Louis Gill
“Hommage à Jacques Peltier décédé le 19 janvier 2009.”
Un article publié dans le journal SPUQ-Info, Bulletin de liaison des professeurs de l’Université du Québec à Montréal, no 274, novembre 2009, page 6.
J’ai connu Jacques il y a quarante-cinq ans, en 1964, au collège Sainte-Marie où il était professeur au département d’économie avec Jacques Henry et Michel Forest. J’enseignais pour ma part au département de mathématiques du même collège avant de me joindre au département d’économie au début de l’année 1966-1967. De retour d’un congé de trois ans aux États-Unis où j’ai fait mes études doctorales, je l’ai retrouvé à l’automne 1970 à l’UQAM qui avait été créée entre-temps, en 1969. Il y exerçait les fonctions de Doyen des études de premier cycle. Tranchant avec la réserve administrative habituelle, il exhibait fièrement sur un mur de son bureau de doyen un portrait de Che Guevara. Non pas la célèbre affiche du Che révolutionnaire légendaire, mais la photo d’un Che sans béret et aux cheveux bien taillés dans sa fonction éphémère de président de la Banque nationale de Cuba, comme Jacques se plaisait à le dire avec l’éclat de rire que nous lui connaissons. Tout comme celui du Che dans les fonctions administratives cubaines, le séjour de Jacques dans celles de l’UQAM a été très bref. Nous nous sommes donc rapidement retrouvés comme collègues au sein du corps professoral, où j’ai eu le plaisir de m’impliquer avec lui sur une base soutenue dans la poursuite d’idéaux communs jusqu’à son départ de l’UQAM. Permettez-moi de rappeler brièvement avec nostalgie certains de nos meilleurs faits d’armes.
Le premier a été livré sur le terrain syndical. En 1974-1975, Jacques occupait la fonction de trésorier au sein du Comité exécutif du Syndicat des professeurs (SPUQ) dont notre regretté collègue Michel van Schendel du Département d’études littéraires était le président. C’est précisément au moment de l’entrée en fonction de ce Comité exécutif que le nouveau président de l’Université du Québec, Robert Després, a lancé un projet délétère de réforme de l’Université dont l’objectif était de concentrer tous les pouvoirs dans les mains du président, un véritable coup de force préparé dans le plus grand secret qui aurait eu pour effet, s’il avait été mené à terme, de mettre aux poubelles l’université collégiale et démocratique créée en 1968. Réagissant de toute urgence, le SPUQ, à la demande du Comité de liaison intersyndicale des syndicats de professeurs des constituantes de l’Université du Québec (CLIUQ), avait produit en août 1974 un texte d’analyse et de critique du projet, qui allait donner le coup d’envoi de la bataille à entreprendre dans toutes les constituantes de l’UQ pour faire échec au coup de force. Trois personnes s’étaient vu confier la responsabilité de la rédaction de ce texte : Jacques Peltier, Michel van Schendel et moi-même. Je suis très heureux d’y avoir contribué avec Jacques et Michel qui étaient non seulement des militants, mais aussi des amis.
On connaît la suite. Le coup de force de la réforme Després n’a finalement été mis en échec qu’au terme d’une grève de quatre mois des professeurs de l’UQAM, d’octobre 1976 à février 1977. Un an plus tard, Jacques et moi nous sommes retrouvés au centre d’une autre bataille épique, livrée celle-là sur le terrain du Département des sciences économiques. Après plusieurs années de tensions au sein du département quant à l’orientation du programme et aux réponses à donner aux revendications des étudiants à cet égard, l’Assemblée départementale décidait en mars 1978, au cœur d’une grève des étudiants de sciences économiques qui allait durer cinq semaines, de demander à l’Université que soient retirés de la banque de cours du département les cours relevant de l’approche marxiste et de les expatrier vers un autre département. Avec l’appui des étudiants, Jacques et moi avions alors mené à nous deux, seuls contre les onze autres professeurs du département qui avaient appuyé cette décision, un combat à finir au nom du nécessaire pluralisme de l’enseignement universitaire. Nous avions porté notre cause devant la Commission des études qui nous avait donné raison. Le pluralisme avait donc pu être maintenu au sein du département, qui a par ailleurs pu s’enrichir de l’arrivée immédiate de Gilles Dostaler dont l’embauche par le département avait été décidée quatre ans plus tôt, pour être à toutes fins utiles définitivement écartée l’année suivante. L’arrivée de Gilles a par la suite ouvert la porte à celle de Bernard Élie.
Dans la foulée de cette victoire, nous avions immédiatement élaboré un projet de constitution d’un département et d’un module d’économie politique rattachés au secteur des sciences humaines et avions lancé, en mai 1978, un document de consultation à cet effet. Nous avions élaboré un programme complet comprenant une description de chacun des cours. Nous disions de ce projet qu’il visait « l’objectif d’une formation complète, interdisciplinaire et tournée vers la réalité, s’inscrivant dans une perspective historique, institutionnelle, technique et critique ». Il n’a malheureusement pas connu de suite. Il a été, sous une forme modifiée, l’objet d’une tentative de relance dix ans plus tard, promu par une équipe plus large dont faisaient également partie Gilles Dostaler, Bernard Élie, Ruth Rose et Diane Bellemare. S’en est suivi une longue période de discussions entre des représentants de divers départements des sciences humaines, malheureusement sans plus de succès.
Comme ce projet lui tenait beaucoup à cœur, je dirais, sans lui prêter des propos que je ne l’ai pas entendu formuler, que sa non-réalisation est sans doute l’une des choses qu’il a le plus regrettées de sa carrière.
Salut, Jacques. Le bout de chemin que nous avons fait ensemble restera pour moi un très beau souvenir.
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