RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Épistémologie et philosophie politique. Pour une théorie de la liberté. (1978)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Lucien GOLDMANN, Épistémologie et philosophie politique. Pour une théorie de la liberté. Paris: Les Éditions Denoël/Gonthier, 1978, 245 pp. Bibliothèque Médiations. [Autorisation de Mme Annie Goldmann, épouse de l'auteur, accordée le 18 décembre 2018, de diffuser ce livre en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Épistémologie et philosophie politique.
Pour une théorie de la liberté.

Préface

« Au total, Goldmann est et restera dans l’histoire l’inventeur ou le découvreur d’une forme nouvelle de pensée symbolique. À côté du symbolisme à contenu individuel particulier (symboles freudiens) ou général (symboles jungiens et, en un sens, adlériens) et en plus du symbolisme des mythes qui comporte un contenu social, mais sacré ou permanent, il a montré, en des doctrines théologiques comme le jansénisme ou en des œuvres littéraires comme le théâtre de Racine et dans le roman, l’existence d’un symbolisme exprimant des conflits collectifs mais localisés (entre classes ou sous-classes sociales) et cela en leur déroulement même et en leurs péripéties variées. Même si l’on retrouve là certaines influences de Lukács, Goldmann a constitué ainsi un corps de faits et de théories dont l’importance restera essentielle en sociologie de la pensée et en épistémologie. [1] Un hommage si éclatant, et proféré par un penseur si savant, doit nous inciter à réfléchir. N’est-ce pas en rapport à Freud, Jung, Adler, Lukács et, implicitement, Lévi-Strauss que Jean Piaget silhouette la présence historique de Goldmann ? Qui plus est, le grand épistémologue genevois ne parle-t-il pas de découverte — découverte « d’une forme nouvelle de pensée symbolique » par laquelle l’auteur du Dieu caché marquerait son temps ?

[8]

Piaget pense, bien sûr, à la conscience possible, cette célèbre Zugerechnetes Bewusstsein dont Goldmann, peut-être plus systématiquement que Lukács, prend la mesure exacte dans son travail de recherche. Plus systématiquement : car ce qui chez Lukács demeure formulation, sans doute géniale, mais tout de même éparpillée dans le plein d’un discours totalisant, et dont nulle règle ne vient assurer et conforter la nouveauté, cela même donc qui fait la matérialité du concept de conscience possible, et qui n’apparaît que suggestivement du fond du texte lukácsien, va revêtir chez Goldmann une importance cruciale. Aussi bien peut-on ajouter, sans surenchère déplacée, que Goldmann ne fait pas que repérer ni construire un champ théorique nouveau, mais tente inlassablement, avec acharnement, de fonder en théorie les règles propres à rendre compte de ce champ symbolique. Piaget l’a d’ailleurs bien perçu, qui parle de ces « faits et théories » constitués par Goldmann et « dont l’importance restera essentielle en sociologie de la pensée et en épistémologie »

Faits, théories, sociologie de la pensée, épistémologie : tel pourrait être, en somme, tout à la fois le titre de cet ouvrage, que nous présentons aujourd’hui au lecteur [2], et sa thématique principale. Non pas ouvrage prémédité par son auteur, et patiemment bâti, à la façon d’une imposante cathédrale, mais ensemble de faits, de théories, de problèmes de sociologie et d’épistémologie rencontrés, analysés, constitués au fil d’une dizaine d’années, et dont l’apparente variété ne doit pas masquer la profonde unité.

Ces textes ont été écrits entre 1959 et 1968. Deux dates extrêmes, dans l’entre-deux desquelles mille faits se lisent, balisés par deux événements également majeurs : l’émergence du gaullisme en France, en 1958, et la grande secousse de 1968. Dans sa nouveauté fondamentale (économique, politique, idéologique), cette période était grosse de problèmes théoriques : ces [9] textes, à leur manière, tentent de les saisir et d’en résoudre certains. Toutefois, ce ne sont pas là des documents, ni seulement des événements produits par la conjoncture. De fait, leur portée est plus générale : ils visent à répondre à des interrogations épistémologiques et politiques centrales ; à composer, avec rigueur, les principes méthodologiques essentiels d’une pensée en pleine maturité. Non pas, donc, des essais, mais plutôt des entreprises systématiques d’exposition, d’explicitation de concepts. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons choisi de les publier, non dans l’ordre chronologique de leur parution, mais dans l’ordre théorique de la problématique qu’ils postulent.

Mais il est sans doute nécessaire, pour permettre au lecteur de mesurer l’enjeu de ces textes, d’entreprendre une rapide clarification de leur projet, de l’unité de pensée qu’il implique et des règles qui en résultent.

Ecrits selon des préoccupations diverses, ces textes dessinent un double mouvement théorique. Mouvement épistémologique d’abord, dont le but est d’inaugurer une matrice conceptuelle apte à saisir le réel et sa structuration symbolique. Mouvement politique ensuite, dont la visée tient à rendre compte de la complexité du champ pratique, de ses mutations et transformations.

Quant à l’unité de pensée impliquée par ce projet, elle peut généralement se rapporter à trois règles principales : d’une part Goldmann soutient que la pensée participe, ou plus exactement, est du réel (cf. Idéologie et Marxisme) ; d’autre part, que l’analyse théorique doit, pour s’articuler sur l’essence du réel, rompre avec le fétichisme dominant les rapports sociaux ; enfin que le contenu de vérité de l’analyse doit être rapporté à la relation qu’elle aura su établir avec la Totalité.

Pour illustrer l’importance majeure que Goldmann accorde à ces thèses fondatrices, prenons un exemple. Soit l’utilité méthodologique de la catégorie de la totalité. À cet égard, deux textes réunis dans ce volume sont tout simplement lumineux — Etre et Dialectique, et Épistémologie de la Sociologie.

Parmi tous les problèmes posés dans la catégorie de la Totalité, celui des rapports du Concept et du Réel est [10] singulièrement complexe. Le concept, dit à peu près Goldmann, doit être pur, abstrait, mais aussi réel, concret. Abstraction théorique et réalité concrète sont dans un rapport tensionnel, contradictoire, mais aussi complémentaire et identique. Rapport dialectique, donc. Dès lors, l’analyse épistémologique doit être une mise en synthèse de ce rapport. Deux difficultés apparaissent d’emblée : d’une part, la réalité est en continuelle transformation (procès de structuration-déstructuration); d’autre part, l’abstraction théorique risque de ne pas adhérer à cette dynamique, et se formaliser, se réifier en système abstrait.

Pour éviter ces écueils, il est indispensable de construire des concepts capables de saisir non pas seulement les modèles théoriques (l’invariant structuraliste, « l'idéal type » wébérien), mais bien la tendance concrète de la réalité historique et ainsi d’ouvrir à l’intelligibilité de la réalité théorique de la tendance historique. Et rapporter cette tendance à la Totalité historico-sociale, c’est rendre également intelligibles ses propres conditions de production; la comprendre, c’est l’identifier dans sa structure immanente; l’expliquer, c’est la disposer dans la perspective historico-sociale qui l’a rendue inévitable.

Remplir un tel contrat méthodologique, c’est postuler les règles d’une véritable épistémologie dialectique — à quoi ces textes contribuent grandement.

Mais l’intérêt de ces réflexions, étalées sur dix années de pratique théorique, ne s’épuise pas à ce point. On y retrouve également l’une des caractéristiques essentielles de la pensée de Goldmann, du moins par rapport à certains de ses contemporains, et surtout à l’encontre des modes dominantes. Tous ces problèmes, toutes ces difficultés, toutes ces idées sont en effet exposés dans un langage clair, précis et dénué d’artifices littéraires. Preuve, sans doute, de la grande maîtrise du sujet. Mais aussi souci du lecteur. Goldmann s’adresse à l’étudiant, au chercheur, à celui qui veut comprendre et connaître; il ne lui dit pas : « Voici la vérité, la recherche est terminée » ; mais plus modestement, plus rigoureusement : « tel est le problème, et les difficultés, et le chemin — qui me paraît le moins contestable — pour l’expliciter et le résoudre ». À lire ces textes, à les recevoir non comme des vérités achevées, mais plutôt comme des appels [11] pressants au développement d’une épistémologie dialectique, nous pouvons bien parier, alors, que le chemin qu’ils tracent n’est pas de ceux qui ne mènent nulle part.

Sami Naïr

[12]



[1] Jean Piaget, in Lucien Goldmann et la sociologie de la littérature, Éditions de l’Université de Bruxelles. 1973-1974.

[2] Nous tenons à remercier tout particulièrement notre ami Reginaldo di Pierro, qui a rassemblé avec beaucoup de soin et de patience les textes inclus dans ce volume. Sans les recherches de Di Pierro, ce livre serait sans doute, aujourd’hui encore, seulement un projet.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 13 mai 2023 9:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref