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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Déprofessionnalisation, pratique sociale et savoir-faire (1979)
Intrroduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de M. Jacques Grand’Maison (1931-), Déprofessionnalisation, pratique sociale et savoir-faire”. Un article publié dans la revue Critères, Montréal, no 26, 1979, pp. 131-146.

Introduction

On ne saurait mettre en regard la déprofessionnalisation, la pratique sociale et le savoir-faire sans procéder à un examen sérieux de ce qui arrive chez nous et ailleurs, particulièrement dans les sociétés occidentales. 

Bien sûr, plusieurs démarches sont possibles. 

1. Je pense à la critique des idéologies sous-jacentes à des réalités qui semblent neutres au départ : la science, la technologie, l'expertise professionnelle. Or, on sait bien que dans leur exercice celles-ci portent des pouvoirs en amont et des intérêts en aval, souvent mieux camouflés que ne le sont les pouvoirs et les intérêts des jeux économiques et politiques. 

Récemment, il y avait grève des chercheurs du M.I.T., non pas sur les conditions de salaire ou même de travail, mais sur les objectifs de recherches qu'ils devaient poursuivre, sur le champ idéologique qui sustentait les choix : v.g. production d'armes et de gadgets de luxe sans aucune hiérarchie de valeurs ou de besoins. C'est une conscience professionnelle articulée à un jugement politique honnête qui fondait leur critique idéologique. 

2. D'autres se préoccupent davantage d'examiner les formes possibles de problématique sociale ou le renouvellement d'une problématique sociale sans pour cela ignorer les requêtes de la première démarche. Mais ils mettent davantage l'accent sur l'exploration d'autres scénarios possibles, sur des projets porteurs d'un autre système social ou d'un système social autre. 

Il faut bien avouer, par ailleurs, que ces tentatives de solution globale de rechange, en Occident, perdent vite de vue le pays réel pour se loger dans l'utopie de nulle part, sinon dans un monde restreint d'initiés. La masse des citoyens ne trouve aucun air de famille dans ces modèles purs de technologie douce, d'autogestion, de commune, de collectif déprofessionnalisé et quoi encore ! 

Quant aux esprits plus politiques qui discourent sur la nécessité d'un nouveau contrat social, d'une société nouvelle, ils nous en tracent une figure bien vague. 

3. Je privilégie une troisième démarche qui se refuse à séparer une intelligence critique d'un champ historique très complexe, un essai de problématique, une expérimentation de pratique sociale et une pédagogie politique judicieuse. 

C'est ce' que m'a enseigné ma petite expérience dans divers projets collectifs depuis une vingtaine d'années. Oh ! une expérience bien modeste en regard des énormes défis du tournant actuel ; une expérience qui n'est pas ma propriété, bien au contraire, puisqu'elle a été vécue d'abord dans divers équipes et groupes d'intervention où j'ai plus reçu que donné ; une expérience limitée, mais intéressante par le fait qu'elle s'est déroulée sur des terrains où l'on pouvait difficilement se payer de mots. 

Une question centrale n'a cessé de l'habiter dans ses divers essais, dans sa continuité, ses ruptures et ses dépassements, à savoir : qu'est-ce qui fait une pratique sociale pertinente, cohérente et efficace ? Quelles conditions faut-il conjuguer ? Y a-t-il une sorte d'économie humaine de base à respecter ? Quels rôles y jouent les impondérables du jeu des libertés, les traits culturels spécifiques et un champ historique toujours situé ? 

On voudrait ramener la pratique sociale à la netteté logique d'un processus scientifique ou technologique. C'est ainsi que les sciences humaines ont été de plus en plus décalées par rapport aux changements précipités et de tous ordres : psychologiques, sociaux, culturels, économiques, politiques et autres. Les logiques et expertises professionnelles, elles aussi, ont connu le même écart grandissant. 

D'où la tentation de se replier dans la sécurité des schèmes des sciences exactes physiques et biologiques qu'on extrapole en pratique sociale puis en anthropologie. À ce chapitre, la fin du XXe siècle ressemble étrangement à celle du XIXe siècle. Les jalousies de l'homme sont décrétées identiques à celles du canard cendré de Lorenz. Pire encore, l'analyse chimique du mortier, à la limite, pourrait nous expliquer les cathédrales. 

Le procès montant des experts, des professionnels n'est pas dû seulement à certaines erreurs, à certaines faillites parfois gigantesques. J'entends des gens très simples qui y voient la forme la plus poussée de désappropriation de ce qu'ils ont de proprement humain, de leur personnalité, de leur expérience, de leur jugement, de leur savoir-faire, et même de leur parole. Quelqu'un me disait récemment qu'il était allé à la clinique médicale, que le médecin avait procédé à quelques tests et qu'il en était sorti sans avoir pu échanger une seule phrase avec le médecin. On est ici aux antipodes d'une pratique sociale. C'est de la barbarie professionnelle, fût-elle la plus scientifique. 

Le drame a aussi des dimensions politiques. Qu'advient-il de l'exercice démocratique, du rôle effectif des citoyens dans l'orientation de la société et de ses institutions, dans les choix politiques, etc. ? Les élus eux-mêmes n'y échappent pas. 

Most citizens are hostage to the superior knowledge of the expert : the professional, the scientist, the engineer, the specialist ... Such a trend is bound to raise questions about the future of popular rule. (F. Trippett) 

Et quand le terrain scientifique lui-même devient chargé d'incertitudes et de menaces, comme dans le cas de Three Miles Island, on commence à parler de « Science anxiety ». Faut-il pour cela disqualifier la science, la technologie, la compétence professionnelle, même si on a de bonnes raisons quotidiennes pour contester radicalement un professionnalisme qui réduit les hommes à un pur statut de « clients » tout en se prétendant seul définiteur sérieux des besoins ? Comment ne pas y voir une stratégie semblable à celle du capitalisme commercial ? 

Il y a donc ici des ambivalences, un envers et un endroit que je voudrais évoquer en poursuivant deux objectifs : d'abord, les deux côtés de la médaille du phénomène de déprofessionnalisation ; puis, la cueillette en cours de route de matériaux nécessaires à la construction de pratiques sociales pertinentes, cohérentes et efficaces.


Retour au texte de l'auteur: Jacques Grand'Maison, sociologue québécois (1931 - ) Dernière mise à jour de cette page le lundi 17 avril 2006 19:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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