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Collection « Les sciences sociales contemporaines »


«La solidarité serait
“une invention de Dieu lui-même ”
» (1989)
Louis Gill, économiste
Professeur retraité de l'Université du Québec à Montréal

[email protected]

«La solidarité serait “une invention de Dieu lui-même », Un article publié en page 10, Libre opinion, du numéro d’automne 1989 de Laïcité, Bulletin du MLQ (Mouvement laïque québécois). [Autorisation accordée par l'auteur le 4 janvier 2005 de diffuser ce texte.]

L’harmonie dans l’inégalité
La forme extrême de la société solidaire

La solidarité est « une invention de Dieu lui-même » ! Le saviez-vous ? C’est le Comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec qui nous faisait cette révélation dans son message du 1er mai intitulé Emploi précaire – Société précaire.

Déplorant le niveau anormalement élevé du chômage auquel s’ajoute la montée du travail précaire (instable, à temps partiel…), les évêques se demandent « pourquoi l’économie va-t-elle bien et les gens mal ? », caractérisant cette situation comme « une dynamique en collision avec l’Évangile et la réflexion récente de l’Église ». « Quant l’économie, expliquent-ils, au nom du « progrès », nous conduit à certaines formes de capitalisme (telles qu’on a pu les connaître au siècle dernier) et engendre la précarité de l’emploi, des questions de fond se posent ».

À la lumière des Saintes Écritures, les évêques nous rassurent pourtant : « Jésus ne condamne pas l’argent comme tel, mais il sait qu’une fois « divinisé », l’argent rend ses « adorateurs » insensibles à la solidarité humaine ». Ils citent l’encyclique Sollicitudo Rei Socialis de Jean-Paul II qui « va jusqu’à parler de « structures de péché » pour désigner les mécanismes économiques quand ils absolutisent le profit pour en faire une idole ». Ce même Jean-Paul II « leur opposera la solidarité, invention de Dieu lui-même, traduction de l’appel de l’Évangile et exigence pour une organisation de l’économie qui ouvre l’avenir ». Ils en concluent : « Une grande espérance ressort de ce parcours : une société solidaire n’est pas seulement un rêve, mais une promesse ».

Mais, qu’est-ce donc que cette société solidaire dont l’idée nous viendrait de Dieu lui-même ? Qu’est-ce que cette « visée collective et morale de solidarité » qui serait de nature à « rendre humainement viables l’économie internationale et l’économie locale » ?

Il n’y a là aucune nouveauté. Il s’agit de la thèse centrale de la doctrine sociale de l’Église, énoncée depuis la fin du siècle dernier dans diverses encycliques, dont Rerum Novarum du pape Léon XIII, « sur la condition des ouvriers » (1891), Quadragesimo Anno de Pie IX, « sur la restauration de l’ordre social » (1931) et Mater et Magistra de Jean XXIII, « sur les récents développements de la question sociale à la lumière de la doctrine chrétienne » (1961)[1]. Cette thèse est celle de la paix sociale et de la communauté d’intérêts entre employeurs et employés, de la collaboration nécessaire entre patronat et syndicats au sein de l’entreprise et de la société dans son ensemble.

L’harmonie dans l’inégalité

 « Le premier principe à mettre de l’avant, établit Rerum Novarum[2], c’est que l’homme doit accepter cette nécessité de sa nature qui rend impossible, dans la société civile, l’élévation de tous au même niveau ». Il en découle « la nécessité des inégalités et des souffrances » et la « nécessité de l’union », union entre « deux classes… destinées par la nature à s’unir harmonieusement et à se tenir mutuellement dans un parfait équilibre[3] ». La volonté d’unir le capital et le travail devait amener l’Église à encourager la création de syndicats regroupant les seuls travailleurs chrétiens en opposition aux autres travailleurs et au syndicalisme combatif.

Ces idées de base de la doctrine sociale de l’Église ont été développées par la suite dans Quadragesimo Anno, qui invite à « tempérer… quelque peu le contrat de travail par des éléments empruntés au contrat de société » et invite « ouvriers et employés… à participer en quelque manière à la propriété de l’entreprise, à sa gestion et aux profits qu’elle apporte ». Poussant cette logique à sa conclusion, Quadragesimo Anno prône l’organisation entière de la société selon une structure corporatiste[4] : « On ne saurait arriver à une guérison parfaite que si à ces classes opposées on substitue des organes bien constitués, des « ordres » ou des « professions » qui groupent les hommes non d’après la position qu’ils occupent sur le marché du travail, mais d’après les différentes branches de l’activité sociale auxquelles ils se rattachent… La nature incline les membres d’un même métier à créer des groupements corporatifs, si bien que beaucoup considèrent de tels groupements comme des organes sinon essentiels, du moins naturels dans la société ».

Au sein de ces groupements corporatifs, précise l’encyclique, « la primauté appartient incontestablement aux intérêts communs de la profession ». Dans cet esprit, les organismes de défense des intérêts de classe, tels les syndicats, doivent se subordonner à la recherche de ces « intérêts communs » et « se donner pour tâche… de frayer la voie à ces organismes meilleurs, à ces groupements corporatifs… et d’arriver… à en procurer la réalisation ». Aux paragraphes 94-102, le pape fait l’éloge du régime corporatiste italien mis en place par Mussolini. On lit en particulier : « Grèves et lock-out sont interdits. Point n’est besoin de beaucoup de réflexion pour découvrir les avantages de l’institution, si sommairement que nous l’avons décrite : collaboration pacifique des classes, éviction de l’action des organisations socialistes, influence modératrice d’une magistrature spéciale ».

La forme extrême de la société solidaire

La doctrine sociale de l’Église a alimenté les théoriciens du corporatisme d’État tel qu’il a été instauré dans les années 1920-1930 dans divers pays d’Europe (outre l’Italie de Mussolini, l’Espagne de Franco, le Portugal de Salazar, l’Autriche de Dollfuss et Schushnigg) et d’Amérique latine (le Brésil de Vargas, l’Argentine de Peron à partir de 1946). Il s’agit bien sûr dans ces cas de la forme extrême de la fusion entre capital et travail, du contrat social forcé, de l’expression violente de la participation qui impose la dissolution des organisation ouvrières indépendantes et leur remplacement par des structures d’intégration coercitives sous la tutelle de l’État.

Mater et Magistra reprend les idées de fond des deux encycliques précédentes comme la participation des travailleurs à la propriété et à la gestion de l’entreprise, leur « collaboration active et loyale » avec les employeurs, leur « intérêt à l’œuvre commune ». L’entreprise doit devenir « une communauté de personnes, dans les relations, les fonctions et les situations de tout le personnel [5] ».

Il va sans dire que ces idées ont été véhiculées à l’intérieur du mouvement syndical démocratique par les organisations d’origine et de tradition chrétiennes. Au fil des années, le vocabulaire a certes connu certaines adaptations. On a utilisé de nouvelles expressions comme la démocratisation de l’entreprise et de l’économie, l’autogestion et le pouvoir dans l’entreprise, la participation, la construction d’une « société solidaire », la concertation entre « partenaires » sociaux, etc.

Quelle que soit l’expression utilisée, le contenu demeure celui de la bonne entente et de la conciliation,  de la cohésion entre capital et travail dans la gestion économique d’ensemble, dans le respect de la propriété privée et nécessairement des privilèges qui en sont indissociables.


[1]  Les trois encycliques constituent en quelque sorte une trilogie, Quadragesimo Anno ayant été publiée pour commémorer le 40e anniversaire de la publication de Rerum Novarum, et Mater et Magistra son 70e anniversaire.

[2]  Rerum Novarum, Spes, Paris, 1932, 10e édition, Troisième partie, p. 24-25, paragraphe 14.

[3]  Rerum Novarum, p. 27, paragraphe 15.

[4]  Quadragesimo Anno, Spes, Paris 1937. Voir les paragraphes 72, 90, 94 et 98-102.

[5]  Mater et Magistra, texte intégral de l’encyclique avec Introduction de Claude Ryan, Les éditions du Jour, Montréal, 1961, p. 55-59.


Fin


Revenir au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste, professeur retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 février 2007 18:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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