“On demande gestionnaire
d’une fin de partie.”
par Charles Halary
Département de sociologie
Charles Halary, “On demande gestionnaire d’une fin de partie.” [pp. 39-48 de l’édition originale.]
- Le modèle de l’Université libérale moderne
- Le modèle en crise : l’UQAM à la croisée des chemins
- La victoire des gestionnaires
Georges Leroux a caractérisé avec justesse, dans le SPUQ-Info, la pertinence actuelle de l’idéal dix-huitiémiste qu’est l’université libérale dans un article constatant sa dégradation extrême, article qu’il a intitulé Facultés inc... : « ...c’est la victoire des savants sur un cénacle de professions [1] ». Cénacle est un terme bien choisi. C’est une salle à manger, celle de l’étage supérieur qui domine la situation. Les professions de cette époque révolue mangeaient la laine sur le dos du pauvre monde. Ce monde était pauvre parce que tenu dans l’ignorance, dans une grande noirceur, par les membres du cénacle. Dans ce cénacle figuraient les évêques dogmatiques tancés par Voltaire, ceux qui récitaient par coeur leur catéchisme dans le seul but d’excommunier, les médecins aux remèdes universels, mis en scène par Molière, qui vous guérissent de la vie par la mort diagnostiquée, et les procureurs par lesquels un menu incident devient vite prétexte à ruineux procès. Ces professions avaient étouffé les universités jusqu’aux Lumières. Elles sont revenues en force, depuis quelques années, avec les atours les plus divers. La spécialisation professionnelle, vite désuète, écarte la culture générale, féconde d’idées nouvelles.
Le modèle de l’Université libérale moderne
À peine créées au Moyen Âge, les premières universités savantes citadines avaient été délaissées par l’Église pour favoriser des séminaires homophiles, scolastiques et thomistes. L’exclusion des femmes des savoirs institutionnalisés en était l’effet principal. Les universités urbaines étaient devenues sensibles aux influences orientales qui se manifestaient surtout par la recherche de l’infini du savoir en déployant les subtilités mystérieuses des jeux de l’esprit. Le centre de référence intellectuelle de l’Europe était alors en Espagne mauresque et tolérante. Cette idée universitaire essentielle, la recherche du savoir, par devers le christianisme, permettait de laisser la société européenne produire un message qui est devenu acceptable pour tous les êtres humains : il existe un grand livre de la connaissance humaine et chacun peut y avoir accès avec un peu d’efforts. Cela ne pouvait pas être admis par l’Inquisition. Avec Jean Bodin et d’autres, l’État devint la source de légitimité de cette idée. Les universités européennes en rupture d’Église trouvaient ainsi leur modernité. Ce message était d’autant plus intéressant pour les citadins que ce livre universel était à écrire par tous, comme Internet aujourd’hui, et qu’il n’a pas de fin prévisible mais des cheminements en forme de rhizomes. L’idée démocratique germait dans ces nouveaux réseaux de savoir innovant.
Avec l’imprimerie, inventée à côté des universités, la liberté de l’esprit se dégageait des institutions en place pour contribuer à former une opinion citadine libérale émancipée des superstitions rurales transmises par les rumeurs les plus folles. L’université commence alors à devenir lieu de science. Trois siècles après ces bouleversements, les activités scientifiques sont devenues sa véritable raison d’être avec l’explication du monde visible par la physique et l’apparition du vivant par des sciences qui se cherchent encore. Le Siècle des Lumières impose la liberté de création et de pensée à une Église désemparée qui amorce un déclin irrémédiable. Au contraire, les universités prospèrent dans une société plurielle. La société démocratique est née. Elle a pour originalité la création et la diffusion des connaissances nouvelles, une idée optimiste de Condorcet. C’est la mission des républiques universelles que tous les réformateurs libéraux, artisans des sciences humaines, appellent de leurs voeux.
La religion de la Bible laissait place à l’écriture du Livre de la Nature. C’est ce qui a permis peu à peu de voir s’y agréger la science naissante et la croyance dans un progrès collectif du genre humain vers une prise en charge pratique de son espace planétaire et une construction intellectuelle de son environnement cosmique. Collectif voulait alors dire : les femmes et les hommes ensemble unis dans un même mouvement de création intellectuelle et d’innovations pratiques destinées à former l’esprit de leurs enfants.
L’université est donc une utopie féconde, comme le sont les hommes et les femmes ensemble, dans leurs relations amoureuses. L’université, construite au 13e siècle sur les dogmes de la Sorbonne et de Bologne, a peu à peu accepté les idées nouvelles et ensuite en a produit elle-même avec beaucoup de générosité. Une générosité consistant à dispenser et non pas à vendre. À dispenser, en salle alors et sur le site Internet aujourd’hui, les meilleures connaissances à tous, comme le fait l’Université de tous les savoirs du philosophe Yves Michaud à Paris, et non comme le font des organisateurs de colloques à 300 $ la journée. C’est pourquoi les universités européennes, sources des Lumières, continuent pour la plupart à diffuser un enseignement gratuit. Or, le système impérialiste nord-américain veut leur imposer ses nouvelles lois en pillant leurs idées et leurs cerveaux tout en laissant ses villes dans un état apocalyptique, comme la Nouvelle-Orléans, et en tenant en captivité la plus grande population carcérale au monde après la dictature chinoise. L’alliance incroyable des anciens adorateurs du totalitarisme politique maoïste et des dirigeants des grandes firmes de relations publiques des multinationales nord-américaines est aujourd’hui la plus grande menace possible pour l’idéal universitaire des Lumières.
Le modèle en crise : l’UQAM à la croisée des chemins
Le système universitaire québécois francophone se retrouve pour sa part à la croisée des chemins. Ou bien le Québec s’allie à l’Union européenne pour s’opposer au glissement du Canada dans l’orbite de Bush. Ou bien il disparaît par démographie insuffisante, renoncement à sa culture d’origine et reniement de ses options sociales solidaires. Le mouvement étudiant du printemps 2005 a porté ce débat sur la place publique. Il n’a pas été entendu à sa juste mesure.
À sa manière, l’UQAM a prolongé en Amérique du Nord des idées réformistes étudiantes nées à Paris 8-Vincennes dans les années 1968-1972 (avec Georges Lapassade comme passeur) et qui y sont toujours bien vivantes en mars 2006 dans la lutte contre le CPE, entre autres. Hélas, l’UQAM est devenue malade de sa gestion immobilière. Elle est en train de basculer dans l’affairisme nord-américain. Ce ne sont plus les institutions publiques de l’éducation qui font la société désormais, mais de petits groupes de financiers appuyés sur des agences de relations publiques qui tiennent en main les médias. Et c’est ainsi que l’UQAM se transforme en agence de développement immobilier.
Nous voilà loin des idées-sources fondatrices liées à la montée d’une jeunesse créative au cours de la Révolution tranquille. Il est vrai que ces idées libérales étaient peu digestes pour les cénacles de ces professions, particulièrement duplessistes. Même tranquille, la Révolution ne leur plaira jamais. L’utopie universitaire, aussi belle qu’inaccessible, comme le ciel étoilé, leur paraît ingérable, donc insupportable. Contre elle, il faut prendre position. Quelle drôle d’idée, en effet, que celle qui consiste à utiliser nos faculté(e)s pour engendrer de la pure pensée toujours originale et jamais deux fois semblable. Il vaudrait mieux, selon ces professionnels de cénacle, voir les professeurs répéter la même chose comme des perroquets en cage avec pour seul aliment l’horreur pédagogique granulée.
Les néo-professionnels sont des gens d’ordre apparent, aux actions garanties, aux assurances jamais démenties (ils construisent des immeubles, sculptures de pensée immobile étagée), alors que les professeurs, ceux qui restent dans ce campement déserté, ne sont que des corps constitués de matière spirituelle (des nuages d’idées), dont les produits ne sont jamais finis mais toujours redéfinis. En 2006, l’idéal des Lumières a été une nouvelle fois battu en brèche par une coalition d’anciens prêtres, de financiers, de commerçants, de gens de robe, d’épée et de télé. Cette coalition se réunit dans un cénacle de la rentabilité et de la notoriété, moyen qui leur permet de vivre de la rente des idées des autres, dans un premier temps, pour mieux supprimer ensuite toutes les nouvelles idées qui pourraient menacer leur cote d’écoute et de crédit immobilier.
Autrefois, l’infinie discussion des utopies les plus diverses alimentait les réformes sociales. Aujourd’hui, gérer sa fin administrative dans une carrière nord-américaine consiste à devenir plus sage qu’une image fixe ou de synthèse animée. Les plus angoissés cherchent à se faire représenter par des machines automatisées. Les jeunes espoirs académiques, aguerris par des contraintes apparemment professionnelles, se demandent comment certains vétérans de l’administration ont pu se laisser abuser, qui par Staline, qui par Mao ou leurs modèles réduits Enver Hodja et Pol Pot. Comment en effet passer du catholicisme contrit au totalitarisme béat tout en jetant un regard outré et déculpabilisant sur un autre pantin, bien moins sanglant pourtant, mais doté d’un ronronnant nominatif : Ronald Reagan. Pouah ! Voici le père du néolibéralisme ! Le retour à la case départ des brebis égarées retrouve les arguments papistes anciens : le libéral est redevenu l’incarnation de Satan comme il l’était pour l’Église du 18e siècle qui l’assimilait au libertin. C’est le moment où l’université doit être expliquée en surfaces au carré, en volumes d’entrées et de sorties de cordées étudiantes et de notoriété construite par des cabinets de relations publiques.
La victoire des gestionnaires
Georges Leroux a bien raison. Les savants sont vaincus. Ils doivent se replier dans les chemins poétiques. Les cénacles ont en masse des TV dinner/Star Académie en réserve dans leurs cuisines d’idées reçues. Plus rien n’est devenu indigeste pour les administrateurs qui sont passés dans les merceries de la gestion de la « novlangue ». Les gestionnaires sont devenus les indigents médiocres du théâtre des opérations sociales, ceux dont tout le monde a besoin. Ils ont numérisé les opinions en brins d’information que des machines, espérons-le pour eux, reconstruiront en « prêt-à-ingérer ». Même un philosophe helléniste recule devant le professionnalisme du gestionnaire donneur d’ordres échappé du parquet de la bourse mais non délié de ses rites.
Une partie de la génération militante qui a vanté le socialisme réel, celui qui cassait des oeufs pour faire des omelettes avec des coquilles humaines, s’accroche en bloc aux balustrades nationales et reprend les cantiques de la saine gestion. Alors qu’il s’agit de défendre le savant dans une négociation avec le commerçant, le vieux militant éthique décide que la monnaie d’échange n’existe pas, de sa main droite, tout en s’assurant que sa convention collective comporte une augmentation salariale, de sa main gauche, maladroitement pragmatique. Oh ! non, ce n’est pas marchander que négocier ! La marchandise, c’est les autres. En refusant d’élaborer un projet syndical universitaire pour ne pas cogérer avec les patrons, on aboutit à laisser ceux-ci gérer l’essentiel de la structure en fonction de l’air du temps. Et celui-ci est en dérive financière.
Un gestionnaire ne s’inquiète pas de ces états qui pourraient être ceux de l’esprit qui se cherche. Seuls les états de compte démontrent sa créativité. Il donne des règles à suivre, des formules à remplir et des livrables à délivrer. Perclus de regrets dans les cimetières des lendemains qui déchantent, les militants d’hier regardent passer les gestionnaires d’aujourd’hui. Fixement. Certains changent de costume pour aller voir de l’autre côté (on appelle cela défroquer). La vraie vie quoi !
Ceci est particulièrement visible dans la trajectoire du recteur actuel de l’UQAM, un ancien militant du trotskysme lambertiste, dont la rigidité idéologique marxiste était absolue. Le militant lambertiste devenu recteur est passé d’un extrême à l’autre en se faisant le plus pragmatique des partisans de l’alliance avec des financiers américains de l’immobilier et des casinos. Il avait considéré en 2002 que l’hôtel de luxe du Cirque du Soleil devait nous faire revivre les thermes (lupanars) de Rome sur la Place des Arts. Avec Daniel Lamarre (PDG du Cirque du Soleil-ex-TVA et alors de l’Institut Hexagram), l’UQAM allait diriger l’opération du siècle au coin des rues Saint-Urbain et Sherbrooke. Et puis plus rien. Guy Laliberté, le patron du Cirque du Soleil qui lui a assuré l’une des grandes fortunes du Québec, avait décidé de mettre son nez rouge ailleurs. Silence déçu au sommet de l’UQAM. On construit quand même le pavillon de biologie avec le soutien des banques, mais l’UQAM assume tous les risques, car l’État ne paye plus. Pendant ce temps, l’UQAM laisse un projet créatif de professeurs-chercheurs et artistes, l’Institut Hexagram, sous le contrôle du même Daniel Lamarre qui nomme un de ses féaux comme directeur général, Alban Asselin, spécialiste des relations publiques pour des entreprises de bière et de pâtes et papiers. Un projet financé sur concours par des fonds publics, créé par des professeurs de l’UQAM et de Concordia et finalement contrôlé par des hommes d’affaires de type Clear Channel, voilà le résultat d’une prise de position sans équivoque.
Guy Debord, dans la Critique de la société du spectacle, avait annoncé la généralisation de ces moeurs... avant de s’en aller. Il ne pouvait imaginer une université initiatrice d’un spectacle dans ses quartiers. La réalité dépasse sa fiction. Une assemblée générale de chercheurs universitaires est maintenant un lieu où un PDG sans Ph.D. donne des ordres et félicite ses collaborateurs avec les techniques apprises dans la firme de relations publiques National. Cet épisode a été le premier à démontrer une rupture militante avec le cadre universitaire précédent.
Tout cela continue en 2006 : la triste fin du mât du Stade olympique est sous l’influence d’un conglomérat nord-américain de l’immobilier avec un nom qui en dit long. BUSAC. Il va faire son nid dans l’espace public de la place Berri. Pour le bonheur d’une faculté de science politique et de droit. Tous les risques pour l’UQAM, tous les profits pour le partenaire privé. L’opération s’appuie sur un rapport d’évaluation (Marsan), financé par BUSAC, pour fins de propagande à l’UQAM. De tous les oiseaux de proie, l’Université devrait particulièrement se méfier de la buse, car elle s’attaque surtout aux mourants. Si la télévision est devenue abêtissante avec STARACADÉMIE, notre Université risque d’attraper la BUSACADÉMIE et de ne jamais s’en relever. La BUSACADÉMIE est une maladie : la construction de bâtiments sert de façade à un vide intérieur qui cherche à se donner bonne contenance. Le plus gigantesque symptôme canadien de cette maladie est le Stade olympique de Montréal reconnaissable par son mât désert surplombant un toit changeant. Dans ces lieux de pensée déserte, la contestation est devenue désuète, et donc interdite. Tout contrevenant se voit offrir les services de la police anti-émeute ; les étudiants de sciences humaines de l’UQAM au printemps 2005 sont ainsi devenus les victimes absurdes d’un système judiciaire qui laisse tranquilles les responsables du scandale Norbourg.
Ces moeurs délétères ont été propagées dans le secteur public sous un gouvernement péquiste qui ne nous a pas donné un pays, mais nous a enlevé les moyens de faire de bonnes universités savantes. Dans un pays épuisé par le vieillissement, l’exode rural, la précarité, les horaires aberrants de travail et doté d’un système de santé dysfonctionnel. Ce pays est aussi en décrochage technologique face à l’Europe et à l’Asie comme le reste de l’Amérique du Nord (sauf armement).
Ces idées réactionnaires ont été reprises de manière systématique par le mouton conservateur Charest, devenu fossoyeur des idées fondatrices du Parti libéral de Jean Lesage. Les ingénieurs en sont dégoûtés et ne veulent plus entendre le terme « réingénierie » pour désigner la soumission du public au privé. Le secteur public qui représentait le bien-commun d’une société n’est plus financé par les taxes des nantis qui se sont expatriés dans des paradis fiscaux. L’argent public nord américain a été investi dans l’armement et le contrôle social. Le film américain Syriana a montré de l’intérieur l’origine de ce qui oriente maintenant le système universitaire nord-américain : l’alliance des pétroliers du Texas et des scheiks de la péninsule arabe contre leurs peuples. Ceci provoque un effondrement des niveaux de vie et des cultures en Amérique du Nord pour l’ensemble des populations artificiellement terrorisées par les médias de masse.
Champion à ce genre d’exercice médiatique, un vendeur de voitures s’était hissé au sommet de la pyramide du financement (SGF) de toute la société québécoise. Cool pour lui, catastrophique pour nous. Enfin, un grand bourgeois qui s’est fait tout seul et bien de chez nous. Un gars so-so-solidaire. Ce Blanchet, une fois débarqué, fortune faite, se retrouve consultant chez les altermondialistes, sans doute pour se blanchir avec espoir de retour. Son exemple est largement suivi par les comptables d’entreprises de gestion immobilière, les relationnistes des firmes de bière, les professionnels des montagnes russes boursières... Des centaines de millions disparaissent chez Norbourg et aucun prévenu n’est traîné en cours.
Une petite foule avide de donner des ordres s’est infiltrée dans les mécanismes financiers et les fondations des universités. Sans pudeur, ces émules de Duplessis, relookés par les agences de communication, viennent voir les savants pour leur dire que savoir et puis ils reviennent pour dire comment, où et quand. En partenariat, que nous dit la direction de notre université d’État : prenez position ! De classe nostalgique ou sexuel onirique ? C’est rose ou vert, couleurs tendance. Ni rouge, ni noir, a dit le conseiller en relations publiques. Celui qui a réponse à presque tout sauf l’essentiel. Vous demandez pourquoi on laisse le Cirque indiquer la position du soleil aux savants. On vous répond que vous n’avez pas, sale snob, mis votre faux nez rouge sur votre appendice nasal. Pour le pauvre monde, face aux cénacles des professions, faire le clown va devenir obligatoire dans ce futur Montréal, espérons le virtuel, en forme de Las Vegas du Nord prévu pour 2011. Ce projet a heureusement été stoppé par le sociologue Guy Coulombe. Les « méga-hôpitaux » seront sans doute le prochain délire immobilier des professionnels de la santé (surtout de la leur sur le plan financier).
Ce n’est pas du libéralisme ou de l’étatisme, archéo ou néo, que cela. C’est de la bêtise. C’est un mal néanmoins curable par de savants exercices. Il semble que Guy Coulombe a sur ses larges épaules le poids des mânes de la Révolution tranquille. Combien de temps tiendra-t-il ? Hélas ! pour lui, les savants ne sont plus des battants. Et les militants ne veulent plus être des savants. C’est alors que le « je me souviens » autistique des plaques d’immatriculation automobile pourrait prendre un sens.
La première action collective qui avait précédé la tranquille révolution québécoise avait été de liquider le syndicalisme d’affaires et le corporatisme. Les voilà revenus. Grand format pour remplacer le King size. Aujourd’hui, le partenariat public-privé consiste pour les politiciens à donner de l’argent public aux patrons du privé pour gérer les ambitions des universitaires. Et au privé à donner des honneurs aux universitaires en leur prenant de manière obscure leur argent de la main droite pour leur redonner un pourcentage de la main gauche sous les projecteurs.
Que peut-on opposer à cette pantalonnade ? Très simple : un projet public qui utilise 100% de l’argent public et ne s’associe au privé qu’au moment où celui-ci donne de l’argent réel, comme aux États-Unis. Ensuite, comme l’université concentre les forces savantes de notre société, il suffit d’ordonner au privé ce qu’il faut faire (affaire de négociation) et de procéder à des évaluations publiques de manière régulière. On appelle cela du réformisme social. Cela vaudrait mieux que les vociférations antilibérales qui pavent la route aux aigrefins de la finance et aux contrats bidon des agences de publicité tant fédérales que provinciales.
Mais au fait, que veut dire public ? Eh bien, c’est un mot d’origine latine qui est lié à la démocratie de l’époque où on devait montrer un pubis poilu adulte pour voter sur l’agora (allez voir le Robert étymologique !). Mais s’il n’y a rien de montrable... Alors, il faudrait jouer « Fin de partie » de Beckett à la sortie d’un CA de l’UQAM et laisser la place à d’autres, mieux dotés.
L’Église avait inventé la propagande avant de s’effondrer. Notre Université a recours aux relations publiques où le terme savant s’applique uniquement aux animaux dressés qui savent ainsi prendre des positions. Après Beckett, c’est Orwell qui pourrait inspirer une cure de désintoxication. Mais peut-on encore parler ou écrire librement quand il ne s’agit que de prendre position là où on vous dit de vous mettre ? Si on ne le peut, il faut donc le faire avec d’autant plus d’énergie. Pour son honneur et celui de la jeune génération qui n’aura que le syndicalisme pour se défendre face aux menées des cénacles du futur.
[1] Texte repris dans ce cahier Analyses et discussions, p. 59.
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