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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Louis Gill, économiste
Professeur retraité de l'Université du Québec à Montréal [email protected] Jean-Charles Chebat rejette comme de simples « accusations partisanes » les faits que je rappelle dans cet article et pour lesquels Israël a été dénoncé à travers le monde, y compris par de très nombreux Juifs. Il franchit également sans vergogne le pas devenu classique en cette matière, en proférant à mon égard des accusations de haine dénuées de fondements. Geste des plus regrettables dans un débat qui doit nécessairement se poursuivre dans la sérénité. Israël : un État laïque ? À ma description de l'État juif d'Israël comme l'État d'une confession religieuse, gravé dans ses fondements mêmes d'un irréparable handicap démocratique, Chebat réplique en soutenant au contraire que, par sa Constitution, l'État d'Israël est un «État laïque qui reconnaît quatorze Confessions». Voilà qui n'est pas banal ! Si le mot « laïque » a un sens, un État qui reconnaîtrait sur le même pied certaines confessions, sans reconnaître les autres, pourrait être défini comme un État religieux multiconfessionnel partial, mais certainement pas comme un État laïque. Cette laïcité de l'État, selon Chebat, serait pourtant affirmée dans la Constitution d'Israël. Or, il n'y a pas de Constitution en Israël, qui ne s'est jamais doté d'une telle Loi fondamentale constitutive du pays protégeant notamment les droits et libertés, mais qui est régi par un ensemble de lois dites « de base » (basic laws) adoptées au fil des décennies par le Parlement, la Knesset (loi du retour, lois sur la nationalité, sur la propriété de la terre, sur le gouvernement, sur l'économie, sur l'armée, etc.), dont aucune ne fait quelque allusion à une prétendue laïcité de l'État. On ne peut par ailleurs invoquer la reconnaissance de la liberté de culte proclamée dans la Déclaration d'indépendance de 1948 pour prétendre à la laïcité de l'État, ni même pour soutenir qu'aujourd'hui les citoyens jouiraient d'une pleine liberté en matière religieuse. La reconnaissance des confessions religieuses par l'État, en effet, n'est pas entière, mais limitée à 14 confessions, comme nous le dit Chebat. De plus, quelle que soit leur pratique effective, dont Chebat nous informe qu'elle est faible, les citoyens juifs d'Israël sont tenus de se soumettre à la religion juive, en particulier pour le mariage et le divorce selon la loi juive qui, entre autres, confine les femmes dans une nette position d'infériorité. Aussi, conformément à la loi, chaque Israélien doit appartenir à une communauté religieuse. Belle laïcité ! Chebat souhaite nous convaincre en rappelant que le mouvement sioniste a été porté par un mouvement laïque, voire socialiste, qui en conséquence n'aurait jamais pu accoucher d'un État théocratique. Il omet de dire que ce mouvement a tout autant été porté par de fortes influences religieuses qui exigeaient qu'Israël se dote d'institutions conformes à la Torah, de sorte que la société israélienne est traversée de part en part par la religion. À titre d'exemple, 20 % des sièges de la Knesset sont détenus par des chefs religieux. Si le fondateur du sionisme, Théodore Herzl, proclamait en 1896 dans L'État des Juifs que l'armée et le clergé n'ont pas à s'immiscer dans les affaires de l'État, il affirmait tout autant : « Nous ne reconnaissons notre communauté d'appartenance historique qu'à travers la foi de nos pères. » La contradiction Qu'en est-il des incidences démocratiques de cet État religieux ? Mentionnons d'abord qu'il a fallu attendre jusqu'en 1992 pour que soit adoptée une Loi sur la dignité de l'Homme et sa liberté, considérée comme une ébauche d'une éventuelle Déclaration des droits de l'Homme qui n'a toujours pas vu le jour. Mais cette loi ne contient pas de clause d'égalité qui garantirait aux citoyens non juifs d'Israël (20 % de la population) une protection contre la discrimination. La loi énonce au contraire que les Droits de l'Homme doivent être interprétés dans l'esprit des principes de la Déclaration d'indépendance de 1948 qui stipule que « l'État d'Israël sera fondé sur la liberté, la justice et la paix selon l'idéal des prophètes d'Israël », et qu'elle a pour objet d'instituer « les valeurs de l'État d'Israël en tant qu'État juif et démocratique ». Cette contradiction en soi qu'est un « État juif et démocratique » est illustrée en particulier par le fait que le droit des non-Juifs à se présenter comme candidats aux élections à la Knesset est soumis à leur acceptation du caractère juif de l'État, de sa composition comportant une majorité de Juifs et du privilège de « retour » en Israël accordé aux Juifs, selon le principe de la « prééminence du Droit du sang sur le Droit du sol ». La loi interdit à tout candidat de se présenter aux élections sur une plate-forme politique qui nierait le « droit à l'existence de l'État d'Israël en tant qu'État du peuple juif ». Un registre de la population départage par ailleurs les citoyens entre Juifs et non-Juifs. On comprendra facilement, en contradiction avec la présentation idyllique dont Chebat voudrait nous convaincre, que les citoyens de la minorité non juive d'Israël puissent être définis comme «des étrangers de l'intérieur» et «des citoyens de seconde zone, du fait de leur non-judaïcité» par la Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme (FIDH) dans un rapport de 2001 d'une mission d'enquête menée par elle avec la collaboration de l'Association for Civil Rights in Israel. Ce rapport établit une liste impressionnante des discriminations économiques et sociales dont est victime la population arabe d'Israël et révèle l'absence de droits élémentaires qui est le lot quotidien de la population bédouine. « Accusations partisanes », répliquera sans aucun doute Chebat qui y décèlera ici encore l' « écho des cris de haine venus de Durban ». Faudrait-il nier ces faits sous prétexte que la négation des droits démocratiques est encore plus grande dans les États arabes ? N'est-on pas plutôt fondé de poser avec la FIDH la question suivante : « Que peut signifier un État moderne et démocratique doté d'une religion nationale où l'appartenance à cette religion nationale est un critère permettant de revendiquer le droit à la citoyenneté ? » Et de répondre avec elle : « Seule une séparation complète entre la religion et l'État [...] permettrait de restaurer au terme "démocratie" la plénitude de son acception. » Mur de la honte La loi allemande sur le droit de retour de descendants d'exilés allemands, en sol allemand habité par des Allemands, sur un territoire 17 fois plus grand que celui d'Israël, peut-elle vraiment être mise sur le même pied que la loi israélienne accordant un droit de «retour» aux Juifs du monde entier, sur un minuscule territoire d'où ont été évacués quatre millions d'Arabes auxquels on nie le droit de retour et dont on gruge sans cesse la partie qui est toujours considérée comme territoire palestinien ? Poser la question est y répondre. Pour Chebat, il faudrait plutôt, en plus, défendre le « droit » des colons juifs d'envahir sous protection militaire les territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ! Peut-on d'autre part condamner l'ancien « mur de la honte » de Berlin, parce qu'il empêchait les Allemands de l'Est de fuir à l'Ouest, mais soutenir en même temps l'édification par Israël de cet autre « mur de la honte » sur la frontière ouest de la Cisjordanie, en justifiant ce dernier par la volonté d'empêcher l'entrée en Israël des terroristes palestiniens ? Précisons que ce mur de huit mètres de haut et trois mètres de large sur une distance de 350 kilomètres, dont le tiers a déjà été construit au coût de 1,6 million de dollars par kilomètre, confisque par surcroît de nouvelles parties du territoire palestinien et sépare de leurs terres des dizaines de milliers de Palestiniens. Les maisons des 40 000 habitants de la ville de Qalqiya se trouvent en effet d'un côté du mur, alors que les terres qu'ils cultivent se trouvent de l'autre. Ce sera le cas de 300 000 Palestiniens lorsque le mur sera achevé. Fait significatif, la « feuille de route » pour la paix ne fait aucune allusion à cette monstruosité qui semble normale à Chebat, ni à ce que le projet d'un mur semblable du côté est de la Cisjordanie ait d'ores et déjà été approuvé. Je ne dirai que quelques mots de l'article de Yoram Danan paru dans Le Devoir du 17 juillet, dont la banalisation des exactions d'Israël sous prétexte que des violations des droits de la personne ont aussi lieu ailleurs est devenue un triste lieu commun. Lui aussi justifie le « mur de la honte » comme un « système de défense contre les kamikazes palestiniens ». Comme l'explique le professeur israélien Gadi Algazi de l'Université de Tel-Aviv dans le Monde diplomatique de juillet, ce mur est plutôt l'instrument d'un projet politique global : « briser la Cisjordanie pour la transformer en une série d'enclaves et de bantoustans étroitement contrôlés par Israël, et d'empêcher ainsi toute continuité territoriale d'un futur État palestinien », dont la viabilité serait dès lors détruite. Danan écrit qu'il était tout à l'honneur des pères fondateurs d'Israël d'aspirer à « plus de territoire que ce qu'ils avaient pu obtenir par la décision de partage ». Dans la réalisation de ces aspirations, il serait tout autant « à l'honneur» de Sharon et consorts d'édifier aujourd'hui ce mur pour faire barrage à l'État palestinien comme condition de la réalisation de l'objectif du «Grand Israël ». En terminant, je considère comme une grave insulte faite au Québec, l'insoutenable parallèle dressé par Chebat entre la politique d'immigration d'Israël, fondée sur la discrimination et l'exclusion, et la politique de libre ouverture à une immigration de toute provenance, sans considérations de nationalité, de langue, de couleur de la peau, de religion, de sexe ou d'opinons, pratiquée par le Québec. Fin
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