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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis Gill (2002), La question nationale au Québec . Montréal, septembre 2002. Article publié en portugais au Brésil par la revue Politeia, vol. 2, no 1, septembre 2002.
La question nationale au Québec
par Louis Gill, économiste, département de sciences économiques, UQAM. septembre 2002
I - Les origines historiques de loppression nationale du Québec
a) De la conquête britannique à la Confédération b) Les deux Canada c) La rébellion de 1837-38 d) La fusion des deux Canada e) Les Pères de la confédération préparent le projet confédéral f) La guerre de 1914-1918 g) Le Statut de Westminster h) De nouveau à la rescousse de la « mère-patrie » i) Lempiétement du fédéral j) La nouvelle politique étrangère du Canada k) Lenquête Tremblay l) 1960 : l« équipe du tonnerre » m) Manifestations et répression n) Lélection du PQ
II - La question nationale au Québec du référendum de 1980 à aujourdhui
a) Le coup de force constitutionnel de 1982 b) La politique sociale du PQ lécarte du pouvoir c) Laccord du Lac Meech et léchec constitutionnel de 1990 d) Les organisations syndicales en faveur de lindépendance e) Laccord de Charlottetown et léchec constitutionnel de 1992 f) Le référendum québécois de 1995 sur la souveraineté g) Les politiques néolibérales du PQ menacent la souveraineté h) De nouvelles impasses i) Des mesures juridiques et législatives contre lautodétermination j) PQ, PLQ, ADQ k) 2002 : 20e anniversaire du « rapatriement » unilatéral
Remarque préliminaire:
Texte publié en portugais dans la revue brésilienne Politeia (volume 2, no 1) publiée au Brésil..
L'article comprend deux parties. La première, qui a pour objectif de présenter les fondements historiques de la question nationale au Québec et au Canada, est extraite dun document politique du Regroupement des militants syndicaux (RMS) diffusé au Québec en 1978, intitulé Non au fédéralisme. Non à la souveraineté-association. Pour lindépendance du Québec. Lanalyse politique sous-jacente à ce texte a été élaborée au sein du Groupe socialiste des travailleurs (GST). Le RMS et le GST, organisations dont je fus un militant actif, nexistent plus aujourdhui. La deuxième partie dresse, à la lumière de lanalyse présentée dans la première partie, un portrait des événements principaux qui se sont déroulés sur le terrain de la question nationale au Québec depuis cette date.
Louis Gill, septembre 2002
- I - Les origines historiques de loppression nationale du Québec
(Extraits dun document diffusé en 1978, intitulé: Non au fédéralisme. Non à la souveraineté-association. Pour lindépendance du Québec)
La question nationale au Québec prend ses origines dans la manière dont le Canada sest fondé comme instrument doppression nationale. Pour comprendre la nature de loppression nationale à laquelle le peuple du Québec est soumis, il est donc nécessaire de revenir sur ces origines historiques.
a) De la conquête britannique à la Confédération
En 1763, la France cède définitivement le Canada à lAngleterre. Cette dernière installe alors un régime colonial qui permettra aux marchands anglais de semparer du commerce des fourrures, du bois et des pêcheries et de prendre la place des entrepreneurs français. Quelques seigneurs et le clergé de lancien régime collaboreront avec les nouveaux maîtres mais leur influence ne sera que secondaire aux niveaux politique et économique.
La conquête consacre la domination et loppression du peuple canadien-français dont lexistence et lidentité sont désormais menacées. Lessentiel de la politique de la Grande-Bretagne, à partir de 1770, prenant appui sur les classes conservatrices dont elle obtient la loyauté, cest la sauvegarde des intérêts de lEmpire britannique contre la menace de la révolution américaine. Celle-ci gagne des sympathies réelles dans de larges secteurs de la population canadienne alors que la classe dominante et son bras religieux cherchent à influencer la population en faveur de lEmpire.
b) Les deux Canada
Pour contrer la menace dune révolution bourgeoise et dune république, il faut consolider le régime colonial au Canada en le divisant en parties dans lapplication du vieux principe «diviser pour régner». Cest ainsi quen 1791, une loi du Parlement de Londres divise le Canada en deux parties, le Bas-Canada et le Haut-Canada. Les deux Canada, en réponse aux réclamations de la population, auront chacun une assemblée législative élective. Toutefois cette assemblée est purement consultative, le pouvoir demeurant totalement aux mains du Gouverneur nommé par Londres et des membres des conseils législatif et exécutif nommés par lui. Ces structures politiques sont assujetties à la Prérogative Royale, cest-à-dire au pouvoir de Londres daccepter, de refuser ou dimposer toute loi jugée conforme aux intérêts de la Grande-Bretagne.
Ainsi, se développent deux entités distinctes, lune francophone dans le Bas-Canada et lautre anglophone dans le Haut-Canada. Le régime restant foncièrement colonial et lié aux intérêts de la Grande-Bretagne crée un vif mécontentement généralisé parmi la population du Haut et du Bas-Canada. Les paysans, les ouvriers, et les marchands se révoltent contre les lois restrictives de la propriété foncière aristocratique et cléricale, contre les lois restrictives sur le commerce et la production, contre le transfert des terres à des spéculateurs de Londres, etc.
c) La rébellion de 1837-38
Ce mouvement de révolte atteint son paroxysme dans les années 1837-1838. Les revendications sexpriment dans deux mouvements distincts dans le Haut et le Bas-Canada, bien que des contacts et des stratégies sur une base dunité révolutionnaire se soient établis entre les deux groupes. En 1837, une proposition des révolutionnaires de Toronto avait comme perspective une véritable confédération basée sur le triomphe de la révolution et de lindépendance de lunion détats souverains démocratiques bourgeois. Il sagissait dans cette proposition dune union venant den bas par opposition à lunion venant den haut imposée par ladministration coloniale.
En 1838, Robert Nelson, au nom du Gouvernement provisoire du Bas-Canada, proclame la Déclaration dindépendance dans laquelle il était affirmé que le peuple du Bas-Canada est absout de toute allégeance à la Grande-Bretagne, que le Bas-Canada se déclare maintenant de fait République, que tous les citoyens auront les mêmes droits, que toute union entre lÉglise et lÉtat est déclarée abolie.
Dans le Haut-Canada une déclaration appelée le Septième rapport des griefs de lassemblée du Haut-Canada reprenait sensiblement les mêmes revendications. Ces deux déclarations montrent bien quil sagissait dauthentiques mouvements révolutionnaires démocratiques. Comme dans les autres révolutions bourgeoises à cette même époque, ce sont les masses paysannes et ouvrières qui forment les forces combattantes de la révolution. Ce phénomène coïncide dailleurs avec les revendications pour lorganisation des travailleurs en syndicats. Des organisations ouvrières anglaises et le mouvement chartiste appuient le mouvement révolutionnaire canadien. La London Workingmens Association tient à Londres une assemblée spéciale sur les événements dans les colonies canadiennes et envoie un message dappui qui associe la lutte pour la démocratie politique à celle de la classe ouvrière pour le triomphe de ses intérêts. Les masses, toutefois, nont pas de parti distinct et elles nont pas la direction du mouvement. Lintervention armée de la métropole mettra les dirigeants bourgeois en fuite, ou par peur des masses, convaincra ces derniers de rester fidèles à lEmpire.
d) La fusion des deux Canada
Par la suite, lActe dUnion en 1840 vient dresser lune contre lautre les populations anglaise et française en fusionnant les deux Canada et en créant une seule assemblée législative avec égalité de sièges en dépit du fait que la population française demeure majoritaire. En somme, lActe dUnion maintient loppression de base de lancien régime mais vise à faire diminuer la pression des masses au moment où en Europe ces dernières sont en plein ébullition. Les classes dominantes dans la population française se composent alors dune bourgeoisie reliée à la petite entreprise et à la culture du sol, du clergé et dun personnel politique au service des intérêts de lEmpire.
e) Les Pères de la confédération préparent le projet confédéral
En 1864, se tiennent deux conférences qualifiées de «constitutionnelles». Ces réunions élaborées den haut par le personnel politique de lEmpire ne seront pas des constituantes et les promoteurs de lUnion ne seront nullement mandatés par leurs populations. Elles se déroulent en plus sous le signe du secret, comme le laisse entendre John A., Macdonald [note 1]:
Étant donné quil serait évidemment absurde de soumettre à la population les détails complexes dune telle mesure, il ne sagit pas dobtenir sa sanction avant de demander au Gouvernement impérial de présenter un projet de loi au Parlement britannique... Une fois la loi adoptée sans possibilité de recours, la population apprendra vite à laccepter.
Le 29 octobre 1864, Georges-Étienne Cartier, bras droit de Macdonald, ajoute [note 2] :
En ce moment, nous travaillons à fonder ici une grande confédération mais notre objet nest point de le faire par la création dinstitutions démocratiques, non ; cest plutôt daider lélément monarchique à prendre parmi nous de plus profondes racines. (...) que la nouvelle forme de gouvernement doit être propre à accroître linfluence et le prestige des principes monarchiques dans notre système politique.
Ce projet de « confédération » est donc un projet de nature impériale. LActe de lAmérique du Nord Britannique crée une union fédérale sans lavis des populations concernées. LAANB, étant une loi du Parlement de Londres, tient lieu de constitution mais nest pas une véritable constitution comme on lentend quand on parle des constitutions française ou américaine. Aucune revendication démocratique ny est inscrite. LAANB est en fait un instrument de loppression du Canada français. LActe de 1867 a construit lÉtat canadien sur la base de cette oppression, sur les plans économique, politique, culturel et social.
LActe de 1867 maintient comme précédemment la main haute de Londres sur les pouvoirs exécutif et législatif : chambre haute non élective aux niveaux fédéral et provincial, dont les membres sont choisis par le gouverneur général, représentant de la reine. Celui-ci nomme également tous les juges des cours fédérales et provinciales. La Prérogative Royale est maintenue. LAANB consacre le privilège du clergé sur le système scolaire. LActe de 1867 ne satisfera aucune des revendications de 1837.
Après 1867, lÉtat impérial fédéral créera les provinces du Manitoba en 1870 et de la Saskatchewan en 1885 par lécrasement des Métis de Fort Garry (St-Boniface) et de Louis Riel et John Bruce.
La guerre de 1914-1918
Lors de la première guerre mondiale, la bourgeoisie canadienne volera à la défense de la Grande-Bretagne. Le gouvernement canadien instituera le service militaire forcé (la conscription) qui déclenchera, surtout en 1914, un mouvement général de protestation dans tout le Canada. Ce mouvement atteindra au Québec des moments insurrectionnels. Dans ce contexte, les membres du gouvernement proclament quil incombe à toutes les colonies de courir à la rescousse de la mère-patrie.
Le Statut de Westminster
Avec le déclin de lEmpire britannique, concédé en 1931, le Statut de Westminster semblait enfin vouloir laisser une plus grande autonomie au Canada. Pour le Canada, le Statut de Westminster abolissait la Prérogative Royale et certaines lois (défense et commerce) antérieures qui définissaient les relations avec la métropole. Mais la révolution démocratique bourgeoise nétait pas achevée pour autant : lAANB demeurait toujours sous la juridiction du Parlement de Londres.
De nouveau à la rescousse de la « mère-patrie »
En 1942, un grand débat sengage au Parlement canadien sur lopportunité de fournir un don dun milliard de dollars en vivres et matériel de guerre à la Grande-Bretagne et sur la tenue dun plébiscite pour relever le Gouvernement de ses engagements au sujet du service militaire outre-mer.
Ce grand débat politique avait déjà commencé lors de la campagne électorale provinciale de 1939. À cette occasion saffrontaient les forces nationalistes et autonomistes de Maurice Duplessis et les libéraux qui sengageaient solennellement à ne jamais prôner la conscription. Les libéraux remportèrent une éclatante victoire. Cest ainsi quen 1942, la question de la conscription suscita un très vif débat chez les Québécois. Ces derniers se rappelaient fort bien les promesses que lui avaient faites les politiciens en 1939.
La conscription put finalement être imposée à cause de la nature anti-démocratique du Canada. En effet, en sappuyant sur une campagne de propagande effrénée, le gouvernement libéral obtint une majorité de votes favorables à la conscription au Canada anglais, mais il subit un cinglant échec au Québec où la population vota très majoritairement contre la conscription. Peu importe, le gouvernement joua sa majorité fédérale contre la majorité du Québec et décréta la conscription. Encore une fois lorigine de lunion confédérative forcée remontait à la surface.
Lempiétement du fédéral
Durant les années de guerre, le Gouvernement fédéral en profita pour empiéter sur les juridictions provinciales sous le prétexte que leffort de guerre exigeait une très forte centralisation. Cest ainsi que le Gouvernement central institua lassurance-chômage en 1941 et les allocations familiales en 1944. Ces mesures étaient en même temps des concessions obligées aux travailleurs. Il fallait bien que le gouvernement paye en concessions une partie du prix de la conscription.
Après la guerre, le Gouvernement central avait lintention de continuer à centraliser de plus en plus dans le sens des
... pères de la Confédération qui pour la plupart favorisaient létablissement dune union législative, voulant réduire les gouvernements provinciaux au rand de simples conseils de comtés [note 3].
LOntario et le Québec, en 1945-1946, refusaient de céder de leurs pouvoirs et le Gouvernement fédéral conclut alors des accords séparés avec les autres provinces.
La nouvelle politique étrangère du Canada
Un autre sujet dimpasse est la politique étrangère du Canada à la suite à la deuxième Grande Guerre. La bourgeoisie canadienne a toujours donné spontanément son appui à la Grande-Bretagne dans les conflits qui la touchaient. Mais devant linfluence considérable des États-Unis sur le plan international depuis la Première Guerre mondiale, la bourgeoisie sera coincée entre ses intérêts politiques et économiques envers la mère-patrie et ses intérêts économiques de plus en plus liés à ses voisins du Sud. Avec la guerre de Corée, et la participation du Canada à ce conflit, cest linfluence de limpérialisme américain qui commence à être déterminante. Cette influence ne cessera de saffirmer et de saccroître jusquà aujourdhui.
Lenquête Tremblay
En 1953, lenquête Tremblay, instituée par le premier ministre du Québec Maurice Duplessis, avait comme mandat de scruter toute la question de lautonomie provinciale et den arriver à une politique claire face aux relations fédérales provinciales. Les conclusions du rapport ne furent jamais mises en pratique, Duplessis préférant saccommoder des nouvelles ententes fiscales quil avait conclues avec Ottawa. Cette tentative en vue daménager dans le cadre fédéral une solution au conflit Ottawa-Québec a évidemment échoué et le problème reste entier de nos jours. La crise actuelle de lunité canadienne en est une preuve.
1960 : l« équipe du tonnerre »
En 1960, le parti de Duplessis, lUnion nationale, est battu par le Parti libéral alors sous les guides de Jean Lesage. Cette victoire marque le rejet du régime réactionnaire de Duplessis et aussi du gouvernement conservateur anti-québécois de Diefenbaker à Ottawa. Les libéraux de Lesage ont canalisé vers eux ce double rejet en labsence dune alternative véritable au duplessisme.
Le Parti Libéral prend le pouvoir à Québec avec un programme qui fait écho aux aspirations nationales des Québécois, mais en cherchant à les contenir dans le cadre fédéral et à les détourner au profit de la bourgeoisie du Québec. Le programme du Parti Libéral à ce moment-la parle par lui-même : création du ministère des Affaires culturelles (Office de la langue française, Département du Canada français doutre-frontières, Conseil provincial des arts, etc.).
Les libéraux sont réélus par la suite en 1962 avec le slogan «Maître chez nous» et avec comme objectif le rachat à gros prix des compagnies délectricité. Mais alors que les aspirations sociales (grèves, etc.) et nationales (mouvement indépendantiste) samplifient, le gouvernement libéral montre son vrai visage et cherche à enrayer ces aspirations. Il est battu en 1966. LUnion nationale prend le pouvoir avec une minorité de votes et une majorité de sièges. Son chef, Daniel Johnson, à son tour, joue sur les aspirations nationales avec son slogan «Égalité ou indépendance» , mais il ne sagit que dun slogan.
Durant les années soixante, apparaissent divers mouvements nationalistes tels que le Rassemblement pour lindépendance nationale (RIN), le Ralliement national (RN), le Mouvement souveraineté-association (MSA) et finalement, le Parti québécois.
Le RIN était au début des années soixante un groupe de pression, puis il sest transformé en parti politique et a récolté environ 6% du vote populaire avec très peu de candidats en 1966. Le parti nationaliste de droite de Gilles Grégoire, le Ralliement national, récolte environ 3% du vote lors de cette même élection. Le RIN était surtout dorigine petite-bourgeoisie urbaine (professionnels, intellectuels...), tandis que le RN prenait sa source dans le milieu rural. La crise couve au Parti libéral sur la question nationale. Puis cest la scission. René Lévesque sen va alors que le congrès du parti a rejeté son option souveraineté-association. Il fonde le MSA qui donnera naissance au Parti québécois. Le RIN et le RN se saborderont en faveur du PQ. En 1970, le PQ récolte 24% du vote et une poignée de députés. En 1972, il ramasse 31% du vote et encore quelques députés. Enfin, le 15 novembre 1976, il prend le pouvoir avec 43% du vote et 71 députés.
Ces divers mouvements ou partis nationalistes sont nés et ont été dirigés dabord par des éléments petits-bourgeois et repris en main par une aile dissidente du Parti libéral. Les travailleurs nont jamais eu leur mot à dire dans la direction ou lorientation de ces mouvements quoique ces partis aient toujours «flirté» avec les travailleurs, prétendant défendre tout le monde, donc aussi les travailleurs.
Manifestations et répression
Parallèlement au développement des partis nationalistes, les Québécois dans les années suivantes ont souvent eu loccasion dexprimer leur profond sentiment de rejet du fédéralisme canadien. Quon se rappelle les manifestations contre Donald Gordon, alors président du Canadien National, contre lHôtel Reine-Élisabeth, pour le McGill français, lémeute de la St-Jean-Baptiste, etc... À cela sajoute la branche terroriste du mouvement indépendantiste qui sest exprimée dans les vagues successives du Front de libération du Québec à partir du milieu des années 60.
La répression du régime en place contre ces diverses expressions de rejet du fédéralisme en vue de briser la lutte contre loppression nationale et enrayer la montée du mouvement indépendantiste a atteint son point culminant dans la crise dOctobre 1970 avec ladoption de la Loi des mesures de guerre, loccupation du territoire québécois par larmée canadienne et la suppression de toutes les libertés démocratiques avec toute la gamme des mesures qui en découlent : perquisitions sans mandat, arrestations et détentions préventives, restrictions à la liberté dexpression et de réunion, etc.
Lélection du PQ
En portant le PQ au pouvoir le 15 novembre 1976, cest non seulement le gouvernement Bourassa et ses politiques réactionnaires que le peuple du Québec, et au premier plan les travailleurs, ont rejetés, cest aussi un coup majeur quil a voulu porter au fédéralisme canadien, identifiant alors le PQ comme un parti dont le programme remettait en cause le fédéralisme.
- II - La question nationale au Québec du référendum de 1980 à aujourdhui
Il allait pourtant devenir clair quune véritable remise en question du fédéralisme canadien ne faisait pas partie du programme du Parti québécois. Celui-ci avait déjà mis au tiroir la question nationale pendant la campagne électorale de 1976, mais, faute dalternative, la population avait, en le portant au pouvoir, projeté en lui son aspiration à se débarrasser de loppression nationale. Désormais élu, il cherchait à calmer les attentes de la population et préparait un grand compromis avec Ottawa, celui de la souveraineté-association, proposé à la population lors du référendum du 20 mai 1980. Le Parti québécois perdit ce référendum avec 41% de « oui » .
Le coup de force constitutionnel de 1982
Immédiatement après le référendum de 1980, le gouvernement dOttawa dirigé par le libéral Pierre-Elliott Trudeau, sengagea dans une opération dont lobjectif était un renforcement constitutionnel de lÉtat canadien aux dépens des provinces et plus spécifiquement aux dépens du Québec. Cette opération devait passer par le préalable obligé du «rapatriement» de lActe de lAmérique du Nord britannique décrété en 1867 et imposé à la population sans quelque consultation par le Parlement de Londres qui avait toujours le pouvoir exclusif de lamender.
Partiellement remodelée, la vieille constitution coloniale rapatriée était signée en 1982 par le gouvernement fédéral et les gouvernements des neuf provinces à majorité anglophone, sans laccord du Québec, au terme de ce quon ne peut caractériser que comme un véritable coup de force anti-Québec. La reine dAngleterre, toujours reine du Canada en dépit du rapatriement de la constitution, vint à Ottawa en novembre 1982 proclamer cette «nouvelle» constitution, qui préservait tous ses fondements monarchiques et soumettait le Québec à lÉtat canadien et aux majorités des autres provinces. En particulier, sa «Charte des droits» a systématiquement servi à attaquer les lois et règlements visant à assurer au français son statut de langue majoritaire au Québec [note 4].
La politique sociale du PQ lécarte du pouvoir
Ayant perdu le référendum de 1980 et démontré son impuissance devant le coup de force de 1982, le Parti québécois au pouvoir se lançait à lhiver 1983 dans une attaque frontale contre les salariés des secteurs public et parapublic, réduisant leurs salaires et les avantages de leur régime de retraite, déclarant illégal leur mouvement de grève quil réprimait sévèrement. Si le Parti québécois avait, au fil de sa politique, créé des doutes dans la population quant à sa volonté réelle de réaliser la libération nationale des québécois, il nen laissait désormais aucun quant à sa capacité de réaliser leur libération sociale.
La rupture entre lui et les organisations syndicales, qui dès les premiers jours lavaient appuyé sans réserve, était désormais consommée. Au lendemain du coup de force de 1982, elles avaient remis en cause lhégémonie politique du Parti québécois quant à la défense des aspirations nationales et appelé, de concert avec les regroupements nationalistes, à la convocation dune assemblée constituante québécoise. Condamnant maintenant les mesures antisyndicales de 1983, elles lui retiraient un appui électoral vital, sans lequel il ne pouvait se maintenir au pouvoir. De fait, aux élections de 1985, le Parti québécois était écarté du pouvoir gouvernemental du Québec, qui repassait aux mains du Parti libéral fédéraliste.
Laccord du Lac Meech et léchec constitutionnel de 1990
Un an plus tôt à Ottawa, le Parti libéral du Canada, dirigé jusque-là par Pierre-Elliott Trudeau, lartisan du coup de force de 1982 et des lois antiouvrières de gel des salaires, avait lui aussi mordu la poussière, supplanté par le Parti conservateur dirigé par Brian Mulroney. Ce dernier sétait donné comme mission de réparer léchec de 1982 et damener le Québec dans le giron constitutionnel. Il trouva dans la personne du Premier ministre du Québec, Robert Bourassa, lallié quil lui fallait au Québec. Lopération lancée par Brian Mulroney donna lieu en 1987 à ce quil est convenu dappeler laccord du Lac Meech.
Cet accord, signé par le Premier ministre du Canada et par les Premiers ministres des dix provinces du Canada (y compris celui du Québec), avait pour effet damener le Québec à signer la constitution fédéraliste du Canada, un précédent historique, moyennant sa reconnaissance comme «société distincte» au sein du Canada. Le caractère «distinct» que lÉtat fédéral canadien était prêt à reconnaître à la société québécoise était toutefois fort ténu, la «distinction» admise étant toujours sujette à lensemble des clauses de la constitution canadienne et ne pouvait sexprimer, sur le terrain des juridictions provinciales, quà la condition de garantir sa compatibilité avec les objectifs centraux, tout litige devant être tranché par une Cour suprême à majorité anglophone [note 5].
Si faible ait pu être la concession à lendroit du Québec, celle-ci a été lobjet dune attaque en règle de la part des ténors de lÉtat central fort, avec en tête lex-premier ministre Trudeau. Laccord du Lac Meech, pour devenir valide, devait passer le test de sa ratification par le Parlement fédéral et les parlements des dix provinces avant le 23 juin 1990. Léchec retentissant de cette opération, en raison du rejet de laccord par les provinces du Manitoba, où lopposition des populations autochtones a été déterminante, et de Terre-Neuve, où le Premier ministre Clyde Wells sest fait le haut-parleur des thèses centralisatrices anti-Québec de Pierre-Elliott Trudeau, ouvrit une crise politique majeure.
La défection, peu avant le 23 juin 1990, de Lucien Bouchard, ministre conservateur du gouvernement Mulroney, donna lieu à la formation dun nouveau parti, le Bloc québécois, premier parti souverainiste à oeuvrer sur la scène fédérale. Ce parti canalisa le mécontentement de la population québécoise avec une ampleur telle quil fit élire 54 députés aux élections fédérales de 1993, assez pour former lopposition officielle au parlement dOttawa.
Les organisations syndicales en faveur de lindépendance
Au Québec, le Parti libéral semployait à faire oublier léchec de 1990 en créant une grande commission parlementaire sur lavenir constitutionnel du Québec à laquelle les syndicats ont participé en mettant de lavant lobjectif dun référendum sur la souveraineté à organiser à court terme. Développement significatif en effet, les trois grandes centrales syndicales, la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Centrale de lenseignement du Québec (CEQ), qui avaient commencé à contester lhégémonie du Parti québécois sur la question nationale après le coup de force de Trudeau en 1982, prenaient pour la première fois franchement position en faveur de lindépendance du Québec en 1990, au lendemain du rejet définitif de laccord du Lac Meech.
Laccord de Charlottetown et léchec constitutionnel de 1992
Déterminé à régler la question constitutionnelle malgré léchec de 1990, le Premier ministre Brian Mulroney sengagea dans une nouvelle opération qui conduisit cette fois à un accord connu comme laccord de Charlottetown, conclu de nouveau entre les premiers ministres des dix provinces et le premier ministre du Canada. Cet accord, que le Premier ministre du Québec sétait engagé à défendre même sil était nettement en-deçà de laccord du Lac Meech et que son acceptation prenait de ce fait lallure dune véritable capitulation devant lintransigeance centralisatrice fédérale, fut soumis le 26 octobre 1992 à un référendum pan-canadien dont la simple tenue exprimait la volonté de nier à la population du Québec son droit exclusif de se prononcer sur son propre avenir. Laccord fut rejeté par un vote de 45 % de «oui» et 55 % de «non» , le «non» lemportant dans lensemble des provinces les plus peuplées, dont le Québec qui infligeait ainsi une cinglante rebuffade à son Premier ministre, défenseur militant de laccord. Défaite cuisante pour le Parti conservateur qui fut littéralement anéanti aux élections de 1993, à loccasion desquelles il ne fit élire quun député dans tout le Canada.
Le référendum québécois de 1995 sur la souveraineté
Le retour du Parti libéral sur la scène fédérale en 1993 fut suivi en 1994 au Québec par le retour au pouvoir du Parti québécois, avec à sa tête un dirigeant souverainiste, Jacques Parizeau, qui avait promis de consulter le peuple québécois sur son avenir politique dès la première année de son mandat. Le 30 octobre 1995, le Québec était ainsi pour une deuxième fois en quinze ans appelé à se prononcer sur la question de sa souveraineté, cette fois sur une question claire. À loccasion de ce référendum, la population québécoise sest prononcée à 49,4 % en faveur de la souveraineté et à 50,6 % contre, lécart entre les « oui » et les « non » étant dà peine 50 000 voix.
Brisée en deux parties égales quant à lenjeu de la souveraineté face au fédéralisme, la population létait tout autant quant à lenjeu social, les partisans de la souveraineté étant les forces progressistes de la société dont les grandes organisations syndicales, alors que les forces de la réaction, classes privilégiées et éléments conservateurs, défendaient résolument le fédéralisme. Reprenant les propos de Laurent Beaudoin, président de la multinationale Bombardier, pour qui la campagne référendaire sétait transformée en lutte de classes, un journaliste du Globe and Mail de Toronto a caractérisé cette campagne comme une bataille opposant le grand Capital et le Travail [note 6]. Ce fait est des plus significatifs pour la suite des choses.
Les politiques néolibérales du PQ menacent la souveraineté
Dès le lendemain du référendum du 30 octobre 1995 perdu de justesse, le Premier ministre Parizeau démissionna. Il fut remplacé à ce poste par lex-ministre conservateur fédéral, compagnon de route de Brian Mulroney devenu chef du Bloc québécois, Lucien Bouchard, pour qui la clé du succès du prochain référendum était lassainissement des finances du gouvernement du Québec. Lucien Bouchard entreprit donc de «mettre de lordre» dans les affaires de lÉtat, se donnant lobjectif déliminer complètement le déficit budgétaire en quatre ans. Le prix de lopération : la mise en place de mesures néolibérales de réduction de la taille de lÉtat, de définancement des régimes publics de la santé et de léducation menant à la privatisation, avec lincidence inévitable quest le rejet croissant de ce gouvernement par la population travailleuse et la menace qui pèse sur les résultats dun prochain référendum, la population refusant dappuyer un projet de souveraineté dont le trait saillant serait le saccage des acquis sociaux. Tous les sondages actuels font état de la perte draconienne de popularité du parti au pouvoir qui ne serait pas réélu si des élections avaient lieu aujourdhui.
Le drame qui se perpétue, du mouvement des forces ouvrières, populaires et progressistes au Québec, est quil na pas son propre parti politique indépendant, voué à la défense de son propre programme démancipation sociale et nationale. De ce fait, il est voué, délection en élection, à ne pouvoir que punir le parti au pouvoir en le chassant, mais pour voir chaque fois réapparaître le parti dopposition qui, à quelque variante près, défend la même politique et les mêmes intérêts.
De nouvelles impasses
Revenu au pouvoir en 1993, le Parti libéral fédéral dirigé par Jean Chrétien, ancien compagnon darmes de Pierre-Elliott Trudeau et lun des principaux artisans du coup de force de 1982, a à son tour accouché, en 1997, de sa formule magique dont lobjectif est de gagner ladhésion du Québec au dispositif constitutionnel canadien. Il sagit de la Déclaration de Calgary, signée par les premiers ministres des neuf provinces anglophones du Canada. Niant quelque spécificité au Québec et quelque droit qui en découlerait, cette déclaration proclame un soi-disant «caractère unique» de la société québécoise quelle identifie toutefois comme une caractéristique fondamentale «pour le bien-être du Canada» . Toutes les provinces étant déclarées égales, si une modification constitutionnelle devait attribuer des pouvoirs à lune delles, il faudrait, affirme la déclaration, que les mêmes pouvoirs soient accordés à toutes les provinces.
Deux ans plus tard, en 1999, le gouvernement fédéral signait une nouvelle entente avec les seules provinces anglophones, sans laccord du Québec, entente définissant « Un cadre visant à améliorer lunion sociale pour les canadiens », connue comme « Lentente-cadre sur lunion sociale ». Contrairement aux ententes précédentes, celle-ci nétait pas un accord constitutionnel, mais un accord administratif à durée limitée, de trois ans. Elle était néanmoins lourde de signification dans la mesure où elle conférait une légitimité aux empiètements fédéraux dans les domaines de compétence provinciale, comme la santé, léducation et les programmes sociaux, empiètements qui se sont multipliés depuis la Deuxième Guerre mondiale, en contradiction ouverte avec la Constitution [note 7], et auxquels le Québec sest toujours opposé dans la défense de son autonomie. Ce nouveau pacte entre toutes les composantes du Canada anglais constituait une nouvelle rebuffade des aspirations du Québec.
Des mesures juridiques et législatives contre lautodétermination
Non moins significatifs que ces ententes successives excluant le Québec sont les efforts déployés par le gouvernement fédéral pour nier juridiquement le droit à lautodétermination du Québec. Non seulement fallait-il faire entrer le Québec dans le rang aux seules conditions du reste du Canada et sans considération de ses revendications, même minimales, mais il fallait tout mettre en uvre pour barrer la voie à toute possibilité de sécession. Ainsi, le gouvernement du Canada sest employé à dresser un barrage juridique à la solution politique quest lexercice du droit à lautodétermination du Québec.
Encore sous le choc du référendum de 1995 qui avait mené le Québec à un cheveu dentamer le processus de son accès à la souveraineté, et voulant se donner les garanties nécessaires dans léventualité dun prochain référendum qui, cette fois, pourrait être gagné par le Québec, le gouvernement du Canada inscrivit en 1996 une requête auprès de la Cour suprême du Canada, composée de neuf juges dont la foi fédéraliste nest un secret pour personne, pour quelle se prononce sur la légitimité, du point de vue de la Constitution canadienne, dune décision unilatérale du Québec de se séparer du Canada. Dans son Avis rendu public en 1998, la Cour suprême, comme on pouvait sy attendre, concluait que le Québec ne possède pas, ni en vertu du droit canadien, ni en vertu du droit international, le droit de procéder unilatéralement à la sécession. Elle lançait par contre un pavé dans la marre fédéraliste en précisant que dans léventualité dune décision du Québec en ce sens, le reste du Canada aurait lobligation de négocier avec le Québec les termes dune solution.
Rien ne larrêtant dans sa recherche de moyens destinés à faire échec au droit du Québec à lautodétermination, le gouvernement dirigé par le premier ministre libéral Jean Chrétien, saccrochant à la référence faite par la Cour suprême à la nécessaire clarté de la question à soumettre à un référendum, mais constatant que la Cour suprême reconnaissait au Québec le droit de formuler lui-même cette question, fit adopter par le Parlement en juin 2000 une « loi sur la clarté » lui donnant le pouvoir dexaminer la question à soumettre au référendum et de déterminer si cette question est « claire », cest-à-dire conforme aux définitions édictées dans cette même loi par le Parlement canadien. En vertu de cette loi, si le Parlement juge que la question est ambiguë, le gouvernement refuse dengager des négociations sur les conditions auxquelles la sécession pourrait être réalisée. Il refuse également de négocier sil juge que la majorité obtenue lors du référendum nest pas une « majorité claire ». Si le texte de la loi ne mentionne pas explicitement ce que devrait être cette « majorité claire », des hypothèses de majorités allant jusquau deux tiers ont été mentionnées dans le débat. Il y a là un incontestable « deux poids, deux meures » lorsquon sait par exemple quune simple majorité de 52 % a suffi en 1949 pour que Terre-Neuve soit accueillie au sein de la fédération canadienne en tant que dixième province. La loi rappelle enfin quil nexiste aucun droit de sécession unilatérale en vertu de la Constitution et édicte quune telle sécession ne pourrait se faire sans une modification de la Constitution à lissue de négociations impliquant les gouvernements de lensemble des provinces. Et voilà pour le respect du droit à lautodétermination au Canada.
PQ, PLQ, ADQ
Oeuvrant simultanément sur tous les tableaux, les forces fédéralistes, toutes allégeances politiques confondues, se concertaient après le référendum perdu de justesse en 1995 pour influencer le choix dun nouveau dirigeant pour le Parti libéral du Québec, dans lespoir de voir ce parti fédéraliste reprendre le pouvoir et faire entrer le Québec dans le rang. Cest ainsi que fut désigné à ce poste en 1998 Jean Charest, jusqualors dirigeant du Parti conservateur fédéral en ruines à la suite de la déconfiture électorale de Brian Mulroney en 1993. Mais Charest, qui avait fait le saut en politique québécoise en changeant dallégeance politique, a produit le contraire de ce quon attendait de lui, ne réussissant pas à relancer un Parti libéral désormais doublé sur sa droite par un petit parti populiste, lAction démocratique du Québec (ADQ), fondé par dex-membres de sa Commission jeunesse qui avaient quitté le parti en 1992. Dans un laps de temps étonnamment court, la déception populaire à légard u PQ comme du PLQ a propulsé lADQ en tête des sondages au cours de lannée 2002.
Du côté du Parti québécois, cet autre sauveur quest Lucien Bouchard, également issu des rangs du Parti conservateur fédéral de Brian Mulroney et qui avait été porté à la direction du PQ et du gouvernement du Québec en 1995, au lendemain du référendum et de la démission du Premier ministre Jacques Parizeau, démissionnait à son tour en 2001, prenant prétexte de son échec à mener les Québécois à adhérer au projet de souveraineté et à loccasion dune grave crise à lintérieur du parti créée par une déclaration controversée dun membre en vue sur le vote ethnique au Québec. Son remplaçant, Bernard Landry, ex-ministre des Finances sous la direction duquel le déficit budgétaire a été éliminé, est un adepte du « modèle québécois » favorable à une intervention de lÉtat et le partisan dun projet dUnion confédérale entre le Québec et le Canada, sur le modèle de lUnion européenne. À un moment où son parti était tombé au plus bas dans les sondages, en septembre 2002, il promettait de tenir un nouveau référendum sur la souveraineté, « dans 1000 jours ».
Si le PQ saffiche toujours comme partisan de la souveraineté, le PLQ, qui sy oppose tout en sopposant au « rapatriement » unilatéral de 1982 et à la Constitution qui en a résulté, souhaiterait maintenant tout simplement évacuer du discours politique cette question encombrante et agir comme si elle nexistait pas, tout comme lADQ qui lui tourne le dos aujourdhui après avoir milité dans le camp de la souveraineté lors du référendum de 1995. Pour ce qui est du PLQ, il sagit dun recul significatif par rapport aux positions défendues par ce parti depuis Jean Lesage, il y a plus de quarante ans. Le PLQ sétait notamment associé à la résolution suivante adoptée par lAssemblée nationale du Québec en décembre 1981, quelques mois avant le coup de force de 1982 :
On devra reconnaître que les deux peuples qui ont fondé le Canada sont foncièrement égaux et que le Québec forme à lintérieur de lensemble fédéral canadien une société distincte par la langue, la culture, les institutions et qui possède tous les attributs dune communauté nationale distincte.
Or, lun des pivots de la Constitution amendée de 1982 est précisément davoir pulvérisé ce concept des deux peuples fondateurs, désormais remplacé par celui dune mosaïque multiculturelle composée de dix provinces égales.
2002 : 20e anniversaire du « rapatriement » unilatéral
Lannée 2002 a été loccasion de marquer le 20e anniversaire du « rapatriement » par le Canada du pouvoir de modifier sa Constitution, pouvoir qui appartenait jusqualors au Parlement de Londres, et de faire un bilan des amendements constitutionnels de 1982 adoptés contre la volonté du Québec, parmi lesquels linclusion, comme partie intégrante de cette Constitution, dune Charte des droits et libertés, avec le pouvoir confié aux juges de la Cour suprême du Canada de linterpréter et de voir à son application. Mis à part le fait que la conclusion du pacte de 1982 entre le gouvernement fédéral et ceux des neuf autres provinces constituait un outrage à la population québécoise dont lopposition a été purement et simplement ignorée, force est de constater que ce pacte constituait un tournant dans les relations entre le politique et le judiciaire au Canada.
Lenchâssement de la Charte des droits dans la Constitution a en effet institué une double primauté du pouvoir des juges sur celui des élus et des droits individuels sur les droits collectifs. Nommés par le pouvoir politique, inamovibles et nayant de comptes à rendre à personne, les juges sont néanmoins investis dun pouvoir de législation supérieur à celui des élus, de par leur pouvoir dinterprétation de la Charte et dappréciation de la conformité des lois adoptées par les différentes législatures du pays. Nimporte quel citoyen par ailleurs, invoquant ses droits individuels protégés par la Constitution, peut contester devant les tribunaux une législation adoptée par une Assemblée nationale dûment élue. À loccasion du 20e anniversaire du « rapatriement », des spécialistes des questions constitutionnelles de lUniversité de Montréal, de lUniversité Laval et de lUniversité Concordia au Québec, et de lUniversité Carlton en Ontario, dressaient le bilan suivant de la Charte des droits et libertés :
Si les tribunaux ont ainsi consolidé les garanties juridiques des droits des individus et encadré lexercice des grandes libertés fondamentales, la Loi constitutionnelle de 1982 a également renforcé leur pouvoir de dicter, à bien des égards, le contenu des politiques culturelles du Québec.
Ainsi, les décisions de la Cour suprême relatives à la Charte de la langue française ont infléchi la politique linguistique du Québec et obligé celui-ci à soumettre ses principes, principalement celui de la prédominance de la langue française, au principe supérieur du bilinguisme canadien.
La Charte canadienne sest également imposée au Canada comme le creuset dune citoyenneté canadienne fondée sur les droits individuels et a eu pour effet de bloquer toute reconnaissance de droits collectifs et lidée même dune identité proprement québécoise. La Charte canadienne participe dès lors à un processus de construction nationale du Canada qui vise à se substituer à un processus de libération nationale au Québec visant à affranchir celui-ci de la tutelle fédérale.
Une tutelle qui est en fait un emprisonnement du Québec dans une structure constitutionnelle quil na jamais approuvée, comme lont démontré les échecs successifs du Lac Meech et de Charlottetown et lacharnement du gouvernement fédéral à ériger tous les remparts possible à une éventuelle sécession du Québec. Paradoxalement, le Canada, qui sest doté en 1982 pour la première fois de son histoire dune procédure souveraine damendement de sa Constitution, a mis sur pied un échafaudage excluant toute possibilité damendement réel. Voué à la préservation à tout prix du statu quo, cet échafaudage a par la suite été blindé par les dispositions édictées au besoin, sur demande du gouvernement fédéral, par les juges de la Cour suprême du Canada, comme son Avis donné en 1998 sur la sécession du Québec.
Vingt ans après le coup de force de 1982, la Constitution illégitime alors proclamée à Ottawa par la reine dAngleterre, Élizabeth II, est toujours lobjet dun même rejet unanime de lAssemblée nationale, des partis politiques qui y sont représentés et des forces progressistes du Québec. Lensemble des grands organismes syndicaux du Québec et des composantes du mouvement nationaliste, de concert avec les associations décrivains, dartistes, de professeurs de français, etc., signaient, le jour anniversaire du 17 avril 1982, une déclaration commune intitulée « Cette constitution nest pas la nôtre », dont voici des extraits:
Vingt ans plus tard, la signature du Québec manque toujours au bas du texte de la Constitution canadienne : aucun des premiers ministres qui se sont succédé à Québec depuis, tant libéraux que péquistes, na accepté sy apposer la sienne.
Il est assez pitoyable de voir le Canada anglais faire des leçons de démocratie au Québec avec sa « Loi sur la clarté », alors que cette constitution illégitime de 1982, imposée au Québec par les représentants du Canada anglais, na jamais été entérinée par aucun référendum. Ni le peuple du Canada anglais ni celui du Québec nont eu loccasion de se prononcer sur cette loi fondamentale. De plus, la formule damendement prévue fige le fédéralisme canadien dans un immobilisme total, comme on la vu lors de lépisode du Lac Meech, et rend impossible la reconnaissance des revendications du peuple québécois, telles quexprimées par tous nos gouvernements depuis 1960.
La déclaration commune réaffirmait en conclusion que la question du Québec nest pas réglée et ne pourra lêtre sans une négociation libre entre partenaires égaux.
Fin du texte.
Notes:
(Note 1) Cité par Stanley-Bréhaut Ryerson, Le capitalisme et la confédération. Aux sources du conflit Canada-Québec, 1760-1873, traduit de langlais par André dAllemagne, Montréal, Éditions Parti-Pris, 1978, p. 270. (Note 2) Cité par Michel Brunet, Histoire du Canada par les textes, Montréal, Fides, 1963, tome 2, pp. 17, 18. (Note 3) Brunet, op. cit., p. 152 (Note 4) Jean-Pierre Tanguay, «LÉtat canadien en crise» , Le marxisme aujourdhui, no 8, décembre 1991, p. 16. (Note 5) Idem, p. 17. (Note 6) André Moulin, «Le référendum québécois: un pas de plus vers lindépendance» , Le marxisme aujourdhui, no 33, avril 1996, p. 33. (Note 7) Cette légitimité a par la suite été de plus en plus contestée à léchelle du Canada tout entier, avec le développement dun déséquilibre fiscal croissant entre le gouvernement fédéral, dont les surplus budgétaires ne cessent de saccumuler, et les gouvernements des provinces qui manquent de fonds pour sacquitter de leurs responsabililtés dans le cadre de la Constitution. (Note 8) Henri Brun, Guy Lachapelle, Andrée Lajoie, Hélène Laperrière, Jacques-Yvan Morin, Pierre Noreau, François Rocher, Guy Rocher, Michel Seymour et Daniel Turp, « La loi britannique de 1982 sur le Canada. Une loi pour le reste du pays », Le Devoir, 17 avril 2002, p. A9.
Dernière mise à jour de cette page le lundi 12 février 20078:01
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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