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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Claude Horrut, Les décolonisations est-africaines. (1971)
Préface
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Claude Horrut, Les décolonisations est-africaines. Paris: Éditions A. Pedone, 1971, 231 pp. Collection: Afriques noire, no 2. Préface de A. Mabileau. Bibliothèque Institut d’études politiques de Bordeaux, Centre d’études d’Afrique noire. Une édition numérique réalisée par mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide de musée à la retraite. [Autorisation formelle accordée par l'auteur et le directeur de la collection “Théorie politique”, Michel Bergès, le 25 mars 2012 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]
Il n'est guère fréquent que les africanistes français se mesurent aux problèmes de l'Afrique anglophone ; encore plus rare qu'ils aillent chercher leur champ d'investigation en Afrique orientale, à l'écart de l'ancienne colonisation française d'Afrique occidentale ou équatoriale qui avait pu établir des contacts avec les territoires voisins de l'Empire britannique. C'est le premier mérite de Claude HORRUT d'être un initiateur et d'avoir cédé à la tentation sympathique de l'aventure toute proche des décolonisations est-africaines, lorsqu'il accomplissait ses premiers pas d'enseignant et de chercheur à l'Institut d'Études juridiques, politiques et économiques de la Réunion.
L'expérience était délicate. D’abord, comme tout phénomène de décolonisation, celui-ci risque d'être troublé dans l'esprit du chercheur par des présupposés idéologiques que l'écoulement du temps n'a pas encore réussi à estomper. C. HORRUT paraît avoir surmonté ce premier écueil, sans doute parce qu'une étude sur Frédéric LUGARD * lui avait déjà fait éprouver combien les doctrines les plus profondément affirmées dans les sociétés sont sensibles à l'érosion du temps. Nul doute aussi que ces territoires orientaux posent un problème original dans l'ensemble africain. Tournés par leur géographie vers l'Orient, regroupant une population un niveau culturel trop faible pour être propice au développement du nationalisme, subissant pour certains l'influence des grandes compagnies étrangères, leur accession vers l’indépendance ne pouvait résulter du simple dialogue entre la puissance coloniale et les forces nationalistes. Celui-ci n'a jamais pu se dégager - l'auteur l'a bien vu - d'autres facteurs déterminants, surtout le "multiracialisme" des sociétés locales où "des minorités étrangères vivent en marge des sociétés indigènes". La politique multiraciale a été l'enjeu de l'évolution vers l'indépendance ; cette politique a totalement échoué et la Grande-Bretagne en subit encore aujourd'hui les effets avec l'afflux en territoire anglais des immigrants indiens de la côte est-africaine et la sécession de la Rhodésie.
Mais, en fin de compte, l'analyse des facteurs ne suffit pas à donner une explication globale de la "décolonisation", dont [6] la signification reste encore à déterminer en dehors de toute valorisation politique. Les juristes ont tendance à y voir une transformation institutionnelle qui s'exprime par un transfert de souveraineté ; les sociologues une maladie plus ou moins longue de mutation des sociétés colonisées ; les historiens un fait général de l'évolution historique, dont les expériences concrètes se rejoignent dans des tendances analogues. C. HORRUT est fort bien parvenu à se dégager de ces perspectives traditionnelles, partielles lorsqu'elles sont individualisées, pour adopter une approche stratégiste couramment appliquée aujourd'hui par la science politique française. De cette approche, il a nettement tracé les limites dans le conflit un peu sommaire entre la résistance du colonisateur et la volonté d'indépendance du colonisé, qui sert de trame aux "interrelated pressures" de Sir Andrew COHEN et des auteurs britanniques. Il a tenté quelques incursions vers les nouvelles méthodes de la science politique américaine, notamment l'approche fonctionnaliste qu'ont utilisée J.S. COLEMAN et D. APTER pour l'Afrique. Sans doute aurait-il pu élargir son éventail méthodologique ; et recourir aux "modèles" que précisément les sociologues américains ont établi sur l'observation des sociétés sous-développées pour l'étendre ensuite à toutes les sociétés politiques. L'instant même de la décolonisation permettait de soumettre à l'expérience concrète la valeur de ces modèles, sans d'ailleurs qu'on soit assuré du résultat.
Par son objectivité scientifique, l'ampleur de sa documentation, la précision de son analyse et l'honnêteté intellectuelle de ses conclusions, C. HORRUT apporte une contribution d'importance aux études françaises sur les pays africains anglophores. Elle déborde la période de la décolonisation et explique à bien des égards la stabilisation difficile des régimes est-africains. On peut se réjouir que ce domaine entre désormais dans le cadre des recherches pour le Doctorat en Droit et Science politique. Il ajoute ainsi un nouveau secteur géographique aux travaux réalisés par le Centre d'Étude d'Afrique Noire de l'Institut d'Études Politiques de Bordeaux.
A. MABILEAU
Directeur de l'Institut d'Études Politiques
Professeur de Droit public et Science
politique à l'Université de Bordeaux.
* Frédéric LUGARD et la pensée coloniale britannique de son temps. Mémoire pour le D.E.S. de Science politique. Multigraphié, C.E.A.N. Bordeaux, 1970.
Dernière mise à jour de cette page le lundi 22 octobre 201211:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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