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Immigration, diversité et sécurité.
Les associations arabo-musulmanes
face à l’État au Canada et au Québec.
Introduction
La prise en compte de la diversité ethnoculturelle, à la lumière des flux migratoires internationaux récents, constitue l'un des défis majeurs auxquels doivent faire face les démocraties occidentales. Cette réalité représente un enjeu politique important pour la société québécoise, particulièrement dans un contexte de gouvernance à niveaux multiples qui implique non seulement l'intervention du gouvernement fédéral, mais aussi celle des gouvernements provinciaux et quelquefois des administrations municipales.
Bien avant les événements de septembre 2001 et la « guerre à la terreur » qui a prévalu depuis, l'État canadien s'est affairé à revaloriser et à renforcer l'identité canadienne, ainsi que la cohésion sociale, suivant en cela un courant observé dans toutes les sociétés occidentales confrontées aux nouveaux enjeux du pluralisme et de la redéfinition des identités nationales.
En effet, au cours de la décennie 1990, l'État canadien prenait note des inquiétudes de la population devant la nature de plus en plus « visible » de l'immigration, devant la perception d'abus de la générosité canadienne par des ressortissants des pays du Sud et devant la crainte que les valeurs culturelles portées par les nouveaux arrivants ne menacent les valeurs canadiennes. Les documents du gouvernement canadien publiés au cours de cette période témoignent de ces inquiétudes et plusieurs thèmes forts en émergent : l'indispensable concertation internationale de l'immigration et de la sécurité ; la qualité de la main-d'œuvre immigrée dans les sociétés d'information et de savoir, la nécessaire consolidation du sentiment d'appartenance au Canada, de l'identité et de l'unité canadienne (Citoyenneté et Immigration Canada, comités permanents de la Chambre des communes et du Sénat, Bureau du Conseil privé, etc.). La Loi sur l'immigration de 1976 a été jugée obsolète alors que l'immigration est bel et bien passée d'un enjeu de low politics (démographie et [2] main-d'œuvre) à un enjeu de High politics (relations internationales et sécurité). De même, plusieurs projets de loi ont visé la réforme de la Loi sur la citoyenneté afin qu'elle reflète mieux, selon certains, les valeurs libérales de la société canadienne et les responsabilités des nouveaux citoyens.
Ces documents gouvernementaux reconnaissaient que l'immigration est profondément enracinée dans l'imaginaire canadien. Cependant, sa nature et sa fonction devaient désormais répondre aux nouvelles exigences de la cohésion sociale et de la prospérité économique d'un monde globalisé et d'un nouveau contexte géopolitique. Parallèlement, les orientations traduisaient de nouvelles préoccupations en matière de sécurité.
De plus, l'Etat canadien insiste particulièrement sur le partenariat avec les provinces en matière de niveaux d'immigration, de sélection, de programmes d'intégration, de programmes d'établissement, de renseignements et de recherche pour améliorer la gestion des programmes et pour limiter au minimum les risques d'abus. Des accords-cadres en matière d'immigration ont été conclus avec toutes les provinces et territoires. L'accord le plus détaillé vise le Québec, à qui il confère la responsabilité de la sélection des immigrants indépendants et des services d'aide à l'établissement. Le fédéral garde ses prérogatives sur les réfugiés et les parrainés, conserve la responsabilité des normes et des objectifs nationaux, de même que celle de déterminer l'admissibilité au Canada et d'accorder la citoyenneté.
Le 11 septembre 2001 est venu changer la donne et a provoqué, au Canada comme ailleurs, un nouveau codage de l'ennemi extérieur et intérieur, et le renforcement d'un discours réducteur sur le choc des civilisations. Un nouvel air du temps, conservateur et frileux, a pénétré l'Etat et la société civile. L'idéal multiculturaliste, longtemps célébré dans le monde entier comme étant la marque de commerce par excellence du Canada, a été remis en question dans le nouveau contexte des lois visant la sécurité nationale.
Plus que toutes les autres minorités, les minorités arabo-musulmanes ont été directement affectées par les reconfigurations des priorités politiques. La discrimination s'est faite plus évidente et plus percutante à leur égard, selon le témoignage du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme au Haut Commissariat des droits de l'homme et selon diverses études. Ces reconfigurations témoignent d'une exacerbation de tendances existant déjà (Antonius, 2002 ; Khoury, 2002).
Nonobstant ce nouvel environnement, entre 1998 et 2007, le nombre de résidents permanents venant d'Afrique et du Moyen-Orient (de toutes confessions religieuses) n'a cessé d'augmenter ; plus de 100 000 personnes (de catégories diverses, avec un nombre important de la catégorie des demandeurs d'asile et de la classe humanitaire) ont été accueillies en 2006, selon Citoyenneté et Immigration Canada. Ces personnes doivent relever les défis de l'intégration [3] économique, et ceux qui résultent de l'impact de la politique étrangère du Canada au Moyen-Orient et de l'environnement médiatique national et international.
Cet ouvrage présente les résultats d'une étude dont l'objectif est d'analyser les principales orientations qui ont marqué les politiques publiques canadiennes et québécoises d'immigration, de multiculturalisme, d'interculturalisme et de lutte contre le racisme, dans le nouveau contexte sécuritaire des années 2000. Selon une perspective inversée, il analyse également les revendications des associations arabo-musulmanes face à l'État canadien et à l'État québécois, de même que les prises de position des ONG-parapluie de défense des droits des immigrants et des minorités racisées. Le rapport à l'État est donc fondamental dans notre perspective.
Il appert que les revendications de ces associations et ONG-parapluie, de même que les nouvelles orientations étatiques, aux paliers fédéral et québécois, et l'interface entre ces deux éléments n'ont pas fait l'objet d'études systématiques et approfondies. Ce double examen constitue l'originalité de cet ouvrage. De plus, nous nous sommes retrouvés devant un constat : l'absence de données empiriques systématiques et de recherches approfondies sur le sujet. En conséquence, beaucoup de conclusions et d'intuitions discutées dans des colloques universitaires sont restées fondées sur des impressions et ont constitué des essais fort intéressants auxquels il manquait un fondement empirique.
PRINCIPAUX ENJEUX
Les orientations théoriques axées sur l'étude des diasporas, des communautés et des réseaux remettent en question les paradigmes classiques fondés sur les concepts d'assimilation et d'intégration. De nombreuses études illustrent les pratiques transnationales des minorités et la façon dont elles ont instrumentalisé, sinon intensifié l'exercice d'une citoyenneté qui ne coïncide plus strictement avec les frontières politiques de l'État nation (Schmitter Heisler, 2000 ; Labelle et Marhraoui, 2002 ; Aleinikof et Klusmeyer, 2000 et 2001 ; Daher, 2001).
Parallèlement, la revalorisation de la citoyenneté et la gestion de la diversité accordent une place prépondérante aux mécanismes de contrôle social et de valeurs communes, au nom de l'identité nationale. Elles posent la question du degré de tolérance du libéralisme à l'égard des identités qui proposent des visions du monde et des valeurs tirées de traditions anciennes mais étrangères, fort différentes de celles qui sont dominantes dans les sociétés occidentales. Ces « nouvelles » valeurs seraient susceptibles de menacer certains acquis (conception des rapports de genre, déplacement de la frontière entre privé et [4] public, rapport entre droits individuels et collectifs, etc.). Lorsqu'elles sont portées par les communautés arabo-musulmanes, ces visions autres sont perçues comme plus menaçantes pour les valeurs fondamentales canadiennes, en raison à la fois de leur contenu et des facteurs sociopolitiques qui ont façonné l'histoire récente des sociétés d'origine de ces communautés.
Une autre problématique est liée aux effets de la mondialisation néolibérale, laquelle entraîne non seulement l'accroissement des inégalités socio-économiques, l'aggravation des disparités entre riches et pauvres, travailleurs protégés et travailleurs précaires, mais également l'augmentation des discriminations et du racisme (Stavenhagen, 2002 ; Felice, 2002 ; Borrillo, 2003). Comment penser la dynamique contradictoire qui sous-tend l'avancée des luttes des groupes minoritaires, leur impact sur les politiques publiques et la pensée sociale à leur propos, de même que les moments de recul observés au cours des dernières années ?
Arrêtons-nous ici sur la montée des mouvements sociaux se réclamant de la politique de la reconnaissance ou de la politique identitaire. L'idéologie des droits de l'homme, après 1945, a impulsé de nombreuses revendications visant l'élimination des discriminations fondées sur le sexe, l'origine nationale, le phénotype, la langue, etc. Les groupes sociaux en lutte visaient la justice sociale et la reconnaissance d'une identité méprisée. D'un autre point de vue, l'idéologie des droits de l'homme a été accompagnée de phénomènes moins positifs : prolifération parallèle, sinon contradictoire, des demandes sociales ; nouveaux rapports de force autour d'intérêts contradictoires ; hiérarchisation des ONG auprès des organisations internationales en fonction de leur pouvoir ; impact limité des instruments internationaux ; effritement du politique (Gauchet, 2003 ; Lochak, 2002).
Or, on a observé au cours de la dernière décennie une dominance de courants idéologiques conservateurs et une remise en question relative de la « politique identitaire », perçue comme susceptible de fragmenter les sociétés et de faire obstacle au bien commun ou à une citoyenneté partagée transcendant les particularismes. Confrontée à la montée des ayants droit et aux dangers de fragmentation sociale, la théorie sociale néo-fonctionnaliste a revalorisé les thèmes de la cohésion sociale et du bien commun, et elle leur a redonné saillance et légitimité (Alexander, 1995 ; Schnapper, 2002).
Ce virage idéologique, conjugué à la logique sécuritaire mentionnée ci-dessus, ne peut manquer d'affecter la gestion canadienne de la diversité et des politiques publiques qui lui sont afférentes. Un autre phénomène observé est celui de la recrudescence des diverses manifestations du racisme, de ses logiques et de ses niveaux (infraracisme, racisme politique, etc.) (Khoury, 2002). Le renforcement des frontières territoriales, lié au contrôle des flux migratoires et à la logique sécuritaire, a été accompagné dans les [5] sociétés occidentales de mouvements d'opinion et d'émergence de partis politiques visant le renforcement des frontières symboliques de la nation, comme lieux de démarcation entre le Soi et l'Autre. Dès les années 1980, les spécialistes ont qualifié l'idéologie qui sous-tend ce phénomène de néoracisme, celui-ci étant conjugué au racisme classique toujours présent et dont les manifestations ont cours en Grande-Bretagne et dans les principaux pays européens d'immigration, en Australie, aux États-Unis, etc. La conjoncture internationale actuelle, liée à l'insécurité provoquée par le terrorisme et les discours sur les cellules dormantes au sein de nos sociétés, ne fait qu'accentuer ce phénomène.
Nouvelle articulation de doctrines, de pratiques et de mouvements politiques, le néo-racisme coexiste avec le racisme biologique. Il ne le déloge pas. Ainsi en témoigne le « profilage racial » dont ont historiquement souffert les Afrodescendants, les Amérindiens et les immigrants, et qui affecte aujourd'hui les minorités arabes et musulmanes. Le profilage racial se manifeste dans divers domaines : sécurité, services, système judiciaire, logement, surveillance des frontières, éducation, etc.
La thèse générale de notre ouvrage est la suivante. Les événements du 11 septembre 2001, le contexte géopolitique international qui a suivi et, dans une moindre mesure, la Conférence mondiale des Nations Unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée (CMCR), qui s'est tenue en 2001 à Durban en Afrique du Sud, ont amené les gouvernements canadien et québécois à recentrer leurs politiques d'immigration et d'aménagement de la diversité, et ce, parfois de manière contradictoire. Les citoyens d'origine arabo-musulmane ont été affectés de manière distincte. Ils ont développé une perception des politiques à la lumière du virage sécuritaire pris par l'Etat canadien. Cela a contribué à teinter leur interprétation des changements dans les politiques, et ils ont appréhendé celles-ci fonction du nouveau contexte. Cette dynamique qui conduit à renforcer le sentiment d'exclusion est renforcée par le fait qu'ils estiment que leurs revendications ne sont pas prises en considération en dépit des multiples démarches entreprises dans les années qui ont suivi 2001 pour faire valoir leur point de vue auprès de l'État canadien et de l'État québécois.
L'APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE
En ce qui concerne l'analyse des politiques publiques, la démarche a tenu compte de deux espaces publics qui s'inscrivent dans un contexte de gouvernance à niveaux multiples : les scènes politiques fédérale et québécoise. Le niveau fédéral s'impose d'emblée dans la mesure où les politiques d'immigration, de citoyenneté et de multiculturalisme se sont développées à ce niveau [6] étatique. Les associations des minorités ethnoculturelles et racisées sont membres de grandes fédérations qui ont développé un discours et des pratiques de démarchage qui visent le gouvernement fédéral. Le niveau étatique québécois s'impose aussi pour plusieurs raisons : d'une part, l'État québécois participe au processus de sélection et d'intégration des immigrants, et il a établi une norme juridique (notamment la Charte des droits et libertés de la personne) qui s'arrime à la Charte canadienne des droits et libertés. Par ailleurs, les pratiques de discrimination ou au contraire d'inclusion se vivent dans des domaines qui sont de compétence provinciale (santé et éducation, par exemple). Une première étape a donc consisté à analyser les documents présentant les politiques publiques ainsi que la législation produite par les gouvernements fédéral ou québécois.
Nous avons également eu recours à l'enquête sur le terrain. Entre mars et novembre 2006, nous avons réalisé 31 entrevues auprès de 37 personnes, principalement à Montréal (15), mais également à Québec (2), à Ottawa/ Gatineau (10) et à Toronto (4).
Un premier échantillon se compose de 15 fonctionnaires des gouvernements canadien et québécois qui agissent à titre de porteurs de dossiers liés aux problématiques choisies. Les 10 fonctionnaires fédéraux (6 hommes et 4 femmes) viennent de trois ministères : Ressources humaines et Développement social Canada, Patrimoine canadien et Citoyenneté et Immigration Canada. Les 5 fonctionnaires du Québec (2 hommes et 3 femmes) ont été choisis au sein du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles.
Un deuxième échantillon est composé de 6 ONG-parapluie : la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) ; le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR) ; la Ligue des droits et libertés (LDL) ; la Fondation canadienne des relations raciales (FCRR) ; le National Anti-Racism Council of Canada (NARCC) ; et, enfin, L'Hirondelle (les 6 entrevues ont été menées auprès de 9 personnes, soit 6 hommes et 3 femmes).
Le Conseil canadien pour les réfugiés se penche sur les questions d'immigration et des droits des réfugiés. Plus spécifiquement, il traite surtout des questions suivantes : l'accès au droit d'asile (y compris les effets de l'Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis), la section d'appel pour les réfugiés, la question de la réunification familiale (les barrières ou les délais dans le traitement des demandes de réunification familiale), la réglementation des personnes sans statut, les longs délais dans les demandes de parrainage privé, l'érosion des droits des immigrants et des réfugiés, la professionnalisation des secteurs d'établissement et les questions liées aux jeunes. Le CCR est interpellé par la lutte contre le racisme, bien qu'il n'intervienne pas auprès de Patrimoine canadien, le ministère qui a la responsabilité de cette question au fédéral.
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La TCRI œuvre aussi dans le domaine de la protection des droits des personnes réfugiées et immigrantes. Cet organisme est surtout actif dans le contexte québécois, bien qu'il appuie les démarches du Conseil canadien pour les réfugiés au niveau pancanadien. Son travail se fait principalement auprès du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles du Québec. La TCRI a pour mission de représenter 140 organismes membres, surtout des organismes de services pour les immigrants et réfugiés. Elle comporte également un volet d'activités de formation portant, entre autres choses, sur la question des droits, des règlements et des changements législatifs. La TCRI joue aussi un rôle important dans la diffusion de l'information, tant auprès des médias qu'auprès des organismes de services, et même de la population en général.
Contrairement au CCR et à la TCRI, L'Hirondelle n'est pas un réseau d'organisations, mais plutôt un organisme de services qui se préoccupe de l'insertion sociale et professionnelle des personnes immigrantes. La portée de ses actions demeure plutôt locale. Située à Montréal, L'Hirondelle est membre de la TCRI et appuie cette dernière dans ses démarches ou activités de représentation auprès des gouvernements.
Les deux ONG engagées dans la lutte contre le racisme sont des organisations pancanadiennes situées à Toronto : la Fondation canadienne des relations raciales et le National Anti-Racism Council of Canada. La FCRR « s'est engagée à instaurer un réseau national consacré à la lutte contre le racisme au sein de la société canadienne. Elle mettra en lumière les causes et les manifestations du racisme, s'exprimera ouvertement et agira à titre de chef de file national indépendant. Grâce à ses diverses ressources, elle favorisera la concrétisation des droits de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes en matière d'équité, d'égalité et de justice sociale » (<www.crrf.ca>, consulté le 6 avril 2006).
Pour sa part, le NARCC est un réseau pancanadien d'ONG qui s'est constitué dans la foulée des préparatifs à la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée (CMCR) qui s'est tenue sous l'égide des Nations Unies à Durban en 2001. Le NARCC voulait s'assurer que la voix des ONG est entendue par les gouvernements, un objectif qu'il poursuit toujours. La mission du NARCC est la suivante :
- NARCC is committed to being a national, community-based, member-driven network that provides a strong, recognized, effective and influential national voice against racism, racialization and all other forms of related discrimination in Canada, We strive to effectively address racism, racialization and all other forms of related discrimination by sharing and developing information and resources ; by building, supporting and helping to coordinate local, regional, national as well as international initiatives, strategies and [8] relationships ; and by responding to issues and events in a timely and effective manner.
Le NARCC travaille surtout sur des questions liées à la situation des peuples autochtones, sur l'éducation, sur les politiques publiques (en général) et sur les questions des droits des immigrants. Les dossiers traités par la FCRR sont semblables à ceux du NARCC : la situation des peuples autochtones, l'éducation et sensibilisation, l'équité en emploi et la recherche. De plus, les deux ONG poursuivent l'objectif d'étudier les politiques publiques à travers les perspectives des groupes racisés (looking at public policy through a racialized lens).
La dernière ONG-parapluie retenue est la Ligue des droits et libertés (LDL). La Ligue ne limite pas ses préoccupations à des questions qui touchent la prise en compte de la diversité. Par exemple, elle a récemment publié un rapport sur les droits économiques et sociaux qui, sans exclure les problèmes propres aux groupes racisés, se veut beaucoup plus large. La Ligue des droits et libertés a pour principale préoccupation la défense des libertés civiles. Elle s'intéresse aussi aux questions d'accès à la justice, à la protection de la vie privée, à la liberté d'expression, aux droits des femmes, aux droits des citoyens face à la police, etc. Il va sans dire que cela l'a amenée à se pencher sur des dossiers qui touchent de près aux groupes racisés, par exemple la lutte contre le racisme et la propagande haineuse, les droits des immigrants et des réfugiés, de même que les droits des autochtones. Depuis le 11 septembre 2001, la Ligue aborde aussi des sujets qui touchent plus particulièrement les communautés arabes et musulmanes, tels que la question des certificats de sécurité et de la Loi antiterroriste.
Un troisième échantillon est composé de 13 personnes représentant 10 associations arabo-musulmanes : la Fédération canado-arabe (Toronto) ; la Fédération canado-arabe (Montréal) ; le Canadian Islamic Congress ; Présence musulmane ; le Conseil national des relations canado-arabes ; le Centre culturel algérien ; le Centre islamique de Québec ; le Carrefour culturel Sésame de Québec ; le Forum musulman canadien ; le Council on American Islamic Relations Canada (CAIR-CAN). Les 10 entrevues ont été menées auprès de 13 personnes, soit 9 hommes et 4 femmes. La mission de ces associations sera décrite dans le chapitre 1.
ORGANISATION DE L'OUVRAGE
Le premier chapitre trace un portrait des communautés arabo-musulmanes du Québec et vise à situer les revendications émanant des associations arabo-musulmanes dans le contexte social propre à leurs groupes de référence. Un [9) tel contexte se rapporte tant au vécu en situation de migration qu'aux conditions prévalant dans les pays d'origine. De l'histoire prémigratoire de ces groupes, nous postulons que les questions identitaires (en particulier le statut de minorité ou de majorité dans les pays d'origine), les rapports avec l'Etat, les courants idéologiques dominants et les questions géopolitiques ont un effet structurant sur la vie associative en situation de migration ainsi que sur les orientations politiques qui se traduisent en revendications en matière d'aménagement de la diversité.
Le deuxième chapitre présente un tour d'horizon des principales orientations qui ont marqué les politiques d'immigration au Canada et au Québec au cours des 30 dernières années. Il analyse les positions des ONG-parapluie de défense des droits de la personne. Une attention particulière est portée aux revendications exprimées et aux moyens d'intervention employés par certains leaders des communautés arabo-musulmanes au Canada et au Québec, puisque la manière dont les politiques canadiennes d'immigration et de sécurité ont été déployées a récemment produit des effets différenciés sur les membres appartenant à ces communautés.
Le troisième chapitre aborde les questions d'intégration, de multiculturalisme et d'interculturalisme, de même que de lutte contre le racisme. Une première partie propose une analyse des principales transformations de la politique fédérale du multiculturalisme et de la politique québécoise de l'interculturalisme depuis la fin de la décennie 1990. À l'instar de la mise en place de l'appareillage législatif et réglementaire sur l'immigration, les modalités de l'intégration des immigrants et des minorités, les paramètres de la prise en compte de la diversité et les nouveaux enjeux suscités par de nouvelles formes de racisme sont sources d'inquiétude dans le contexte de l'après 11 septembre 2001. La deuxième partie de ce chapitre traite des revendications et des stratégies d'action définies par les porte-parole d'ONG-parapluie de défense des immigrants, des minorités ethniques et racisées, de même que par les leaders de groupes arabo-musulmans, particulièrement exposés au climat social et politique de la décennie 2000. La manière dont les politiques du multiculturalisme canadien et de l'interculturalisme au Québec sont appréhendées par les individus et les groupes qui œuvrent dans ce domaine renvoie à des préoccupations qui ciblent certains programmes plus que d'autres, par exemple la lutte contre le racisme comme obstacle à l'intégration. Si les événements du 11 septembre 2001 ont amené les gouvernements canadien et québécois à recentrer leurs politiques dans ces domaines, les revendications formulées et les moyens d'intervention employés par certains leaders des communautés arabo-musulmanes au Canada et au Québec ont également été recentrés et nous en prendrons la mesure.
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Cette recherche a été réalisée grâce au soutien financier du Conseil canadien de recherches en sciences humaines (CRSH). Nous exprimons notre gratitude aux représentants et représentantes des associations arabo-musulmanes ainsi qu'aux fonctionnaires interviewés.
Nous remercions les assistantes et les assistants de recherche qui ont travaillé à la collecte des données documentaires et au déroulement des entrevues, à leur codification, à leur analyse et à la rédaction de communications scientifiques et de rapports préliminaires de recherche, à partir desquels cet ouvrage a été rédigé : Eve Morin Desrosiers, Marie-Pier Dostie, Priscilla Fournier, Myriam Francoeur, Naïma Bendriss, Valérie Martel, Kim O'Bomsawin, Béchir Oueslati, Nada Saghie.
Des remerciements particuliers vont à madame Ann-Marie Field, coordonnatrice de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté. À titre de professionnelle de recherche, madame Field a coordonné la stratégie de recherche et effectué les analyses préliminaires qui ont mené à cet ouvrage avec un souci de rigueur remarquable pour lequel nous lui exprimons notre reconnaissance.
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