In memoriam
MICHEL GRENON (1936-1996)
Jean-Paul BERNARD
Michel Grenon avait appris qu'il était atteint d'une maladie grave. Un mois plus tard, il n'était plus, parti avec courage et capable, malgré tout, d'humour. C'est dans des termes émus et émouvants que la direction du Département fit part à tous de la triste nouvelle.
On lui était très attaché. D'où la consternation et le chagrin palpables au Département. Un professeur, au téléphone, a eu du mal à retenir ses sanglots. Une collègue a déclaré qu'elle avait l'impression qu'elle allait s'ennuyer. C'est que Michel était attentif aux personnes et aux destins, qu'il avait du tact et que sa présence était chaleureuse. Dès le début de décembre le SPUQ-INFO a publié un «Hommage» à celui qui venait de disparaître.
Du côté étudiant aussi les signes d'attachement ont été nombreux. Dans le dernier numéro du Temporel la rédactrice et un étudiant, d'autre part, soulignent que ses cours étaient toujours appréciés et qu'on le considérait comme un professeur brillant. On s'était informé de son état de santé auprès de ses collègues du Département et on leur avait demandé de lui transmettre des voeux de bon rétablissement. Des étudiants et des étudiantes ont suggéré que le local qu'ils espèrent obtenir au 6e soit nommé «Salle Michel Grenon», pour conserver la mémoire d'un professeur qui avait le respect des étudiants, l'art de faire comprendre et du discernement.
L'UQAM et son Département d'histoire furent créés en 1969. C'est à notre invitation qu'il se joignit à nous l'année suivante. Professeur à l'Université de Montréal depuis 1961, il avait prononcé une série de conférences à Radio-Canada (1968) sur «L'historiographie de l'Europe moderne» et il avait donné un cours et un séminaire à l'Université Laval (1969). Il était l'européaniste du Groupe de recherche sur les idéologies dans la société canadienne-française (Griscaf). Un texte de lui, qui re-monte à ce temps, «Simples notes sur le cosmopolitisme canadien» a été publié (1973) dans les Annales historiques de la Révolution française.
Né à Montréal en 1936, il avait reçu son Baccalauréat ès Arts de l'Université d'Ottawa (1957). C'est à l'Université de Montréal qu'il fait sa Licence ès Lettres de même que ses études de doctorat. Sa thèse aura pour titre «L'idée de progrès et le débat sur l'orientation de l'instruction publique pendant la Révolution française». Il ne faut pas retenir seulement Révolution française, mais tout autant «idée de progrès», «instruction publique» et «débat», qui disent l'objet spécifique de la recherche et un intérêt qui ne se démentira pas pour une manière particulière de circonscrire les éléments d'un problème et les enjeux d'une discussion.
Michel Grenon a participé à l'ouverture du programme de maîtrise du Département à l'Europe, aux États-Unis et à l'Amérique latine (1972), le premier programme (1970) étant limité au Canada et au Québec. Il a été particulièrement actif dans l'organisation du Centre interuniversitaire d'Études européennes, dont il a été le premier directeur (1971-1972) - il dirigera de nouveau le Centre de 1981 à 1984. Il a aussi été de l'équipe initiale du Groupe de recherche sur la société montréalaise au 19e siècle (GRSM, 1972). Ses années à la direction du Département (1973-1975) correspondent en partie à ses travaux avec Régine Robin à propos de la pratique historienne, de l'Ancien Régime et de la transition (voir la revue Dialectiques, 1975, 1976 et 1978).
Parmi ses conférences des années 1980 on en remarque une, intitulée «États-nations et minorités nationales» (Société canadienne des Nations-Unies, 1983). On note sa contribution au Colloque Diderot (ACFAS, 1984) parue dans les Actes Diderot et l'émergence de notre modernité. Dans une communication au Congrès des Sociétés savantes (Windsor, 1988) il parle de «L'avenir de l'histoire après les Annales». Et au colloque «Où s'en va l'histoire ? » (Université Paris VII, 1989) il propose «Vers une nouvelle alliance avec la littérature et la philosophie ? ».
À l'occasion du bicentenaire de la Révolution française Michel Grenon est sollicité de toutes parts. Il participe au Colloque de l'ACFAS et y présente «Virilité et corps politique chez les Conventionnels» (Actes, 1990). Il collabore au livre collectif dirigé par Claudette Hould et publié par le Musée du Québec, et il répond avec un article à l'invitation de la revue Études françaises (25, 2/3, 1989). Avec Jean-Paul Bernard, il écrit «La Révolution française et les Rébellions de 1837 et de 1838» (Université d'Ottawa, Colloque de 1989, Actes, Sylvain Simard, dir., La Révolution française au Canada français). Surtout, il assume la direction de la publication chez HMH du collectif L'image de la Révolution française au Québec, 1789-1989, dont il signe l'introduction «Les commencements d'un affrontement durable» et la conclusion «La part des choses et la part des mots». Ce livre lui vaudra le Prix France-Québec de l'année 1989.
De 1990 à 1993 Michel Grenon est directeur des Études avancées au Département, et membre de l'exécutif départemental. Avec Josiane Ayoub du Département de philosophie il a entrepris une vaste enquête, la construction d'une base de données et de thèmes d'analyse, sur le corpus des Procès-verbaux du Comité d'instruction publique sous la Révolution. C'est dans ce cadre qu'il fait paraître aux Presses de l'UQ (1992), avec Josiane Ayoub et Serge Leroux, trois fascicules, Condorcet et Rome, Lepeletier et Bouquier, Lakanal et Daunou. Il travaille également au numéro thématique de la revue Lekton sur le phénomène de l'acculturation (automne 1992), dont il écrit la présentation, un article intitulé «La notion d'acculturation entre l'anthropologie et l'historiographie» et un article en collaboration avec Luc Giroux. Encore dans Lekton et cette fois avec Josiane Ayoub il fait paraître une étude considérable sur «L'école des Lumières» (1993). Il était actuellement engagé, avec Josiane Ayoub, dans un projet de recherche (CRSH) sur les «Fondements philosophiques et (la) fonction politique du projet pédagogique des idéologues», et dans un autre (FCAR) où, ensemble, ils devaient collaborer avec Gilles Bourque et Jules Duchastel du Département de sociologie.
Michel Grenon était un historien heureux de son appartenance disciplinaire. Mais il s'intéressait aussi, activement, à la littérature, à l'histoire de l'art et à la philosophie. Il définissait l'universitaire comme quelqu'un à qui on a donné le loisir de réfléchir, et qui a l'obligation de rendre compte de sa réflexion. Il y avait chez lui de la compétence et de l'originalité, du savoir vivre et de l'élégance.
Source: Bulletin du département d'histoire, no 22, hiver 1997, UQÀM, pp. 17-19. [EN LIGNE] Fichier PDF téléchargé le le 27 juillet 2008.
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