Louis Gill
“En réaction au budget Leitão :
il est possible de réduire le déficit
sans menacer les services publics.”
Montréal : texte inédit, 5 juin 2014.
Comme la plupart des observateurs l’ont noté, le budget déposé le 4 juin par le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, annonce pour les prochaines années un sévère programme d’austérité, dont la réduction draconienne des dépenses publiques constitue l’ossature. Au seul titre des mesures de contrôle des dépenses de programmes des ministères, des économies de 2,7 et 2,4 milliards de dollars sont visées pour 2014-2015 et 2015-2016, ce qui est énorme. Pour en mesurer l’ampleur, mentionnons que 2,4 milliards de dollars représentent le coût de l’emploi de 60 000 salariés du secteur public gagnant un salaire annuel de 40 000 dollars. D’un niveau moyen de 4,1 % au cours des dix dernières années, la croissance annuelle des dépenses de programmes chutera à des niveaux historiquement bas de 1,8 % en 2014-2015 et 0,7 % en 2015-2016, pour ne remonter qu’à 2,3 % l’année suivante. Les conséquences seront dramatiques pour les services publics. Le gouvernement affirme que de telles économies sont motivées par l’objectif défini comme prioritaire de la réduction du poids de la dette.
Le poids de la dette
En vertu de la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, adoptée en 2006, le gouvernement est tenu de réduire graduellement le rapport de sa dette au Produit intérieur brut (PIB) en visant à ce qu’il atteigne 45 % en 2026. Selon les données du budget qui vient d’être dévoilé, il déposera à cette fin dans le Fonds des générations, au cours des cinq prochaines années, des versements annuels dont le montant cumulatif est de 11 milliards de dollars. Le rapport de la dette au PIB sera ainsi porté à 50 % le 31 mars 2019, à partir de son niveau de 54,3 % le 31 mars 2014.
À des fins de comparaison, il est facile de vérifier que, si aucun versement n’était effectué dans le Fonds des générations pendant cette période de cinq ans, le rapport de la dette au PIB serait néanmoins réduit en 2019 à 52,5 %. Cela signifie que, pour gagner 2,5 modestes points de pourcentage dans la réduction du poids de la dette, le gouvernement se sera privé de 11 milliards de dollars, des milliards qui manquent dramatiquement à l’équilibrage du budget.
Cela signifie aussi que, même dans la situation actuelle d’une faible croissance du PIB, les chiffres du gouvernement permettent de prévoir que le rapport de la dette au PIB diminuerait de lui-même, sans versements au Fonds des générations, en raison d’une croissance de la dette plus faible que celle du PIB. Il va sans dire que l’atteinte de l’objectif de 45 % serait reportée à plus tard. Mais qui pourrait prétendre que cela serait pire que de porter un grave préjudice aux services publics ?
Faire le plein des revenus budgétaires
Nous sommes dans la situation incongrue suivante : depuis le déclenchement de la crise financière en 2007-2008, le solde budgétaire annuel du gouvernement est déficitaire, de sorte que sa dette augmente chaque année. Mais le gouvernement verse néanmoins chaque année des montants au Fonds des générations, dont l’objectif est de réduire cette dette ! Il le fait grâce à des revenus désignés comme étant « dédiés au Fonds des générations ». Ces revenus ne font que transiter par le budget sans en affecter le solde, pour être automatiquement versés à ce Fonds.
Ces revenus provenaient, à l’origine, essentiellement des redevances hydrauliques payées par Hydro-Québec et les producteurs privés d’électricité, et des revenus des placements du Fonds. Ils sont désormais grossis par des revenus de l’indexation du prix de l’électricité patrimoniale, de l’exploitation minière et d’une taxe sur les boissons alcooliques. D’un milliard de dollars en 2013-2014, ils augmenteront graduellement pour dépasser les 3 milliards annuels dans cinq ans.
Or, le gouvernement pourrait, par voie de législation, se dégager de son obligation de dédier ces revenus au Fonds des générations, voire abolir ce fonds. Il pourrait les transformer en revenus budgétaires réguliers, ce qui faciliterait l’équilibrage de son budget. Il pourrait par ailleurs contrôler la croissance de sa dette et faire en sorte qu’elle demeure inférieure à celle du PIB, comme elle l’est actuellement en dépit de la faible croissance du PIB, et laisser ainsi son poids (par rapport au PIB) diminuer de lui-même avec le temps. Cela, il va sans dire, ne l’empêcherait pas, dans des situations de sérieuses difficultés économiques, de la laisser augmenter pour financer des investissements publics à des fins de stimulation de l’économie.
Voilà une option soucieuse du contrôle de l’évolution de la dette et garante du maintien des services publics, à opposer à celle, qui leur est gravement préjudiciable, du budget Leitão.
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