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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Pourquoi sombrons-nous dans la démesure ? (2002)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de M. Jacques Grand’Maison (1931-), Pourquoi sombrons-nous dans la démesure ? Montréal: Les Éditions Fidès, Programme d'études sur le Québec, Université McGill, 2002. Collection: Les grandes conférences. 49 pages. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 15 mars 2004]
 

Pourquoi sombrons-nous
si souvent dans la démesure ?

Cette question se situe dans le prolongement de mes deux derniers ouvrages qui portaient sur la conscience et le jugement. Deux références cruciales de la spécificité humaine. Celles-ci concernent une dialectique anthropologique fondamentale : le sens de la mesure et de la limite, d'une part, et, d'autre part, cette béance qui ouvre sur la transcendance, sur le dépassement, sur des horizons autres que nos calculs et nos raisons. Béance à la source de nos sauts qualitatifs de civilisation, mais aussi de barbaries sans limites dont le totalitarisme et le militarisme effréné sont deux figures emblématiques d'une douloureuse actualité historique. 

Il y a là une clé de compréhension sérieuse pour réfléchir sur le sens de ce qui nous arrive, non seulement en termes de démarche critique, mais aussi d'exploration d'issues possibles. 

Derrière ce qui se défait, d'autres pousses de vie et de sens surgissent. Ce pari, je le tiens tout autant d'une conception humaniste que de ma tradition spirituelle. Il sera donc question aussi des nouvelles forces de rebondissement déjà en gestation au meilleur de notre modernité, sans compter celles des riches héritages historiques du patrimoine humain. 

Depuis deux siècles, les idéologies dominantes ont été surtout inspirées par une lecture matérialiste de l'histoire et des enjeux contemporains. N'y a-t-il pas place aussi pour une autre lecture qui relève de nos profondeurs morales et spirituelles ? Un certain positivisme fort répandu a fait peser sur ce genre de démarche un interdit, un tabou rarement reconnu comme tel, et cela même dans les sciences dites humaines. Nous verrons comment on ne peut plus refouler, contourner ou écarter un tel questionnement qui nous renvoie aux couches les plus denses de la conscience et de l'intelligence de l'humanité. Même l'histoire de la philosophie et les riches patrimoines reçus deviennent, en grande partie, inaccessibles, sans cette culture véhiculée par les grandes traditions spirituelles. La question que je soumets à notre réflexion a beaucoup à voir avec cette problématique de départ, fût-ce l'enjeu majeur de contrer une certaine logique de mort qui hante la conscience contemporaine. Notre civilisation, la plus prestigieuse de l'histoire, ne fait pas seulement face à la barbarie des autres, mais à ses propres démesures de plus en plus incontrôlables. D'où la tentation de désespérer de l'humanité. Nos hauts taux de suicide n'en sont que la pointe de l'iceberg. Un certain courant nihiliste multiforme envahit l'Occident. L'effondrement du World Trade Center, « centre du monde » en français, nous rappelle l'événement historique du Titanic : ce bateau riche, triomphant, orgueilleusement perçu comme insubmersible, où l'on jouit et s'amuse dans la plus totale inconscience de la finitude humaine, aveugle aux menaces qui l'entourent, aux leçons de l'histoire, et à la mortalité des civilisations évoquée par les grands récits, les grands mythes culturels et religieux. Bref, l'homme qui se fait Dieu. 

Bien avant ce 11 septembre 2001, la civilisation occidentale voguait sur trois promesses paradisiaques qui ont atteint leur sommet au cours des fameuses trente glorieuses, à savoir une croissance économique sans limites, un développement social sans limites, une libéralisation des moeurs sans limites. Trois certitudes : on pouvait tout prévoir, tout faire, tout se permettre. Nos idéologies capitalistes, socialistes, néo-nationalistes ou même contre-culturelles participaient de la même démesure. Adieu l'histoire et ses leçons de finitude. 

Après le court moment politique de construction de l'avenir, on est passé à la jouissance maximale du présent. Partis à la conquête d'une société radicalement nouvelle, nous avons évolué vers la quête éperdue de nous-mêmes dans une culture de plus en plus narcissique, saturée de nouvelles modes pop-psychologiques et même religieuses. Bref, on ne cessait de sombrer dans la démesure, y compris dans cette nouvelle mode nihiliste qui a suivi les déceptions malheureuses de nos idéologies triomphantes et la crise du politique qui les véhiculait. 

Nous avons la mémoire courte. Souvenez-vous de cette époque et de son chant thématique : 

C'est le début d'un temps nouveau
La terre est à l'année zéro
La moitié des gens n'ont pas trente ans
Les femmes font l'amour librement
Les hommes ne travaillent presque plus
Le bonheur est la seule vertu 

L'histoire et la mémoire liquidées, le paradis terrestre est ànotre portée, et le bonheur infini est à nos pieds. 

Et nous voilà maintenant face à de nouvelles évidences de la finitude humaine, face à l'impératif de retrouver le sens de la mesure pour vivre selon nos moyens, reprendre le collier du pas à pas, panser patiemment nos blessures et reconstruire bien des choses qui se sont effondrées. On ne tombe pas d'aussi haut sans être gravement sonnés. 

Certes, nous ne sommes pas au ground zero. Nous ne sommes pas une société du tiers monde. Nous ne manquons pas d'atouts, de ressources de tous ordres. « Mais il y a quelque chose de cassé au fond de nous-mêmes et de la société, quelque chose qu'on n'arrive pas à identifier, à comprendre, à assumer. » C'est ce que nous ont dit plusieurs de nos interviewés de divers groupes d'âge et de milieux sociaux dans le cadre de la recherche que je dirige depuis 13 ans sur les orientations culturelles, sociales, morales et spirituelles dans la population de six régions du Québec. 

Voilà ce qui m'a amené à opter pour le sujet que je propose dans cet exposé. Pour explorer le sens de ce qui nous arrive, nous avons besoin de prendre un peu plus de distance et d'altitude. C'est l'abc de la démarche non seulement de la philosophie, mais aussi de la conscience spécifiquement humaine et de l'exercice du jugement. je l'ai fait d'abord dans mes deux derniers ouvrages : Au nom de la conscience, une volée de bois vert et Quand le jugement fout le camp. Aujourd'hui je veux pousser un peu plus loin cette réflexion autour de la question : Pourquoi sombrons-nous si souvent dans la démesure ?


Retour au texte de l'auteur: Jacques Grand'Maison, sociologue québécois (1931 - ) Dernière mise à jour de cette page le vendredi 2 juin 2006 11:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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