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Le devoir de mémoire
et les politiques du pardon.
Résumés / Abstracts
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LES DISCOURS SUR LA MÉMOIRE FACE À LA TRAGÉDIE DE LA TRAITE NÉGRIÈRE
The discourse on memory and the tragedy of the slave trade
Ali Moussa Iye
Ali Moussa Iye rappelle les questionnements éthiques et politiques soulevés par l'équation établie entre devoir de mémoire et politique de pardon dans la gestion des crimes de l'histoire. Il explique comment l'extermination des Amérindiens et la déportation des Africains, tragédies encore largement occultées, interrogent la pertinence et l'universalité des concepts utilisés et posent la question du traitement inégal des mémoires douloureuses. S'attachant à la traite négrière et à l'esclavage, il présente les caractéristiques de ce crime contre l'humanité et évoque les théories monstrueuses héritées des Codes noirs, élaborés en plein « Siècle des Lumières », qui nourrissent encore les préjugés raciaux et les discriminations à l'encontre des populations d'ascendance africaine. Il rappelle les résistances culturelles menées par les esclaves pour survivre à leur déshumanisation et influencer profondément les sociétés esclavagistes. Il présente le projet « La Route de l'esclave » de l'UNESCO dont un des buts est justement de mettre en lumière les interactions culturelles générées par cette tragédie et de promouvoir le dialogue issu de ces rencontres tragiques entre cultures.
Ali Moussa Iye reminds us of the ethical andpolitical questions raised by the relation established between the duty ofmemory and the politics of forgiveness in managing the crimes of history. He explains how the extermination of American Indians and the deportation of the Africans, tragedies which are still largely occulted, question the relevance and the universality of the concepts used, and how these issues mise the question of the unequal treatment of painful memories. Addressing the issues of slave trade and slavery, he examines the characteristics of this crime against humanity and evokes the monstrous theories inherited from the black Codes and elaborated during the "Enlightment Era", which still nourish racial prejudices and discriminations against the populations of African descent. He evokes the means of cultural resistance developed by the slaves in order to survive their dehumanization and which have influenced deeply societies based on slavery. He also présents the UNESCO 'Slave Route' project, whose aims include bringing to light the cultural interactions generated by this tragedy, and to promote the dialogue that resulted from this tragic encounter between cultures.
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LE DEVOIR DE MÉMOIRE ET LA RESPONSABILITÉ
Duty of memory and need for accountability
Ted Moses
La notion de « devoir de mémoire » souligne un élément essentiel, souvent oublié lorsqu'il s'agit des atrocités passées commises contre l'humanité. Nous avons un devoir collectif et individuel de nous souvenir et de dénoncer de tels actes, ainsi que ceux qui les ont commis. La vérité doit être notre point de référence commun pour décider comment progresser, car c'est seulement par la mémoire et la vérité que nous pouvons nous assurer de l'imputabilité. Les États ont le devoir de garantir le respect des droits humains et de poursuivre ceux qui commettent des crimes contre l'humanité. Ne pas assumer ces responsabilités peut avoir des résultats désastreux.
Les peuples autochtones, pris globalement, ont subi des souffrances affreuses dans la période historique contemporaine. Cependant, dans le processus mis en place actuellement par l'Organisation des Nations Unies pour traiter des droits humains des peuples autochtones, processus qui est devenu la norme sur ces questions, certains États tentent « d'aseptiser » la terminologie juridique en omettant toute référence aux notions d'« ethnocide » et de « génocide culturel ». Ces omissions sont incompatibles avec l'impératif d'établir la vérité sur les atrocités passées et avec celui d'empêcher leur répétition.
Se réconcilier avec le passé implique des réparations. Afin d'être efficaces, celles-ci doivent être signifiantes, et être conçues pour améliorer les perspectives présentes et futures des survivants. Pour apporter la guérison et la réconciliation, nous devons nous attaquer aux causes profondes du mal. En ce qui concerne les peuples autochtones, les abus passés doivent être réparés, entre autres, par la reconnaissance de leurs droits humains collectifs, en tant que peuples. Le pardon est un aspect important de la réconciliation avec le passé, mais les nouveaux départs doivent également apporter de nouveaux espoirs pour le futur des peuples autochtones.
The "duty of memory" captures the often forgotten critical element in considering past atrocities against humanity. We have a collective and individual duty to remember and to speak out against such acts and those who perpetrated them. The truth must be our common reference point in deciding how to move forward as only through memory and truth can we ensure accountability. States have a duty to guarantee respect for human rights and prosecute those who commit crimes against humanity. Failure to do so can have calamitous results.
Indigenous peoples globally have suffered horrendous wrongdoings in historical and contemporary times. However, in the current UN standard-setting process on Indigenous peoples' human rights, some states are attempting to [423] "sanitize" legal terminology by omitting any references to "ethnocide" and "cultural genocide". Thèse actions are incompatible with establishing the truth about past atrocities and preventing their recurrence.
"Mending the Past" implies reparations. To be effective these must be meaningful and be designed to improve the present and future prospects of survivors. To bring healing and reconciliation we must deal with root causes. In the case of Indigenous peoples, past abuses must be redressed by, inter alia, recognition of their collective human rights as peoples. Forgiveness is an important aspect of mending the past, but new beginnings must also bring new hope for the future of Indigenous peoples.
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QU'ATTENDRE DES « POLITIQUES DU PARDON » ?
What can we expect from the “policies of forgiveness” ?
Sandrine Lefranc
Que peut-on attendre de politiques inspirées par la figure du pardon, alors que l'expression même de « politiques du pardon » semble absurde ? Si l'on en attend quelque chose, c'est que la « mémoire » d'un passé de violence n'a pas été effacée par un changement politique ou par le passage du temps, ni n'a été surmontée par l'exercice de la simple justice... Les victimes s'entêtent, refusant l'« oubli », l'amnistie ou des formes de réparation qu'elles jugent insuffisantes. Et pour tenter de les satisfaire, sans pour autant menacer des équilibres politiques souvent fragiles, de nombreux gouvernements, par exemple dans le cône sud latino-américain, ou en Afrique du Sud, ont eu recours à des politiques s'appuyant sur une rhétorique du pardon. Ce texte revient sur deux des vertus qui leur sont prêtées : leur contribution à la diffusion d'un récit historique écrit à plusieurs mains, par opposition à une histoire officielle, et la reconnaissance de la victime qu'elles permettent.
What can we expect from policies inspired by the notion of forgiveness, whereas the very expression "policies of forgiveness" seems absurd ? If one expects something from it, it is because the "memory" of a violent past has not erased by political change or by the passage of time, nor was it overcome by the simple exercise of Justice... The victims are stubborn ; they refuse to forget, they refuse amnesty and reparations which they consider insufficient. And in order to attempt to satisfy them without threatening often fragile political balances, many governments resort to policies based on the rhetoric of forgiveness, for example in the Latin America or in South Africa. This text examines two of the virtues attributed to such policies : their contribution to the diffusion of a historical account written by several hands, in opposition to an officiai history, and the recognition of the victim which these policies allow.
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LES PROBLÈMES DE LA RECONSTRUCTION IDENTITAIRE
the reconstruction of social identity
Michel Wieviorka
La poussée des identités culturelles interpelle de l'intérieur les démocraties occidentales et met à l'épreuve le passé, les dictatures, les régimes autoritaires et les totalitarismes, aussi bien que les mouvements religieux, nationalistes, etc. Le débat du devoir de mémoire s'inscrit dans cette perspective. Il mobilise la sociologie, l'histoire, la philosophie politique, les pratiques politiques et institutionnelles, dont celle du multiculturalisme. Dans cette communication, nous exposerons les défis théoriques que posent les questions de la mémoire et de la subjectivité, de la mémoire collective, du travail de la mémoire et de la crise de l'histoire.
The rise of cultural identifies engages Western democraties front within, and it challenges the past, the dictatorships, the authoritarian and totalitarian regimes, and the religions and nationalist movements, etc. The debate on the duty of memory fits in this perspective. It mobilizes the disciplines of sociology, history, political philosophy, as well as political and institutional practices, including multiculturalism. In this communication, we will address the theoretical diffculties that are raised by the questions of memory and subjectivity, of collective memory, of the work on memory and of the crisis of history.
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MÉMOIRE ET PARDON : LE CAS DES INUITS
Mending of the past : the case of the inuits
Peter Irniq
Peter Irniq explique comment la vie des Inuits a été affectée par l'arrivée de l'homme « blanc ». Bien que la présence des gens venus du Sud eut quelques conséquences bénéfiques, ceci s'est fait au prix d'une perte de la culture inuit, de la langue et des croyances, telle que la spiritualité inuit et le chamanisme. Les conséquences négatives ont été déjà ressenties par plusieurs générations, et continueront d'avoir un impact pour de nombreuses années à venir. Certains groupes on réévalué l'impact de cette situation sur les Inuits du Nunavut, et se sont engagés dans une ré interprétation du passé en prenant en considération les points de vue des populations locales. D'autres groupes résistent à accepter la responsabilité des actions de leurs prédécesseurs. La formation du territoire de Nunavut a été rendue possible par la détermination et la foi de ces Inuits. Un objectif pour les Inuits consiste à assurer la pérennité de leur tradition et de leur langue et à s'assurer que le Qaujimajatuqangit [425] inuit soit non seulement enregistré correctement, mais aussi qu'il survive pour que les générations à venir. Les Inuits visent à avoir une société équilibrée dans tous les aspects de leur vie. Il y a un sentiment d'urgence chez les chefs Inuits, qui souhaitent atteindre ces objectifs de leur vivant, car leur vie a été remplie de tristesse et de douleur par rapport à leur passé.
Mr. Irniq speaks of Inuit life altered by the arrival of the 'white' man. Although benefits came of the presence of the southerners it was at the expense of Inuit culture, language and beliefs, such Inuit spirituality and shamanism. The negative results have been felt by a few generations already and will continue to have an effect for years to corne. Some of the groups have re-evaluated their impact on the Inuit of Nunavut and are taking action to interpret the past taking into account the point of view of the local residents. Some groups are resisting taking responsibility for the actions of their predecessors. The formation of the Nunavut Terri tory was made possible by the dedication and beliefs of those same Inuit. It is Inuit objective, using the tools of today, to ensure their tradition, language and Inuit Qaujimajatuqangit not only get recorded correctly, but also continue for the generations to corne. Inuit aim to have a balanced society in ail aspects of their life. There is an urgency for Inuit leaders to achieve their objectives in their lifetime, a lifetime that is also filled with sadness and hurt from their past.
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LES PENSIONNATS POUR AUTOCHTONES, OUTILS D'ASSIMILATION :
UN HÉRITAGE HONTEUX
Aboriginal boarding schools : a tool for assimilation and a shameful heritage
Diom Roméo Saganash
Ce texte livre l'expérience vécue de l'assimilation forcée qu'ont subie les enfants autochtones du Québec et du Canada qui ont été placés dans les pensionnats autochtones. L'auteur témoigne de son expérience personnelle. Il analyse les formes du racisme qui ont présidé à cette expérience et ses conséquences sur la mémoire individuelle et collective.
This is a testimony of the real-life experience of forced assimilation imposed on aboriginal children in Québec and Canada which were placed in boarding schools. The author talks about his personal experience. He analyzes the forms of racism which were at the basis of these boarding schools, and its consequences on the individual and collective memory.
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LES PENSIONNATS INDIENS : SOUVENIR ET RÉCONCILIATION
Indian boarding schools : memories and reconciliation
Gail GuthrieValaskakis
Jusqu'en 1992, les mémoires inédites des peuples autochtones du Canada qui ont fréquenté les pensionnats étaient passées sous silence dans l'histoire politique et sociale du Canada. Au cours des deux dernières décennies les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont commencé à se souvenir de leurs expériences liées au régime des pensionnats et à parler de l'impact de leur séjour dans ces pensionnats résultant dans la perte de leur langue, leur culture, leur famille, leur communauté et des abus physiques et sexuels. Cet article examine le développement et la signification du régime des pensionnats indiens du Canada, incluant la relation entre le régime des pensionnats et les traumatismes historiques ; les initiatives canadiennes vers la guérison et la réconciliation tout particulièrement la Fondation autochtone de guérison, et une approche plus étendue vers la guérison et la réconciliation qui semble plus prometteuse pour les peuples autochtones et les autres au Canada.
Until 1992, the unwritten memories of Canadian Aboriginal people who attended residential schools were silent in the social and political history of Canada. In the past two decades, First Nations, Inuit and Métis have begun to recall their residential school experiences and to speak about the impact of losing their languages, cultures, families and communities, and experiencing instances of physical and sexual abuse. This paper reviews the development and meaning of Canadian Indian residential schools, including the relationship between residential schools and historic trauma ; Canadian initiatives toward healing and reconciliation, particularly the Aboriginal Healing Foundation, and broader approaches toward healing and reconciliation that hoId promise for indigenous people and others in Canada.
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LA VIOLENCE POLITIQUE AU PÉROU ET LA POPULATION « INVISIBLE »,
UNE VIEILLE HISTOIRE
Political violence in Peru and “invisible” populations : an old tale
Sofia Macher
Ce texte est un témoignage sur l'impact de la Commission Vérité et réconciliation au Pérou, mais il constitue aussi une réflexion plus large sur l'importance de telles commissions, et sur les conditions de leur succès. Le rapport de la Commission a établi des faits qui étaient inconnus ou non reconnus dans le discours public sur les violences sociales qui ont agité le Pérou. La [427] violence était beaucoup plus intense qu'on ne l'admettait publiquement. Les autochtones et les analphabètes, surtout dans les régions rurales, ont subi des violences autrement plus importantes que les autres groupes de la population. Et parmi eux, les femmes ont subi des violences encore plus grandes, incluant des viols. L'auteure note que la préoccupation centrale d'une Commission de la Vérité est la possibilité de conduire un processus, impliquant l'ensemble de la société, qui puisse garantir que les horreurs vécues ne se répéteront pas. La CVR a estimé crucial que la société péruvienne et l'État lui-même écoutent les récits des victimes, dans leurs propres mots, et dans une ambiance respectueuse, ce qui permettait de rendre la dignité aux victimes. Une Commission de la Vérité doit interpeller non seulement les bourreaux, mais l'ensemble de la société qui a permis que ces choses arrivent. La réconciliation n'est pas possible tant que les responsables des crimes perpétrés n'ont pas été punis. Que la justice soit faite est donc la première condition indispensable pour faciliter la réalisation d'un nouveau pacte social. La deuxième condition est celle des réparations, dont l'objectif central doit être celui de rendre leur dignité aux victimes. Les réformes institutionnelles constituent une troisième condition, et doivent s'accompagner de politiques publiques visant à corriger l'inefficacité de l'État.
This text is a testimony on the impact of the Truth and Reconciliation Commission in Peru, but it also constitutes a broader refection on the importance of such commissions, and on the conditions of their success. The Commission Report established facts which were unknown or not recognized in the public discourse on the social violence in Peru. Violence was much more intense than publicly admitted. Indigenous peoples and the illiterates, especially in the rural areas, underwent much more violence than the other groups of the population. And among them, women experienced even more violence, including rapes. The author notes that the fundamental task of a Truth Commission is to make possible aprocess engaging the whole society, which can guarantee that the horrors that have been experienced will not be repeated. The Truth and Reconciliation Commission estimated that it was crucial that the Peruvian society and the State itself listen to the testimonies of the victims, in their own words, and in a respectful environment, as a condition for restoring their dignity to the victims. A Truth Commission must engage not only the torturers, but the whole society, which allowed these things to happen. Reconciliation is not possible as long as those who were responsible for the perpetrated crimes have not been punished. That justice be mode is thus the first essential condition to facilitate the realization of a new social pact. The second condition is that of reparation, whose central objective must be to restore their dignity to the victims. The institutional reforms constitute a third condition, and must be accompanied by publicpolicies aimed at correcting the inefficiency of the State.
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TRADITIONS AUTOCHTONES DE TOLÉRANCE ET DE RÉPARATION
Aboriginal traditions of tolerance and reparation
Darlene Johnston
Le Canada, qui est perçu comme un modèle et comme une source d'espoir pour les sociétés multiculturelles, semble avoir émergé, depuis la Deuxième Guerre mondiale, comme un état postcolonial. Mais les peuples autochtones considèrent que le colonialisme est bien plus qu'un arrangement politique ou législatif entre les anciens empires et leurs colonies. Le colonialisme a été fondé sur la dépossession des Autochtones par des sociétés de colons. Or peu de Canadiens se perçoivent comme des colonisateurs. La dépossession des autochtones est perçue comme un fait accompli, une chose du passé, et non pas comme un tort qui se perpétue dans le présent. Et peu d'entre eux sont prêts à remettre en question la légitimité du régime qui a succédé à la colonisation.
Or il n'est pas difficile de distinguer les victimes de ce colonialisme de ses bénéficiaires. Quelle responsabilité ont les bénéficiaires ? Il est du devoir de chaque citoyen de connaître l'histoire de la terre autochtone sur laquelle il vit. Qui a été déplacé ? Comment cela est-il arrivé ? Où vivent à présent les personnes déplacées ? Comment vivent-elles ?
La réponse désolante est que les Autochtones vivent dans des conditions propres au tiers-monde, dans un pays développé. Si on appliquait l'index de développement humain sur les Autochtones vivant sur les réserves, ils se classeraient au 68e rang alors que le Canada est au premier rang. Le colonialisme est donc encore bien vivant au Canada.
Le refus de voir la persistance de ces rapports coloniaux requiert les lentilles correctrices de la mémoire et de la vérité. La transition au postcolonialisme doit se faire par l'admission des torts causés et par la réparation. Les traditions autochtones sur la réciprocité pourraient être une source d'inspiration pour les Canadiens qui cherchent une voie pour dépasser les rapports coloniaux.
As societies around the world struggle to contain ethnic and religious conflicts, Canada is often seen as a beacon of multicultural hope. Canadian jurists, scholars and politicians are proud to export our now-entrenched ideals of respect for equality and protection of minorities. Few would mention Canada and colonialism in the same breath. As a matter of political history, Canada is understood to have shed its colonial status sometime between Confederation and the Second World War, with the patriation of the Constitution in 1982 definitively signaling the émergence of the post-colonial Canadian state. Aboriginal people, however, understand that colonialism is more than a matter of the [429]
political and legislative arrangements between former empires and colonies. On the ground, colonialism turns on the dispossession of Aboriginal peoples by settler societies. While it is hard to deny that Aboriginal people in Canada have been and continue to be colonized, few Canadians self-identify as colonizers. They are deemed to be a thing of the past, with the event of colonization a fait accompli. The act of dispossession is seen as a past tragedy, not as a continuing wrong. Even if enlightened Canadians can agree, with hindsight, that colonial dispossession was morally wrong, few are prepared to extend that judgment backwards in time to question its legal validity, or the legitimacy of the successor régime.
For citizens of Canada, however, there can be no perch outside the social dynamics of colonialism. Questions of blame aside, there is no difficulty distinguishing the victims from the beneficiaries of colonialism. But what, if any, responsibility should the beneficiaries bear ? In my view, every citizen is responsible for knowing the history of the aboriginal land upon which they live. Who has been displaced ? How did the displacement happen ? Where are the displaced people living now ? How are they living now ? The sad answer is that Aboriginal people live in third-world conditions in the midst of a first-world country. In his 2005-2006 Report on Plans and Priorities, the Minister of Indian Affairs acknowledged that "applying the United Nations Human Development Index would rank on-reserve Aboriginal communities 68th among 174 nations, while Canada overall was ranked first." As long as the displaced continue to live in poverty and despair, in shocking contrast with the displacers, or their place-holders, colonialism is alive and well in Canada.
Blindness to the persistence of colonialism requires the corrective lenses of memory and truth. The transition to post-colonialism is not simply a matter of constitution making or institutional change. It must be purchased by an acknowledgement of the Wrong of colonialism and reparation to the Wronged. In Canada, colonialism was facilitated by the refusal of Europeans to respect Aboriginal ideals of reciprocity and non-contradiction. Ethnohistorical evidence from the early encounter period demonstrates that current Canadian ideals of tolerance and pluralism were deeply embedded in Aboriginal societies. Judged by indigenous standards, the disrespect and interference which characterized Canadian colonization were clearly wrong. However, an exploration of the language and protocols relating to Aboriginal reparations can provide guidance to Canadians seeking a path to post-colonialism.
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LIEU DE MÉMOIRE ET TRAITE TRANSATLANTIQUE :
L'EXEMPLE DU MÉMORIAL DE GORÉE
Places of memory and the transatlantic slave trade : the example of the gorée mémorial
Amadou Lamine Sali
Il s'agira de communiquer sur l'importance de sauvegarder, dans le temps et dans l'espace, dans le matériel et l'immatériel, dans le souvenir et le présent des civilisations, l'irréductibilité de la mémoire dans la marche des peuples et des nations. Un peuple sans mémoire est un peuple amnésique, sinon mort. L'histoire de la traite négrière étalée sur trois siècles de déportation est une histoire souvent mal connue. De brillants analystes, sociologues et économistes ont démontré combien cette saignée humaine constitue une des plus grandes tragédies de notre humanité. Ses effets, encore aujourd'hui, expliquant pour beaucoup le retard de l'Afrique. Cette mémoire qui prend en charge cette douloureuse histoire est une mémoire vivante. Elle doit rester vivante pour ne jamais oublier mais surtout pour installer le pardon et bâtir l'avenir dans une vaste chaîne de solidarité et de partage. L'île de Gorée au Sénégal est un des lieux de mémoire ! Le Mémorial qui va être érigé avec le soutien de l'UNESCO et de la communauté internationale va perpétuer et faire vivre cette mémoire.
This communication is about the importance of safeguarding, in time and in space, in material forms and immaterial ones, in the memory of civilizations and in their present, the irreducibility of memory in the lives of peoples and nations. A people without memory is amnesic, if not dead. The history of the slave trade, which spread over three centuries of deportation, is often poorly known. Brilliant analysts, sociologists and economists showed how much this human bleeding constitutes one of the greatest tragedies of our humanity. Its effects, which extend until today, explain for much the lagging behind of Africa. The memory that takes on this painful history is a live memory. It must remain alive, not only in order to never forget, but especially in order to promote forgiveness and to build the future in a vast movement of solidarity and of sharing. The island of Gorée in Senegal is a locus of memory ! The Memorial which will be set up with the support of UNESCO and the international community will perpetuate this memory and keep it alive.
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MÉMOIRE ET POLITIQUE EN HAÏTI
Memory and politics in Haiti
Laënnec Hurbon
Chaque chef d'État en Haïti est adulé au moment où il accède au pouvoir, et voué aux gémonies au moment où il est contraint de laisser le pouvoir. Ses biens sont en règle générale mis sous séquestre, mais lui sont restitués quelques années après. Comme si la mémoire dans la vie politique était facilement réduite à une peau de chagrin. Les événements se succèdent, mais ne s'accumulent pas et semblent laisser peu de traces. Cette situation correspondrait à un phénomène structurel, et en tout cas serait caractéristique du système politique haïtien. Le texte porte sur l'interrogation sur cette défaillance de la mémoire dans la vie politique haïtienne sur un double registre : sur l'histoire de l'indépendance (1804) aux années 1980, donc sur la longue durée ; sur l'histoire immédiate des années 1980 à nos jours.
L'analyse est conduite en particulier, dans un premier temps, autour de la mémoire de l'institution esclavagiste d'où l'État haïtien est sorti sur la base d'une rupture radicale. Qu'en est-il de cette mémoire, de ses lieux, de sa prégnance dans l'évolution politique du pays pendant les deux derniers siècles ? Dans un second temps, on se demande si la récurrence des régimes dictatoriaux n'est pas tributaire d'une tendance à l'oubli des crimes politiques (assassinat d'opposants, dilapidation des biens publics, absence de sanction véritable, etc.), par quoi toute idée de justice se trouve à l'avance ruinée dans le système social haïtien. Comment expliquer une telle pente de la vie politique ? Faudra-t-il se rabattre sur les séquelles non instruites de l'esclavage dans les rapports sociaux ? Ou à l'inverse sur un trop-plein de cette mémoire, comme si en Haïti le temps s'était arrêté et que les générations se croient toutes contemporaines des avènements de l'indépendance ?
Each Head of State in Haiti is adulated when in power, and vilified when forced to step down. His accumulated wealth is generally put under sequestration, but given back to him a few years later. It is as if memory in political life were destined to shrink to irrelevance. Events follow one another, but do not accumulate, and they seem to leave almost no trace. This is a structural and characteristic aspect of the Haitian political system. This text is a probe into the lapse of memory in the Haitian political life, on a double register : on the history of independence, from 1804 until the years 1980, therefore over the long duration ; and on the immediate history, from the years 1980 until the present time.
The analysis focuses specifically, at first, around the memory of the institution of slavery, from which the Haitian State has emerged on the basis of a radical shift. What happened to this memory, to the locations where it is anchored, to its impact on the politics of the country over the last two centuries ?
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We then ask whether the récurrence of dictatorial regimes is not due, in part, to a tendency to forget political crimes (assassination of opposition figures, dilapidation of public goods, absence of real sanctions, etc.), which ruins the very idea of justice in the Haitian political system. How can we explain this degradation of political life ? Should we resort to the unrecognized consequences of slavery in social relations ? Or, on the contrary, to a saturation of this memory, as if time had corne to a stop in Haiti, and generations ail think of themselves as contemporary to independence ?
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UNE SAGA INTER-GÉNÉRATIONNELLE :
UN RÉCIT PERSONNEL
An inter-generational saga : a personal narrative
Neil Bissoondath
L'approche de Neil Bissoondath sera celle d'un romancier pour qui le passé et la mémoire (surtout individuelle et familiale) sont d'une importance capitale. Dans ce texte, il aborde la question de l'importance de la mémoire pour les individus, et les dangers de la manipulation politique. En effet, les narrations individuelles et familiales remettent quelquefois en question les idées reçues, et des situations collectives de domination cachent aussi des histoires personnelles de libération qu'il ne faut pas occulter.
Neil Bissoondath's approach is that of a novelist, for which past and memory (specially individual and family memory) are quite important. In this paper, he tackles the question of the importance of memory for individuals, and the dangers of political manipulation. Individual and family narratives sometimes question received truths, as collective situations of domination also hide personal narratives of libération, that should not be overlooked.
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DU DEVOIR DE MÉMOIRE À LA POLITIQUE DU PARDON :
LES « IMPENSÉS » ALGÉRIENS
From the duty of memory to the politics of forgiveness the unthinkable in Algeria
Abdelmadjid Merdaci
Entre scotomisation et instrumentation politique de la guerre d'indépendance, la société algérienne n'est pas parvenue à se libérer de son passé colonial et du poids des non-dits. Elle est confrontée aujourd'hui à l'obligation [433] de reconstruire ses rapports avec l'ancienne puissance coloniale à l'ombre de nouveaux déchirements qui appellent, à l'initiative des « politiques du pardon » engagées par le pouvoir, plus le refoulement que le devoir de mémoire.
Between the scotomization and the political instrumentalization o the war of independence, the Algerian society bas not succeeded in liberating itself from its colonial past, and from the weight of its untold realities. It is now confronted with the obligation of reconstructing its relationship with the previous colonial power while being torn between conflicting trends, which, like the policies of forgiveness, resemble more an attitude of repression of painful truths than a duty of memory.
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L'ACADIE : UNE MÉMOIRE RÉAMÉNAGÉE
DE LA RECONNAISSANCE AU RECOMMENCEMENT
Acadia : a rearranged memory from recognition to starting anew
Chedly Belkhodja
Ce chapitre propose une analyse de la mémoire dans un contexte de relecture du passé dans une société démocratique. En 2004, l'Acadie a commémoré un événement important de son histoire, soit le 400e anniversaire de la fondation du premier établissement français en Amérique du Nord en 1604. En 2005, elle célèbre le 250e anniversaire de la déportation des Acadiens (1755). Ce travail interroge le travail de mémoire au sein de la société acadienne, de l'occasion manquée de la reconnaissance politique des torts causés par la déportation à une fuite dans la représentation commémorative du passé.
This chapter proposes an analysis of memory in a context of a re-reading of the past in a democratic society. In the year 2004, Acadia bas commemorated an important event of its history, the four-hundredth anniversary of the founding of the first French settlement in North America in 1604. In the year 2005, it commemorates the 250th anniversary of the deportation of Acadians in 1755. This text is a questioning of the work on memory in Acadian society, from the missed opportunity of the political recognition of the harm done by the deportation, to the escape in the commemorative representation of the past.
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PALESTINE :
NOSTALGIE BOURGEOISE ET RÉCITS D'EXIL
Palestine : bourgeois nostalgia and the narratives of exile
Salim Tamari
Les événements commémoratifs organisés cinquante ans après la guerre de 1948 ont constitué une occasion d'examiner la signification de la perte de la patrie ainsi que celle du processus de « retour » limité qui eut lieu après les accords d'Oslo en 1993. Dans cet essai, l'auteur se penche sur le long silence et la culture du secret qui a caractérisé une partie des victimes de la naqba (l'expulsion violente des Palestiniens en 1948), dans le contexte de la disparition des villes côtières et de leur culture urbaine. Il se penchera aussi sur les interprétations contradictoires de ce qui s'est réellement passé durant la guerre, ainsi que sur les attitudes fort ambivalentes de ceux qui sont retournés face à leur patrie transformée.
Commomerative events held after 50 years of the war of 1948 were an occasion to examine the meaning of the loss of the homeland and the process of limited “return” that occurred after 1993. In this essay the author examines the prolonged silent and the lack of disclosure on the part of victims of the Nakba, in the context of the demise of coastal cities and their urban cultures. Also addressed are the conflicting interterpretations of what happened during the war, and the ambivalant attitudes of the returnees to the transformed homeland.
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ISRAËL :
LE DEVOIR DE MÉMOIRE ET LA POLITIQUE DU DÉNI
Israël : the duty of memory and the politics of denial
Rachad Antonius
Abordant la problématique de la mémoire, du déni et du pardon, le texte souligne que contrairement à d'autres situations coloniales, la dépossession des Palestiniens ne fait pas partie du passé, et que l'entreprise de prise de contrôle du territoire et d'exclusion ou d'expulsion de ses habitants est toujours en cours d'exécution. Cette situation empêche toute reconnaissance des torts 'historiques' infligés aux Palestiniens, et a fortiori toute demande de pardon et toute réparation.
Le texte souligne le fait que le récit palestinien de la naqba de 1948 (l'expulsion des Palestiniens de leur territoire), fondamental pour comprendre la situation actuelle, a finalement été corroboré par les nouveaux historiens israéliens, mais que ce récit fait face à une politique systématique de déni, qui [435] est illustrée par les prises de position de certains courants politiques et de certains intellectuels fortement médiatisés. Il fait état de l'impact de cette politique du déni sur les perceptions dominantes du conflit dans les sociétés occidentales.
Addressing the issues of memory, déniai and forgiveness, the author undescores the point that, contrary to other colonial situations, the dispossession of the Palestinians is not something of the past, and that the Israeli enterprise of taking control of the land and of exclusion or expulsion of its inhabitants is still on-going. This situation prevents a recognition of the historical torts suffered by Palestinians, and a fortiori any demand for forgiveness and any reparation.
The text also explains that the Palestinian narrative of the Naqba of l948, which is fundamental to understand the present situation, has finally been corroborated by the 'New Israeli Historians'. But this narrative faces a systematic policy of denial, which is illustrated by the stand taken towards this issue by certain political trends in Western societies and by some well-known writers and academics. The text examines the impact of this politicy of denial on the dominant perceptions of the confia in Western societies.
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LE DEVENIR VICTIMAIRE DE L'ALLEMAGNE
Victimhood and the future of germany
Régine Robin-Maire
Les discours de la mémoire forment aujourd'hui une immense cacophonie, pleine de bruit, de fureur, de clameurs et de controverses. Où que l'on se tourne, un passé commémoré ou haï, célébré ou occulté, raconté, transformé, voire inventé, est saisi dans les mailles du présent. Des méandres de la légende de l'Ouest américain à l'effacement des traces dans les pays de l'Est après la chute du Mur ; de l'obsession des origines à la disparition des anonymes ; de réécritures de l'histoire en communautés imaginaires remontant à la nuit des temps comme dans certains discours qui se tiennent en Israël et ailleurs ; du grand nivellement qui renvoie parfois dos à dos la Résistance et Mussolini en Italie ou Franco et les républicains en Espagne aux trous de mémoire persistants de la France coloniale, de l'évanescence du virtuel à la passion de l'archivage et de la conservation, partout on taille sur mesure dans le souvenir et l'amnésie. Cette communication examine le rapport au passé et les dangers de la mémoire saturée qui pourrait bien être une des formes de l'oubli. On prendra l'exemple de l'Allemagne, point d'origine de presque toutes les politiques de la mémoire du monde contemporain.
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The discourses of memory constitute nowadays a huge cacophony, full of noise, of fury, of roars and of controversies. Wherever we look, we find a past which is either commemorated or hated, either celebrated or concealed, transformed, even invented, and traped in the web of the présent. From the meanders of the legends of the American Far West to the erasing of traces in Eastern countries after the fail of the Berlin Wall ; from the obsession with origins to the disparition of those who are anonymous ; from the re-writing of history into imagined communities going back to the dawn of time, as is done in some discourses in Israël and elsewhere ; from the levelling that sometimes sends back to back the Resistance and Mussolini in Italy, and Franco and the Republicans in Spain, to the persistent lapses of memory of colonial France ; from the evanescence of the virtual to the passion for archiving and conservation, everywhere, memory and amnesia are custom-shaped. This text examines the relationship with the past, and the dangers of a saturated memory that could well be a way of forgetting. We will take the example of Germany, which is the point of origin of almost all the politics of memory in the contemporary world.
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DE LA FÊTE NATIONALE AUX LUTTES COMMÉMORATIVES
AUTOUR DU 11 SEPTEMBRE CHILIEN
The Chilian 9/11
Alfredo Joignant
Le 11 septembre 1973 a toujours été un enjeu de luttes au Chili, dont témoignent aussi bien les différentes manières de le remémorer (fête, célébration ou commémoration) que les divers mots employés pour nommer ce qui avait eu lieu ce jour-là {pronunciamiento ou coup d'État). Cette communication se propose d'analyser l'histoire de cette date à partir des luttes de concurrence auxquelles elle a donné lieu, l'enjeu étant toujours le destin de sa mémoire dont la signification et la force sont le résultat instable de guerres de mots et de batailles commémoratives. Dès lors, ce qui se dégage ce sont diverses définitions des acteurs et de leurs réputations, de la chute de la démocratie et du régime politique qui s'ensuivit (régime militaire, autoritarisme ou dictature) et de la manière de s'en souvenir, au terme de quoi le passage du temps accouche non pas d'une, mais de plusieurs manières de faire le récit de l'histoire.
The meaning of September 11, 1973, has always been an issue for the struggles in Chili, a fact witnessed by the various ways of celebrating it (rejoicing, celebrating or commemorating) as well as by the various words used for designating it (pronunciamiento or coup). In this paper, we wish to analyse the history of that date, from the standpoint of the competing struggles to which it gave rise, [437] keeping in mind that what is at stake is the fate of its place in the collective memory, the significance of which is the unstable result of a war of words and of commemorative struggles. What comes out of this analysis are the various definitions of the actors of the events of that date, of their reputation, of the fall of democracy and of the subsequent regime that followed it (military regime, authoritarianism or dictatorship), and of the way of remembering the events. The passage of times gives birth not to one narrative, but to a plural way of narrating history.
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LA MÉMOIRE ET LES MÉMOIRES :
LE CAS ARGENTIN
Memory and memories : the Argentinian case
Elena de la Aldea
Le texte fait un survol de la situation sociopolitique de l'Argentine avant et après le coup d'État de 1976. Il analyse les causes socioéconomiques du coup d'État, ainsi que les mouvements populaires qui le déclenchèrent. Il souligne une caractéristique fondamentale du terrorisme d'État : les violations de la loi par les institutions mêmes qui avaient mission de la protéger, et signale les conséquences de cette situation pour la subjectivité collective, dès lors assoiffée de Justice.
Victimes et victimaires ont le droit et le devoir de justice : la réparation pour les victimes, la reconnaissance de la responsabilité pour ceux qui ont causé ces torts. Seul ce double processus peut fermer le cycle de la violence. Car l'oubli imposé amène à une impasse, alors que la mémoire élaborée socialement permet de rétablir la confiance de la société d'opérer des transformations collectives.
The paper is an overview of the socio-political situation in Argentina before and after the coup of 1976. It presents an analysis of the socio-economic causes of the coup, and of the popular movements that triggered it. It underscores a fundamental characteristics of State terrorism : the violations of the Law by the very institutions that had the mission to protect it. It signals the consequences of this situation for the collective subjectivity, which becomes then thirsty for Justice.
Both the victims and the perpetrators have rights and obligations towards justice : reparation for victims, and recognition of their responsibility for those who caused the harms. Only this twin process can close the circle of violence. Because imposed forgetfulness leads to a dead-end, whereas socially constructed memory allows re-establishing confidence in the capacity of sociey to transform itself collectively.
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MÉMOIRE, HISTOIRE ET POLITIQUE DES DROITS DE L'HOMME
DANS L'ARGENTINE D'AUJOURD'HUI
Memory history and the politics of human rights in contemporary Argentina
Rodolfo Mattarollo
La mémoire et les mémoires sur la longue nuit du terrorisme d'État auront une reconnaissance de légitimité de la part de la société politique quand elles seront contenues dans l'enceinte publique de l'Espace pour la Mémoire créé par le gouvernement dans ce qui était le siège d'un des plus abominables centres clandestins de détention : l'École de mécanique de la marine à Buenos Aires. Cela correspond au glissement de sens qui va de la connaissance de la vérité à la reconnaissance de la vérité dans les travaux d'une Commission de vérité et justice. Au sein de l'Espace pour la Mémoire, il sera possible de bâtir enfin un pont entre la Mémoire et la Politique. L'Histoire racontera peut-être ces retrouvailles.
The memory as well as the memories of the long darkness of State terrorism will become recognized as legitimate by political society when they will be comprised within the public prémisses of the Space of Memory, which has been created by the government in what used to be the headquarters of one of the most horrendous clandestine detention centers : the Marines Mechanical School in Buenos Aires. This corresponds to a semantic shift that goes from the knowledge of truth to the acknowledgement of truth in the works of Truth and Justice Commission. In this Space of Memory, it will be possible to build bridges between Memory and Politics. History will perhaps narrate this encounter.
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ENTRE L'EXIL ET LES NOUVELLES APPARTENANCES, L'ETHNOPSYCHIATRIE :
UN OUTIL D'INTERVENTION CLINIQUE ET POLITIQUE
Between exile and new identifies, ethnopsychiatry : a tool for clinical and political intervention
Cécile Marotte
Ce texte discute de l'accueil réservé aux demandeurs d'asile au Canada, et il analyse l'écart entre d'une part les considérations éthiques et théoriques fondées sur les Droits de l'Homme, et d'autre part la réalité politique des modalités d'adaptation et d'intégration. Contre l'oubli de l'appartenance première, il propose la mémoire obligée. Contre l'oubli de la violence, de [439] l'esclavage et de l'exil, il propose le devoir de mémoire. Il suggère enfin que la réparation consiste en un métissage habile mais utopique entre le pardon impossible, le devoir de vérité et la responsabilité politique des États.
This text discusses the way asylum seekers are received in Canada, and it examines the gap between ethical and theoretical considerations based on Human Rights on one hand, and the political reality of the modalities of adaptation and integration on the other hand. Against the oblivion of original identities, it proposes dutiful memory. Against the oblivion of violences, of slavery and of exile, it proposes the duty of memory. It suggests, finally, that reparation is a subtle but utopian mix between an impossible forgiveness, a duty of truth and the political responsibilities of States.
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LES LIMITES DE LA JURISPRUDENCE :
LA RECHERCHE DE LA JUSTICE SOCIALE DANS L'AFFAIRE
DE LA RÉPARATION POUR LES CANADIENS CHINOIS
The search for social justice in the chinese canadian redress case : the limits of jurisprudence
Peter S. Li
Depuis les années 1980, certains Canadiens chinois ont cherché à obtenir des réparations de la part du gouvernement canadien concernant les injustices résultant de la taxe d'entrée imposée aux Chinois, ainsi que de l'Acte sur l'immigration chinoise de 1923. L'incapacité d'arriver à un règlement politique a incité quelques Canadiens chinois à poursuivre la recherche de réparation par des démarches juridiques. Or les jugements défavorables aux demandeurs chinois de réparation ont fait l'objet d'appels à la Cour suprême du Canada, mais cette dernière les a rejetés. Ce texte défend l'idée qu'il y a des limites à la jurisprudence lorsqu'il s'agit d'injustices historiques qui avaient été sanctionnées en leur temps par loi. L'expérience dans le cas de la réparation aux Canadiens chinois suggère également que la réparation implique un engagement pour l'inclusion sociale dans la société civile, et que c'est le processus politique, et non pas l'instance judiciaire, qui est le cadre le plus approprié pour aborder les négociations et les règlements de réparation.
Since the 1980s, some Chinese Canadians have sought redress from the Canadian government based on injustices arising from the Chinese head tax and the 1923 Chinese Immigration Act. The inability to arrive at a political settlement prompted some Chinese Canadians to pursue redress through legal proceedings. The unfavourable rulings against the Chinese Canadian redress seekers were appealed to the Supreme Court of Canada which eventually dismissed the appeal.
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This paper argues that there are limits to jurisprudence in dealing with historical injustices that were sanctioned by law. The experience in the case of the Chinese Canadian redress also suggests that redress involves a commitment to social inclusion in civil society, and that the political process, and not legal proceedings, is better suited to deal with redress negotiations and settlements.
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PUBLICS CONTESTATAIRES, MÉMOIRE ET POLITIQUE DU PARDON
Counterpublics, memory and the politics of forgiveness
Daniel Drache
Il serait rassurant de savoir qu'en tant que société, les Canadiens ont atteint un consensus sur le fait que toute violation des droits humains est une violation de trop. Mais les Canadiens ne peuvent être naïfs au point d'ignorer que la mémoire sociale est partielle et sélective. Ce que nous retenons est hautement politique, et ce que nous refoulons de façon sélective n'est ni aléatoire ni irrationnel. Pourquoi ? La mémoire sociale est exactement comme la mémoire individuelle lorsqu'elle est confrontée avec des actions passées qui suscitent la culpabilité, les torts et la honte. Il n'est pas facile d'assumer la responsabilité de n'avoir pas agi de façon éthique, avec compassion et justice. La plupart d'entre nous avons besoin d'être poussés par un ensemble de carottes et de bâtons. Alors, les individus se surprennent eux-mêmes en prenant des initiatives importantes de réconciliation envers leurs familles, leurs amis, leurs collègues, et leurs voisins qui ont leur ont fait des torts ou à qui ils ont fait des torts. Les publics contestataires globaux ainsi que les lois internationales sont les carottes et les bâtons qui forceront les États à s'engager dans des processus de vérité et de réconciliation.
It would be comforting to believe that as a society, Canadians have reached a consensus where one human rights abuse is one too many. Canadians cannot be naïve and ignore the fact that societal memory is frequently partial and selective. What we remember is intensely political, and what we selectively screen out is neither random nor irrational. Why is this ? Societal memory is just like individual memory when confronted with past acts of guilt, wrongs and shame. No one easily owns up to their failure to act ethically, compassionately, and justly Most of us need to be pushed and prodded with an assortment of carrots and sticks. Then, people often surprise themselves by taking crucial step of reconciliation towards their families, friends, colleagues, and neighbours who have either wronged or been wronged by them. Global counterpublics and international law are the carrots and sticks that force states to engage in truth and reconciliation.
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ÉTHIQUE ET RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT :
QUEL RÔLE POUR LES NATIONS UNIES ?
Ethics and state responsiblity : what role for the united nations ?
Bacre Waly Ndiaye
Les changements survenus dans la nature des conflits armés, où de plus en plus des acteurs non étatiques prennent le devant de la scène, ont entraîné des changements profonds dans les opérations de maintien de la paix entreprises par les Nations Unies. En général, le premier point sur lequel s'accordent les ex-belligérants, dès le début de négociations de paix, est l'amnistie générale par laquelle ils se donnent l'absolution réciproque. Néanmoins, depuis la fin des années 1990, les Nations Unies se sont imposé comme règle de ne plus jamais endosser l'amnistie de crimes de droit international tels que le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, la torture, et les viols. Car les victimes ont droit à la vérité, à la justice, à la réparation. Elles ont aussi droit au pardon et à la réconciliation. Mais l'expérience a montré aux Nations Unies qu'il ne saurait y avoir de paix durable sans des recours par lesquels les victimes pourront être entendues, leurs souffrances partagées, la solidarité avec elles exprimée, et la justice rendue. Or la guerre comme l'oppression, c'est d'abord l'effondrement de l'État de droit, très souvent précédé par l'effondrement ou la décadence de l'institution judiciaire. C'est aussi la faillite de l'obligation de protection due par l'État à tous ceux qui vivent sous sa juridiction. C'est enfin la défaillance du devoir de solidarité de la communauté internationale au nom de la dignité inhérente à tout être humain. Par ailleurs, plus la crise ou la guerre perdurent, plus la ligne de séparation entre groupes victimes et groupes bourreaux se brise : actes de vengeance, contre-attaques et représailles aidant. C'est pour toutes ces raisons que les Nations Unies ont décidé de mettre l'instauration de l'état de droit au cœur de leur action. L'ONU est appelée à jouer un rôle de plus en plus important dans la promotion de la paix au sein de sociétés déchirées.
The changes that occurred in the nature of armed conflicts, where, increasingly, non-State actors play a prominent role, have required deep changes in the peace-keeping operations undertaken by the United Nations. In general, the first point on which warring parties agree as soon as peace talks begin, is the general amnesty through which they give each other absolution. However, since the end of the Nineties, the United Nations have imposed upon themselves a rule, that of never endorsing the amnesty of international crimes such as genocide, crimes against humanity, war crimes, torture and rapes. This is so because victims have the right to truth, to justice and to reparation. They also have the right to forgiveness and to reconciliation. But experience has shown at the United Nations that durable peace is not possible without giving the victims the recourse [442] through which they will be heard, their suffering shared, solidarity with them expressed, and justice rendered. However, war and oppression means that the Rule of Law collapses, a collapse that is preceded by that of the judicial institution. It also means the failure of the State to protect ail those who live under its jurisdiction. It finally means the failure of the duty of solidarity, in the name of the dignity inherent in every human being, on the part of the international community. More over, the longer the crisis or war lasts, the more the boundary between the victimizers and their victims becomes blurred, due to acts of vengeance, counter-attacks and retaliations. For all these reasons, the United Nations have decided to place the establishment of the Rule of Law at the heart of their action. The United Nations is thus called toplay an increasingly important role in the promotion of peace in divided societies.
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