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Le devoir de mémoire
et les politiques du pardon.
Introduction
Micheline Labelle
Rachad Antonius
Georges Leroux
Le thème de la mémoire et du pardon s'inscrit dans la remise en question des conceptions étroites de la nation et de la citoyenneté véhiculées par les sociétés coloniales et postcoloniales du Nord et du Sud, remise en question spectaculaire qui a marqué les dernières décennies. Ces conceptions de la citoyenneté mettent au-devant de la scène un nouveau devoir de justice qui s'adresse au passé et interpelle toutes les sociétés désireuses de remettre en question les relations de domination issues du colonialisme, en commençant par identifier et reconnaître l'impact des torts causés et leurs séquelles actuelles.
Ce livre porte sur les enjeux théoriques et politiques de l'appel de mémoire, du travail de mémoire, du devoir de mémoire et des politiques du pardon que l'on observe aujourd'hui sur la scène internationale. Il porte également sur plusieurs situations historiques concrètes, au sein desquelles le passé fait retour dans un présent douloureux. Il présente enfin un ensemble de réflexions sur les exigences éthiques et politiques de l'avenir, dans la mesure où elles peuvent être formulées comme responsabilités pour les États. Les politiques du pardon, expression empruntée à l'ouvrage de Sandrine Lefranc (2002), renvoient à un ensemble de discours et de dispositifs politiques et institutionnels (réparations d'ordre symbolique, restitutions matérielles) et mettent l'accent sur la justice et la reconnaissance de la dignité des acteurs politiques qui ont subi directement ou indirectement la violence d'État ou en représentent les cibles (crimes de masse, assassinats politiques, torture, génocides) et sur le droit à la vérité. Mais ces politiques ne sont [2] elles-mêmes que la conséquence la plus nécessaire du devoir de mémoire en tant qu'il est toujours déjà un devoir de réparation et de reconnaissance du statut des victimes.
À partir de perspectives particulières, nous avons voulu faire une réflexion qui mène à l'universel. Pour les situations traumatiques de l'histoire moderne, nous avons pu compter sur la contribution d'experts et de témoins. L'ensemble des textes qu'on va lire ici ne prétend aucunement à l'exhaustivité, tant l'histoire contemporaine, même la plus récente, est remplie d'injustices et de violences qui ne sauraient être abordées dans un seul projet de compréhension. Mais notre choix nous a permis de présenter certaines situations exemplaires, autant par la souffrance de ceux et celles qui les ont vécues que par les institutions et les politiques mises en place pour affronter l'histoire sans renoncer à en transmettre le souvenir. Des Autochtones d'Amérique à la Palestine, du Chili à l'Algérie, ces situations ont fait l'objet des réflexions de nos invités et c'est dans l'écart toujours problématique entre le général et le particulier que notre colloque a trouvé ses questions les plus fécondes.
Peut-on identifier, en effet, en revenant sur les exposés d'ouverture, des questions que nous pourrions considérer comme les formulations d'un paradigme du devoir de mémoire dans lequel toutes les sociétés s'engagent dans le moment ? Ce ne sont pas seulement les sociétés brisées par un traumatisme politique daté qui peuvent ici nous guider, ce sont toutes les sociétés, y compris celles qui portent le lourd atavisme du colonialisme ou de l'esclavage, qui rendent nécessaire l'adoption d'un nouveau regard sur la justice des générations. Le paradigme du devoir de mémoire qui émerge est là pour durer, et c'est au sein de ce paradigme, comme on le voit par exemple en Afrique du Sud, qu'on peut attendre le développement de politiques du pardon ajustées à des situations qui se trouvent désormais au cœur de la mémoire universelle. Ce paradigme n'entend pas, comme certains l'ont fait remarquer, substituer le passé à l'avenir : il est question de maintenir le passé dans la considération de l'avenir, de telle sorte que la justice à venir demeure tributaire de la mémoire de l'injustice du passé. Cette lecture du présent semble la bonne, et même si on peut critiquer, pour caractériser notre époque, l'expression « ère des victimes », il semble utile d'insister sur le fait que nos sociétés démocratiques déplacent une préoccupation utopique, qui a caractérisé tout le XXe siècle, vers une préoccupation de justice ouverte à la fois sur le passé et sur l'avenir. Les questions de culpabilité et de faute rendent en effet nécessaire l'introduction d'un regard de justice, ne serait-ce que dans le but d'éviter la répétition. La réparation n'étant pas toujours possible et demeurant de toute manière inachevable et toujours partielle, elle n'est envisagée que pour rendre possible un monde où elle ne serait plus nécessaire.
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Quand nous replaçons en effet les exposés d'ouverture de notre colloque, ceux du chef cri Ted Moses sur la responsabilité dans la tragédie autochtone et d'Ali Moussa Iye sur la traite négrière, au sein de ce paradigme de mémoire, nous voyons que c'est la même dynamique qui est à l'œuvre dans cette montée de la mémoire, comme source de mobilisation du témoignage et de la revendication de justice. Ces exemples nous mettent en présence du croisement, de l'intersection de trois dramatisations actuelles de la mémoire blessée : la destruction absolue, c'est-à-dire toutes les formes de génocide et d'ethnocide ; l'exclusion des droits civiques et la dépossession ; enfin, l'aliénation de l'existence individuelle ou collective. Ces trois registres, dans leur complexité et parce qu'ils se renforcent dans des cas particuliers, montrent la difficulté de la mémoire et de la reconstruction de l'identité : les individus sont souvent privés des moyens de le faire, les sociétés cherchent des politiques narratives qui leur permettraient d'affronter leurs traumatismes, les descendants des groupes exterminés se trouvent en face de paradoxes qui peuvent les paralyser. Tous les cas particuliers que ce livre permet d'examiner confortent cette exigence de reconstruction en même temps que les apories de sa réalisation contemporaine.
C'est sur le seuil de ces difficultés que nous retrouvons cette question de la faute, relevée en son temps par le philosophe Karl Jaspers, alors que la culpabilité allemande hantait toutes les consciences, et reprise plus récemment par Paul Ricœur dans son ouvrage sur la mémoire (Ricœur, 2000) : entre une mémoire détruite, comme celle de tant de peuples exterminés, et une mémoire saturée par un trop-plein qui conduit à l'oubli, comment espérer une juste mémoire ? La phrase célèbre de Walter Benjamin sur l'histoire toujours écrite du point de vue des vainqueurs paraissait il n'y a pas si longtemps une conquête : comment avait-on pu occulter cette vérité si longtemps, de Thucydide à Toynbee ? Cette phrase est aujourd'hui une évidence : l'histoire écrite consigne le point de vue victorieux et détruit le point de vue de la victime et des vaincus. Notre époque appelle une autre histoire, et elle l'a compris devant le désastre de la Shoah : même si cette histoire ouvre à toutes les dérives, notamment dans un possible abus du statut des victimes et dans une lutte concurrentielle de la mémoire, elle est aussi essentielle que risquée. Essentielle, parce que la voix des victimes doit être enfin entendue ; risquée parce que la revendication peut toujours être recouverte par un conflit d'explications, par des récits saturés, par un nouvel oubli, à la limite plus pernicieux que le premier.
Tous les témoignages et toutes les analyses de ce livre nourrissent donc ce paradigme nouveau de la mémoire ; ils montrent partout le retour, constant et inaccessible, de la mémoire des victimes et de leur exigence de réparation : notre époque n'accepte plus ni la disparition silencieuse ni l'injustice muette. Partout, des voix s'élèvent pour amener à la parole à la fois le [4] témoignage qui demande à être transmis et la demande de réparation, de quelque nature qu'elle soit. Mais ces analyses montrent du même coup la constance du recours des coupables et des bourreaux à l'occasion offerte de se rétablir, de refaire leur position dans le processus, les offenseurs cherchant toujours à s'abriter auprès des offensés. La grande question qui s'impose suite à la lecture de cet ensemble est la suivante : la mémoire des coupables et la mémoire des victimes peuvent-elles espérer un jour être partagées ? Ce partage utopique est-il la condition ultime de la réconciliation et de la paix ? Est-il une illusion, voire une négation de la conflictualité inhérente aux sociétés contemporaines, segmentées, divisées et fondées sur des rapports de domination profondément inégalitaires ?
Les politiques du pardon, d'abord gouvernementales, entendent explorer une autre voie que celle de la justice pénale, telle que représentée par exemple par le Tribunal pénal international (TPI). Elles répondent à la recherche d'un principe de justice alternatif. L'accent mis sur la recherche de la reconnaissance, la nécessité de produire un récit historique véridique explique par exemple le succès des commissions de Vérité et réconciliation en Afrique du Sud. Mais comment faire entendre plusieurs voix, comment partager le récit ? Les problèmes sont nombreux, et en particulier la question du sujet du pardon, en tant que victime : on retrouve donc ici la figure de la victime et les risques de dépolitisation immanents.
Ce colloque répondait donc à l'urgence des questions de la mémoire et du pardon : toutes les sociétés ne sont pas habitées de la même manière par ces traumatismes ; certaines s'unissent dans une mémoire commune de l'humiliation, comme nous le voyons partout dans les situations postcoloniales ; d'autres partagent leurs propres culpabilités, reconnaissant en leur sein des forces actives ailleurs, parfois chez leurs voisins, comme c'est le cas en Argentine et au Chili ; mais aucune société contemporaine n'est libre de la mémoire des autres, puisque toutes partagent la culpabilité historique de tous les drames qui viennent à la connaissance de tous par l'extension planétaire de l'information. L'impunité autrefois garantie par l'oubli conséquent à la non-diffusion de l'information devient aujourd'hui chaque jour plus improbable. Les exemples récents de la Bosnie et du Rwanda montrent ce que peut désormais signifier une mémoire contemporaine et universelle de l'injustice, en même temps qu'ils illustrent la difficulté d'une justice universelle. Le traumatisme est en effet aussi universellement connu et décrit que l'exigence de réparation qui en découle, et cette universalité, d'abord médiatique et ensuite juridique, devient la condition de toute mémoire à venir. Cette urgence nous met en face d'une responsabilité impossible : une justice de réparation qui ne serait pas pénale. Comment la soutenir ? Comment la faire converger avec les efforts de construction d'une justice pénale universelle, comme celle du TPI ? Ces questions fondamentales ont dessiné [5] l'horizon de notre rencontre ; malgré le fait que peu d'exposés leur aient été consacrés de manière abstraite, elles imprègnent l'ensemble du questionnement mis en œuvre dans l'examen de situations particulières.
LE CONTEXTE ET LA PROBLÉMATIQUE [1]
Au moment de présenter les grandes articulations de notre ouvrage, il semble important de rappeler d'abord le contexte dans lequel notre Centre a développé la problématique du devoir de mémoire. Quelques exemples particuliers nous serviront de point de départ. Le 9 décembre 2003, le gouvernement canadien proclamait le 28 juillet la « Journée de commémoration du Grand Dérangement ». La proclamation reconnaît les torts causés au peuple acadien qui relèvent, selon certains historiens, de tentatives de génocide. Dans la foulée des revendications transnationales portées par l'avocat activiste louisianais Warren Perrin, Stéphane Bergeron avait proposé une résolution pour que le Parlement canadien obtienne des excuses de la reine Élizabeth II, au nom du roi George II, sous le règne duquel fut ordonnée la déportation des Acadiens. La résolution fut battue, mais la Société nationale des Acadiens obtint du gouvernement canadien une proclamation qui, sans faire des excuses, reconnaît les torts historiques subis.
Le 21 avril 2004, la Fédération arménienne du Canada et la diaspora mondiale arménienne saluaient à leur tour une motion adoptée par la Chambre des communes du Canada, qui « reconnaît le génocide des Arméniens de 1915 et condamne cet acte en tant que crime contre l'humanité ».
Ces initiatives récentes s'ajoutent à deux cas antérieurs de demande de « réparation ». En 1988, le gouvernement canadien et l'Association nationale des Canadiens d'origine japonaise signaient une entente de redressement des torts subis par les Canadiens japonais internés pendant la Seconde Guerre mondiale, en violation des droits de la personne. En compensation, un décret du gouverneur en conseil, datant du 29 octobre 1996, constituait la Fondation canadienne des relations raciales et la dotait d'un fond de 24 millions de dollars. Son mandat : lutter contre le racisme.
Un second cas concerne les Autochtones. En 1845, suivant l'exemple des États-Unis, l'Assemblée législative du Haut-Canada avait recommandé un système d'écoles résidentielles pour forcer l'assimilation de la « race indienne et sauvage » au mode de vie occidental. Le plan étatique était de [6] soustraire les enfants à l'influence de leur famille et de leur communauté, avec l'appui des institutions religieuses chrétiennes. Entre 1831 et 1996, plus de 130 écoles résidentielles ont été en activité. La violence y a régné : arrachement littéral des enfants à leur foyer, punitions corporelles, humiliations, interdiction d'utiliser la langue maternelle, etc. En 1996, le gouvernement canadien créait la Fondation autochtone de guérison et la dotait de 350 millions. Le mandat de la Fondation est d'« appuyer les peuples autochtones, et les encourager à concevoir, développer et renforcer des démarches de guérison durables qui s'attaquent aux effets des abus sexuels et physiques subis dans les pensionnats, y compris les répercussions intergénérationnelles », et ce, dans une perspective de réconciliation entre Autochtones et non-Autochtones de l'espace civique canadien. La question des pensionnats indiens n'est qu'un des éléments de la politique de contestation des peuples autochtones du Canada et des Amériques qui revendiquent, par l'action transnationale, la restitution de leurs droits sur les terres ancestrales et le droit à l'autodétermination, au sein des États dont ils veulent se libérer de la tutelle.
Sur la scène québécoise, l'historien Gérard Bouchard exprimait en 2002 son appui à l'institutionnalisation récente d'une Journée nationale des Patriotes, à la mémoire de la nation québécoise (Bouchard, 2002). Gérard Bouchard soulignait à juste titre que le récit de la nation ne peut être restreint au groupe majoritaire et que le passé canadien-français s'inscrit dans des trames continentales et internationales, universelles, celles de l'histoire de la libération des peuples. Il faut en effet souligner le caractère pluriel du mouvement des Patriotes, de même que la diversité de ses réseaux transnationaux. À ce titre, la Journée nationale des Patriotes représente un élément symbolique du patrimoine civique commun auquel peuvent s'identifier les Québécois de diverses origines.
Au cours des dernières années, les Afro-descendants du Québec, qui forment le groupe le plus important dans la catégorie des groupes racisés (et le groupe le plus désavantagé sur le plan socioéconomique), ont revendiqué l'érection d'un monument à la mémoire de Marie Josèphe Angélique, esclave d'origine africaine, torturée et exécutée sur la place publique à Montréal en 1724, et la reconnaissance du site officiel du rocher Nigger (lieu d'inhumation d'esclaves entre 1794 et 1833). À cet effet, le 24 février 2003, le ministre délégué aux Relations avec les citoyens et à l'Immigration du Québec dévoilait une plaque commémorative dans la municipalité de Saint-Armand, lors d'une cérémonie évocatoire du 170e anniversaire de l'abolition de l'esclavage. Plusieurs leaders afro-québécois ont d'ailleurs soutenu la députée guyanaise Christiane Taubira, initiatrice de la Loi du 10 mai 2001, selon laquelle les élus de la République française ont proclamé l'esclavage et la traite négrière « crimes contre l'humanité ».
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Depuis des décennies, les citoyens canadiens et québécois d'origine chinoise demandent réparation pour la discrimination systématique subie au XIXe et au XXe siècles, à l'ère du racisme d'État qui caractérisait la politique fédérale d'immigration. Le Conseil national des citoyens d'origine chinoise a porté sa cause devant la Commission des droits de l'homme des Nations Unies et la Cour suprême du Canada.
Quelle signification accorder à cette dynamique transnationale qui se répercute dans l'espace public canadien et québécois ? D'une part, les prises de position de l'État canadien et québécois se situent dans le vaste répertoire des politiques étatiques du pardon. D'autre part, les revendications de justice et de dignité que divers acteurs politiques de la « société civile » ont exprimées se sont fondées sur le régime institutionnalisé des droits humains instauré après 1945, à la suite des atrocités de la Seconde Guerre mondiale. De nombreux facteurs ont contribué à en élargir le registre : les déséquilibres induits par la mondialisation de l'économie sur les structures économiques et politiques de nombreuses sociétés dans le monde ; la révolution des technologies de communication et de transport ; les mobilisations et les stratégies politiques des peuples autochtones, des diasporas, des mouvements sociaux et des réseaux transnationaux mus par des identités de résistance, soit des « identités générées par des acteurs dont les conditions de vie sont dévalorisées et stigmatisées par une logique de domination et qui cherchent à construire des tranchées de résistance ou de survie et à défendre des principes différents » (Castells, 1999, p. 18 ; Labelle et Rocher, 2004).
En témoignent les débats et les confrontations au sein du Forum des ONG et entre États lors de la Conférence mondiale des Nations Unies contre le racisme, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. En septembre 2001, les États membres des Nations Unies et les représentants de la « société civile » se réunissaient à Durban, en Afrique du Sud, afin d'adopter une déclaration et un programme d'action destinés à renforcer la lutte contre le racisme et les discriminations.
La Déclaration de Durban fait le constat de la vulnérabilité croissante des victimes du racisme colonial (les Africains et la diaspora africaine, les peuples de l'Asie et leurs descendants, les peuples autochtones), des diverses minorités non territoriales (Roms, gens du voyage et autres), des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés. Elle recommande une approche orientée vers les victimes. Elle reconnaît la notion de discrimination multiple. Elle dénonce l'antisémitisme, l'islamophobie, la résurgence du nazisme, du néofascisme et des nationalismes violents. Elle presse au règlement de la question palestinienne.
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La Déclaration reconnaît, à l'article 14, les effets du colonialisme sur les conditions de vie contemporaines des minorités postcoloniales :
Nous reconnaissons que le colonialisme a conduit au racisme, à la discrimination raciale, à la xénophobie et à l'intolérance qui y est associée, et que les Africains et les personnes d'ascendance africaine, de même que les personnes d'ascendance asiatique et les peuples autochtones, ont été victimes du colonialisme et continuent à en subir les conséquences. Nous sommes conscients des souffrances infligées par le colonialisme et affirmons qu'il faut les condamner, quels que soient le lieu et l'époque où elles sont advenues, et empêcher qu'elles ne se reproduisent. Nous regrettons en outre que les effets et la persistance de ces structures et pratiques aient été parmi les facteurs qui ont contribué à des inégalités sociales et économiques persistantes dans de nombreuses régions du monde aujourd'hui » (Nations Unies, 2001).
Elle incite aussi la communauté internationale à considérer le devoir de vérité de chacun au sujet du racisme. Ainsi, elle en appelle à la reconnaissance de l'esclavage contemporain comme crime contre l'humanité, au devoir de mémoire envers l'esclavage atlantique lié au commerce triangulaire, au droit des peuples à l'autodétermination. Elle interpelle en particulier les États démocratiques qui doivent prendre acte des situations nouvelles qui se développent en leur sein, notamment dans le contexte de l'après-11 septembre 2001.
Nulle surprise alors que le 22 mars 2004, le rapporteur spécial sur le racisme, M. Doudou Diène, ait déclaré devant la Commission des droits de l'Homme des Nations Unies : « le tableau d'alerte est au rouge sur toutes les formes de racisme, de discrimination et de xénophobie ». Il identifie de nouvelles figures cibles de la discrimination : le non-ressortissant, le réfugié, l'immigré. Il souligne la situation des populations musulmanes et arabes dans le monde, il dénonce « l'émergence d'une nouvelle pensée, ouverte et publique, de justification et de légitimation du racisme et de la discrimination » fondée sur des considérations sécuritaires ou de défense d'une « identité menacée » et soutient que l'islamophobie est de plus en plus assumée par des intellectuels influents ou par des leaders d'opinion (Diène, 2004).
Les foires et les zoos humains du XIXe siècle apparaissent lointains. Ils ne sont pourtant pas très éloignés si l'on pense aux tortures infligées aux prisonniers dénudés de la scène irakienne et aux cages torrides de Guantanamo. Le néoracisme de l'époque contemporaine postcoloniale se fait sentir aujourd'hui au sein de sociétés qui s'en croyaient délivrées, en dépit de la mise en place d'approches légales ou éducatives et de politiques publiques de lutte contre le racisme et les discriminations.
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Les revendications issues de cette violence historique revêtent des formes multiples et appellent à un renforcement des capacités à différents niveaux. Elles portent aussi bien sur la redistribution des biens et des ressources que sur la reconnaissance identitaire : To be called by our own names était l'une des revendications des peuples autochtones à Durban.
Il faut certes distinguer les situations à proprement parler poscoloniales où le caractère transhistorique des politiques du pardon concerne des groupes nationaux ou racisés particuliers, des situations de guerre et de guerres civiles contemporaines qui ne sont pas tributaires d'une expérience coloniale et qui impliquent souvent les membres d'une même société (Chili, Argentine, etc.). Cependant, dans tous les cas, les revendications touchent d'abord la réparation symbolique : reconnaissance de la violence infligée, clarification de chapitres oubliés de l'histoire. La mise en place des formes de réparation et de pardon interpelle la société et la responsabilité de l'État.
De multiples appels de mémoire se sont donc fait entendre lors de la Conférence mondiale de Durban et ils ont été repris depuis. Dire la « Vérité de l'Histoire », se souvenir des crimes et des injustices du passé sont indispensables à la reconnaissance de la dignité des personnes et des groupes. Une prise en compte de la diversité profonde des sociétés contemporaines, reflétant l'élargissement des horizons de la démocratie, suppose que soit révélée la mémoire traumatique afin de mieux comprendre le présent et préparer l'avenir. C'est en ce sens que l'appel ou le devoir de mémoire apparaît de plus en plus comme une forme indissociable des politiques du pardon qui s'imposent comme responsabilité politique pour les États démocratiques soucieux de justice.
L'année 2004 a été décrétée par l'UNESCO comme l'Année internationale de la lutte contre l'esclavage et de son abolition. Cette année a marqué la fin de la Décennie internationale des peuples autochtones (1995-2004), lancée par l'ONU, dans le but de consolider son engagement à défendre et à protéger les droits des peuples autochtones dans le monde entier. Le projet de Déclaration internationale des droits des peuples autochtones à l'étude aux Nations Unies et la reconnaissance du droit à l'autodétermination au sein d'un État demeurent des enjeux auxquels se confrontent le Royaume-Uni, la France, les États-Unis, l'Australie et la Russie. L'année 2004 a été également le témoin de massacres de masse et du recours à la torture dans plusieurs pays ; elle a même recueilli le témoignage de généraux français en Algérie justifiant la torture et, malgré l'émergence du paradigme de la mémoire et du pardon, elle n'en fut pas moins que les autres une année de détresse et, dans plusieurs situations, de profonde désespérance.
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VISÉES ET FINALITÉS DU COLLOQUE
Les organisateurs du colloque, inspirés par la problématique que nous venons de rappeler, avaient plusieurs objectifs. Ils voulaient d'abord réunir des chercheurs de diverses disciplines droit, philosophie, sociologie, science politique, psychanalyse, littérature , afin de susciter des analyses croisées, chaque discipline ayant sa tradition intellectuelle et ses débats internes. Ils voulaient ensuite favoriser les témoignages d'experts : des intellectuels organiques engagés et militants issus des minorités et des nations autochtones, de hauts fonctionnaires internationaux, des élus et des décideurs politiques, tous habilités à témoigner de situations particulières. Le colloque devait par ailleurs offrir une perspective comparative, internationale, bien qu'il ait fallu laisser de côté de nombreux cas de figure, aussi importants que ceux qui furent retenus : comment passer sous silence des situations aussi déterminantes pour ces questions que celles de l'Afrique du Sud, du Rwanda, de l'Arménie, de la Bosnie ? Il fallait pourtant s'y résoudre, car il était en effet impossible de penser à traiter de toute l'histoire moderne et contemporaine ; il fallait se limiter. Nous avons voulu, tenant compte de ces limites, provoquer une réflexion sur la mémoire de torts historiques alors que, paradoxalement, s'imposent un nouvel air du temps, de nouveaux discours, de nouvelles pratiques sociales marquées par le néoconservatisme ambiant : par exemple, l'apologie de la torture chez certains universitaires prestigieux, la croissance des inégalités, mais également le retour d'une idéologie qui les justifie (la loi du plus fort, la sélection génétique des plus aptes), la coexistence du racisme classique biologique (on renvoie encore à la « race ») et du racisme différentialiste, fondé sur le postulat de l'incompatibilité « naturelle » et de l'irréductibilité des cultures et des civilisations.
Il faut souligner que pour les organisateurs du colloque, les acteurs contemporains concernés par le travail de la mémoire ne sont pas que des victimes ou des personnes les représentant, mais ils sont avant tout des acteurs politiques inspirés par des réseaux, des normes et des mobilisations transnationales. Leurs revendications exigent la levée des interdits, une participation, une créativité institutionnelle et « la mise à disposition de tous des savoirs élémentaires permettant à chacun de penser la pensée des autres » (au lieu de l'ignorer et de la craindre) (Balibar, 1998, p. 203).
En ce sens, cet ouvrage ne vise ni le consensus, ni la cohésion sociale, mais l'analyse des luttes de concurrence mémorielle, des luttes de lieux de mémoire, de mobilisation mémorielle. En effet, dans la représentation démocratique, comme le soutient le philosophe Étienne Balibar, l'enjeu est bien de « représenter le conflit social, de le sortir du refoulement que lui imposent certains rapports de force et de le porter au jour, pour en permettre l'utilisation au service d'un bien commun ou d'une justice commune » (Ibid., [11] p. 185). Cet ouvrage, nous l'espérons, contribuera à clarifier les débats et les perspectives portant sur le travail de mémoire, le devoir de mémoire et les politiques du pardon. Les termes eux-mêmes (pardon, devoir, etc.) sont l'objet de discussions et de critiques, mais les analyses particulières qu'on lira ici permettront d'en préciser la pertinence et la portée. Cet ouvrage veut surtout contribuer à faire connaître les revendications et les luttes de mémoire sur la scène internationale, de même que les enjeux soulevés pour la prise en compte significative de la « diversité profonde » et de l'approfondissement de la démocratie dans l'espace international, canadien et québécois.
SOMMAIRE DES CONTRIBUTIONS
Les textes recueillis ici établissent les termes du débat à partir de récits multiples, qui ne sont pas nécessairement convergents. Nous croyons qu'il faut s'appuyer sur ces récits afin de remettre en question un universalisme qui a souvent été eurocentré. Peut-on viser, en partant de l'expérience des peuples colonisés, à construire un autre universalisme, différent du premier en ce qu'il peut intégrer la différence et la reconnaître ? Certes, cette approche va limiter les tentatives de théorisation unique. Mais c'est bien cet objectif qui a nourri le courant d'études postcoloniales, courant qui a légitimé les récits issus des sociétés dominées historiquement. La notion même de « récit » s'est substituée à celle de vérité scientifique objective, une utopie si longtemps mise au service de l'histoire écrite par les vainqueurs. Cette collection de textes constitue donc avant tout un ensemble multiple de récits ; à travers cet ensemble, cependant, le lecteur est invité à reconnaître un commun souci de la question de la mémoire et de la justice historique.
Il a donc fallu organiser les textes de façon à produire ce fil conducteur possible : susceptible de garder trace des recoupements effectués lors de nos rencontres. La définition des sections et les regroupements ne reprennent pas exactement la structure de notre programme ; il s'agit plutôt d'une réarticulation proposée en vue de la clarté de l'argument général et en fonction de certaines proximités historiques et géographiques. Tous ces éléments revêtent une part inaliénable d'arbitraire qu'il faut reconnaître d'emblée, mais ils conduisent à des questionnements irréductibles, chaque situation apportant sa part d'histoire et de revendications.
Les migrations de colonisation ont été la forme dominante des mouvements de population au début de l'implantation du capitalisme à l'échelle mondiale, du XVe au XVIIIe siècle. Elles ont pour trait commun un déplacement géographique dans des régions où l'on pouvait facilement s'approprier les ressources naturelles et le travail d'autrui, à la phase du colonialisme dans [12] les Amériques, en Asie, en Afrique. Les migrations de travail forcé ou l'esclavage cette « catégorie économique de la plus haute importance » selon l'expression de Karl Marx pour caractériser le procès d'accumulation du capital européen s'inscrivent dans cette complémentarité et sont à la source du génocide des peuples autochtones et de la traite négrière atlantique qui l'a suivi. Si plusieurs formes d'esclavage ont sévi en Europe et en Afrique, l'esclavage « moderne », soit l'esclavage lié au système de plantations dans les Antilles et aux États-Unis, est un phénomène lié au colonialisme et au commerce triangulaire. L'esclavage colonial s'est appuyé sur le racisme colonial, lequel constitue, avec le sexisme, le revers de l'idéologie universaliste occidentale. Racisme et sexisme sont au fondement de la géoculture du système-monde, comme l'a montré Immanuel Wallerstein (1985, 1990). Cette géoculture s'accompagne désormais de représentations caractérisées par une grande violence physique et narrative sur l'Autre, le non-occidental : le barbare, le primitif, le Nègre, l'Indien, le Jaune, l'Arabe, l'Oriental (Saïd, 1980).
Ce contexte particulier constitue la trame de fond sur laquelle deux prestigieux conférenciers, Ali Moussa Iye, chef de la section Histoire et culture à la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel de l'UNESCO, et Ted Moses, grand chef, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee), et ambassadeur aux Nations Unies pour le Grand conseil des Cris, ouvrent le débat sur la mémoire. Les auteurs tracent les grands enjeux théoriques et politiques du travail de la mémoire et des politiques du pardon, en relation avec l'histoire coloniale et postcoloniale. « Plutôt que de devoir, s'interroge Ali Moussa Iye, ne faut-il pas plutôt parler de "travail de mémoire" qui permettrait mieux d'intégrer cette obligation éthique dans l'histoire vivante, celle qui est en train de se produire justement ? » En effet, la notion de travail de la mémoire suggère la dynamique sous-jacente aux choix idéologiques que font les divers acteurs sociaux quant aux rapports sociaux à privilégier et aux rapports de pouvoir à analyser et à dénoncer (entre majorités et minorités racisées, entre minorités elles-mêmes, au sein des minorités) dans une société concrète. Ted Moses évoque les violations systématiques des droits de l'homme et leur impact sur les peuples autochtones et non autochtones à travers le monde. Il en analyse les conséquences omniprésentes aujourd'hui, il en souligne la reproduction incessante. Les auteurs en appellent à la responsabilité des institutions internationales, de l'État et de la société civile. Parce que leur témoignage est relatif à des tragédies dont les motifs de cupidité économique de la part de sociétés coloniales engagées dans des trafics criminels sont mis en évidence par les historiens, ces exposés d'ouverture permettent d'établir un horizon commun : comment assurer en effet à la fois la mémoire pour des victimes souvent très lointaines dans le passé et une justice de réparation pour les survivants autochtones et afro-descendants ? [13] Le travail de mémoire est-il en lui-même un exercice de réparation ? La traite négrière et l'extermination des Autochtones posent en effet la question d'un passé toujours présent dans l'exigence éthique de la réparation.
Comme nous l'avons rappelé plus haut, les enjeux théoriques de ce questionnement ne peuvent être détachés de l'analyse des situations particulières ; ils doivent au contraire s'ancrer dans les récits des peuples colonisés. À partir de son expérience sud-américaine, la philosophe Sandrine Lefranc analyse la complexité, les acquis, les limites et les effets pervers des politiques du pardon. Deux problèmes sont traités : d'abord le problème philosophique des conditions de possibilité du pardon. Qui peut en effet se placer dans la position de celui qui pardonne, compte tenu du fait que les États qui peuvent engager ces politiques sont souvent ceux-là mêmes qui ont été responsables des offenses ? Un second problème est la question politique du recours à la justice pénale : comment constituer l'instance légitime d'une telle justice ? Comment faire entendre dans une approche différente des récits à plusieurs voix et rendre possible autre chose qu'une récupération politique du pardon ? Ces questions, il faut y insister, font retour dans la plupart des situations traversées au cours de notre rencontre ; elles en constituent l'horizon universel, l'enjeu récurrent.
Sociologue, Michel Wieviorka situe dans les années 1960 l'apparition des « victimes » sur le devant de la scène internationale. L'auteur distingue des identités collectives négatives et positives et s'attarde à trois questions : « le caractère tridimensionnel de ce qui a été vécu par les victimes d'un grand drame à portée historique, massacre de masse, crime contre l'humanité, génocide, esclavage, etc. [...] les modalités permettant ou non aux victimes, ou à leurs descendants, de faire face à un passé tragique et de porter avec confiance une mémoire aussi terrible, de se reconstruire. [...] les conditions sociohistoriques contemporaines dans lesquelles se jouent ces problèmes, qui s'inscrivent dans la double compression, de l'espace et du temps, qui fait qu'on parle aujourd'hui de "mondialisation" ».
Une deuxième section approfondit les situations coloniales et postcoloniales, qui touchent deux types de problématiques différents, mais reliés l'un à l'autre. Par essence, ces situations sont transhistoriques et affectent d'abord les générations de descendants. La mémoire est ici un enjeu historique, qui rend nécessaire une réécriture de l'histoire d'un point de vue de justice, en même temps qu'elle engage une procédure complexe de réparations. Les politiques du pardon sont en conséquence moins tributaires d'une situation circonscrite par une violence limitée que d'une histoire de violence étendue dans le temps et pour ainsi dire transgénérationnelle. Le premier regroupement comprend les textes portant sur l'expérience, les réalités, et les revendications autochtones en Amérique. On y trouvera les témoignages personnels de Peter Irniq et de Diom Roméo Saganash, arrachés de force à leur [14] famille et placés dans des pensionnats « indiens », qui situent cette expérience dans l'histoire coloniale du Canada et du Québec. Ces témoignages mettent en relief les conséquences dévastatrices de l'assimilation forcée dans un contexte postcolonial, en particulier du point de vue de la langue et de la culture, car c'est l'identité la plus profonde qui est alors dévalorisée et blessée. Comment comparer, à partir d'une perspective de réparation, les traumatismes subis dans une situation d'humiliation aux pertes résultant d'un abandon des langues et des coutumes ? Un texte de Gail Guthrie Valaskakis présente la perspective de la Fondation autochtone de la guérison, instituée par le gouvernement du Canada en 1996. L'idéal d'une justice de réparation peut-il être formulé dans un récit commun, si la mémoire historique n'est pas partagée au présent ? Un texte de Sofia Mâcher s'arrête au conflit armé qui a secoué la société péruvienne entre 1980 et 2000 et a fait des milliers de victimes. La Commission Vérité et réconciliation du Pérou (2001-2003) a mis en évidence la surreprésentation de victimes autochtones quechua dans ce conflit et considère que si le conflit n'était pas avant tout un conflit ethnique, c'est quand même le racisme qui en a résulté. L’auteure insiste sur la nécessité d'un nouveau pacte social, incluant une nouvelle définition de la citoyenneté, pour transformer le pardon en justice sociale. Darlene Johnston analyse les effets du colonialisme sur les peuples autochtones du Canada. Pour l'auteure, la transition au postcolonialisme ne se réduit pas à la transformation des institutions, mais exige une reconnaissance des torts inhérents (wrongs) au colonialisme et la réparation de ces torts. Au Canada, le colonialisme a été facilité par le refus des Européens de reconnaître et de respecter les idéaux aborigènes de réciprocité et de non-contradiction. Se livrant à une analyse ethnohistorique, elle montre que les valeurs de tolérance et de pluralisme étaient profondément ancrées dans les sociétés autochtones. Selon les normes aborigènes, l'interférence et le manque de respect qui ont caractérisé le colonialisme au Canada étaient clairement identifiés comme wrongs. Une exploration des protocoles reliés aux réparations chez les autochtones peut, à son avis, servir de guide dans la recherche de voies postcoloniales.
Le second regroupement de cette section consacrée aux situations coloniales et postcoloniales porte sur l'Afrique et les Caraïbes. Il s'agit ici d'une sélection très limitée d'analyses, compte tenu de l'importance du sujet de la traite négrière et du statut des Afro-descendants. On lira d'abord un texte du poète Amadou Lamine Sali sur le Mémorial de Gorée, érigé sur l'île du même nom au Sénégal, un des lieux de mémoire de l'esclavage transatlantique. Le Mémorial a été érigé avec le soutien de l'UNESCO et de la communauté internationale ; il représente une des réalisations les plus importantes, sur le plan symbolique, d'un travail de mémoire inscrit dans un site. Laënnec Hurbon, sociologue, s'attaque à la question de la violence qui traverse le système politique haïtien depuis l'indépendance de la première [15] République noire en 1804 et analyse les effets du blocage de la mémoire relative à l'institution esclavagiste : tendance à l'oubli des crimes politiques et de la violence reproduits, « par quoi toute idée de justice se trouve à l'avance ruinée dans le système social haïtien ». Il met notamment en relief les impasses d'une évolution politique freinée par un déficit de mémoire. Ce lien entre la mémoire historique de l'esclavage et le développement d'une justice politique constitue un enjeu majeur du postcolonialisme. Il fait partie du traumatisme postcolonial en tant que tel. L'écrivain Neil Bissoondath s'érige contre les pièges de la mémoire et contre les identités désignées. Il trace l'expérience des descendants des colons engagés à contrat (indentured servants) issus des couches de paysans pauvres de l'Inde, à la fin du XIXe siècle, dont l'intégration à Trinidad ou dans d'autres îles des Caraïbes sera sujette à des rapports complexes avec les populations afro-descendantes ou de colons. Ces descendants sont à la source de la dispersion migratoire ultérieure en Grande-Bretagne, au Canada ou aux États-Unis. L'auteur plaide en faveur du choix et de la liberté de mémoire.
Dans une troisième section, nous avons choisi de rassembler des textes portant sur d'autres situations témoignant de la violence organisée d'État et du terrorisme d'État. Un premier ensemble de textes regroupe des analyses de cas portant sur l'Algérie, l'Acadie et la question palestinienne. Le sociologue Abdelmadjid Merdaci analyse les constructions des rapports à la guerre d'indépendance et aux acteurs de cette guerre dans la société algérienne d'après l'indépendance, de même que les trous de mémoire de la France en ce qui concerne la guerre coloniale menée contre le droit du peuple algérien à l'autodétermination. Évoquant la loi de la Concorde, qui s'inscrit dans un cadre de référence islamique, il montre les impasses d'une mémoire indifférente à la justice et à l'injustice, dans l'indifférenciation du statut des victimes. Il montre également les risques d'une réparation limitée aux souffrances des victimes et aveugle sur l'horizon des liens sociaux. Chedly Belkhodja, politologue, analyse le type de représentations de la mémoire dans le cadre de la commémoration en 2004 de deux événements importants de l'histoire de l'Acadie, soit le 400e anniversaire de la fondation du premier établissement français en Amérique du Nord en 1604 et le 250e anniversaire de la déportation des Acadiens (1755). Ce texte permet d'aborder la difficile question de la récupération de la mémoire dans les entreprises de reconfiguration identitaire et les projets de renaissance nationale.
La question palestinienne est spécifique à plusieurs égards. Salim Tamari, sociologue et historien, revient sur la mémoire des événements de la naqba, la catastrophe de 1948 qui a vu l'exil du peuple palestinien, et montre comment la bourgeoisie palestinienne de Haïfa, partie avant les hostilités, se remémore ces événements de façon plutôt sélective, ignorant dans le récit de son départ celui de ceux qui sont restés sur place. Rachad [16] Antonius, sociologue, montre que dans ce cas, contrairement à d'autres situations coloniales, la politique du déni, dominante mais pas unanime en Israël et dans la diaspora empêche la reconnaissance des torts historiques causés et l'émergence d'une attitude de réparation. Sur cette question, le récit colonial est encore dominant dans les sociétés occidentales, où les discours négationnistes sur la responsabilité de l'exode palestinien de 1948 sont reproduits en haut lieu. Ceux et celles qui le contestent s'exposent à l'ostracisme. Citant les recherches du Glasgow University Media Group, Antonius illustre l'inversion des rôles d'agresseur et de victime, d'occupant et d'occupé dans l'esprit d'une proportion importante de l'opinion publique occidentale. Ici, l'enjeu de la mémoire a des conséquences directes sur les termes du dénouement d'un conflit très actuel.
Un deuxième ensemble de textes dans cette section traite de sociétés qui ont connu le fascisme (l'Allemagne) et la dictature militaire (le Chili et l'Argentine dans leur guerre civile contre les partis et mouvements de gauche). La violence organisée d'État revêt ici le sens spécifique du fascisme et de la dictature. Régine Robin-Maire, historienne, examine le rapport au passé dans le cas de l'Allemagne. L'auteure part du constat du long délai requis pour que les sociétés reconnaissent qu'elles ont eu des torts, qu'elles sont responsables et qu'elles doivent rendre des comptes. Il ne s'agit pas de refoulement, au sens psychanalytique du terme, mais de silence ; le silence comme stratégie collective et individuelle pour se faire oublier, pour se porter ailleurs, dans un autre contexte, pour redémarrer et faire comme si de rien n'était. Au bout de vingt, quarante, voire cinquante ans, le passé fait retour, revu, relu, corrigé, transformé. Tout dépend du rapport de force mémoriel et de la conjoncture. Dès lors, la question qui se pose est la suivante : Qui est victime, qui a occulté le passé et comment émerge-t-il à nouveau ? Régine Robin-Maire examine dans un premier temps quelques modalités de transformation du passé et de dilution des responsabilités et, dans un deuxième temps, la façon dont l'Allemagne se transforme peu à peu en « victime ». Attentive aux effets de banalisation de la culpabilité, elle montre les conséquences dramatiques d'une victimisation autoproclamée des bourreaux du passé.
Le politologue Alfredo Joignant prend pour point de départ le 11 septembre 1973, date du renversement par la force militaire, sous « supervision » ou avec la collaboration des services secrets américains, du gouvernement socialiste d'Allende au Chili. Il montre que cette date a toujours été un enjeu de luttes au Chili, dont témoignent aussi bien les différentes manières de le remémorer que les divers mots employés pour nommer ce qui avait eu lieu ce jour-là (pronunciamiento ou coup d'État). L'article analyse l'histoire de cette date à partir des luttes de concurrence auxquelles elle a donné lieu, [17] l'enjeu étant toujours la mémoire. La mise en scène de la mémoire, dans un ensemble de dispositifs théâtralisés, ne conduit-elle pas à une manipulation de la mémoire, voire à une marchandisation ?
Elena de la Aldea, psychanalyste, analyse la situation issue de la dictature militaire qui a sévi en Argentine à partir de 1976 jusqu'aux élections démocratiques de 1983. Les disparus, les morts, les torturés, les enfants enlevés, les exilés, tous témoignent de la cruauté du terrorisme d'État de cette période. Elle analyse les effets de la répression systématique en vigueur qui ne font que ressortir encore aujourd'hui et conclut au droit de mémoire : « Nous croyons qu'il est nécessaire de proposer l'idée d'un "droit à la mémoire" qui, selon le critère que nous retenons, vaut par sa puissance de transformation plus que comme devoir ou obligation. Du point de vue de la psychanalyse, il est difficile de penser à un travail d'élaboration du deuil à partir d'une imposition à se souvenir. Défendre un droit le rend présent à notre conscience en tant que bien collectif, toujours en construction et en acte ». Dans cette optique, la voie judiciaire, par son caractère public, peut constituer une option fructueuse pour la mémoire de la société.
Rodolfo Mattarollo traite également du cas argentin, du point de vue d'un juriste militant des droits de l'homme qui a fait partie de nombreuses missions des Nations Unies pour la défense des victimes de violations des droits de l'homme (Haïti, Sierra Leone, Salvador, Guatemala) et aux commissions Vérité/Justice de ces pays. L'auteur écrit au sujet de l'Argentine et du Chili : « Nos pays deviennent universels [...] seulement par la dimension de l'horreur et cela grâce à la mémoire, c'est-à-dire grâce à une façon de s'approprier d'un passé récent et de le regarder en face, comme une façon de se préparer pour bâtir un avenir différent [...] Mémoire, c'est ce que l'on peut opposer à l'histoire officielle, après la fin des dictatures. » Mais, souligne-t-il, avant le pardon, entre la mémoire et le pardon, il y a la vérité, la justice et, éventuellement les réparations. Depuis Nuremberg, l'humanité a eu le crédit de nombreux procès exemplaires qui autorisent la foi en la justice. Administrer la justice fait partie des obligations éthiques de l'État. La justice a bel et bien le pouvoir d'imputer des responsabilités individuelles sans entrer dans le complexe processus de jugement d'un gouvernement ou d'un pays. Rappelant l'histoire des Mères de la place de Mai et comparant les situations du Chili et de l'Argentine, il montre l'importance cruciale des revendications de la société civile concernant la mémoire et l'établissement d'une vérité de la responsabilité.
La quatrième section poursuit cette interpellation sur le thème de l'éthique, du politique et des responsabilités des États. Cécile Marotte, psychiatre et militante auprès des réseaux de défense des personnes ayant subi la violence organisée, y analyse les effets de la violence sur les individus et l'approche alternative que permet l'ethnopsychiatrie, un outil d'intervention [18] clinique et politique. Elle met en relief les responsabilités nouvelles des États à l'endroit des demandeurs d'asile et des réfugiés, pour lesquels sont nécessaires non seulement des garanties de sécurité, mais également des outils de retour sur le passé. Le sociologue Peter Li analyse la mobilisation des citoyens canadiens d'origine chinoise dans l'affaire de la head tax discriminatoire dont ils ont été l'objet. L'auteur soutient qu'il y a des limites à la jurisprudence quand il s'agit de traiter d'injustices historiques qui ont été légalement sanctionnées. L'expérience des Canadiens d'origine chinoise en matière de réparations laisse supposer que celles-ci exigent un engagement envers l'inclusion sociale au sein de la société civile et que le processus politique convient mieux que les recours légaux, dans les négociations et les ententes relatives aux réparations.
Attentif à l'exemple canadien, Daniel Drache montre l'écart entre la volonté de réparation et les politiques concrètes mises en œuvre par les États. Le Canada montre l'exemple d'un oubli récurrent de discriminations et d'injustices du passé, oubli qui fait retour dans les pratiques d'accueil des immigrants. Peut-on proposer une explication de l'oubli collectif en faisant appel à la facilité de l'oubli individuel de l'injustice, à la banalisation du mal, pour reprendre l'expression de Hannah Arendt ? Les États se trouvent désormais confrontés à une éthique de la responsabilité qui doit inclure non seulement des devoirs sociaux, mais aussi un devoir de pardon et de mémoire.
Bacre Waly Ndiaye, juriste et directeur du Bureau de New York du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, a participé à de nombreuses missions des Nations Unies dans le monde (Rwanda, Timor, Haïti, Yougoslavie, Pérou, Colombie, Burundi, l'île de Bougainville, en Papouasie-Nouvelle Guinée, et d'autres). Sa contribution se concentre sur le rôle des Nations Unies dans le cadre de situations de « transition entre guerre et paix, entre oppression et libération, entre un passé de violence, un présent semé d'embûches et un avenir riche en espoirs, sur les relations complexes, et souvent difficiles, entre le devoir de mémoire, le pardon souvent nécessaire et la réconciliation préalable incontournable d'une paix durable. Il s'agit plus précisément du rôle des Nations Unies dans le cadre des négociations de paix et de sortie de crise et dans le cadre de la transition vers la paix et la démocratie ».
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Que tirer de ces nombreux récits ? Est-il possible d'y repérer des thèmes communs, des difficultés récurrentes dont on peut apprendre quelque chose qui transcende les récits particuliers, qui nous aide à penser le devoir de mémoire et les politiques du pardon ?
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Une première constatation est que, bien avant le pardon et constituant une condition fondamentale du pardon comme de tout processus réparateur , la recherche de la vérité historique reste un impératif éthique incontournable. Le pardon est-il illusoire ? N'est-il qu'une stratégie rhétorique destinée à calmer le présent et éviter de contourner une justice qui pourrait avoir des conséquences concrètes ? La question est complexe, comme le montrent plusieurs des exemples discutés dans les contributions qui suivent, mais une chose est claire : le pardon ne peut être mis à l'ordre du jour, il ne peut être proposé tant que la responsabilité de ceux qui ont causé des torts historiques n'a pas été établie et assumée par les bénéficiaires des situations de domination. Ceci est vrai des situations coloniales, mais pas uniquement d'elles. Dans les sociétés décolonisées, la négociation de l'ordre postcolonial s'est souvent faite dans la violence. Là aussi, à l'intérieur de ces sociétés blessées, le pardon ne peut être véritablement demandé et octroyé sans qu'il y ait d'abord une recherche de vérité. Le récit des acteurs revendique les excuses ; la réparation prend alors tout son sens et toute sa force et la recherche de la vérité prend la forme de l'écoute et de la légitimation des récits authentiques mais contradictoires entre eux des divers acteurs de l'histoire, individus ou collectivités. La reconnaissance de ces récits peut alors ouvrir la porte à des formes de pardon impensables autrement, et qui ne se situent pas toujours dans le cadre de la justice pénale.
Mais les pièges sont nombreux, car chaque ordre social produit ses propres mécanismes de déni. À l'ère des droits de la personne, il est plus facile de revendiquer le statut de victime que de consentir à être catégorisé dans le rôle de bourreau. Quand l'injustice est telle que le récit de ceux dont l'intérêt est de la camoufler par tous les moyens est incontesté, ceux-ci peuvent aisément prétendre à une réconciliation qui nie à la victime le droit de dire qu'elle n'est pas réconciliée et ne le sera jamais. Une telle réconciliation n'en est pas une, du seul fait qu'elle est unidirectionnelle. La reconnaissance de la légitimité du récit des victimes est donc la première forme que prend la recherche de la vérité.
Si la reconnaissance de la légitimité du récit des victimes est fondamentale, elle tend un autre piège, qui se cache dans les termes utilisés pour poser la question. Ce piège est celui de la victimisation, de l'attribution parfois paternaliste du statut de victimes à des acteurs sociaux et politiques mobilisés qui se perçoivent et qui veulent être perçus comme tels. Le récit des acteurs sociaux consiste alors à contester avant tout les représentations sociales qui font d'eux des victimes, à se transformer en acteurs par l'action, mais aussi par la prise de parole. Ces récits ouvrent la porte à la contestation de l'injustice à partir de termes autres que ceux de victime et d'agresseur, dans l'affirmation de la part des acteurs historiques de leur rôle d'acteur. Et c'est peut-être dans le dépassement de ce statut de victime, dans l'affirmation [20] et la reconnaissance du statut d'acteur et dans la contestation des rapports de domination, que réside véritablement la possibilité d'une politique du pardon. Il n'est pas si simple de dépasser la polarité de l'agresseur et de la victime, dans la mesure où le récit historique cherche d'abord à établir une responsabilité. Or, plusieurs situations montrent non pas des responsabilités partagées, mais des situations d'injustice découlant d'abus manifestes ayant transformé en victimes sans défense plusieurs acteurs sociaux démunis.
C'est néanmoins sur cet horizon d'un partage des mémoires que la responsabilité historique du devoir de mémoire et des politiques du pardon qui pourraient lui être associées est définie pour la justice à venir. Du seul fait, comme le rappelle si justement Jacques Derrida (2000, p. 133), que tout pouvoir s'instaure à partir d'une violence fondatrice et du fait non moins essentiel que cette fondation a pour premier effet d'occulter la violence dont elle est issue et d'organiser l'amnésie collective, les sociétés occidentales ont longtemps fait semblant d'oublier à leur tour les injustices constitutives dont elles étaient issues. Les situations postcoloniales, tout comme les situations de violence totalitaire du XXe siècle, présentent à cet égard un rappel sans équivoque : par leur réclamation de vérité et de justice, toutes ces situations mettent nos sociétés en face de cette amnésie constitutive. Le paradigme qui se dessine actuellement est donc celui d'un devoir renouvelé, par lequel les États responsables de violences historiques sont appelés non seulement à assumer cette responsabilité, mais aussi à renoncer à un pardon sans conséquences, qui ne serait que l'expression de leur seule souveraineté. Rien ne serait plus dommageable pour l'avenir qu'un pardon conduisant à une nouvelle amnésie, un pardon privé de tout lien avec la justice. Tel est en effet le risque des amnisties non critiquées dans les situations de transition, analysées notamment par Sandrine Lefranc : outre le fait que ces amnisties bloquent le chemin de la justice pénale, elles courent le risque de donner les conditions de la reproduction du discours des vainqueurs, toujours déjà disposés à expliquer qu'ils ne pouvaient agir autrement compte tenu des circonstances.
Les apories de la mémoire et du pardon sont donc nombreuses ; chaque situation présentée ici en présente un aspect, en précise la complexité. Le courage qui est demandé à tous ceux qui s'engagent dans les processus de réconciliation comme ceux dont nous sommes témoins en Afrique du Sud n'est pas moindre que celui qui est requis de ceux qui entreprennent des actions en justice et des demandes de réparation devant les tribunaux : dans tous les cas, la vérité sera l'enjeu et l'imputabilité entrera inévitablement en conflit avec le devoir de mémoire. Faire taire, supprimer le récit des victimes demeure à ce jour le plus sûr moyen de demeurer impuni, et la première tâche associée au devoir de mémoire est de lui garantir des conditions [21] d'exercice qui ne l'assujettissent pas à une politique d'impunité. La première conséquence de la prise de parole est encore, et doit demeurer, la possibilité de la justice. C'est cette exigence qui résonne dans tous les textes rassemblés ici et qui fait à nos yeux leur nécessité.
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Wallerstein, I. (1990). « Culture as the Ideological Battleground of the Modern World-system », Theory, Culture as Society, vol. 7, n° 2, pp. 31-55.
[1] La section qui suit reprend certains éléments d'un article de Micheline Labelle d'abord paru dans le quotidien Le Devoir, Idées, jeudi 29 juillet 2004, p. A7, remanié et reproduit dans la revue Asymétries : analyses de l'actualité internationale, mars 2005.
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