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La personnalité de l’abuseur sexuel.
Typologie à partir de l’optique psychodynamique.
Définitions
Quand on parle d'abuseur sexuel, on réfère habituellement à l'adulte qui se rend coupable d'un abus sexuel sur un enfant. Or, il reste important de s'entendre sur le contenu des termes. Ainsi, la seule notion d'abus sexuel peut rester ambiguë à défaut d'une définition claire. Cependant, quelques conditions fondamentales pour qu'on puisse parler d'abus sexuel semblent faire l'unanimité parmi les auteurs. Ainsi, l'abuseur est significativement plus âgé que l'enfant (la différence d'âge mentionnée étant d'au moins cinq ans) ; l'abuseur est en position d'autorité, de contrôle ou de pouvoir vis-à-vis de l'enfant ; l'enfant est utilisé dans le but d'une stimulation sexuelle chez l'abuseur ou chez une autre personne (par exemple : Fritz, Stoll et Wagner, 1981 ; Blumberg, 1978 ; Bourgeois, et al, 1979 ; Chapman et Gates, 1978 ; Meiselman, 1979 ; Spencer, 1978 ; Van der Mey et Neff, 1982, Sgroi et al, 1982 ; etc.). Quelques auteurs (par exemple : Brant et Tisza, 1977 ; Sgroi, 1982) soulignent que pour qu'on puisse parler d'abus sexuel, la stimulation que subit l'enfant doit être inappropriée à son âge ou à son niveau de développement sexuel. Cet ajout nous semble inadéquat puisqu'il laisse ouverte la discussion concernant la question à savoir ce qui est approprié ou non, à tel ou tel âge. La définition proposée par Finkelhor (1984) nous semble de prime abord la plus utilisable. Dans cette acception, que nous résumons, il y a abus sexuel lorsqu'il y a contact sexuel entre un enfant et un [14] adulte, peu importe qui a initié la rencontre, qui en retire les satisfactions ou quelles en sont les conséquences. Finkelhor y ajoute qu'un contact sexuel en est un qui implique les parties génitales (de la victime, de l'abuseur ou des deux). Il importera de revenir sur cet ajout plus loin.
La définition de Finkelhor coïncide dans son esprit avec celle proposée par le Comité de la Protection de la Jeunesse (1984) qui voit l'abus comme la situation où un enfant est forcé ou entraîné dans une relation sexuelle complète ou incomplète ; où il y a utilisation d'un enfant en vue d'une gratification sexuelle ; où il y a permission d'un adulte à une autre personne pour utiliser l'enfant en ce sens ; où il y a activité sexuelle planifiée ou non d'un partenaire plus âgé, connu ou non, avec un enfant privé de ses droits humains de décider s'il veut participer à cette activité sexuelle. Cette définition laisse toutefois floue la question de l'éventuel consentement de l'enfant que nous traiterons plus loin.
Il est sans doute important de spécifier ici que, tout au long de cette étude, nous utilisons le terme « abus sexuel » plutôt que « agression sexuelle ». En fait nous considérons ces deux termes comme synonymes, même si plusieurs auteurs font grand cas d'une présumée distinction qualitative entre les deux.
Le terme adulte réfère à la personne de dix-huit ans ou plus avec ou sans lien de parenté avec l'enfant. Finkelhor souligne néanmoins qu'une différence d'âge de cinq ans, même si l'instigateur n'est pas « adulte » constitue pour la victime un abus. L'enfant, du moins dans le contexte mis en scène par cette étude, est l'enfant prépubère.
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L'abus sexuel dont il est question ici porte aussi bien sur celui impliquant des membres d'une même famille (« abus intrafamilial » ou son synonyme, « l'inceste ») que sur celui impliquant des personnes n'appartenant pas à la famille immédiate (« abus extrafamilial »). Dans ce dernier cas, l'abuseur peut être connu ou non de l'enfant.
Quant à la définition de l'abus intrafamilial (l'inceste), on s'éloigne ici des acceptions légales qui, dans certains milieux, incluent encore les notions de « pénétration » et/ou de père biologique. On s'entend plutôt sur « inceste » incluant les activités sexuelles au sens large du terme, tel que décrit plus loin. Dans ce travail et contrairement, par exemple, au rapport Badgley (Gouvernement du Canada, 1984), nous ne nous pencherons que sur l'inceste intergénérationnel excluant donc les activités sexuelles entre pairs, c'est-à-dire entre les membres de la famille appartenant à la génération des « enfants ». Nous croyons en effet qu'il s'agit là de deux phénomènes tout à fait différents quant au sens psychologique pour les participants. Nous avons développé cette hypothèse dans une publication antérieure (Van Gijseghem, 1985).
En ce qui concerne la notion du père incestueux, elle comprend non seulement le père de sang mais tout adulte mâle qui a accepté de jouer envers l'enfant un rôle paternel ou parental ou, du moins, qui a donné des signaux selon lesquels il se pose devant l'enfant comme un figure parentale (par exemple : Gélinas, 1983 ; Van der Mey et Neff, 1982 ; Comité de la Protection de la Jeunesse, 1982).
Nous traitons de l'abus sexuel extra et intrafamilial non pas parce qu'il s'agit là d'un même phénomène, mais parce qu'on ne peut nier les correspondances importantes [16] qui s'y retrouvent (par exemple : Panton, 1979 ; Abel et al, 1981). Ces correspondances trouveraient leur racine dans un dénominateur commun de taille : l'abolition de la distance intergénérationnelle dont il y a lieu de croire qu'elle constitue une des causes les plus importantes des dommages psychologiques subis par la victime (Van Gijseghem, 1985). Dans ce qui suit, la distinction entre les deux formes d'abus (intra et extrafamilial) sera faite là où cela s'impose.
Un autre point qui mérite clarification est celui de savoir ce qui est sexuel. Ce qui l'est pour l'un ne l'est pas nécessairement pour l'autre. Rappelons que certains textes de loi ne parlent que de pénétration. Finkelhor (1984), quant à lui, fait intervenir les parties génitales (de l'un ou l'autre des participants) tandis que d'autres auteurs y vont d'une classification d'actes plus ou moins complexe ou détaillée. Le rapport Badgley classifie les abus selon une présumée gravité de l'acte allant de l'exhibitionnisme aux menaces, les attouchements, les tentatives d'agression et les agressions. May (1977) propose une classification tripartite, dans laquelle il dépasse largement la notion d'une « implication des parties génitales ». La première classe se nomme « abus sans toucher » et inclut l'exhibitionnisme, les téléphones obscènes et les verbalisations abusives. Une deuxième classe « avec toucher » comprend les caresses, les stimulations génitales et orales, les relations sexuelles complètes ou leur équivalent. La classe « violence » réfère au viol, aux blessures physiques et au meurtre sadique.
Enfin, il est de mise d'ajouter que la notion de consentement de l'enfant n'est pas pertinente à l'étude de l'abus sexuel. Il est vrai que les défenseurs du « droit [17] à la jouissance » ont fait beaucoup de cas du fameux « consentement de l'enfant », soulignant que, si celui-ci est désireux de s'engager dans une activité sexuelle avec l'adulte, il en a le strict droit et l'adulte fait bien de s'y prêter. Ces mêmes « avocats pro-pédophilie » soutiennent la thèse selon laquelle ce que l'enfant veut ne peut possiblement se solder par des dommages psychologiques. L'autre thèse (à laquelle nous adhérons et qui est défendue avec force dans la littérature, par exemple : Finkelhor, 1984) veut que l'enfant soit incapable de consentir réellement à des activités sexuelles avec l'adulte, vu son statut d'enfant qui, en définitive, le rend dépendant et « soumis » à l'adulte. L'enfant respecte l'adulte ou du moins, respecte son autorité, et, en dernière analyse, il croit que l'adulte ne peut que lui faire de « bonnes choses ». (Blumberg, 1978 ; Linedecker, 1981). En plus, l'enfant connaît mal la sphère sexuelle et s'il initie avec l'adulte des agirs qui y ont trait, il formule habituellement une demande toute autre, et qui est de l'ordre de l'amour ou de l'attention, ou qui, de toute façon, relève d'un désir qui mérite de rester sur le plan du phantasme et non de l'agir. L'adulte qui s'y prête, même s'il est activement sollicité par l'enfant, se pose inévitablement comme abuseur.
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