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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “Le Regroupement des militants syndicaux (1974-1979)”. Un article publié dans la revue Bulletin d’histoire politique, Montréal, vol. 19, no 2, automne 2010, pp. 134-142.. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 20 juin 2011.]

Louis Gill

Le Rregroupement
des militants syndicaux
(1974-1979)
”.

Un article publié dans la revue Bulletin d’histoire politique, Montréal, vol. 19, no 2, automne 2010, pp. 134-142.

— Débats syndicaux, formation ouvrière
— La nécessité du parti des travailleurs …
— … et de l’action politique
— Non à la concertation
— Indépendance de classe et indépendance nationale
— Contre la coalition fédéraliste anti-Québec


Le Regroupement des militants syndicaux (RMS) a été fondé le 17 mai 1974, dans la suite de l’initiative du Front d’action politique des salariés de Montréal (FRAP) créé en 1970 et de la tentative avortée du Regroupement Action-Montréal (RAM), mis sur pied en 1973 par le Comité régional intersyndical de Montréal (CRIM) en vue prolonger l’action du FRAP par la création d’un parti politique municipal s’appuyant sur les trois centrales syndicales (CSN, FTQ et CEQ [1]).

Comme l’affirme sa Déclaration de principes adoptée lors de l’assemblée de fondation du 17 mai 1974, le RMS se définit comme un regroupement ouvert et démocratique de militants syndicaux voulant, dans un cadre de libre expression des points de vue, coordonner leur action à partir de la triple orientation suivante : indépendance complète des syndicats face au patronat et au gouvernement, unité d’action des syndicats, nécessité d’un parti des travailleurs indépendant dans la construction duquel les syndicats ont un rôle d’initiative essentiel à jouer.

Le RMS est le principal cadre à l’intérieur duquel le Groupe socialiste des travailleurs (GST), organisation trotskyste fondée en septembre 1974, a défendu, au cours des cinq premières années de son existence, sa conception de la construction du parti des travailleurs. Les militants du GST ont été les instigateurs de la création du RMS et en ont été les principaux animateurs. Dans une histoire du GST publiée en 2006 dans le Bulletin d’histoire politique [2], j’ai fait état des rapports entre le RMS et le GST de 1974 jusqu’à la fin de 1979, date à laquelle le RMS a cessé ses activités. Les lecteurs intéressés sont encouragés à s’y référer. Le présent texte, il va sans dire, n’aborde pas cette dimension et se concentre exclusivement sur le RMS. Pendant sa brève existence de cinq années, le RMS a été le lieu d’une intense activité. En voici les traits saillants.


Débats syndicaux, formation ouvrière

Au cours de ses deux premières années, le RMS a organisé des débats et tenu des assemblées mensuelles sur de nombreux enjeux syndicaux, politiques et sociaux, parmi lesquels :


  • les questions débattues et les propositions à défendre lors des congrès des centrales syndicales ;

  • les grèves alors en cours, à la CTCUM [3], chez United Aircraft, chez les ferrailleurs ;

  • la situation dans l’industrie de la construction (Commission Cliche sur les activités criminelles dans l’industrie de la construction, pluralisme syndical), avec la participation de représentants de la FTQ-construction (André Leclerc) et de la CSN-construction (Florent Audette et André Gravel) ;

  • l’action politique des travailleurs, avec la participation de Marcel Perreault (Syndicat des postiers), Pierre Lemaire (Alliance des professeurs de Montréal), Michel Matte (Travailleurs unis de l’automobile) ;

  • les élections municipales de novembre 1974 à Montréal ;
  • la situation dans les hôpitaux ;

  • le Front commun de 1975 des secteurs public et parapublic, avec la participation des porte-parole des trois centrales (Jacques Desmarais de la CSN, Michel Grant de la FTQ, Robert Gaulin de la CEQ), ainsi que de fédérations (Francine Lalonde de la FNEQ) et de grands syndicats (Ronald Asselin du syndicat des employés de la SAQ) ;

  • la grève générale pancanadienne du 14 octobre contre la loi C-73 de gel des salaires imposée par le gouvernement fédéral de Pierre Elliott-Trudeau, avec la participation des dirigeants de la FTQ (Fernand Daoust), de la CSN (Norbert Rodrigue) et de la CEQ (Yvon Charbonneau).


Le RMS a parallèlement organisé des séances de formation sur l’histoire du mouvement ouvrier au Québec, notamment sur les projets de fondation d’un parti ouvrier dans les années 1950 et 1960 et sur les grandes grèves, de l’amiante en 1949, de Louiseville en 1952, de Murdochville en 1957. Le compte-rendu de ces activités a été répercuté, de février 1975 à la fin de 1977 dans un Bulletin de liaison mensuel ronéotypé, auquel a succédé à partir de décembre 1977 un journal de format tabloïd vendu dans le public, Le journal du RMS, dont 17 numéros ont paru entre décembre 1977 et février 1979.


La nécessité du parti des travailleurs…

Le principal legs écrit du RMS est toutefois sa série de six « Cahiers du RMS » [4], dont les deux premiers ont paru au début de 1976. Le premier de ces cahiers, intitulé L'action politique des syndicats et le parti des travailleurs, a été publié à la mi-janvier. Un mois plus tard, 400 exemplaires en avaient été vendus. Ce cahier démontre comment la question de l'action politique autonome des travailleurs se pose au cœur même des luttes syndicales quotidiennes et que sa nécessité ne cesse d'être évoquée dans les débats menés dans les instances syndicales et les discours des dirigeants. Le Parti Québécois, qui se présentait comme le seul porteur de la question nationale et se réclamait d'un « préjugé favorable aux travailleurs », constituait alors comme aujourd’hui un obstacle de taille à la construction d'un parti indépendant dont l'effet, aux dires de ses opposants, serait de diviser les « forces vives de la nation » et de mettre en péril la libération nationale vue comme l'objectif premier à réaliser, à la suite de quoi on pourrait s'occuper de la libération sociale. Les opposants à ce projet invoquaient la « neutralité » ou la « non-partisannerie » politique que les organisations syndicales auraient la responsabilité de préserver, pour justifier leur appui implicite ou explicite au PQ et leur opposition à ce que les syndicats donnent le coup d'envoi à la construction d'un parti des travailleurs.

Face à cela, il s'agissait de montrer que les travailleurs ont leurs revendications propres qu'ils sont les seuls à pouvoir défendre, d'où la nécessité de leur propre parti et de leur propre lutte pour la conquête du pouvoir. Ces revendications, rappelait le RMS, les travailleurs les ont eux-mêmes élaborées au fil des ans. Elles sont consignées dans les documents officiels de leurs organisations syndicales, dans les résolutions adoptées par leurs instances représentatives, dans les positions exprimées publiquement lors de consultations, conflits, etc., dans les mémoires, manifestes, rapports moraux et procès-verbaux. Ne pouvant être reprises par les partis existants, elles sont la démonstration de la nécessité pour les travailleurs de s'organiser politiquement pour se donner les moyens d'en entreprendre la réalisation à partir de leur propre gouvernement. Le RMS en a publié une synthèse, en avril 1976, dans son Cahier no 2, intitulé Cahier de revendications des travailleurs organisés (CSN-FTQ-CEQ) : contribution du RMS à l'élaboration d'un projet de programme ouvrier, qui demeure un document d’une grande importance historique.

Parmi ces revendications : le droit universel au travail et la pleine sécurité d'emploi avec recyclage sans perte de salaire, l'ouverture des livres comptables des entreprises, la syndicalisation universelle et la formule Rand, le droit de grève complet, la pleine indexation des salaires, des prestations de retraite et des allocations sociales et familiales, un système complet de garderies financé par l'État, la pleine égalité entre les hommes et les femmes, l'abrogation des lois sur l'avortement, la gratuité de l'enseignement à tous les paliers, un système d'enseignement unique, public et laïc, l'élimination de l'entreprise privée de l'exploitation des ressources naturelles, de l'assurance, de la finance et des services publics, l'interruption de toute subvention à l'entreprise privée et une plus forte taxation des profits, l'accroissement de la progressivité de l'impôt, la taxation des avoirs et l'abolition de la taxe de vente, l'autodétermination du Québec jusqu'à son droit à se constituer en nation indépendante.

Il faut être conscient de ce que ces revendications jusqu’alors exprimées par les travailleurs ont été compilées il y a presque 35 ans et que des pas en avant ont été faits depuis lors pour ce qui est de certaines d’elles. D’autres par contre demeurent d’une brûlante actualité, voire d’un radicalisme qui fait apparaître les revendications actuelles comme fort modérées. Pour ce qui est de la question nationale, le caractère modéré de la revendication qui se limite à « l'autodétermi­nation du Québec jusqu'à son droit à se constituer en nation indépendante » s’explique par le fait que ce n’est qu’en 1990 que les centrales syndicales se sont définitivement prononcées en faveur de l'indépendance du Québec, au lendemain du rejet définitif de l’accord du Lac Meech.

La CSN, qui organisait au printemps 1976 des colloques sur l’action politique dans les diverses régions du Québec, a acheté 2000 exemplaires du Cahier no 2 comme document de référence. La plupart d’entre eux toutefois ont été mis au rancart sous la double influence des péquistes et des divers courants maoïstes. Cela n’est d’ailleurs qu’une des manifestations des attaques menées contre le RMS, notamment par des dirigeants syndicaux comme le directeur québécois du syndicat des Métallos, Jean Gérin-Lajoie, pour tenter de faire échec à son influence montante et à la perspective d’indépendance de classe qu’il défendait.

À ces attaques qui ont aussi pris la forme de campagnes de dénigrement du RMS dénoncé comme « trotskyste », s’est ajoutée une dénonciation publique venue malheureusement de cette figure emblématique du mouvement ouvrier qu’est Émile Boudreau, figure de proue du Syndicat des métallos de Murdochville dans les années 1950 et 1960 et candidat du FRAP aux élections municipales de Montréal en 1970. Dans une lettre ouverte publiée dans le journal Le Jour en avril 1976 [5], dans laquelle il affichait sa profession de foi envers le PQ, Boudreau, pourtant membre du RMS depuis la fin de 1974, dénonçait bassement les défenseurs de la perspective du parti des travailleurs comme « les pires ennemis du mieux-être collectif » et affirmait que « les agents de la RCMP qui ont été décelés dans les mouvements progressistes n’ont jamais agi autrement ». Il va sans dire que le RMS qui a riposté sans relâche à ce genre d’attaques virulentes dénuées de fondements [6] n’en a pas moins souffert.


… et de l’action politique

Dès le déclenchement des élections du 15 novembre 1976, qui allaient porter le PQ au pouvoir, le RMS a lancé son Cahier no 3, appelant à la désignation de candidats des travailleurs sur la base des revendications ouvrières. Il a constitué dans cette perspective une coalition électorale avec le NPD-Québec, la « Coalition NPD-RMS », qui a présenté 21 candidats et dont la plate-forme a repris intégralement le programme de revendications du Cahier no 2. La coalition a sollicité l'appui des centrales syndicales, mais celles-ci avaient d'ores et déjà opté pour l'appui au PQ, explicite dans le cas de la FTQ, implicite dans le cas de la CSN et de la CEQ qui ont invoqué leur obligation statutaire de neutralité politique. Dans la vague qui a porté le PQ au pouvoir et faute de l'appui des centrales syndicales qui aurait dû constituer sa force principale, la coalition a dû se contenter de 3 000 votes. Une évaluation strictement mathématique de ce résultat sous-estimerait toutefois l'impact réel qu'a eu la coalition dans le mouvement ouvrier et dans le public en général.

On peut juger de cet impact par l’intensité des attaques de ceux qui voyaient cette initiative d’un mauvais œil. On a en effet, entre autres, vu revenir à la charge le syndicaliste Émile Boudreau qui a publiquement lancé l’hypothèse de « caisses occultes » pour faire planer le doute sur la source du financement d’une coalition de petites organisations aussi dénuées de fonds que le NPD-Québec et le RMS. Dans une lettre au président du NPD, Ed Broadbent, Boudreau évoquait l’influence d’« agents-doubles » œuvrant en son sein pour expliquer la décision du NPD-Québec de s’allier à ce « petit groupe de marginaux… comprenant toutes sortes de variantes du marxisme-léninisme » qu’était à ses yeux le RMS. Il allait jusqu’au chantage, avertissant le NPD qu’aux prochaines élections fédérales, il pourrait ne pas bénéficier du soutien de la FTQ dont le congrès de 1975 avait accordé un appui quasi unanime au PQ. Si jamais la coalition « faisait battre un ou plusieurs « bons péquistes » (genre Burns, Charron, Godin et d’autres), je crois bien que la FTQ ne l’oublierait pas facilement », précisait-il [7].


Non à la concertation

Dès son entrée en fonction, le gouvernement de René Lévesque avait annoncé sa décision de réunir dans un sommet économique et social les représentants du mouvement syndical, du patronat et de l'État. Le RMS, dont l'un des principes fondateurs est l'indépendance des syndicats face au gouvernement et au patronat et l'opposition à toutes les tentatives pour intégrer les syndicats dans leurs structures de participation économique ou politique, s’est immédiatement mobilisé contre la concertation institutionnalisée que le gouvernement souhaitait ainsi établir. Il a publié à cet effet, à l'occasion d'un débat public sur la question en avril 1977, son Cahier no 4, intitulé Non au sommet économique ! Non au contrat social !, dont l’objectif était de nourrir les interventions des militants dans le mouvement ouvrier en vue d'amener les centrales syndicales à rejeter l'invitation gouvernementale à participer à ce sommet.

À la lumière des enseignements du mouvement ouvrier et des expériences nationales et internationales, le Cahier no 4 passe au crible de la critique les nombreuses variantes de participation (autogestion, cogestion, rachat d'entreprises, participation à la propriété et aux bénéfices, fonds d'investissement des travailleurs, bipartisme et tripartisme sur le plan politique) au nom desquelles les travailleurs sont maintenus dans la dépendance à l'égard du patronat et de ses partis et privés de l'autonomie nécessaire à leur émancipation. Cette intervention n’est toutefois pas parvenue à amener les centrales syndicales à refuser de participer en 1977 à La Malbaie au sommet économique organisé par le parti politique qu'elles avaient contribué, par leur appui ouvert ou leur inaction, à porter au pouvoir [8]. Ce sommet n'avait d'ailleurs été que le premier de tout un ensemble de mini-sommets régionaux et sectoriels que le gouvernement a organisés au cours des mois suivants et d'un nouveau sommet national, à Montebello en 1979.

C'est dans cette même perspective de concertation sociale qu'a été adoptée à l'été 1977 la Loi 2 sur le financement des partis politiques qui, sous le couvert de « faire le ménage dans les caisses électorales » et d'instituer des mœurs politiques plus saines, interdit le financement par les organisations syndicales d'un parti qu’elles décideraient d’impulser, visant en quelque sorte à tuer dans l'œuf cette « utopie pernicieuse du parti des travailleurs », selon l'expression de René Lévesque, dont la naissance « diviserait à coup sûr les forces vives du Québec » [9]. Le RMS a vertement dénoncé cette loi.


Indépendance de classe
et indépendance nationale

Prenant comme point d'appui l'expérience politique de la présentation des 21 candidats de la coalition NPD-RMS à l'occasion des élections du 15 novembre 1976, et pour donner une envergure nationale à une activité qui demeurait surtout concentrée à Montréal, le RMS lançait à l'automne 1977 le projet d'organiser, en mai 1978 à Montréal, une Conférence nationale sur le Parti des travailleurs, précédée de conférences préparatoires dans diverses régions du Québec. Jusqu’alors, le RMS avait fait des tentatives d’implantation dans diverses régions, dont les succès sauf exception avaient été très relatifs. Il faut mentionner aussi que le RMS avait projeté de constituer des composantes sectorielles, dont seule celle du RMS-Éducation a eu une activité réelle. Y ont été coordonnées non seulement les interventions des militants sur l’axe de l’école, mais aussi sur celui de la laïcité.

En même temps qu’il préparait la Conférence nationale de mai 1978, le RMS a organisé dans ses rangs un débat sur la question nationale au terme duquel il s’est prononcé en faveur de l’indépendance du Québec. Il a fait connaître sa position dans un nouveau Cahier, son cinquième, intitulé Non au fédéralisme ! Non à la souveraineté-association ! Pour l'indépendance du Québec !, publié au début de 1978. Ainsi se trouvait engagé un combat simultané pour la conquête de l'indépendance de classe et l'émancipation nationale, par le combat pour la construction du parti des travailleurs, l'opposition à la concertation et la lutte pour la séparation du Québec.

En conclusion des conférences régionales qui ont été un succès dans la plupart des régions, la Conférence nationale du 13 mai à Montréal a regroupé 200 militants des régions de Montréal, de Québec, de Sherbrooke, de l'Abitibi, de la Mauricie, de l'Outaouais et des Laurentides. La Conférence s’est donné l'objectif de construire des sections du RMS dans toutes les régions en vue de faire du regroupement un véritable instrument de la construction du parti des travailleurs. Le RMS s’engageait au même moment dans une campagne d’appui au Syndicat du transport de Montréal (Employés des services d’entretien de la CTCUM, affiliés à la CSN) pour réclamer le retrait des peines d’emprisonnement pour outrage au tribunal qui frappaient quatre de ses dirigeants, et des lourdes amendes qui touchaient une trentaine d’autres membres du syndicat.

Le motif du jugement prononcé contre eux était la défiance d’une injonction forçant le retour au travail lors d’une grève victorieuse pour l’indexation des salaires en 1974. Dans l’édition de juin 1978 de son journal, le RMS fustigeait le Parti québécois qui, alors qu’il était dans l’opposition en 1972, avait réclamé que le gouvernement libéral de Robert Bourassa libère les présidents emprisonnés des trois centrales, mais qui aujourd’hui « met quatre chefs syndicaux en prison, laisse libérer les tueurs de la Robin Hood, envoie la Sûreté du Québec perquisitionner les bureaux de CJRT et du Conseil central de Trois-Rivières (CSN), laisse les scabs rentrer à la Commonwealth Plywood…! » [10]


Contre la coalition fédéraliste anti-Québec

Les élections fédérales de mai 1979 et la tenue du référendum sur la question nationale de mai 1980 ont été les enjeux de la période suivante. Déjà, au début de 1979, la campagne pré-référendaire avait commencé et la grande coalition anti-Québec des partis fédéralistes du Canada et du Québec, regroupés dans le Comité Pro-Canada, avait engagé des millions de dollars en propagande pour empêcher le peuple du Québec de disposer librement de lui-même. Face à cette attaque, une riposte unitaire des organisations syndicales s'imposait. Les grandes lignes de la riposte proposée par le RMS ont été exposées dans un nouveau Cahier du RMS, le sixième, intitulé Les syndicats au Québec et les prochaines élections fédérales, dont la proposition centrale était le lancement d'un Appel aux syndicats demandant que soient organisés des États généraux du mouvement ouvrier pour la défense des droits du Québec et des revendications des travailleurs, et que les syndicats fournissent une alternative de vote lors des élections fédérales du 22 mai.

Le NPD ayant choisi de se joindre à la coalition des partis fédéralistes contre le droit du Québec à disposer de lui-même, une seule voie s’imposait dès lors sur le plan électoral aux yeux du RMS dans la lutte contre l'oppression nationale, celle de la désignation de candidats des travailleurs dans chacun des 75 comtés. Le succès de cette initiative est demeuré toutefois fort limité avec un appui de quelque 2000 signatures à l’Appel aux syndicats et la présentation d’un seul candidat aux élections fédérales du 22 mai.

Cette élection avait infligé une défaite au Parti libéral qui était au pouvoir depuis seize ans, dont onze sous Pierre Elliott-Trudeau. Mais ce n’était que pour un bref intermède. Neuf mois plus tard, à la suite du renversement du gouvernement minoritaire conservateur, les libéraux de Trudeau étaient reportés au pouvoir, en place pour l’imposition au Québec du coup de force constitutionnel de 1982.

L’initiative de l’Appel aux syndicats est la dernière que le RMS a entreprise. Créé sous l’impulsion du Groupe socialiste des travailleurs et animé principalement par ses militants, son devenir a également été tributaire des orientations décidées par le GST quant aux modalités de son intervention. Même si le GST affirmait, à son congrès de la fin de 1979, que son principal lieu d’intervention dans le travail de construction du parti des travailleurs demeurait le RMS, il est intervenu davantage à son propre compte sur cette question à partir de la campagne en vue du référendum du 20 mai 1980 et le RMS a dès lors cessé ses activités.



[1] La Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) est devenue la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) en 2000.

[2] « Le groupe socialiste des travailleurs (1974-1987) », Bulletin d’histoire politique, première partie, vol. 14, no 2, hiver 2006, p. 227-248 ; deuxième partie, vol. 14, no 3, printemps 2006, p. 271-292. Les archives du GST, de même que celles du FRAP, du RAM et du RMS ont été léguées au Service des archives de l’UQAM où elles peuvent être consultées.

[3] Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal, devenue la Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal, puis la Société de transport de Montréal.

[4] Les Cahiers 1, 2, 4 et 5 du RMS sont téléchargeables à partir du site internet des Classiques des sciences sociales, mis sur pied par le sociologue Jean-Marie Tremblay avec la collaboration de l’UQAC.

[5] « L’objectif "pur" d’un parti des travailleurs : aussi inaccessible que démobilisateur », Le Jour, 29 avril 1976.

[6] Voir en particulier la réponse du Comité de coordination du RMS à la lettre ouverte d’Émile Boudreau, « Réponse à Émile Boudreau, syndicaliste », Le Jour, 21 juin 1976.

[7] Lettre du 30 octobre 1976 d’Émile Boudreault à Ed Broadbent, Archives de l’UQAM, Fonds du RMS. On peut aussi consulter dans ces archives l’étonnant échange de correspondance à ce sujet entre Émile Boudreau et le président du NPD-Québec, Henri-François Gautrin, qui était également président de la coalition NPD-RMS.

[8] Il vaut la peine de mentionner que, si les dirigeants des centrales avaient souscrit au projet de participer au sommet économique convoqué par le gouvernement de René Lévesque, le président du Conseil central de Montréal de la CSN, Michel Chartrand, s’y était vertement opposé, le qualifiant d’opération de collaboration avec les exploiteurs. Il avait accepté de participer au débat public du RMS, le 17 avril 1977, et d’y présenter une conférence. Mais il a quitté l’assemblée en claquant la porte sans avoir prononcé sa conférence. Le document du RMS dont je présentais le contenu faisait remonter l’idéologie de la concertation entre les classes sociales à la doctrine sociale de l’Église, dont les deux principes de base sont « la nécessité des inégalités et des souffrances, et la nécessité de l’union entre le capital et le travail ». Il montrait que les encycliques papales où sont énoncés ces principes étaient aussi les textes fondateurs du corporatisme et du fascisme, de même que du syndicalisme catholique diviseur de la classe ouvrière, dont la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), ancêtre de la CSN déconfessionnalisée, était l’héritière. Pour Chartrand, cela était intolérable. Toute sa démarche, depuis les Jeunesses indépendantes catholiques jusqu’à la CTCC, procédait de la doctrine sociale de l’Église et de son adhésion à la foi catholique qu’il n’a jamais reniée. Il pouvait s’opposer à cent pour cent au sommet économique de René Lévesque, mais établir un lien de parenté entre ce type de démarche et les textes fondateurs de son engagement religieux et syndical était pour lui une hérésie (Voir, sur le site des Classiques des sciences sociales, mon hommage intitulé Grandeur et limites de Michel Chartrand).

[9] Propos publiés dans Le Jour du 1er février 1976.

[10] Le Journal du RMS, vol. 1, no 5, juin 1978, p. 1.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 1 juillet 2011 8:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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