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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Le Devoir, Montréal, Édition du 18 novembre 2002.

“L’université francophone doit demeurer francophone.
Non à l’usage de l’anglais comme langue d’enseignement »

Louis Gill, économiste
Professeur retraité de l'Université du Québec à Montréal

[email protected]

«L’université francophone doit demeurer francophone. Non à l’usage de l’anglais comme langue d’enseignement », Un article publié dans Le Devoir, 18 novembre 2002. [Autorisation accordée par l'auteur le 4 janvier 2005 de diffuser ce texte.]

Le premier défi de l’université francophone
La langue d’enseignement
Des cours de langues pour l’apprentissage des langues

Un important débat a actuellement lieu dans les universités sur un éventuel recours à l'anglais comme langue d'enseignement. À l'UQAM, ce débat a été lancé par le rapport d'un groupe de travail présidé par le professeur Paul Bélanger, intitulé L'UQAM, université francophone à vocation internationale.

Le premier défi de l’université francophone

Personne ne nierait que toutes les grandes universités, francophones ou anglophones, sont aujourd’hui insérées dans une réalité qui ne cesse de s’internationaliser et qu'elles doivent se disposer adéquatement dans cette nouvelle réalité. Mais, le plus grand défi des universités francophones est de demeurer francophones et de se renforcer comme telles, dans et malgré le contexte international. Plus que de s’adapter à ce contexte, l’université francophone doit se renforcer pour y faire face et pour survivre dans un monde où l’anglais, langue scientifique internationale, est de plus en plus envahissant. De nombreux facteurs, on le sait, témoignent de cet envahissement : la publication d’articles et de livres en anglais, le déroulement de séminaires, de conférences, de congrès scientifiques en anglais, la confection de sites internet exclusivement en anglais, etc.

En conséquence, la première préoccupation de l'université francophone doit être la mise en place des moyens visant à affirmer, dans tous les aspects de la vie universitaire (enseignement, recherche, communications internes et externes, etc.) son caractère francophone et d’assurer à ses étudiants la connaissance universitaire du français qui leur manque dramatiquement. À cet objectif doivent s’articuler tous les autres, dont celui, incontournable dans le contexte international d’aujourd’hui, de l’apprentissage et de la maîtrise par les étudiants, comme partie intégrante de leur formation, de langues secondes, en premier lieu de l’anglais.

La langue d’enseignement

S’il faut tout mettre en œuvre pour favoriser l’apprentissage de langues secondes, il faut par contre rejeter, dans les universités francophones, le recours à d’autres langues d’enseignement que le français, sauf pour l’enseignement des langues. L’université francophone doit demeurer francophone et l’enseignement qui s’y dispense doit continuer à être dispensé en français, sinon c’en est fait de sa spécificité francophone. À ce chapitre, les tendances actuellement à l'œuvre constituent un dangereux glissement. À l'UQAM par exemple, le rapport Bélanger préconise « une ouverture à d’autres langues d’enseignement que le français, tant pour attirer des étudiants non francophones que pour permettre à l’ensemble des étudiants d’être exposés à des langues autres que le français ». Il propose qu'un enseignement dans d’autres langues soit offert à des groupes non francophones dans le cadre de formations sur mesure, à des groupes d’étudiants étrangers spéciaux, à des étudiants réguliers dans les programmes « à cheminement international » et à l’ensemble des étudiants inscrits dans des programmes de baccalauréat (un maximum de trois cours).

Même si l’UQAM dispose des compétences et des ressources nécessaires, qu’est-ce qui justifierait qu’en tant qu’université francophone, elle réponde positivement à des demandes de formation en anglais ? D’excellentes universités anglophones, tout aussi compétentes que l’UQAM, existent, dont c’est la mission spécifique de dispenser des cours en anglais. Empièteraient-elles sur le terrain des universités francophones et leur feraient-elles concurrence en offrant de leur côté des cours en français ? La réponse des universités francophones devrait alors consister, non pas à se lancer dans une concurrence encore plus forte en ripostant par l’offre de cours en anglais, mais d’intervenir au sein de la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec et auprès du bailleur de fonds qu’est le gouvernement pour qu’une concertation interuniversitaire, voire l’adoption d’un cadre juridique, en arrive à fixer clairement les responsabilités respectives des universités francophones et anglophones.

Il faut également tout mettre en œuvre pour que cesse la concurrence que se livrent entre elles les universités francophones sur le terrain de la langue, motivées qu'elles sont par de strictes considérations financières de conquête d'effectifs étudiants. L'odieux d'une telle concurrence est illustré en particulier par la conclusion, au début de 2001, d'un contrat de formation en anglais de cadres de la société Bombardier avec l'Université de Sherbrooke après le refus de l'UQAM d'accéder à cette demande pour des raisons linguistiques. Commentant cette anomalie, celui qui était alors candidat au rectorat de l'UQAM, Roch Denis, avait soulevé les questions suivantes :

Je me demande bien comment le ministre de l’Éducation et le gouver­nement peuvent ne pas être interpellés par une telle situation : chaque université pourra-t-elle agir comme bon lui semble en matière linguistique… ? Les universités québé­coises peuvent-elles utiliser le terrain de la langue pour se faire concurrence entre elles?

D’où la nécessité, tant pour les universités francophones entre elles qu’entre universités francophones et anglophones, d’un code établissant les règles de conduite en matière de langue d’enseignement.

Des cours de langues
pour l’apprentissage des langues

Pour justifier sa recommandation à l'effet qu'un certain nombre de cours soient dispensés dans d'autres langues que le français dans des programmes « à cheminement international » et dans tous les programmes de premier cycle, le rapport Bélanger soutient que c'est là le moyen de permettre aux étudiants de « maîtriser les concepts et la terminologie du domaine d’études ». Non seulement cela n’est-il nullement convaincant, les étudiants ayant tout le loisir d’amplement se familiariser avec les concepts et la terminologie à partir de la documentation écrite qu’il doivent lire dans les langues étrangères, principalement en anglais (articles, ouvrages, manuels, rapports, etc.), mais on ne peut pas ne pas constater que cela constituerait une autre brèche favorisant l’intrusion de l’anglais comme langue d’enseignement. En complément des cours de langues offerts, des programmes d’échange d’étudiants et de stages à l’étranger sont au contraire le moyen par excellence d’atteindre l’objectif d’apprentissage des langues secondes.

Enfin, pour ce qui est de l’utilisation de l’anglais ou d’une autre langue dans la rédaction de travaux et d’examens au premier cycle, une pratique souple d’arrangements individuels conclus sur une base ad hoc et par consentement mutuel de l’étudiant et du professeur est la formule à maintenir. Il faut rejeter les initiatives actuelles qui visent à remplacer ces arrangements à caractère exceptionnel par une politique officielle de l'établissement permettant, dans une perspective de marketing auprès des populations étudiantes anglophones et allophones, de recourir de manière générale à d’autres langues, essentiellement à l’anglais.

Les universités anglophones, il est vrai, utilisent cette pratique, en permettant aux étudiants francophones de remettre travaux et examens en français. Mais il faut rappeler que les universités francophones ne peuvent être vues en symétrie avec les universités anglophones au sein d’une société francophone où le français, encore prédominant et langue officielle, est néanmoins la langue menacée, alors que l’anglais minoritaire est loin de l’être.  Ici encore, le besoin de normes interuniversitaires est une urgence.

Pour conclure, si on n’exerce pas la vigilance nécessaire, l’université francophone ouverte à la diversité culturelle et linguistique, qu’il faut s’employer à construire et à renforcer, risque, sous prétexte d’une adaptation nécessaire à l’internationalisation, de s’effacer progressivement devant une éventuelle université pluriculturelle et plurilingue, dans les faits bilingue, inévitablement vouée à la domination de l’anglais envahissant.

Fin


Revenir au texte de l'auteur: Louis Gill, économiste, professeur retraité de l'UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 février 2007 18:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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