sur la suggestibilité

Au tout début du XXe siècle, des recherches fort intéressantes avaient été conduites sur la suggestibilité de l'enfant (Binet, 1900 ; Varendonck, 1911). Varendonck, engagé comme expert dans une cause de meurtre, avait mené une recherche sur le témoignage oculaire d'enfants d'âge scolaire pour conclure que, si un adulte pose aux enfants des questions suffisamment suggestives, ils répondront [91] ce que cet adulte semble vouloir entendre. Les études de Varendonck ont eu pour effet pervers d'exclure les enfants du prétoire, à titre de témoins, pendant près de trois quarts de siècle. Considérées concluantes, les études sur la suggestibilité furent à peu près abandonnées jusqu'à ce que la situation précitée ne survienne.

Les experts et les scientifiques concernés par la problématique de l'abus sexuel d'enfants ont souhaité que soient reprises les recherches sur la suggestibilité, particulièrement celle des enfants afin de mieux comprendre la profusion des allégations. Entre 1980 et 1990, de nombreuses recherches rigoureusement scientifiques ont été conduites et elles ont confirmé les conclusions antérieures : la suggestibilité est un phénomène très réel et puissant qui diminue avec l'âge (Doris, 1991). À ce titre, plus l'enfant est jeune, plus il se laisse influencer par la question suggestive même sur des sujets aussi délicats que ceux de la sexualité (Bruck, Ceci, Francoeur & Renick, 1995). Dépendant de l'adulte, l'enfant veut lui plaire, et cela le porte à lui fournir ce qu'il semble vouloir obtenir. Cette vulnérabilité est encore intensifiée par le fait que l'enfant, contrairement à l'adulte, lorsqu'il ne connaît pas la réponse à une question, admet difficilement son ignorance (il ne dit pas « je ne sais pas »). Il pressent que, si l'adulte lui pose cette question, il doit connaître la réponse. Dans la mesure où la question suggère celle-ci, il penchera nettement en sa faveur (par exemple Hughes & Grieve, 1980).

Forts de ces résultats de recherches, les scientifiques n'ont pas attendu pour mettre en garde les praticiens psychosociaux et judiciaires concernés. Ils ont également exhorté le public à se doter d'un regard critique devant toute allégation d'abus sexuel qui aurait pu être engendrée par une atmosphère ou un questionnement suggestifs. En d'autres mots, la validité de la parole de l'enfant nécessite d'être validée. L'instruction était donnée, et elle fut extrêmement mal reçue par une foule d'Associations de praticiens, de professionnels et de groupes de pression. On s'écriait : si les professionnels veulent évaluer la parole des enfants, c'est qu'ils ne les croient pas. Seraient-ils pro-pédophiles ? (Un bon exemple de ce genre de discours se trouve sur le site internet Sisyphe)

La réaction idéologique

La plupart des scientifiques qui ont traité des fausses allégations d'abus sexuel ont en effet été qualifiés tôt ou tard de professionnels pro-pédophiles. L'argument était que, si on laisse planer l'hypothèse de la suggestibilité, on fournit aux avocats de la défense des munitions inespérées pour obtenir l'acquittement de leur client abuseur. Dès lors, les abuseurs sexuels pourront en toute impunité continuer leurs activités perverses et faire des victimes. De plus, ces professionnels sceptiques qui promeuvent le concept des fausses allégations martyrisent encore les enfants en affirmant qu'il ne faut pas les croire.

Pourtant, les chercheurs qui ont exploré le phénomène des fausses allégations d'abus sexuel n'ont jamais prétendu que le jeune enfant ment quand ses dires ne sont pas fondés sur des faits réels. En fait, il ne ment pas, il est plutôt victime d'induction, c'est-à-dire qu'il fait sienne l'idée ou le contenu suggéré par la question, et ce contenu devient alors dans son esprit une « réalité psychologique ou narrative » par opposition à un fait historique ou factuel. D'ailleurs, d'après les mêmes recherches, l'adulte, parent ou non, qui formule des questions suggestives [92] n'a pas l'intention de créer un mensonge, mais cherche à protéger l'enfant (Ceci & Bruck, 1995).

Même si ces données sont aujourd'hui bien connues et rigoureusement documentées, les réactions hostiles contre les promoteurs du concept de la fausse allégation n'ont guère diminué. Elles sont presque toujours de nature idéologique et, de ce fait, d'autant plus émotives et acerbes. Elles véhiculent entre autre l'idée qu'un réseau presque mondial de scientifiques et de professionnels associés à un lobby pro-pédophile ont d'abord refilé aux avocats de la défense le concept insidieux de la fausse allégation, quitte à y ajouter un autre concept encore plus délétère, celui de l'aliénation parentale. Pour ces détracteurs, les chercheurs et les praticiens qui ne font, en réalité, qu'user de prudence, auraient pour but, à leurs yeux, de protéger les pères abuseurs (Johnston, 2003 ; Wood, 1994) !

Parmi les modèles explicatifs
de la fausse allégation :
l'aliénation parentale


Une dynamique typique de la fausse allégation

Tel que mentionné auparavant, la grande majorité des fausses allégations, c'est-à-dire non appuyées sur des expériences réellement vécues, se retrouvent dans le créneau précis d'ex-époux ayant de jeunes enfants et engagés dans une bataille juridique à propos de la garde et des droits d'accès.

Par ailleurs, la majorité des fausses allégations produites dans ce contexte précis présentent une dynamique semblable. Voilà des parents séparés qui ont plus ou moins perdu confiance en l'autre. Le parent gardien, la plupart du temps la mère, se voit néanmoins obligé d'envoyer occasionnellement ou régulièrement son jeune enfant chez l'autre parent. Méfiante et se sentant peut-être de plus victimisée à bien des égards par l'ex-conjoint, la mère croit que leur enfant ne peut rien glaner de bon chez son père. Sa crainte est très régulièrement confirmée lorsque son enfant revient de sa visite chez celui-ci. En effet, les symptômes et autres indicateurs comportementaux observés chez l'enfant et ordinairement attribuables à la séparation parentale elle-même, sont attribués par le parent inquiet à la non-adéquation sinon au vice de l'autre parent. Ainsi va le biais de confirmation (ou l'effet Rosenthal). Plus le parent soucieux est inquiet de ce qui peut se passer chez l'autre, plus son attention sélective entre fébrilement en action. Or une telle hyper-vigilance sélective lui livrera fatalement les indices recherchés puisqu'aucune attention n'est portée sur la réalité contraire. Et voilà ce parent inquiet dorénavant convaincu que, chez l'« autre », l'enfant est victime de négligence, d'abus physique, sinon d'abus sexuel. Et le processus de surprotection se met en branle.

Dès la première occasion (par exemple, une vulve rouge), la mère pourrait demander : « qui t'a fait ça ? » La question éminemment suggestive présuppose que quelqu'un a fait quelque chose là ! Influencée par cette affirmation implicite, l'enfant pourrait répondre que c'est le parent qu'elle vient de visiter, sans avoir la moindre idée de l'horrible machine qu'elle viendrait ainsi de mettre en marche. Et si, par contre, la fillette se taisait, l'inquiétude de la mère pourrait augmenter, puis, pour être sûre de bien protéger sa fille, pourrait lui demander carrément : « est-ce que papa te touche quelquefois, là ? ». Même si rien de tel ne s'est passé, l'enfant risquerait de [93] s'approprier le message induit et, au fil des questions, de documenter davantage l'abus dont on ne pourra bientôt plus douter.

Un tel processus ne tient ni de la fraude, ni de la malice. Le parent inquiet et inquisiteur n'est pas un parent malade, malicieux ou destructeur. Il est lui-même victime d'un processus. L'inquiétude de certains parents les fait succomber à l'attention sélective ; ils cherchent d'emblée à voir confirmer leurs craintes et ils finissent par disqualifier l'autre parent même si celui-ci n'a rien à se reprocher. Voilà l'une des sources de l'aliénation parentale.

Se pose ici la question de l'œuf ou de la poule : l'aliénation parentale résulte-t-elle des inquiétudes soi-disant confirmées du parent aimé ou se trouve-t-elle à l'origine de ses inquiétudes inquisitrices conduisant aux allégations ? Dans ce dernier cas, on tient l'aliénation parentale pour préexistante et fatalement orientée vers la fausse allégation. Notre propre position conçoit plutôt l'aliénation parentale comme émanant de l'inquiétude. Cependant, dans la très grande majorité des cas, ces inquiétudes n'ont pas directement trait à d'éventuels abus sexuels, il suffit de craindre que l'enfant ne soit pas aussi bien chez « l'autre » que chez soi pour que le processus se mette en marche.

Lorsque les experts et les chercheurs ont découvert puis révélé que l'aliénation parentale est un terreau particulièrement favorable à toutes sortes d'accusations, ils ont écopé exactement comme ce fut le cas dix ans plus tôt à propos du concept des fausses allégations en matière d'abus sexuel. En réalité, les deux concepts sont quelquefois associés de si près que quiconque étudie la dynamique de l'un rencontre souvent la dynamique de l'autre. On peut donc conclure que les chercheurs écorchés par l'opinion publique en vertu de l'un ou l'autre concept sont souvent les mêmes. Là où ils divergent d'opinion, c'est sur la question de l'œuf ou de la poule.

L'aliénation parentale

Nous avons précédemment défini l'aliénation parentale comme « le rejet injustifié que manifeste un enfant à l'égard de l'un de ses parents ». Ce trouble apparaît souvent dans le contexte d'une séparation parentale litigieuse. Lorsqu'on tente d'identifier les sources ou les causes de cette distanciation notoire, on détecte fréquemment chez l'un des parents une inquiétude qui, plus ou moins subtilement, le porte à exercer volontairement ou non des « influences aliénantes » sur l'enfant concerné. Celui-ci peut en subir l'influence ou non. Dans l'affirmative, on dira qu'il souffre d'aliénation parentale.

Le parent présumé aliénant manifeste le plus souvent beaucoup d'inquiétude. Or, comme il s'agit de la mère dans une majorité de cas, l'étude du phénomène met encore les chercheurs et les experts dans l'eau bouillante : des féministes protestent de nouveau. Pourtant, que ce soit surtout les mères qui exercent des influences aliénantes n'a rien de surprenant. Non pas que la mère (ou la femme) a une plus grande propension que le père (ou l'homme) à devenir parent aliénant. D'ailleurs, des preuves cliniques montrent clairement qu'un père aliénant est tout à fait comparable à une mère aliénante. Mais le fait est que plus de mères [94] endossent le statut du parent aimé et plus de pères, celui du parent rejeté. La raison en est facile à comprendre. En fait, pour qu'une inquiétude parentale aboutisse à des influences aliénantes sur l'enfant, il faut qu'ils partagent suffisamment de temps ensemble. En d'autres termes, si parent aliénant il y a, il s'agit dans la majorité de cas du parent gardien, donc de la mère dans plus ou moins soixante quinze pour cent des cas comme en témoignent les décisions judiciaires (Cyr, 2006 ; Marcil-Gratton & Le Bourdais, 1999).

Certains groupes de pression ont protesté si fort devant cette soi-disant nouvelle attaque du patriarcat contre les mères que des experts, dont Gardner, ont reculé d'un pas pour avouer humblement que, parmi les parents aliénants, il y a autant de pères que de mères (Gardner, 2002). Une rétractation qui respire la rectitude politique ! La reconnaissance du concept de l'Aliénation parentale est certainement freinée par l'équation « parent aliénant égal mère ». Certains féministes se doivent de la décrier comme « anti-femme ».

Entreprendre de mieux saisir le concept de l'aliénation parentale et d'en mesurer les effets reste donc une tâche compliquée par la confrontation féministe. Ils reçoivent d'ailleurs un soutien inespéré d'un tout autre horizon, inattendu celui-là : il s'agit du monde des psychanalystes traditionalistes.

L'opposition des psychanalystes
d'allégeance traditionaliste


La bonne vieille théorie du « premier objet d'amour »

Nombre de psychanalystes se mêlent de près au débat sur les formules de garde parentale ; ils quittent l'intimité de leur cabinet (où prévaut la réalité psychologique ou narrative) pour faire irruption dans le prétoire (où prévaut la réalité historique ou factuelle). Lorsque les experts se sont mis à recommander différentes formules de garde ou d'accès pour, entre autres, prévenir le risque d'aliénation parentale ou pour contrecarrer une aliénation déjà en place, les psychanalystes se sont mobilisés. Autour de Berger, en France, un groupe s'est constitué pour défendre bec et ongle la garde maternelle exclusive (Berger, 2004, 2005). Pour donner du poids à cette croisade, ils brandissent des « preuves cliniques », c'est-à-dire les horreurs qu'ils ont entendues dans leur cabinet ; ils font état d'enfants trop tôt séparés de leur mère ou qui n'ont pas pu bénéficier d'un havre résidentiel unique, maternel évidemment. L'enjeu se trouve dans l'une des premières théories psychanalytiques, précédemment évoquée, qui veut que l'enfant ne puisse se constituer sur le plan identitaire sans avoir bénéficié d'un lien unique et prolongé avec son « premier objet d'amour », la mère ou quiconque en tient lieu.

Pour s'adapter au vocabulaire du jour, ces psychanalystes parlent de la théorie de « l'attachement ». Bowlby - et surtout ses successeurs - ont en effet injecté quelque crédibilité empirique au concept de « premier objet d'amour » tout en délaissant la psychanalyse classique ; ils proposent un paradigme théorique sur l'attachement, davantage supporté par la recherche (par exemple, Bowlby, 1969). Le message des psychanalystes reste toutefois fondamentalement le même : « ne touchez pas au lien mère-enfant ! ». Ces mêmes psychanalystes banalisent d'ailleurs l'aliénation parentale en la tenant pour un moindre mal au profit d'un attachement stable de l'enfant à son premier objet d'amour, soit sa mère (par exemple, Hayez & [95] Kinoo, 2005). Même si nombre de recherches empiriques confirment que, dès l'âge de six mois, un enfant peut aussi bien s'attacher à son père qu'à sa mère et, mieux encore, aux deux figures parentales à la fois, leur position reste la même (pour une revue de cette littérature, voir Cyr, 2006).

Le déni de l'aliénation parentale injustifié.

Nous avons constaté que, appelés dans des Cours de Justice comme experts, nombre de cliniciens nient ou banalisent l'existence du trouble de l'aliénation parentale, c'est-à-dire du rejet non justifié d'un parent. Selon ces praticiens, il n'y a pas de fumée sans feu. En d'autres termes, lorsqu'un enfant hésite ou refuse de rejoindre un de ses parents, il existe une raison même si celle-ci n'est pas évidente ou même si l'enfant lui-même ne verbalise pas de raisons valables, soit parce qu'il est encore dans le « secret », soit parce qu'il n'a pas « les mots pour le dire ». Dès lors, ils adoptent une position clinique où prévaut l'empathie : il faut écouter l'enfant et prendre au sérieux ce qu'il dit, même si ses arguments sont confus, sinon incompréhensibles. Loin de nous de nous ériger contre l'empathie ou contre une écoute respectueuse ; il est vrai qu'un praticien peut être empathique sans, pour autant, se laisser dominer par le verbe enfantin.

Ces cliniciens toutefois vont plus loin : ils prétendent que, même si la réticence de l'enfant envers un parent était dépourvue de tout fondement, c'est la réalité psychologique de l'enfant dont on doit tenir compte plutôt que de ce qui a lieu dans la vraie vie. Si un enfant ne désire pas voir un parent, il faut respecter son désir sans quoi, il risquerait d'être atteint dans son intégrité elle-même, prétendent-ils.

Si le déni pur et simple du trouble de l'aliénation parentale se trouve répandu, certains détracteurs de l'application de ce concept admettent l'existence du phénomène mais s'opposent à l'intervention judiciaire pour l'alléger ou le corriger.

Le légendaire jugement de Salomon

Voici une métaphore à laquelle recourent des professionnels d'allégeance psychanalytique pour interdire l'intervention judiciaire lorsqu'une aliénation parentale est en cause (Hayez & Kinoo, 2005). D'après un récit biblique, le roi Salomon se trouva un jour devant deux femmes qui réclamaient chacune qu'on lui restitue l'enfant dont elles se prétendaient l'une et l'autre la mère. Dans sa légendaire sagesse, Salomon fit mine de vouloir couper l'enfant en deux pour les satisfaire également. Évidemment, la mère réelle se révéla en s'objectant vigoureusement quitte à laisser l'enfant à la prétendue mère. Or, pensent ces professionnels, la même sagesse devrait s'appliquer dans un cas d'aliénation parentale. Telle que la vraie mère dans le récit biblique, le parent aliéné, c'est-à-dire rejeté, devrait abdiquer par amour, s'effacer de la vie de l'enfant pour éviter qu'il ne soit déchiré et en laisser la garde à l'autre parent. Cette interprétation outrancière cherche à casser la conviction universelle voulant qu'un enfant ait un besoin fondamental de jouir de ses deux parents quand ils sont adéquats, c'est-à-dire l'un et l'autre sources identitaires et éducatives bénéfiques.

Devant les Cours de Justice, d'autres arguments sont invoqués pour plaider en faveur de la non-intervention. On dira, par exemple, qu'un enfant du [96] divorce a déjà assez souffert de cette situation pour ne pas lui infliger de surcroît l'obligation de voir un parent qu'il ne souhaite pas voir. Autant dire qu'on devrait épargner l'appendicectomie à un enfant menacé de péritonite sous prétexte que l'appendicite l'a déjà suffisamment fait souffrir.

L'antagonisme entre les intervenants cliniques
et les intervenants judiciaires


La méfiance réciproque

Une méfiance existe entre les intervenants cliniques et les intervenants judiciaires, qui comporte plusieurs ingrédients. Les cliniciens croient que le monde judiciaire ne comprend rien à l'humain, agit selon la lettre de la loi et fait fi de la réalité psychologique. Le monde judiciaire, en revanche, estime souvent que les cliniciens sont des cœurs saignants qui manquent de rigueur, sont impressionnistes et sont prêts à cacher la preuve pour ce qu'ils croient être le bien de leur patient (Melton, Petrila, Poythress, & Slobogin, 1997).

L'expérience a par ailleurs démontré que le clinicien, même s'il est plein de bonne volonté, est un très piètre collaborateur pour le judiciaire vu l'éloignement des deux paradigmes où ils puisent (Melton et al, 1997 ; Tavris, 2003). C'est la raison pour laquelle on fait appel à l'expert psycho-légal qui éclaire les tenants judiciaires en matière de psychologie. Cet expert n'est pas engagé à titre de clinicien, c'est-à-dire en tant que aidant impliqué dans l'intersubjectivité, mais il agit en tant que scientifique en ce qu'il se préoccupe des faits psychologiques attestés par des outils de mesure fiables et valides (Ornstein & Gordon, 1998).

Ce n'est pas par hasard que les cliniciens tendent à rejeter le concept de l'aliénation parentale et, surtout, à s'opposer aux décisions judiciaires que suscite celui-ci. Quand un clinicien accepte le concept de l'aliénation parentale, il plaide pour une mesure qu'il croit efficace, à savoir une intervention psychosociale. Il recommandera, par exemple, une médiation, ou une psychothérapie individuelle, ou une thérapie familiale, etc. En revanche, il ne croira pas du tout au glaive que représente la loi lorsqu'elle ordonne des séjours à périodes fixes chez un parent rejeté. En vertu de son souci forcément clinique, l'intervenant psychosocial risque d'empirer le trouble de l'aliénation parentale chez l'enfant. Par une écoute typiquement empathique, il prend acte de la souffrance de l'enfant ; si celui-ci parlait de la haine qu'il éprouve pour son père, son sentiment s'en trouverait pour ainsi dire validé. Au mieux, s'il confrontait l'enfant sur cette question, il perdrait probablement son client et, du même coup, le parent inquiet qui cherche à dévaluer le parent rejeté. Nous avons été à même de constater, à plusieurs reprises, du moins dans des cas d'aliénation parentale, que le clinicien bienveillant fait en réalité plus de mal que de bien. Car, à son insu, il valide des sentiments qui, à long terme sont au détriment de l'enfant.

La nécessaire intervention judiciaire.

N'en déplaise au clinicien, l'intervention judiciaire est primordiale dans tous les cas d'aliénation parentale. En l'occurrence, en effet, l'enfant détient un pouvoir sur ses deux parents : celui qu'il disqualifie en le rejetant et celui qu'il choisit pour complice. Les parents eux-mêmes impliqués ne peuvent pas rectifier cette situation [97] et réinstaurer la distance intergénérationnelle indispensable au développement de l'enfant. Cela ne peut se produire que par l'autorité du juge (parent transcendant) qui impose la loi.

L'aspect froid, mécanique, légal de la loi et des interventions judiciaires en matière d'aliénation parentale contribue à la mauvaise presse dont ce concept est l'objet aux yeux des cliniciens et de certains autres tenants du monde psy. Pourtant, on doit accorder au judiciaire le crédit d'avoir contribué à une diminution notoire des fausses allégations d'abus sexuel dans le contexte de divorces litigieux du fait que ses tenants n'ont pas autant tardé à comprendre la gravité des enjeux que comporte l'aliénation parentale.

Conclusion

Nous avons tenté d'identifier quelques sources de l'irréductible résistance au concept de l'aliénation parentale. Le lien historique et somme toute associatif entre ce concept et celui de la fausse allégation d'abus sexuel est sans doute la source la plus évidente. Tous ceux qui ont refusé de croire que des allégations pouvaient se révéler sans fondement dans la réalité se sont opposés avec la même ardeur au concept de l'aliénation parentale parce qu'ils y voient une nouvelle tentative de la part de professionnels « favorables aux abuseurs sexuels » de nier le phénomène de l'abus.

Bien au delà de cette problématique, on remarque également chez beaucoup de cliniciens une méfiance généralisée à l'égard de la récupération que fait la gent judiciaire de certains concepts psychologiques. Même si Gardner a lui-même des antécédents psychanalytiques, sa proposition du concept de l'aliénation parentale et, surtout, des manières d'y remédier déplaisent royalement à plusieurs adeptes de la psychanalyse. Au moins deux raisons expliquent cela : l'intervention judiciaire en matière d'aliénation doit faire fi de la sacro-sainte écoute de la parole de l'enfant et, qui plus est, nombre d'interventions judiciaires, toujours en matière d'aliénation, semblent ignorer l'un des dogmes du freudisme, à savoir l'importance du premier « objet d'amour ».

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* Hubert Van Gijseghem, Professeur titulaire retraité Université de Montréal, Tél. : 514 388 9182, Fax : 514 388 8277.

Courriel : [email protected]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 6 novembre 2019 15:46
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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