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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les dimensions d'intégration des immigrants, des minorités ethnoculturelles
et des groupes racisés au Québec
. (2007)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Micheline Labelle Ann-Marie Field et Jean-Claude Icart, Les dimensions d'intégration des immigrants, des minorités ethnoculturelles et des groupes racisés au Québec. Document de travail présenté à la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles (CCPARDC), le 31 août 2007, 133 pp. Montréal: Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté. [Autorisation accordée par l'auteure le 24 mai 2014 de diffuser le texte de cet article en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales.]

[4]

Les dimensions d'intégration des immigrants,
des minorités ethnoculturelles
et des groupes racisés au Québec

Introduction

À titre de société globale et de communauté politique moderne aspirant à la justice sociale et à la reconnaissance de son identité nationale sur la scène internationale, le Québec a été amené, au cours des 30 dernières années, à composer avec les diverses expériences historiques, les diverses mémoires et les manifestations de la diversité sur son territoire. La société québécoise a été un lieu intense de débats sur le rôle de l'État et des institutions publiques dans la prise en compte de la diversité, sur la redéfinition de la nation, de même que sur les implications afférentes à la notion de citoyenneté québécoise, débat qui se poursuit. Cette dynamique a modifié l'univers symbolique des identités et des conceptions de l'intégration.

Le Québec a maintenant un des plus hauts taux d'immigration au monde. Un immense progrès a été fait en matière de relations interculturelles et de perspectives citoyennes, depuis la Révolution tranquille. Cependant le Québec subit les contrecoups de l'air du temps qui caractérise les années 2000 : néo-conservatisme, rappel à l'ordre des revendications identitaires, maintien des inégalités et des discriminations et résurgence du racisme. Il fait donc face à de nombreux défis en matière de prise en compte de la diversité et d'intégration.

Ce document de travail porte sur diverses dimensions de l'intégration des immigrants et des minorités ethnoculturelles. Or, il faut se rappeler que l'immigration est un cas particulier de l'intégration à la nation, question qui concerne toutes les composantes de la société. L'immigration internationale est hautement bipolarisée au Québec et ce, depuis longtemps. À un extrême, on trouve des immigrants très scolarisés, surqualifiés qui, aux recensements de 1981, de 1986 et de 1991, affichent des taux de chômage inférieurs à ceux de la population native, et des revenus supérieurs. De même, certaines minorités ethnoculturelles dans l'ensemble du Canada ont déjà été en tête de l'échelle des revenus. En ce sens, nous ne voudrions pas donner l'impression d'être trop critiques ou de proposer une image misérabiliste et débilitante de la situation des immigrants et des minorités. Mais, nous devons examiner les faits à leur juste face afin de ne pas reculer sur les acquis réalisés par le Québec en matière d'aménagement de la diversité ethnoculturelle.

Une première section de ce document de travail présente une réflexion sur les théories de l'intégration. À la demande de la Commission Bouchard-Taylor, nous avons relevé les débats entourant ce concept. Pour ce faire, nous avons procédé à une revue de la perspective classique de l'assimilation linéaire et de l'intégration, de même qu'à une revue des critiques dont elle a fait [5] l'objet chez les théoriciens du pluralisme, du multiculturalisme, de l'assimilation segmentée et du transnationalisme. L'objectif de cette section est de démontrer les « aspects paradoxaux » des concepts d'assimilation et d'intégration, la confusion, les agendas idéologiques cachés, les difficultés d'appréhender des indicateurs de mesure et les difficultés d'interprétation qui caractérisent la réflexion sociologique dans ce domaine d'études sur les relations interculturelles et les rapports entre citoyens.

Les sections qui suivent recensent les données empiriques disponibles sur les dimensions identifiées par la Commission Bouchard-Taylor, soit les dimensions économique, civique et politique, linguistique et culturelle de l'intégration. Nous avons aussi abordé la question du racisme.

Cette étude [1], effectuée entre 26 avril et le 31 août 2007, a été réalisée à partir des corpus suivants :

1. Des données primaires : statistiques et sondages. Par exemple, l’Enquête sur la diversité ethnique (2003), l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada (2005), le Recensement de 2001, l’Enquête sur les pratiques culturelles des Québécois du ministère de la Culture et des Communications du Québec, le sondage IPSOS-Reid sur les incidents à caractère raciste, les sondages de l'Association d'études canadiennes, etc.

2. Des données secondaires : analyses qualitatives de type universitaire et documents officiels. Par exemple, des rapports et des avis du Conseil des relations interculturelles du Québec, le rapport du Canada aux Nations Unies, le rapport de la mission au Canada du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, etc.

3. Analyse de débats autour de l'interprétation des données.

À noter, ce document a le statut d'un outil de travail, d'un outil documentaire, selon le mandat qui a été donné aux chercheurs par la Commission. Il ne présente pas une analyse intégrée des diverses dimensions de l'intégration. Il dresse plutôt un bilan des études quantitatives et qualitatives selon les dimensions retenues et disponibles au 31 août 2007, ce qui inclut les données de recensement traitées à cette date. Un bref constat analytique clôt chacune des sections, permettant d'identifier, s'il y a lieu, les limites des données disponibles.

[6]

D'entrée de jeu, nous présentons quelques définitions de notions utilisées dans ce document, la terminologie identitaire au Québec et au Canada étant elle-même un enjeu de l'intégration à la nation québécoise.

Définitions

Le gouvernement du Québec a utilisé depuis les années 1980 le terme de « communautés culturelles », avec la création du Ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration du Québec en 1981. Cette acception est unique à la société québécoise et englobe historiquement diverses catégories de population pour désigner les membres des minorités ou groupes ethniques. Le terme de « minorité visible », utilisé par les instances fédérales pour la gestion des programmes d'équité en emploi, n'a été que récemment introduit dans le lexique administratif du gouvernement du Québec.

Communauté culturelle :

La définition donnée par le gouvernement du Québec date de la décennie 1980.

« Les membres des communautés culturelles se reconnaissent par l'un ou l'autre des critères suivants :

1. Lieu de naissance à l'extérieur du Canada, ou lieu de naissance de l'un des parents à l'extérieur du Canada et connaissance de la langue de la communauté d'origine ou connaissance de la langue (autre que le français) de la communauté d'origine ;

2. Langue maternelle autre que le français ;

3. Appartenance à une communauté visible ;

4. Appartenance à un groupe ethnique ou culturel, le groupe étant défini comme un ensemble caractérisé par des traits ethniques ou culturels communs » (Comité d'implantation du Plan à l'intention des communautés culturelles, 1982).

Selon l’Énoncé de politique en matière d'immigration et d'intégration de 1990 :

« L'expression « Québécois des communautés culturelles » pour désigner les Québécois d'origine autre que française, britannique ou autochtone, maintenant d'usage largement répandu au Québec, suscite parfois des questionnements parce qu'on y voit une mise en relief des différences ou une tentative de marginalisation. [7] Il importe donc de rappeler ici que, dans une société démocratique, le choix de s'identifier ou non à son groupe d'origine appartient à chaque individu et, qu'anthropologiquement parlant, toutes les communautés du Québec pourraient être qualifiées de « culturelles ». Cependant, à défaut d'une autre qui soit plus satisfaisante, l'expression « Québécois des communautés culturelles » continuera d'être utilisée dans le présent Énoncé. Cette notion permet en effet de cerner deux réalités sociologiques importantes : d'une part, le maintien chez beaucoup d'individus d'un sentiment d'attachement à leur culture d'origine et de participation à la vie de leur communauté particulière ; d'autre part, la persistance de problèmes spécifiques de pleine participation à notre société liés, en tout ou en partie, à l'origine ethnique » (MCCI, 1990a, p. 2).

Commentaire :

La politique québécoise du développement culturel (Québec, 1978), conçue par Camille Laurin, Guy Rocher, Fernand Dumont et Jacques-Yvan Morin, propose la notion de convergence culturelle. Gérald Godin, ministre de l'Immigration (1980-1981), puis ministre du ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration (1981-1985) l'appuie dans son principe général. Elle sert de base au document qu'il livre en 1981 : Autant de façons d'être Québécois. Plan d'action à l'intention des communautés culturelles, à titre de ministre de l'immigration (MCCI, 1981). Le peuple québécois y est présenté comme formant une nation. La culture d'expression française ou la culture québécoise agit comme un foyer de convergence des autres cultures, elle en est le moteur principal.

Sous sa tutelle, le nouveau ministère de l'Immigration devient le ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration (MCCI), parce que Gérald Godin tient pour différentes les problématiques qui concernent les immigrants au sens propre et les dites « communautés culturelles » dont la définition sera confiée à divers comités de travail. Il agit alors sous l'influence d'intellectuels et de leaders associatifs, issus des minorités ethniques elles-mêmes, qui plaident en faveur d'une reconnaissance spécifique et contre toute velléité d'assimilation.

Depuis ce temps, la notion de « communautés culturelles » a été critiquée à partir de points de vue divers. Certains intellectuels ont commenté durement l'institutionnalisation juridique des « communautés culturelles » qui a accompagné le changement de désignation du MCCI et l'ont présentée comme une tentative d'essentialisation de l'altérité. Selon eux, le ministère instaurait une dichotomie définitive entre les Québécois et les communautés culturelles, aux dépens d'une citoyenneté commune. D'autres se serviront aisément de l'initiative du gouvernement péquiste [8] au pouvoir en 1981 pour tenter de démontrer la « nature » prétendument xénophobe des Québécois d'origine canadienne française.

D'autres salueront l'utilisation de ce terme qui distingue les minorités des nouveaux arrivants, au nom de la prise en compte du pluralisme. Le débat n'a pas cessé depuis.

Quoiqu'il en soit, le grand public perçoit souvent le terme « communauté culturelle » comme référant à un groupe homogène partageant le même bagage culturel, les mêmes valeurs et les mêmes options politiques, qui s'identifie d'abord et avant tout en tant que « communauté » et qui, à la limite, ne souhaite pas s'intégrer. Ceci représente un effet pervers de la politique publique québécoise sur laquelle il faut s'arrêter.

Pour cette raison, nous pensons qu'il est préférable d'utiliser l'expression « Québécois d'origines diverses » dans le but de briser la dichotomie qui s'est structurée dans l'espace public -« Québécois/communautés culturelles »-, cette dichotomie ayant un impact négatif sur le sentiment d'appartenance à la société québécoise. Lorsque nous référons aux personnes issues de minorités démographiques, nous préférons utiliser les expressions de « groupes ethnoculturels », de « minorités ethnoculturelles », de « Québécois issus de l'immigration » (ce dernier terme devrait être utilisé avec prudence, puisqu'il réfère surtout aux immigrants de première génération), pour se distancer de l'idée de « communauté ».

Minorité visible :

« Personnes autres que les Autochtones qui ne sont pas de race blanche ou qui n'ont pas la peau blanche et qui se reconnaissent comme telles auprès de leur employeur » (Canada, 1995).

« Les groupes définis comme minorités visibles par la loi sont les Noirs et/ou les Antillais, les Chinois, les Sud-Asiatiques, les Arabes et les Ouest-Asiatiques, les Asiatiques du Sud-Est, les Latino-Américains et les individus originaires des îles du Pacifique » (Multiculturalisme et Citoyenneté, 1989).

Commentaire :

La référence à la « race » et à des considérations raciologiques ressort clairement de ces définitions et est susceptible d'avoir un impact négatif, en encourageant une « identité désignée » chez différentes catégories de Québécois. Or, même si ces catégories sont utilisées par le Recensement ou même si elles sont nécessaires à l'application de la Loi sur l'équité en emploi, compte tenu de l'objectif de redressement des inégalités et des discriminations, leur usage pourrait [9] être réservé à l'administration. Le discours public devrait s'en dissocier étant donné l'impact de la catégorisation sur le sentiment d'appartenance des personnes et des groupes concernés. Il est possible et préférable d'avoir recours à des expressions telles que : « groupes racisés », « personnes d'origine non-européenne » (catégorisation utilisée par les villes de Toronto et de Stockholm, à titre d'exemple). John Anderson du Conseil canadien de développement social utilise l'expression « groupes racisés ». Grâce Edward Galabuzzi utilise dans Canada's Economic Apartheid, l'expression « groupe racisé ». C'est aussi le cas de chercheurs canadiens comme Lloyd Wong ou Vie Satzewich.

Groupe racisé :

« La notion de « groupe racisé » nous semble préférable à celles de « groupe racial », de « race » ou de « minorité visible ». Le processus de racisation signifie ici « l'extension d'une signification raciale à des relations non-classifiées ou catégorisées en termes raciaux dans une phase antérieure » (Omi et Winant, 1986, p. 69). Ainsi, le groupe racisé renvoie aux groupes porteurs d'une identité citoyenne et nationale précise, mais cibles du racisme » (Labelle, 2006a, p. 14).

Commentaire :

Ce terme a l'avantage de mettre en évidence le processus construit de la biologisation de l'altérité. Dans ce document, nous utiliserons des guillemets lorsque l'expression « minorité visible » est utilisée dans la littérature examinée, afin de marquer notre propre distanciation.

Dans divers rapports produits pour l'UNESCO et pour le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles du Québec, nous avons suggéré de résister à l'utilisation d'expressions raciologiques ou racisantes, telles que « Noirs/Blancs », « Blancs/Autochtones » dans le discours gouvernemental s'adressant au public. Rappelons qu'il faut distinguer le discours public et politique de la catégorisation administrative nécessaire à la réalisation des politiques publiques.



[1] Nous remercions les assistantes de recherche qui ont contribué à la préparation de ce rapport : Kim O'Bomsawin, Marie-Pier Dostie et Carole Gesseney.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 7 octobre 2016 6:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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