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LA SECONDE ÉVANGÉLISATION.
TOME II-1. LES OUTILS MAJEURS.
INTRODUCTION
Le vin nouveau
Des chrétiens de nulle part, des rassemblements sans nom, une Église aplatie, un christianisme sans vision. Voilà les vieilles outres incapables d'accueillir le vin nouveau de l'Esprit. Ce sombre diagnostic est aussi aveugle que le triomphalisme d'hier. Une neuve promesse semble remonter des profondeurs d'une crise chrétienne peut-être à peine commencée. Certains spirituels flairent un premier souffle prophétique. Rien de la tornade subite. Mais plutôt quelque chose d'irrésistible au milieu des nombreuses résistances du dehors et du dedans. Depuis Pâques, le Père a confirmé l'espérance décisive des fils dispersés. Par ailleurs, nous vivons peut-être la fin d'une histoire, d'une civilisation. Croyants et incroyants d'ici ou d'ailleurs sont tout aussi démunis. Il faut vraiment être aveugle pour affirmer que l'essentiel de la crise est passé. Les prophètes sécuritaires reviennent à nos portes. Ils redisent leur confiance aux vieilles outres et ignorent le vin nouveau en fermentation. On cherche vainement chez eux le discernement spirituel du drame de l’Église et des nouvelles pousses de l'Esprit. Les défis comme les dépassements possibles sont réduits à de tristes « assurances » pour consoler les permanents et les « fidèles ».
Est-ce bien là le sel de la terre, le levain dans la pâte ? Est-ce bien là la force spirituelle de l'Évangile dans le monde ? Il nous semble, au contraire, que la dramatique évangélique dans l'histoire réelle nous amène au creux des désespoirs et des espérances d'une génération ou d'une époque. L'Esprit creuse. Il n'aplatit pas les aventures de l'homme. Il sait épeler les êtres, les nommer ou plutôt leur donner un nom, un avenir, un horizon de vie. Après quinze ans de travail missionnaire, je rencontre des chrétiens, des prêtres, [12] des religieux qui disent n'être nulle part. Je pense à ces anciens militants déçus, perplexes comme les pèlerins d'Emmaüs. Ils ne savent plus. Les uns ne cherchent plus. D'autres ont quitté nos rassemblements sans nom. Les meilleurs tentent de se retrouver dans des groupes libres. Mais plusieurs ont désespéré de l'institution historique actuelle. Une institution où tout d'un coup on affirme « étrangement » l'existence du démon en dehors des drames réels de l'histoire et de l’Église. On ne les rejoint pas au fond d'eux-mêmes, de leur vérité et de leur péché. Crise de prophétisme ? L'expression frise le cliché. D'aucuns préfèrent chercher l'espérance du vin nouveau en allant au fond des choses. Et voilà qu'ils redécouvrent des trésors dans la vieille maison paternelle. L'Église d'aujourd'hui recèle des richesses spirituelles passionnantes. Mais il faut un second regard pour les repérer, et peut-être une conversion.
Cette stéréophonie de diagnostics laisse entendre que l'évangélisation est à reprendre. On ne la planifie pas à partir des salles paroissiales. Elle commence là où les hommes essaient de surmonter leurs esclavages, là où les souffles imprévisibles de l'Esprit charrient des dynamismes spirituels. Elle n'est pas pure mystique, ni pure stratégie politique. Elle veut abolir tout autant les servitudes que les dominations. Mais surtout elle ouvre un horizon décisif à des itinéraires personnels et à des aventures collectives apparemment bloqués.
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Une praxis nouvelle
Certaines pastorales de là-bas et d'ici ne débloquent pas grand-chose. Elles se « promènent » d'un problème à l'autre. Elles s'obstinent à obturer les nombreuses fissures de la vieille outre. Pendant ce temps-là, les croyants s'arrangent chacun sur son île. Et pourtant, comment vivre la foi et l'Évangile sans un projet d'Église solidaire d'un milieu, d'un sujet historique où l'on se sent partie prenante ? Il nous manque ce que Marx appelait une praxis, c'est-à-dire une dynamique « entière » de vision et de transformation du monde, une traduction historique du Grand Dessin qui nous précède, nous accompagne et nous dépasse. Voilà la coopération attendue par le Maître d'œuvre. Les premiers chrétiens malgré leur situation de secte, en dépit de leurs illusions apocalyptiques, se savaient habités par le levain déterminant de l'histoire. Eux aussi vivaient une fin de civilisation. Mais ils ne s'accrochaient pas au vieux monde. Leurs frêles communautés se voulaient leviers de l'histoire. Rien ne pouvait arrêter ce feu qui se répandait dans tous les coins et recoins de l'époque en vue d'instaurer des temps nouveaux. Sans rien idéaliser, nous pouvons dire que la première évangélisation garde un caractère normatif.
Par ailleurs, on sait la difficulté de convertir des baptisés surtout dans la cité séculière. Mais a-t-on compris que celle-ci a perdu ses illusions prométhéennes et cherche l'Étoile dans sa nuit ? L'homme moderne redevient un mage, tantôt superstitieux, tantôt ouvert aux impossibles dépassements du destin humain, tantôt sceptique et déterministe devant une histoire sans issue. S'il est croyant, il lui arrive souvent d'identifier sa foi au monde en train de se liquider, ou de ne pas la reconnaître dans ses aspirations d'homme nouveau. Il a perdu le sens de la Bonne Nouvelle. Mais voici que l'Évangile explose comme une bombe à retardement dans des lieux inattendus loin des champs de Mars officiels ou préparés ! Le sol se crève. La source jaillit. Les stratèges et les définisseurs avaient oublié les germinations invisibles du sous-sol. L'Esprit continue de déjouer les plans des sacerdoces établis, profanes ou religieux, comme au temps de Jésus-Christ. En s'approfondissant, en se radicalisant la crise frayait la voie d'une nouvelle percée pascale. Malgré les freins des pouvoirs, les fuites des disciples, les cris étouffés des Prophètes, le ferment spirituel explose, le voile du temple se déchire, la nouvelle liberté des fils de Dieu soulève [14] le peuple et le monde. Ah ! cette folle espérance que notre incrédulité tient en laisse.
Une nouvelle mal connue
Cette folle espérance cachée au tombeau, comme à la fin de l'Évangile de Marc. Elle n'a rien de triomphaliste. Un signe discret du Seigneur inconnu sur la rive, après cette nuit de pêche sèche sur le lac, voilà ce que nous suggère Jean. Luc revient à la charge : Voyez, Il a déjoué tous nos plans. Vous ne pouvez faire de l'Évangile une morale, puisqu'il nous a parlé autant de glaive que de paix. Il a contesté la famille, la propriété, la tradition pour nous prévenir des dangers d'un système chrétien. Il a tout viré à l'envers avec l'amour des ennemis et la « haine » des proches au nom de l'unique absolu du Royaume. Les théologies et les écoles ne tiennent jamais longtemps devant l'Évangile. Pourquoi en serait-il autrement des doctrines officielles et des pouvoirs institutionnels ? Le temple a perdu sa pertinence chez les adorateurs en esprit. Nous sommes des témoins libres, responsables de créer un monde neuf à la rencontre des cieux nouveaux. Un monde qui passe, mais aussi se dépasse, pour enfin être accueilli dans le Don du Seigneur. Luc débouche ainsi sur l'Évangile de Paul. Contre Pierre judaïsant, Saul converti pointe le vieil empire, l'histoire réelle, les barbares et les civilisés hors de la synagogue. Il ne faut pas « rentrer » au cénacle, alors que le Christ ressuscité se dresse au beau milieu du monde réel. « Duc in altum », prenez le large de l'histoire et la démesure du Royaume. L'Apocalypse de Jean refait surface. Elle reprend l'histoire « fidèle » du salut chez Matthieu, mais pour mieux marquer la rupture radicale du tombeau et le surgissement de la Gloire, de la plénitude de Dieu qui vient mystérieusement dilater le cœur de l'homme et du monde jusqu'à la démesure d'un Amour impossible.
QUELLE HISTOIRE ?
Dans l'entre-deux, cette utopie se fait économie. Une économie à ras d'histoire, sur les plus humbles sentiers de l'existence. L'infiniment grand du Mystère habite l'infiniment petit de notre modeste aventure humaine. Le savons-nous ? Savons-nous qu'il y a un levier [15] capable de tout soulever, même cet amoncellement de possessions qui nous enterrent et nous dévorent, un peu comme les vieux temples de l'ancienne civilisation ? Les barbares inconnus nous menacent et nous effraient. On voudrait fuir, comme Augustin, dans la cité de Dieu, parce qu'on désespère de la cité des hommes au pouvoir du Mauvais. Rien de moins évangélique que ce manichéisme fuyard ou fataliste. Le mythe chrétien est paradoxalement historique, charnel, nommé, circonstancié. La croix de Jésus-Christ aux abords de Jérusalem a bien été plantée un jour. Croyants et incroyants le savent. Mais combien croient au réalisme du Mystère libérateur de l'homme et créateur d'une terre nouvelle que le Royaume éternel attire à Lui ? Est-ce que notre foi fait passer au fond du cœur comme de la vie cette « dynamis » de salut et de nouveauté radicale ? Sommes-nous des vieux croyants, incrédules comme les Israélites contemporains de Jésus... ou comme les vieux païens médusés par cette nouvelle race barbare appelée chrétienne ? Vieux croyants de Jérusalem ou vieux païens de Rome, tous, ils ont en commun l'incrédulité passive ou têtue, l'indécision lâche ou la nuque raide. Voilà peut-être l'image du seuil de la seconde évangélisation dans beaucoup de consciences.
La terre nouvelle
Consentirons-nous à l'en-avant par nécessité ou pour éviter le désastre ? Pensons-nous que le mythe de la science et de la technique-solution-à-tout réglera les problèmes actuels en se faisant prévision, planification ou futurologie ? Les hommes d'ici et d'ailleurs soupçonnent que leurs responsabilités historiques dépassent la jugulation d'une croissance matérielle aveugle et non finalisée. À quoi bon habiter les mers et les planètes, s'il s'agit encore de désespérantes termitières où la quotidienneté n'a pas de véritables horizons pour le cœur lui-même, pour l'esprit en instance d'infini et d'éternel. La mort de l'homme restera toujours le mur désespérant pour la conscience non-croyante.
Les révolutions culturelles disent non à ce désespoir. Elles deviennent de plus en plus spirituelles, au creux des échéances de la planète. Au seuil du troisième millénaire, croyants et incroyants ont la prophétie facile. L'an 2000 fait partie du vocabulaire. Il exprime des défis planétaires sans précédents, appuyés [16] par des prévisions scientifiques très inquiétantes. Il inaugure aussi un âge de la prospective et de l'utopie créatrices d'un nouveau type d'homme et de civilisation. On retrouve la même ambivalence dans notre univers religieux. Mort des Églises, d'une part et, d'autre part, poussée irrésistible de l'Esprit dans une révolution spirituelle inattendue.
Il est important de redécouvrir ici le réalisme biblique et évangélique de la terre nouvelle. L'homme et le monde concrets sont la vraie visée du salut. L'homme avec tout son environnement comme le laisse entendre la foi judaïque. Bien sûr, le Royaume apporte une nouveauté radicale, transcendante, gratuite. Mais c'est à la manière d'une greffe sur l'arbre de la vie humaine. Tout le contraire d'une aliénation de l'homme et de sa libre responsabilité. Nous sommes partie prenante de la « dynamis » créatrice du salut. Nous avons à bâtir le Royaume à même l'histoire profane dans l'unique dessein du Père.
Le christ repart avec une nouvelle « gang »
L'Évangile nous parle de vin nouveau, fruit du travail conjugué du Vigneron et de ses collaborateurs humains. Il faut bien saisir la porté d'une telle perspective. Les « fidèles » ne sont pas dans l’Église parce qu'ils ont décidé d'y rester ou de continuer, ou encore parce qu'ils n'ont pas eu le courage de quitter les vieilles outres. Dans le contexte d'une seconde évangélisation, ils sont partie prenante d'un nouveau départ, d'une nouvelle communauté. Ensemble, nous sommes un peuple nouveau. Le Christ repart avec de nouvelles équipes. Ne mettons pas la charrue devant les bœufs. Il faut d'abord une conscience chrétienne renouvelée, intériorisée et extériorisée pour se débarrasser des contenants archaïques et fissurés et pour inventer de nouveaux soutiens structurels. Les lieux de ces mutations sont déjà indiqués par les tandems principaux de la Tradition vivante :
- - Une spiritualité évangélique bien articulée à un style de vie signifiant et engageant.
- - Une expérience communautaire théologale nouée sur les solidarités du pays réel.
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- - Une action chrétienne déployée à même les requêtes d'engagement de l'histoire en construction.
- - Une espérance anticipatrice du Royaume final au creux des aspirations les plus authentiques face à l'avenir d'un monde qu'on veut débloquer.
Voilà des rapports fondamentaux du christianisme. Ces rapports sont constamment à reprendre dans des formes inédites et sous l'inspiration de l'Esprit ; en ce sens, nous sommes toujours en instance d'évangélisation. Mais il y a des moments privilégiés de reprise. Ici nous avons conscience de vivre une période de second souffle pour le christianisme d'ici. Nous voulons signifier à nos frères chrétiens qu'un tel renouveau exige un retournement de leur conscience ecclésiale. « À vin nouveau, outres neuves. »
UN COMBAT SPIRITUEL NÉCESSAIRE
Un combat spirituel est à mener dans l’Église contre tous ceux qui s'accrochent à l'ancienne société et aux structures d'hier. Le vin nouveau a besoin de nouveaux contenants. Il n'y a pas d'avenir pour cette fraîche sève de l'Esprit sans de véritables canaux ecclésiaux recréés au cœur de l'arbre d'une Tradition vivante qui marque notre appartenance dans le temps et dans l'espace. Les structures parallèles peuvent avoir leur moment prophétique, mais elles prennent un sens ecclésial (et non sectaire) dans la mesure où elles sont présentes au trafic de l’Église au milieu des cités et des nations. La Tradition chrétienne est un dynamisme spirituel créateur et orienté, multiforme et unifié à l'intérieur d'un même projet évangélique et dans une même appartenance ecclésiale, fondamentale. Par ailleurs, cette Tradition bien comprise et vécue nous invite a ne pas éterniser aucune forme historique de structure. Les comportements du Christ lui-même peuvent nous servir de points de repère. Il a réduit au minimum les déterminants institutionnels pour nous laisser la liberté de revoir, redéfinir, recréer les soutiens structurels nécessaires, fût-ce le réaménagement du sabbat. Non pas seulement à cause d'une pédagogie divine qui met à contribution l'histoire, la liberté et la responsabilité créatrice de l'homme, mais aussi a cause de l'écart du Royaume par rapport à toutes les réalisations de l’Église. C'est ici que nous situons le péché des censeurs et des chrétiens réactionnaires. Si plusieurs dissidents qu'on appelle progressistes résistent mal à la tentation de la secte ou encore de [18] la subjectivité « retraitée », un grand nombre de fidèles veulent maintenir les structures religieuses d'hier comme des zones de sécurité, des lieux de repli face aux requêtes de transformation d'un monde menaçant. Pourtant l'Évangile n'a pas choisi cette option de sécurisme spirituel et temporel. Le procès de Jésus en témoigne. Les signes de l'Esprit, à la fois dans le monde et dans le Royaume, exigent une sorte de plasticité spirituelle de l’Église de part et d'autre. Les cohérences et les dynamismes ecclésiaux doivent être redéfinis et recréés en fonction de ces rapports évangéliques fondamentaux que nous avons exprimés plus haut. Autrement nous tentons follement de mettre le Royaume et le monde à la remorque d'un modèle historique d'Église provisoire ou totalement déphasé, comme c'est le cas chez certains progressistes ou chez certains conservateurs. La Tradition chrétienne ne se déploie pas selon une pure continuité répétitive et homogène, ni selon des ruptures totales et des créations globales ex nihilo. Ses dépassements spirituels puisent autant dans les plus lointaines sources que dans les crises prophétiques de l'actualité historique. Mais toujours l'horizon du Royaume reste prioritaire. Il y a donc une façon chrétienne originale de vivre l'aventure spirituelle de l'homme historique. Il existe aussi des repères essentiels pour comprendre et vivre le même Évangile, la même foi, et l’Église de Jésus-Christ.
Redevenir créateurs
Mais il ne suffit pas de lever les obstacles majeurs. Qu'avons-nous à dire et à faire ? Nous avons surtout à créer des sens et des dynamismes neufs à même l'histoire réelle d'ici pour la libérer de son aplatissement. Les chrétiens doivent percer les perplexités avec la lumière évangélique de leur propre recherche spirituelle. Savent-ils l'originalité qu'ils portent ? Sont-ils capables de mettre de nouveaux projets sur la table ? Peuvent-ils redonner vision et espoir à ce qui monte timidement des expériences actuelles tâtonnantes mais généreuses ? Ont-ils le souffle court ? Veulent-ils entrer dans les dures luttes du pays réel, dans les recherches et les efforts de construction d'une société et d'un homme nouveaux ? Serons-nous présents, créateurs, prospectifs dans les redéfinitions actuelles de l'école, de l'usine, de l'État, ou encore de la politique et de la culture ? Jusqu'ici de vagues intentions inoffensives ont côtoyé des expériences périphériques de comptoir alimentaire ou de petites [19] fraternités. C'est pourtant en Église dans des mouvements plus vastes et plus profonds, que les chrétiens « forceront » les grands circuits collectifs pour les entraîner dans des nouvelles avenues. Que de critiques simplistes n'entendons-nous pas, de gauche ou de droite ! Certains craignent la résurgence d'un Innocent III, révolutionnaire ou socialiste pour l'opposer aux copies de Pie XII. Que faire avec des théologies qui ratiocinent sur des conceptions politiques ou ecclésiologiques aussi étriquées l'une que l'autre ?
Les évêques français ont ouvert récemment des pistes neuves où la qualité d'une réflexion chrétienne inédite s'articulait à une conception neuve et audacieuse de la politique. Au moment où un certain leadership religieux de notre Église commence à prendre des coudées prophétiques prometteuses, il serait dommage que les Églises locales se contentent de projets de survie, et que les groupes charismatiques se replient sur leurs communes autosuffisances et autoconsommatrices. Ces pratiques quotidiennes même les plus humbles ne produisent des fruits qu'au cœur de grands élans vitaux, de desseins plus larges qu'elles-mêmes. Toute action chrétienne s'affaisse rapidement sans le ressort du Royaume, sans la démesure de l'Évangile. Le plus mauvais architecte vaut mieux que l'abeille de la ruche. Marx nous vole ici une idée-force inscrite depuis longtemps dans la Révélation salvifique. Nous avons reçu du Ressuscité le pouvoir de bâtir le monde comme nous le voulons. Cette aspiration chrétienne doit se donner des mains, sinon, elle méritera toujours le même reproche... celui de Marx comme celui de Garaudy. Certains incroyants redécouvrent le christianisme... et en même temps les receleurs de son Espérance.
Des praxis chrétiennes à ré-inventer
Après ces premières clarifications nous voulons affirmer ici la préoccupation majeure qui traverse cette deuxième étape de notre travail, à savoir la conjugaison dynamique et finalisée de la pensée et de l'action chrétiennes. C'est ce que nous appelons une praxis chrétienne. On commence à vivre une certaine convergence au plan des intentions et des visées d'avenir du christianisme. Mais il nous semble que la théologie et la pastorale, particulièrement, ne se sont pas encore engagées dans la révolution praxéologique dont nous avons besoin pour donner des mains à ce nouveau patrimoine commun spirituel. À titre de comparaison, nous dirions que la [20] théologie tient encore de l'univers mental de Feuerbach. Le retournement opéré par Marx, en termes de praxis, comme mode dialectique de connaissance et d'action, comme intelligence particulière de l'expérience, comme dynamique de l'histoire, ce retournement n'a pratiquement pas touché les définisseurs, les chefs religieux et la plupart des chrétiens. Ne cédons pas ici à une vaine psychologie de rattrapage ou de mauvaise conscience. Voyons nos propres enjeux de créativité spirituelle.
La magnifique poussée de la théologie de l'Espérance est encore traduite dans une démarche abstraite et essentialiste. « L'avenir absolu » de Rahner, les « ultimate concerns » de Tillich, le « subversisme évangélique » de Metz, la « fête » de Moltmann nous apparaissent loin des praxis réelles des révolutions contemporaines et des expériences quotidiennes. Revenons à Marx. Celui-ci nous dit qu'on ne change rien dans la société et chez les hommes, si on n'atteint pas, de l'intérieur, l'activité quotidienne avec ses rapports sociaux déterminants. Mis à part l'économisme discutable du plus grand prophète séculier du dernier siècle, il faut reconnaître que sa dynamique d'autocréation de l'homme à travers le travail libre, créateur, responsable, solidaire et gratifiant a été à peine touchée par la réflexion et la pastorale chrétiennes. Les théologiens ont « essentialisé », dans le ciel abstrait de la création et du salut, les premières intuitions et expériences praxéologiques des militants chrétiens ouvriers. Le réflexe scolastique est encore omniprésent, surtout dans l'univers mental catholique. Pourtant la Bible et l'Évangile se sont constitués par des praxis beaucoup plus que par des systématisations déductivistes. L. Dewart, il y a quelques années, avait pointé cette dérive de la théologie et du magistère en relevant leurs emprunts ambigus sur une certaine philosophie grecque. Évidemment, la scolastique de l'essence du christianisme servait bien les visées d'un pouvoir religieux absolu sur le monde. Derrière la scolastique, il y a un système socio-politique et une ecclésiologie qui ont été bien analysés dans des œuvres critiques récentes. Ne nous attardons pas aux procès faciles et stériles du passé. Reconnaissons plutôt les résidus de ces influences dans le présent. Et surtout, essayons de repérer à la fois les ressources praxéologiques de nos propres racines judéo-chrétiennes et les signes de l'Esprit dans les praxis contemporaines. Nous avons nos propres dynamiques historiques. Or, elles ont beaucoup de connivences avec celles des grands courants profanes qui soulèvent le monde actuel vers des horizons inédits et inconnus. On trouvera [21] dans cet ouvrage des tentatives d'élaboration de praxis chrétiennes accordées à ces visées de fond.
UN COFFRE D'OUTILS
Nous présentons ici un modeste coffre d'outils pour donner cohérence et dynamisme à des démarches praxéologiques essentielles et interdépendantes ; l'observation, l'interprétation, l'intervention, et aussi la cohésion, l'éducation et la prospective comme appoints de soutien. Le lecteur pourra faire un choix selon ses besoins. Ce n'est pas un ouvrage conçu pour une lecture cursive. Un coffre d'outils, ce n'est ni une synthèse, ni une réponse globale. Nous sommes davantage préoccupé de soutenir l'immense effort de réapprentissage nécessaire aux chrétiens, religieux et prêtres, pour bâtir de nouveaux styles d'existence chrétienne, des formes neuves de témoignage et d'engagement évangélique dans le monde, des expériences inédites de solidarités chrétiennes, de sacerdoce et d'Église. Selon l'optique de la praxis, nous tentons une synergie des « pourquoi » et des « comment » de chacune des démarches d'apprentissage. Trop de recherches portent exclusivement sur les fondements alors que d'autres se consacrent aux structures et aux mécanismes sans déboucher sur une économie chrétienne. D'où ce divorce entre les idées et les appareils, entre la théologie et la pratique chrétienne ou pastorale. L'apprentissage vise précisément une capacité de joindre dynamiquement et justement le vécu et le pensé, le dire et le faire, le contenu et le contenant, le sens et l'action.
Mais toujours nous mettons au premier plan l'agent d'intervention. Et ce n'est pas sans une conscience vive du formidable problème de dépendance passive de la plupart des chrétiens. Combien de croyants se perçoivent effectivement comme des intervenants nécessaires dans l’Église et le monde ? Comment poser le défi de véritables appartenances à l’Église et laisser en même temps dans les mains d'une poignée d'agents pastoraux les ministères et les services ? On ne résoudra jamais les difficultés actuelles d'appartenance sans inventer une pédagogie de diversification des responsabilités et des tâches. Pourtant tant de talents et de charismes sont là en friche, en attente. Voilà un des principaux enjeux de l'élaboration de praxis chrétiennes. On n'appartient à l’Église et au Royaume qu'en les construisant. Il faut passer de la consommation religieuse à la créativité évangélique. On a vidé la vérité biblique [22] de son caractère factitif. Même le simple bon sens devrait suffire pour nous convaincre de la contradiction tragique de notre système clérical monopolistique. Ne sont-ce pas des tâches et des responsabilités concrètes qui donnent du prix à une implication dans une institution ? Même la qualité des relations dépend, dans une certaine mesure, du goût de faire des choses valables ensemble. « Si tu veux diviser les hommes, donne-leur du pain, si tu yeux les unir fais-leur construire une tour. » Les repères de l'Évangile sont : mission, témoignage, envoi, accueil, action de justice et de charité, marche vers le Père. Les invitations sont du même ordre : lève-toi, va à tes frères, partage, prends le large, mets-toi en route. On suit le Christ en précédant le monde à sauver, comme il l'a fait lui-même.
Le réalisme des mains
Toute spiritualité évangélique doit chercher ses praxis, correspondantes. Combien de rencontres chrétiennes débouchent sur des envois précis, sur des missions concrètes, sur des témoignages définis ? C'est pourtant un test de vérité majeur ! Derrière tous ces soupçons d'activisme, n'y a-t-il pas souvent une introversion spirituelle inavouée ? Si beaucoup de moyens et de pratiques d'hier ont perdu de leur pertinence sociale et évangélique, il reste que les spiritualités d'aujourd'hui ne se sont pas encore donné de mains. Et cela ne peut durer une éternité. Le croyant, comme l'homme tout court, se pense, s'identifie, se construit d'abord par son activité quotidienne. Quand celle-ci n'est pas créatrice, responsable et libérante, l'être humain cherche des fuites aliénantes ou bien il devient apathique et passif. Or, dans le domaine spirituel, ces dangers prennent des proportions énormes, parce qu'on se sent moins oblige de vérifier les contenus de son intériorité et de ses intentions. Le père de famille démissionnaire voit rapidement l'écart entre ses gestes et ses bons sentiments. Mais le croyant passif peut s'illusionner longtemps sur la qualité de sa foi. Jésus l'a bien compris, en nous laissant un point de repère inconditionnel : l'amour du prochain exprimé dans des gestes concrets. Nous avons t'impression de formuler ici une évidence. Et pourtant, ce simple rappel dénonce déjà l'orientation habituelle de bien des spiritualités et des pastorales anciennes et nouvelles. Par exemple on a le langage révolutionnaire facile en certains milieux chrétiens, mais y a-t-il des praxis fortes, réalistes et lucides pour « donner chair et vie à ce radicalisme [23] verbal » ? La Parole divine « crée » ce qu'elle proclame. La nôtre se contente souvent de ses dires.
On connaît l'objection fréquente des intellectuels d'Église, qu'elle vienne des censeurs orthodoxes ou des théologiens de pointe ; « Oui, mais les contenus ». Loin de nous le moindre bémol sur ces notes légitimes. Mais nous aimerions que ces définisseurs rigoureux soient aussi inquiets de la pauvreté des praxis chrétiennes actuelles. Ces intellectuels se donnent le beau rôle... et aussi le pouvoir... en concentrant toute l'attention sur les redéfinitions sans se préoccuper des réalisations effectives des nouvelles intentions chrétiennes. On passe beaucoup de temps dans l'Église en discussions et sessions interminables avec les penseurs de service. Mais bien peu s'inquiètent de ce qui se passe entre les colloques, entre les célébrations, dans le trafic quotidien. Quand à nous, nous croyons que certains culs-de-sac de la pensée et de la vie chrétiennes ne seront percés que par le courage de sortir de tant d'indécisions entretenues. Bien sûr, la réorientation réfléchie d'un itinéraire spirituel est nécessaire à la conversion. Mais l'élément humain majeur reste la décision et sa réalisation effective. Autrement, on se paie de mots, de bons sentiments et d'idées généreuses, mais on ne change pas de vie, on ne s'équipe pas pour la transformer, parce qu'on ne s'est pas préoccupé de transmuer ses convictions en dynamismes créateurs et en démarches fécondes. L'action concrète soutenue et réfléchie est l'école première du réalisme. On comprend bien des choses en les transformant. Le menuisier qui passe du devis à la construction effective sait ce que cela veut dire. De même l'artiste aux prises avec le matériau qui devra exprimer son rêve. Comment prétendre se passer d'une telle validation dans le domaine de la foi ? Ici, la Bible elle-même proteste de son réalisme. Et que dire de l'Incarnation du Verbe ? Nous aimons parler d'outils. Serions-nous séduits par la civilisation technologique ? Qui aujourd'hui n'en connaît pas les limites ? Mais nous soupçonnons que les spirituels ont laissé ce réalisme aux mains des marchands de choses et des pouvoirs dominateurs. Il est temps que les chrétiens sachent redevenir efficaces dans la construction du monde et de l’Église. Laissons les échecs à l'Esprit. Nous avons trop peu insisté sur les dynamismes créateurs que la Pâque a semés en nous. Les chrétiens resteront-ils « d'éternels préposés aux choses vagues » ? Le meilleur de leur tradition laisse entendre le contraire. Nous avons tout ce qu'il faut pour jouer un rôle déterminant dans [24] la transformation du monde, un rôle aussi matériel que spirituel. Si l'homme se comprend et se crée en changeant ce monde (Marx), cela est encore plus vrai chez le croyant. La crise de la foi trouve une issue évangélique dans la construction conjuguée du Royaume et du monde avec l'Esprit.
La synergie sacramentelle
Pensons au pain eucharistique. Saint Thomas lui a donné son vrai sens de construction de l’Église. Fruit du travail des hommes, ce pain est soulevé par une force christique qui amène les hommes et le monde jusqu'à la vie de Dieu. Quelles réductions n'avons-nous pas faites pour en arriver à la pure consommation ? En plaidant pour un meilleur réalisme praxéologique à l'intérieur de la dynamique évangélique, nous avons la conviction de toucher un point vital de la perplexité actuelle des chrétiens. Les catéchèses ne suffisent pas. Il faut de véritables réapprentissages. Il ne suffit pas de passer métaphysiquement de l'essence à l'existence. Certains croient avoir tout dit quand ils ont parlé d'une approche plus existentielle. Un tel propos ne fournit aucun outil. L'analyse peut être aussi statique en dépit de son caractère plus concret. L'apprentissage a l'avantage de constituer le croyant en agent d'intervention. Et la praxis permet de « réaliser » cette dialectique fondamentale entre le sens et l'action. Un sens qui crée et une action qui signifie. En régime chrétien, la synergie de l'action de l'Esprit et de l'action du croyant comporte tous les impondérables du Mystère... mais aussi ses dynamismes spirituels. Il arrive souvent que la lumière évangélique vienne après les décisions et les risques « agis » du croyant. Selon une telle optique, la théologie et le magistère d'authentification gagneraient à se définir davantage comme des instances critiques secondes. Quand l'une et l'autre occupent toute la place, le chrétien se croit libéré de chercher le sens de son propre itinéraire spirituel et d'inventer avec l'Esprit son propre chemin de conversion, de témoignage et de solidarité évangélique. On n'a pas eu besoin de son vécu pour lui dire quoi penser. Mors il ne sait que faire avec sa propre expérience. Ne faut-il pas inverser la démarche et cheminer avec lui pour réapprendre les voies toujours renouvelées du Royaume et de l'histoire ? La théologie tourne souvent en rond parce qu'elle part de son propre terrain, tout en consentant à de superficielles incursions dans la vie lointaine des chrétiens. S'est-elle vraiment équipée pour faire une exégèse sérieuse et [25] rigoureuse du pays réel des croyants ? Il est trop facile de « discarter » les apports des sciences humaines pour mieux affirmer la spécificité de la théologie. Celle-ci a aussi besoin de ces instruments surtout quand elle réfléchit sur des réalités correspondantes. Certains jugements de théologiens sur le monde actuel n'ont rien de théologique. Ils sont parfois tout simplement de la mauvaise sociologie ou anthropologie. En praxéologie, la théologie marque de graves retards sur les sciences humaines. Nous présentons ici un bien modeste effort pour l'intelligence des praxis sociales, pastorales et chrétiennes. Un effort partagé avec des théologiens, d'autres scientifiques, des pasteurs et des chrétiens.
Les satellites de notre axe praxéologique
Signalons enfin certaines préoccupations qui débordent notre axe de recherche et d'action.
- - D'abord le double souci d'assurer leur part d'oxygène aux chrétiens de tout horizon et de ne rien sacrifier des attitudes évangéliques ou prophétiques, quitte à bousculer les uns ou les autres, nous-mêmes compris.
- - Fidélité aussi au pays réel de l'Église et de la société d'ici avec leurs antécédents historiques, leur situation présente et leurs diverses aspirations.
- - Intérêt non déguisé pour les nouveaux modèles, particulièrement de praxis. L'Église postconciliaire ressemble un peu aux chemins de fer américains. Ceux-ci se sont limités au transport sur rail. Aujourd'hui, ils sont en faillite. Chez nous, le Canadien Pacifique a ouvert d'autres branches de transport à mesure que les inventions nous ont donné tour à tour l'automobile, l'avion, les ordinateurs, etc. L'Église romaine s'obstine sur ses rails, au moment où des chrétiens commencent à inventer de nouvelles praxis. Qui sait si, comme dans le cas cité plus haut, la doctrine officielle n'a pas, elle aussi, identifié ses objectifs uniquement à partir de ses rails ? Elle chemine de plus en plus seule, loin des nouveaux réseaux de communication où l'Esprit semble très actif. Le problème, ce ne sont pas les rails, mais plutôt ceux qui veulent contenir le monde et le Royaume entre ces deux étroites parallèles. Ah ! l'esprit de géométrie quand il se fait religieux !
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- - Transmutation d'un style chrétien d'imitation à un style de créativité spirituelle. Ce n'est un secret pour personne, tous nos antécédents de chrétienté ont valorisé ce premier modèle. Nous avons tenté des correctifs avec des modèles ambigus d'adaptation : présence au monde, pastorale d'ensemble, christianisme séculier, etc. Nous croyons que la nouvelle spiritualité d'espérance doit déboucher sur de vraies praxis d'anticipation du Royaume, sans pour cela confondre la vérité du monde et celle du Mystère. L'écart entre le « déjà » et le « pas encore » est moins un creux qu'un élan créateur et responsable dans la conscience chrétienne. Dans ce contexte, nous ne ferons pas l'économie de tensions, de débats et conflits. Mais la création de nouvelles avenues doit primer.
- - Affirmation de la liberté évangélique des chrétiens comme un signe majeur de la Rédemption. Nous lutterons jusqu'au bout contre des pouvoirs religieux qui maintiendront des attitudes contraires. Mais en même temps nous rappellerons aux croyants eux-mêmes qu'ils doivent être capables d'aller au bout de leur liberté évangélique et d'en payer le prix. Ici, d'une façon plus évidente, apparaît la nécessité d'une profonde intériorité évangélique.
- - Revalorisation du croyant de la base dans l'Église, un peu comme le citoyen devenu conscient de son rôle primordial dans l'aménagement de la société. Ici l'évolution profane des chrétiens amène une distorsion tragique par rapport à une appartenance ecclésiale qui repose sur une implication infantile. Le rapprochement ne scandalisera que les esprits religieux aliénés de la vie réelle et de l'Évangile lui-même. Il faut redonner à l'ensemble de la communauté la plupart des ministères centralisés dans les mains des clercs.
- - Attention spéciale aux soutiens d'animation spirituelle. À l'intérieur, à la périphérie et en dehors de l’Église, des jeunes et des moins jeunes vivent une quête spirituelle dans les sentiers inédits des révolutions culturelles ou socio-politiques. La plupart ne veulent pas des médiations officielles. Il faudra beaucoup « d'inventivité », d'imagination et d'empathie spirituelle, pour participer de façon judicieuse et fraternelle à ces mouvements charismatiques. Jamais n'a-t-on eu autant besoin de discernement spirituel et de créativité institutionnelle, sans compter les requêtes d'un témoignage chrétien de qualité.
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- - Consentement à de véritables priorités autour d'axes d'intervention privilégiés dans les Églises locales. Il ne suffit pas de passer du monolithisme au pluralisme. Celui-ci peut devenir garant du statu quo et une voie de garage pour les diverses familles spirituelles. Au moment où chez nous des groupes très larges se donnent des mécanismes efficaces de participation pour élaborer des projets collectifs, il est ridicule de prétendre que les Églises locales ne peuvent déclencher un tel processus.
- - Conviction que la cohésion et la vitalité internes de l’Église dépendent de la richesse diversifiée de ses formes communautaires. L'Église a perdu ses tissus de base. Elle n'offre plus de médiations d'appartenance entre les croyants dispersés et des structures officielles souvent désuètes. Elle ne peut plus compter uniquement sur les clercs pour les tâches de regroupement et de célébration. La crise du sacerdoce est inséparable de celle de la communauté... son dépassement aussi ! Même chez des chrétiens hypercritiques, en rupture avec l'institution, on trouve en filigrane, un certain projet d'Église autour de tel ou tel axe : fraternité, mission, prophétisme du sens ou fête anticipatrice. Certaines réticences des traditionalistes font injure à la Tradition. Ils ont oublié que le symbole de Nicée a d'abord été le confluent de nombreuses communautés et Églises locales. Le rôle hiérarchique d'authentification a été second !
- - Renouvellement radical et bien planifié du pastorat. Certains se demandent devant le vieillissement précipité du corps sacerdotal et religieux, si on n'a pas trop reculé les échéances de vraies politiques de relève, surtout au plan du leadership. Étant donné l'importance de la succession apostolique, cette erreur est d'une gravité insoupçonnée. La pyramide d'âge des permanents de l'Église et le rétrécissement drastique du réservoir mène à brève échéance à deux culs-de-sac : celui du personnel et celui des finances. Les aînés tenteront demain de remettre à de plus jeunes un paquet de problèmes qui auront connu le pourrissement faute d'action énergique au bon moment. On risque bien des refus.
- - Espérance envers et contre tout. L'Église de l'avenir n'aura pratiquement que l'Évangile et les moyens pauvres d'un volontariat réduit. La seconde évangélisation sera peut-être cet humble [28] recommencement, libéré de nos hypothèques historiques, et dynamisé par la force nue de l'Esprit.
- - Au creux de cette faiblesse chrétienne dans le monde, des communautés ecclésiales, sans pouvoir, inventeront de nouveaux projets historiques, des percées de sens, des dynamiques spirituelles de civilisation. Cette économie chrétienne du renouvellement radical de l'homme et de l'histoire peut aider au déblocage d'une politique sans contenu, sans praxis, sans finalité. Les civilisations qui meurent retournent au chaos de la Genèse, c'est là que l'Esprit les attend pour une terre nouvelle entée sur le Royaume.
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Note
La facture même de ce travail nous a amené à voir sous diverses facettes et selon des perspectives praxéologiques différentes certains problèmes fondamentaux. Une lecture superficielle n'y verra que répétitions ou simples variations. On peut travailler sur un même matériau avec des outils différents. Dans un cadre d'apprentissage on y gagne à ne pas exercer un métier sur de trop nombreux terrains à la fois. De même, il était important pour nous d'observer, d'interpréter et d'intervenir dans une aire circonscrite pour ne pas dérouter le lecteur.
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