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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill, “LA NÉGOCIATION COLLECTIVE.” Communication présentée lors d’une séance de formation de la FQPPU, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, le 21 janvier 2011. [Texte diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur accordée le 20 juin 2011.]

Louis Gill

LA NÉGOCIATION COLLECTIVE”.

Communication présentée lors d’une séance de formation de la FQPPU, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, le 21 janvier 2011. [1]



Introduction
1 –   La négociation prise au sens large
2 –   Une transparence nécessaire
3 –   Non à la « négociation raisonnée » !
4 –   Oui à la négociation « traditionnelle » !
5 –   L’hypothèse de négociations conjointes
6 –   Le porte-parole
7 –   Protocole de négociation
8 –   Le déroulement de la négociation
9 –   L’hypothèse de la négociation en comités restreints
10 –  Un rapport de forces
11 –  Négociation et moyens de pression
12 –  Le recours à la grève
13 –  Comités d’appui
14 –  Le statut des comités d’appui
15 –  Le lock-out
16 –  Entente de principe
17 –  Bilan de la négociation
Conclusion


Je remercie la FQPPU de m’avoir invité à participer à cette rencontre. Je voudrais d’abord vous dire à quel titre je suis ici pour discuter avec vous de négociation collective. Je ne suis pas un théoricien des relations de travail. Je suis économiste et j’ai été professeur à l’UQAM de 1970 à 2001. J’ai été un militant syndical actif pendant toute cette période et j’ai occupé divers postes de direction au sein du SPUQ. Ces fonctions m’ont amené à participer à de nombreuses opérations de préparation, de négociation, d’application et de défense de conventions collectives et de renégociations partielles de certaines clauses en cours de convention.

J’ai été vice-président du syndicat lors de la préparation et de la négociation de la première convention collective du SPUQ en 1970-1971, qui était aussi la première convention collective signée par un syndicat accrédité de professeurs d’université affilié à une centrale syndicale, la CSN. En tant que président du syndicat en 1972-1973, j’ai été le porte-parole du comité de négociation lors de la réouverture de la négociation sur les salaires et le classement dans l’échelle salariale en 1972. J’ai ensuite été coordonnateur de la préparation du projet de deuxième convention collective et porte-parole du comité de négociation en 1973. Responsable du comité de grève pendant la grève de quatre mois en 1976-1977, j’ai été adjoint au comité de négociation dans la phase ultime de la négociation.

Après avoir été membre du Conseil syndical sans fonctions de direction jusqu’en 1994, j’ai occupé la fonction de 1er vice-président de 1994 à 2001. Au cours de cette période, j’ai été pour ainsi dire en négociation quasi permanente. J’ai été porte-parole du comité de négociation lors de la négociation des conventions collectives professorales signées en 1997 et 2000, de la première convention collective des maîtres de langue signée en 2000, des mesures d’économie de masse salariale exigées annuellement des professeurs de 1995 à 1998, du statut de doyen membre de l’unité d’accréditation syndicale en 1998, de l’amélioration de la retraite progressive, des congés sabbatiques, etc.

C’est en cette qualité d’ex-négociateur que j’interviens dans le cadre de cette rencontre. Il va sans dire que mes propos seront teintés de cette expérience. 


1 – La négociation prise au sens large

Prise au sens large, la négociation ne se limite pas au seul processus des rencontres entre comités syndical et patronal autour d’une table. Elle commence bien avant ce processus par la définition des objectifs et la préparation d’un projet de convention collective et se poursuit bien au-delà de la conclusion d’une entente, dans les modalités d’application de cette entente, par le dépôt de griefs, la signature de lettres d’entente qui apportent des modifications ponctuelles ou permanentes au texte de la convention et l’éventuelle renégociation de certaines clauses. Elle englobe les dimensions de l’information et de la mobilisation, de l’implication de l’ensemble du corps professoral, de la construction d’alliances, internes et externes et de la publicisation des enjeux. Elle est l’occasion d’expliquer que les conditions du travail professoral sont le fondement de la qualité de l’université, qu’il n’y a pas de recherche libre sans permanence ni sécurité d’emploi, qu’il n’y a pas d’enseignement ni de recherche de qualité sans un nombre adéquat de professeurs réguliers, investis dans les deux composantes indissociables de la tâche professorale universitaire que sont l’enseignement et la recherche, etc. À l’UQAM, notre première négociation en 1971 avait été menée sous le mot d’ordre « Défendre la qualité de l’université ». À des variantes de formulation près, c’est à la même enseigne que nous avons mené celles des quarante années suivantes.


2 – Une transparence nécessaire

L’implication de l’ensemble du corps professoral dans le processus de négociation, du début jusqu’à la fin, est une exigence absolue. La tâche comme telle de la négociation de la convention collective est évidemment confiée à un comité. Mais d’aucune manière ce comité ne doit-il s’autoriser ni être autorisé à se considérer et à agir comme un corps autonome prenant des initiatives sans s’assurer de leur adéquation avec les mandats qu’il a l’obligation de défendre, et sans solliciter un réajustement de ces mandats lorsqu’il estime que cela est nécessaire. Il y a incontestablement une part importante de discussions internes à la table de négociation dont il n’est ni nécessaire, ni opportun, que le contenu en soit exposé sur la place publique. Mais le comité de négociation doit toujours avoir à l’esprit qu’il n’agit pas en son nom propre et que sa force en négociation sera d’autant plus grande qu’il pourra se revendiquer de décisions réaffirmées sans ambiguïté en cours de négociation par les instances démocratiques du syndicat, le conseil syndical et l’assemblée générale.


3 – Non à la « négociation raisonnée » !

D’entrée de jeu se pose donc la question préalable du type de négociation dans lequel s’engager. Deux modalités s’opposent : la négociation qu’on pourrait qualifier de « traditionnelle », qui consiste dans la préparation préalable par chacune des deux parties d’un projet de convention collective annonçant clairement leurs intentions, à partir desquels les discussions s’engagent; et la négociation dite « raisonnée », en vertu de laquelle les parties engagent des discussions, non pas à partir de projets écrits distincts, mais à partir d’une « page blanche » et de « problématiques » devant être abordées « sans idées préconçues », « avec un esprit libre », avec l’objectif de cheminer ensemble vers un règlement par un processus dit « raisonné ». L’utilisation de ce terme pour qualifier la démarche suggère de manière abusive que la négociation traditionnelle utilisée jusque-là suivrait, elle, un processus déraisonné.

Dans ce contexte de la négociation « raisonnée », la partie patronale ne peut être contrainte à annoncer ses couleurs et à dévoiler en noir sur blanc ce qu’elle souhaiterait imposer. Elle vise à amener « dans la bonne entente » la partie syndicale à adhérer à son point de vue. Les négociateurs syndicaux, ayant en quelque sorte les mains liées par un règlement dont ils auraient contribué à élaborer le contenu, auraient par la suite à défendre auprès de leurs membres le règlement intervenu. Il faut à mon avis s’abstenir de s’engager dans un tel processus qui est le contraire de la voie démocratique à favoriser, celle qui associe l’ensemble du corps professoral à chaque étape de l’élaboration du projet et de sa négociation. La négociation raisonnée nous a été proposée à l’UQAM en 1995 et nous l’avons écartée d’emblée. L’administration s’est abstenue de tenter d’y revenir par après.

Je suis conscient de ce que tous ne partagent pas ce point de vue, mais je répète que j’interviens ici en tant qu’ex-praticien de la négociation, protagoniste d’un point de vue tranché sur la question, et non en théoricien objectif des relations de travail. Je souligne que cette question a déjà fait l’objet d’un débat au sein de la FQPPU. Les personnes intéressées sont invitées à lire les articles de Jean Goulet (Université de Sherbrooke), Louis Gill (UQAM), Renaud Paquet (UQAH) et Reynald Bourque (Université de Montréal) publiés sur le sujet dans le journal Université (vol. 5, no 2, mars 1996, p. 4; vol.5, no 3, mai-juin 1996, p. 5; vol. 6, no 1, octobre 1996, p. 10-11; et vol. 6, no 2, décembre 1996, p. 18-19).


4 – Oui à la négociation « traditionnelle » !

Je suis donc d’avis que le syndicat doit préparer lui-même, en toute autonomie et en toute démocratie, son projet de convention collective. La liste de ses revendications sera alors clairement dressée, correspondant à ce que les professeurs estiment nécessaire à l’exercice de leur travail. Elle permettra aussi en bout de ligne, une fois l’entente conclue ou le règlement imposé, de mesurer l’écart entre ces revendications légitimes et le résultat atteint. Ceci étant dit, il faut encore déterminer de quelle manière le projet de convention est élaboré. Il peut être entièrement préparé par les instances dirigeantes du syndicat (comité exécutif ou conseil exécutif) ou par un comité désigné à cet effet, puis soumis à l’assemblée générale pour adoption, avec ou sans amendements, après avoir été discuté par une instance intermédiaire comme le conseil syndical, ou sans être passé par cette étape.

Mais il y a une autre méthode, plus longue et plus démocratique, qui vise à impliquer l’ensemble du corps professoral dans la démarche d’élaboration. C’est celle que nous avons systématiquement employée au Syndicat des professeurs de l’UQAM depuis sa fondation. Avec des variantes, elle procède de la manière suivante. Elle consiste à impliquer dès le départ les assemblées départementales dans un processus de consultation sur les grandes orientations du projet à élaborer. À cet effet, le comité exécutif prépare un bref document qu’il expédie à tous les professeurs et sollicite des assemblées départementales qu’elles reçoivent ses représentants aux fins d’une discussion sur les enjeux de la négociation et sur les améliorations qu’elles souhaiteraient voir apporter à la convention en vigueur. Pour ne citer que ces exemples, le taux de réponse à cette sollicitation a été de 58 % en 1995, de 86 % en 1999-2000 et de plus de 90 % en 2006.

Suivent un bilan de la consultation, puis un projet complet de convention qui sont expédiés à tous les membres. Ce projet est d’abord débattu lors de plusieurs réunions du conseil syndical où des amendements sont apportés. Au terme du processus, c’est l’assemblée générale qui est appelée à se prononcer sur le projet amendé qu’elle peut encore amender. Le processus est long, mais il est motivé par la volonté d’associer le plus grand nombre de professeurs à une élaboration démocratique qui sera le fondement de l’action à mener pour obtenir satisfaction des demandes.

Logiquement, c’est lors de cette assemblée générale qu’est aussi élu le comité de négociation, dont les membres pressentis acceptent ou refusent d’être mis en candidature en fonction de leur accord ou de leur désaccord avec le projet qu’ils auront le mandat de défendre. La composition du comité devrait refléter le mieux possible la diversité des disciplines de manière à assurer la meilleure défense de leurs demandes spécifiques.


5 – L’hypothèse de négociations conjointes

Contrairement à ce qui se passe en général dans les secteurs public et parapublic, où les négociations se déroulent pour l’essentiel à une table centrale et à des tables sectorielles selon les clauses des conventions collectives, dans le secteur universitaire les négociations se sont jusqu’à maintenant toujours déroulées au niveau local, même si le bailleur de fonds est le même, le gouvernement, et si de nombreux objectifs sont communs aux diverses universités et débordent le cadre local. Cela est un problème qui devra bien, tôt ou tard, être abordé sérieusement. La prise de conscience de la nécessité d’une action commune en appelle toutefois une autre, celle des difficultés à surmonter les particularismes locaux, des craintes des plus petites universités de se retrouver sous l’hégémonie des plus grandes, et de l’élitisme des plus grandes qui, se désignant parfois pompeusement comme des « universités de recherche », préfèrent se comparer aux grandes universités de ce monde (celles « du G7 ») et se tenir loin de ce qu’elles considèrent tacitement comme une plèbe à fréquenter le moins possible.

Il faut savoir toutefois qu’au moins une tentative sérieuse de mener une négociation commune de plusieurs universités, toutes des constituantes de l’Université du Québec, a déjà eu lieu. C’était en 1975-1976. Un projet commun de convention collective avait été préparé au sein d’un organisme désigné comme le Comité de coordination des négociations dans le secteur universitaire (CCNSU) pour l’ensemble des constituantes dont les conventions collectives venaient toutes à échéance à la même date, le 31 mai 1976. Mais, pour des raisons dont les explications débordent le cadre de la présente rencontre, ce front commun n’a pas franchi le seuil de quelques actions communes et les négociations se sont déroulées au niveau local [2].


6 – Le porte-parole

Le porte-parole du comité de négociation peut être un élu, membre du corps professoral et du syndicat, ou un conseiller technique dont les services sont offerts dans le cadre d’une affiliation syndicale, comme celle du SPUQ à la CSN, ou en vertu d’un contrat ad hoc. Ma préférence personnelle est sans hésitation en faveur d’un membre du syndicat. Mais il n’y a pas d’absolu en cette matière. Nous avons bénéficié au SPUQ, dès sa création, de services techniques de la CSN dont la valeur a été pour nous inestimable. Je souligne en particulier, comme je le fais chaque fois que l’occasion se présente, l’extraordinaire travail accompli par le conseiller Paul Thibault, non seulement en tant que porte-parole lors de notre première négociation, mais tout autant dans le processus d’élaboration du projet de convention à partir des ruines de celui de l’APUQ, l’association de boutique qui a précédé le SPUQ, et dans la construction de la mobilisation essentielle à l’appui de la négociation. Nous lui devons tous, ceux d’entre nous qui étions présents à la première heure, de nous avoir donné cette formation essentielle de base et de nous avoir pour ainsi dire mis au monde syndicalement.

La condition essentielle que doit satisfaire un porte-parole est une connaissance et une maîtrise parfaites du dossier. Cela exige une préparation rigoureuse avant chaque séance de négociation, une préparation aussi complète que celle qui est nécessaire pour donner un cours universitaire impeccable. Bien entendu, le porte-parole n’est pas seul. Les autres membres peuvent et doivent intervenir et l’appuyer. Si des divergences devaient surgir entre les membres du comité syndical en cours de négociation, il faudrait évidemment éviter de les laisser transparaître devant les représentants patronaux qui identifieraient une faiblesse dans le camp adverse et ne manqueraient pas de l’utiliser. Dans une telle situation ou pour toute autre raison, il ne faut jamais hésiter à demander une suspension et à se réunir en caucus syndical pour ajuster le tir de manière à intervenir à l’unisson.


7 – Protocole de négociation

Avant de commencer les négociations, on signe un protocole de négociation qui définit les règles de conduite de la négociation. On précise notamment la portée des ententes qui seront conclues et paraphées et le mode de leur ratification définitive. Un paraphe est une inscription, en marge d’une clause ou d’un article, des initiales des porte-parole des deux parties, signifiant qu’il y a eu entente et qu’on ne reviendra pas sur ces dispositions. La seule remise en question possible est celle des instances décisionnelles des deux parties, le Conseil d’administration de l’Université et l’Assemblée générale du Syndicat. Cette précision est généralement inscrite dans le protocole de négociation.


8 – Le déroulement de la négociation

Normalement, on commence par une présentation générale des projets et par une motivation des demandes ou des offres. Si la partie syndicale, par exemple, juge que les propositions patronales sont déraisonnables et ne peuvent constituer une base de départ des discussions, elle doit le faire savoir à la partie adverse et peut lui annoncer qu’elle doit retourner devant ses membres pour les en informer. Il est de bonne guerre dans ces circonstances d’appeler l’assemblée générale à rejeter les offres patronales à une forte majorité sinon à l’unanimité et à confirmer son appui aux demandes syndicales avec la même clarté, pour pouvoir le signifier à la partie patronale à la rencontre suivante et lui réitérer que son projet n’est pas une base de négociation.

Si le projet patronal est jugé comme pouvant constituer un point de départ de la négociation, on peut procéder à un déblayage des clauses sur lesquelles il y a d’entrée de jeu entente (clauses reconduites par les deux parties), les parapher et continuer les discussions sur les autres clauses. On explore les possibilités de compromis sur certaines clauses.

Dans l’élaboration d’hypothèses de compromis, il faut toujours viser à prendre l’initiative des textes. La formulation patronale peut toujours contenir une attrape qui n’est pas visible au premier coup d’œil. Une reformulation syndicale traduisant exactement les demandes syndicales, soumise en contreproposition, peut permettre l’expression d’une réticence patronale qui révèle anguille sous roche.

Lorsqu’on est dans le doute quant à l’élaboration d’une hypothèse de compromis, a fortiori s’il n’y a pas d’unanimité à l’intérieur du comité de négociation, il faut porter le débat devant des instances plus larges. Ce principe a une valeur générale. Pour quelque question qui est l’objet de litige, il ne faut jamais hésiter à la porter jusqu’à l’assemblée générale si nécessaire, même lorsqu’on craint d’y être défait.


9 – L’hypothèse de la négociation
en comités restreints

Étant partisan de l’élargissement des débats et de leur déroulement au grand jour, je suis contre les propositions souvent amenées par la partie patronale de négocier en comité restreint sous prétexte de favoriser le déblocage de négociations dans l’impasse. Les coulisses ne sont pas un lieu de prédilection pour les syndicats qui ont tout à gagner d’un fonctionnement dans la complète transparence. Le SPUQ s’est laissé embarquer dans de telles négociations en comité restreint pendant la grève de 1976-1977 et s’en est mordu les pouces par après.


10 – Un rapport de forces

Toutes ces remarques demeurent théoriques si on oublie que la négociation n’a rien d’un dialogue rationnel entre personnes intelligentes, d’où la raison devrait jaillir triomphante. La négociation est au contraire un rapport de forces entre parties défendant des objectifs opposés. Pour établir ce rapport de forces en sa faveur, le syndicat doit ne laisser aucun doute quant à sa volonté d’arriver à ses fins et de prendre les moyens nécessaires pour ce faire.


11 – Négociation et moyens de pression

Cela nous amène à l’articulation incontournable entre négociation et moyens de pression. Diverses propositions sont inévitablement mises de l’avant à cet égard, de divers niveaux de radicalité : refus d’accomplir certaines tâches (inscriptions, remise de notes, etc.), manifestations à l’intérieur ou à l’extérieur des locaux, occupation temporaire de locaux administratifs, harcèlement des cadres, journées d’étude, grève, circonscrite dans le temps, perlée, ou générale et illimitée.

Avant d’en arriver au recours ultime à la grève, on voit souvent ressurgir la proposition du recours à l’arbitrage. Une telle proposition, qui constitue une abdication de l’exercice complet du contrôle démocratique de nos conditions de travail en laissant à un tiers le soin de trancher la poire et de déterminer ces conditions à notre place, est à rejeter.


12 – Le recours à la grève

On ne vise pas à recourir à la grève, mais on peut y être contraint. Il faut donc la préparer. Le seul fait de la préparer et de démontrer qu’on est prêt à y recourir s’il le faut, peut faciliter un règlement sans grève. C’est ce qui est arrivé à l’UQAM en 1973. Toute la structure de grève était prête, tous les comités étaient mis sur pied, et la négociation s’est soldée par un règlement avantageux sans grève.


13 – Comités d’appui

Pour qu’une négociation soit efficace, il faut qu’elle soit épaulée par une structure d’appui qui sera transformée le cas échéant en structure d’appui à la grève. La structure d’appui à la négociation comprend des comités d’information et de communication (chargés de rédiger des communiqués de presse, des articles pour les journaux, de distribuer l’information quotidienne aux membres sur l’état de la négociation, l’information aux autres syndicats, etc.), de liaison (chargé d’organiser la solidarité avec les autres groupes et associations de l’université et les autres syndicats). Ces comités seront appelés à un rôle encore plus important pendant la grève. On leur adjoindra au sein de la structure d’appui à la grève des comités de secrétariat, de finances, d’organisation du piquetage, de confection de banderoles et de pancartes, de préparation et distribution de sandwich sur les lignes de piquetage, de distribution des prestations de grève, de secours financiers aux membres en difficulté, d’organisation de manifestations, d’assemblées publiques, de colloques, etc., de sollicitation d’appuis moraux et financiers, de défense juridique, de loisirs, etc.

Au chapitre des appuis moraux, il convient de rappeler ce coup de maître réalisé lors des grèves simultanées du SPUQ et du SPUL en décembre 1976 qui avait amené 25 personnalités connues des domaines des arts, des sciences, du journalisme, du monde universitaire et du monde syndical à prendre clairement position en faveur des syndiqués de l’UQAM et de Laval. En voici un extrait :


Ce n’est pas en renforçant encore son appareil directoriel qu’on pourrait songer le moindrement à assurer la liberté de l’université, son rajeunissement, sa créativité et ses possibilités d’adaptation. C’est bien plutôt au contraire en reconnaissant à ceux qui au premier chef constituent l’université et en vivent quotidiennement les exigences, c’est-à-dire les professeurs, un minimum de pouvoirs consultatifs efficaces, des moyens élémentaires de contestation de certaines décisions et aussi de critique, sans oublier une liberté académique et politique qui ne doit pas être exposée à diverses pressions. Nous croyons que l’attitude patronale dans ces conflits est fautive dans sa conception même. Il est urgent qu’elle soit vigoureusement modifiée. Nous demandons donc instamment aux autorités universitaires et au gouvernement d’aborder tout le problème dans un esprit fort différent.


Cette déclaration avait été signée par : Hubert Aquin, Pierre Bélanger, Robert Boily, Paul Cliche, Pierre Dansereau, Jacques Dofny, Evelyn Dumas, Fernand Dumont, Gérald Godin, Jacques Grandmaison, Jean Hamelin, Arthur Lamothe, John Lipkin, André Major, Gaston Michaud, Hélène Pelletier-Baillargeon, Marcel Pepin, Pierre Perreault, François Ricard, Marcel Rioux, Léo Roback, Guy Rocher, Fernande Saint-Martin, Fernand Seguin et Pierre Vadeboncœur.


14 – Le statut des comités d’appui

Il est souhaitable que les divers comités de la structure d’appui soient coordonnés au sein d’un comité de grève. Pour assurer une meilleure coordination entre toutes les instances agissantes du syndicat dans le feu de l’action, le comité de grève, le comité de négociation et le conseil exécutif peuvent, et doivent selon moi, être réunis au sein d’une instance de coordination générale désignée comme le comité de stratégie. C’est ce que nous avions fait en particulier lors de la grève du SPUQ de 1976-1977. Les divers comités de la structure de grève sont nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques de la grève. Il est toutefois de toute première importance que ces comités ne se conçoivent pas ni ne soient conçus comme des comités autonomes échappant aux instances régulières démocratiques du syndicat. Créés par ces instances, ils relèvent d’elles et doivent leur rendre des comptes. Ils sont conçus pour renforcer le syndicat dans son unité et ne peuvent sous aucun prétexte agir comme des entités affranchies du contrôle collectif.


15 – Le lock-out

Le pendant du droit des syndiqués de recourir à la grève est le droit de l’administration de décréter un lock-out. Et le moment privilégié qui s’offre à elle pour le faire est le début des vacances d’été, alors que le syndicat n’a pour ainsi dire aucun moyen de riposter. La seule manière d’éviter de se retrouver dans une telle situation est de choisir le moment d’un éventuel affrontement en prenant les dispositions du déclenchement d’une grève en début de session, de préférence au début de la session d’automne.

16 – Entente de principe

À moins d’un échec de la négociation qui mènerait à l’imposition d’un règlement par voie législative, la négociation devra se conclure par une entente de principe qui sera soumise à l’assemblée générale et devra être entérinée par elle. Si tel est le cas, tout ne sera pas encore terminé. Il restera à conclure un protocole de retour au travail énonçant notamment des garanties qui ne sont pas prévues dans le règlement négocié de la convention collective, parce qu’elles visent d’autres syndicats de l’établissement qui n’étaient pas en grève, mais dont les salaires sont menacés de coupures, ainsi que les étudiants affectés par des prolongations de session, etc. Souvent, les négociations de protocoles de retour au travail sont fort pénibles et risquent même de remettre en question le règlement de la convention collective.


17 – Bilan de la négociation

Un bilan de la négociation ne peut se limiter à apprécier la seule lettre du règlement. Le résultat doit être évalué relativement, en tenant compte d’autres facteurs tels les demandes syndicales et les objectifs patronaux de départ, ainsi que le contexte général.

*******

Pour conclure, voici, une liste sommaire de principes qui devraient guider la négociation :


  • La négociation au sens large, englobant la préparation et la négociation comme telle, doit être un processus démocratique au sein duquel l’ensemble du corps professoral est associé à chaque étape.

  • Il faut en conséquence rejeter la voie de la négociation dite « raisonnée ».

  • La négociation n’est pas un dialogue entre personnes rationnelles à la recherche d’objectifs communs et vouées à s’entendre. Elle est un rapport de forces entre intérêts opposés.

  • Un comité de négociation ne doit jamais se considérer comme autonome, pas plus qu’un comité d’information, un comité d’appui à la négociation ou un comité de grève. Tout comité doit relever des instances démocratiques du syndicat et être soumis à leur contrôle collectif.

  • Ne jamais hésiter, chaque fois que cela nécessaire, à consulter les instances démocratiques du syndicat et à solliciter d’elles un mandat clair.

  • Lorsque des divergences surgissent en comité, il faut élargir le cadre de la discussion en la déplaçant vers une instance plus large.

  • Une condition essentielle du travail du porte-parole à la table de négociation est la connaissance et la maîtrise parfaites du dossier.

  • Toujours prendre l’initiative de la rédaction des textes ou les reformuler dans des termes qui traduisent exactement la volonté syndicale.

  • Se méfier des propositions patronales de négociation en comité restreint. Les coulisses ne sont pas un lieu de prédilection pour les syndicats qui ont tout à gagner d’un fonctionnement au grand jour, dans la complète transparence.

  • Il faut rejeter les propositions de recours à l’arbitrage, qui constituent un abandon du contrôle démocratique du syndicat sur les conditions de travail des membres.

  • L’évaluation des résultats d’une négociation doit mettre ceux-ci en rapport avec les demandes syndicales et les offres patronales de départ et avec le contexte général.


[1] La présente version incorpore des amendements mineurs à la version présentée en séance.

[2] Voir Louis Gill, Trente ans d’écrits syndicaux, publication du SPUQ, 2002, p. 63-70.



Retour au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste québécois, retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 30 juin 2011 15:32
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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