“L’instrumentalisation des valeurs
dans le débat sur la diversité,
l’identité nationale
et la citoyenneté au Québec.”
Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Micheline Labelle, Jocelyne Couture et Frank W. Remiggi, La communauté politique en question. Regards croisés sur l’immigration, la citoyenneté, la diversité et le pouvoir, pp. 343-366. Québec : Les Presses de l’Université du Québec, 2012, 394 pp.
- Introduction
- 1. Les tensions de la citoyenneté
- 2. Le discours des acteurs politiques
- 3. Le discours des intellectuels
- 4. Le dialogue interculturel. Faire face au dissensus
- Conclusion
- Bibliographie
INTRODUCTION [1]
Dans les démocraties libérales, les mouvements de luttes pour la reconnaissance ont propulsé la question identitaire au premier plan du discours politique, aux dépens trop souvent de la question sociale. Cette tendance a été accentuée par la politisation du religieux et revêt une dimension qui dépasse les contextes locaux. Les conflits de droits et de valeurs subséquents ont accentué la remise en question, déjà en cours, des modèles d’intégration nationale, de même que le multiculturalisme, comme idéologie politique de gestion de la diversité ethnoculturelle. Ces débats sont particulièrement vifs dans le contexte européen mais ils ne s’y limitent pas.
Au Québec, des incidents critiques ont soulevé des appréhensions quant aux acquis des luttes sociales et politiques menées au cours des dernières décennies : l’égalité entre les sexes, la déconfessionnalisation du système scolaire, le nationalisme civique par opposition au nationalisme ethnique, les programmes d’accès à l’égalité en emploi, l’interculturalisme, etc. Les accommodements raisonnables à caractère religieux ont bouleversé la donne, et ce qui a débuté autour d’un débat portant sur une notion juridique somme toute relativement circonscrite a donné lieu à une interrogation collective beaucoup plus profonde.
Ce chapitre propose une analyse des délibérations récentes sur l’aménagement de la diversité ethnoculturelle et religieuse au Québec. Ces débats font ressortir l’instrumentalisation des valeurs pour aborder des questions aussi diverses que l’interculturalisme, la laïcité et l’identité nationale. Il en ressort des visions éclectiques et confuses, ce qui pose problème. Nous proposons en contrepartie une réflexion qui, d’une part, défend la légitimité du débat sur les valeurs et, d’autre part, l’inscrit dans une perspective critique, plus politique que culturaliste, soit celle de la citoyenneté. L’analyse privilégie une optique qui ne soit pas surdéterminée par l’injonction convenue au consensus et à la cohésion sociale.
Une première section présente le cadre conceptuel de la citoyenneté et les tensions inhérentes entre ses composantes. Une deuxième expose le discours des acteurs politiques entourant les législations et les événements critiques relatifs à l’aménagement de la diversité au Québec, retraçant en cela la concrétisation, dans ce contexte particulier, de la problématique identifiée dans la première section. Une troisième section fait état du discours des intellectuels, illustré par la querelle des « manifestes », les postures théoriques et politiques en présence, et met en évidence la conflictualité entourant le sujet des valeurs publiques communes. La quatrième section et la conclusion proposent un retour analytique sur les rapports entre diversité, identité et citoyenneté, en insistant, d’une part, sur le dialogue complexe qui doit présider aux conflits de valeurs, et, d’autre part, sur les implications du statut précaire du régime de citoyenneté québécois dans l’ensemble canadien.
1. Les tensions de la citoyenneté
La citoyenneté moderne repose à la fois sur l’idée d’une humanité partagée, sur les droits humains universels et sur les particularités des États-nations. Elle est donc marquée par une inévitable tension entre des pratiques d’inclusion et des pratiques d’exclusion ou de clôture sociale. Les théoriciens de la citoyenneté ne s’entendent pas nécessairement sur les dimensions analytiques à considérer. Par exemple, Brian Turner distingue trois aspects complémentaires et inter reliés de la citoyenneté : un ensemble de droits et d’obligations qui s’incarnent dans un statut juridique, lequel permet l’accès aux ressources économiques et politiques de l’État-nation : une identité culturelle particulière ainsi qu’une socialisation à une culture civique : une participation/appartenance à une communauté politique territorialement et historiquement située (Turner, 1997, p. 7-9). Quant à Christian Joppke, il spécifie trois aspects différents : le statut, les droits et l’identité. Des changements significatifs ont marqué chacun de ces aspects au cours des récentes décennies. Eu égard au statut, la tendance principale des démocraties libérales a été la libéralisation de l’accès à la citoyenneté et la tolérance de la double citoyenneté. Eu égard au deuxième aspect, les droits sociaux - qui ont été le fer de lance de l’évolution de la citoyenneté moderne - connaissent un déclin variable selon les pays, aux dépens des droits des minorités et des droits contre la discrimination. Le troisième aspect de la citoyenneté, soit l’identité, sous-tend la problématique de l’unité et de l’intégration nationale et est étroitement relié aux significations de la nation (Joppke, 2008, p. 533-534). En témoignent les campagnes relatives à l’intégration des immigrants qui ont cours dans divers pays, la revalorisation du cérémoniel associé à l’acquisition de la citoyenneté et le thème de l’unité nationale et des valeurs communes qui figure au sommet des agendas politiques.
D’autres penseurs insistent davantage sur les obstacles à la citoyenneté substantive ou réelle. S’inscrivant dans le paradigme de la reconnaissance et de la redistribution, Cécile Laborde maintient que les citoyens issus des minorités ont moins besoin de reconnaissance identitaire que de ne pas être dominés, ce qu’elle désigne comme la « citoyenneté sans domination » (Laborde, 2010). Cette perspective innove et on y reviendra.
Le débat sur la tension entre nation et citoyenneté oppose deux types de visions. D’un côté, le type idéal de la nation comporterait comme trait essentiel « l’ambition de créer une société politique abstraite, en transcendant par la citoyenneté les enracinements concrets et les fidélités particulières de ses membres » (Schnapper, 2002, p. 19). La citoyenneté doit se baser sur les droits humains et les valeurs morales universelles, ceci représentant un minimum acceptable, culturellement neutre. Ce socle de valeurs peut représenter des standards universels valides pour évaluation dans une société libérale selon Bikhu Parekh (2006, p. 265). C’est la vision du patriotisme constitutionnel. D’un autre côté, la construction de la nation ne peut faire abstraction de marqueurs historiques et culturels particuliers. Dans ce dernier cas, la question est de savoir quels marqueurs identitaires l’État peut employer légitimement pour orienter son discours et ses politiques publiques et définir l’identité nationale. Tous les marqueurs que sont la langue, la religion, la culture, les valeurs posent des problèmes particuliers. La langue serait le seul « particularisme » légitime qui puisse être utilisé dans les règles de naturalisation et dans les politiques d’intégration en Europe. Mais dans des contextes particuliers comme la Belgique ou le Canada, elle devient un marqueur identitaire essentiel. La religion ne peut remplir un rôle intégrateur dans les démocraties libérales puisqu’elle exclut nécessairement (Joppke, 2008, p. 539). La culture suscite des difficultés d’interprétation et, de plus, elle peut servir d’injonction déguisée à l’assimilation, ou encore de mise à distance de différences posées comme incompatibles de nature (Labelle, 2008a). Quant à la référence aux valeurs, elle suscite des controverses : s’agit-il de principes tels qu’ils figurent dans les chartes des droits de la personne et que certains désignent comme la « raison publique », ou de valeurs culturelles et patrimoniales? Et dans ce dernier cas, s’agit-il des valeurs des « majorités historique »?
Enfin, la citoyenneté soulève des difficultés pour les nations minoritaires (Écosse, Québec, Catalogne). Ainsi, le Québec défend depuis des décennies des « valeurs particulières » en rapport avec son « identité propre », même si certains comme Will Kymlicka (1998) ont déjà soutenu que ce ne sont pas les valeurs qui distinguent les Québécois des autres Canadiens, mais bien l’identité. Il demeure que les valeurs de démocratie et d’égalité par exemple acquièrent une coloration différente conséquemment aux luttes historiques menées dans des contextes politiques et culturels spécifiques. C’est à la lumière de ces contextes particuliers qu’il convient d’examiner les lois, les politiques publiques et les discours qui s’appuient sur les « valeurs constitutives » de la nation (Parekh, 2006) quand il s’agit de concilier les tensions autour de la diversité.
2. Le discours des acteurs politiques
Les controverses qui agitent le Québec depuis quelques années renvoient non seulement aux accommodements raisonnables mais débordent largement sur la problématique identitaire. Elles concernent donc l’une des dimensions de la citoyenneté. Mais ont-elles été traitées dans cette perspective ? Quel rôle a joué la référence aux valeurs québécoises dans ces débats ?
Rappelons qu’en 2006, les juges de la Cour suprême du Canada accréditaient le port du kirpan dans les établissements scolaires québécois, à l’encontre des décisions de la juridiction québécoise, imposant et exposant ainsi la valeur intrinsèque du multiculturalisme telle qu’enchâssée dans la Constitution canadienne de 1982. Ce jugement portant sur un accommodement raisonnable tel que défini par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec [2] (CDPDJ) mit le feu aux poudres et provoqua une chasse médiatique aux arrangements les plus déraisonnables qui soient.
Un sondage portant sur la tolérance au Québec révéla en janvier 2007 que « 59% des Québécois se disent racistes » (Léger Marketing, 2007), en se basant sur une définition bancale du racisme, placée en exergue de la question des accommodements raisonnables lesquels furent présentés par le sondeur comme des mesures allant contre la loi et l’ordre public. Or deux autres sondages publiés également en janvier 2007 révélèrent que 83% des Québécois et 74% des « communautés culturelles » « croient que les immigrants devraient respecter les lois et les règlements du Québec même si cela va à l’encontre de certaines croyances religieuses ou pratiques culturelles ». À noter le clivage systémique entretenu entre les mots « Québécois » et « communautés culturelles » (Labelle et Icart, 2007, p.126-128).
Pour répondre aux préoccupations de l’opinion publique, le gouvernement du Québec a mis sur pied la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles en 2007. Cette Commission avait pour mandat de formuler des recommandations pour que les pratiques d’accommodement « soient conformes aux valeurs de la société québécoise en tant que société pluraliste, démocratique et égalitaire » (Québec, 2008a, p. 17). La question des « valeurs » fut donc clairement posée et la Commission y répondra en truffant son rapport de 233 références au mot valeur : les valeurs de la société québécoise en tant que société démocratique, pluraliste et égalitaire (p.17) : les valeurs qui sous-tendent la voie citoyenne (idem, p. 19 et 64) : la valeur fondamentale de l’égalité hommes-femmes : la mixité (p. 20) : les valeurs communes (p.22, 41, 126, etc.) : les valeurs fondamentales du Québec (p.33, 53, 82) : la laïcité (p. 82), etc. Le rapport précise ce que Gérard Bouchard appellera plus tard le principe de préséance de la majorité francophone, soit les valeurs « historisées » ou « fondatrices ». Une vision éclectique se dégage de cet exercice d’énumération.
Avant même le dépôt du rapport de la Commission en mai 2008, alors que se tenaient les consultations publiques, Pauline Marois, chef du Parti Québécois et de l’opposition officielle, déposait les projets de loi 195 et 196. Ces projets, morts au feuilleton visaient à permettre à la nation québécoise d’exprimer son identité « par l’élaboration d’une constitution québécoise, l’institution d’une citoyenneté québécoise, la prise en compte dans l’interprétation et l’application des libertés et droits fondamentaux du patrimoine historique et des valeurs fondamentales de la nation québécoise, notamment de l’importance d’assurer la prédominance de la langue française, de protéger et de promouvoir la culture québécoise, de garantir l’égalité entre les femmes et les hommes et de préserver la laïcité des institutions publiques » (Québec, Assemblée nationale, 2007a, p. 2 : 2007b).
Dans son discours de présentation du projet de loi, Pauline Marois se défend d’accusations éventuelles de nationalisme ethnique. « Dire « nous », c’est en réalité affirmer deux choses : qu’il existe au Québec une majorité que l’histoire a fabriquée dans sa singularité et son originalité et que cette majorité aspire, légitimement, à l’affirmation d’elle-même au nom d’une identité, d’une langue et de valeurs qu’elle conçoit comme étant les siennes. Dire « nous », c’est aussi inviter toutes celles et ceux qui ne se réclament pas de quatre siècles d’histoire à rejoindre la majorité dans ses espérances et dans l’édification d’une société démocratique et ouverte en Amérique » (Marois, 2007).
Deux ministres du gouvernement libéral au pouvoir avaient aussi élevé la voix. La ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, Lise Thériault, avait dénoncé la plupart des accommodements raisonnables fondés sur des motifs religieux, soulignant qu’elle ne concevait pas comment les commissaires « peuvent passer à côté de l’égalité hommes-femmes » (Bouchard, 2007, p. 8). Et, sous les pressions du Conseil du statut de la femme, la ministre responsable de la Condition féminine, Christine St-Pierre, déposait en décembre 2007 le projet de loi 63 afin d’amender la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, en inscrivant l’égalité homme-femme dans le préambule et en y donnant une valeur interprétative pour les tribunaux (Québec, Assemblée nationale, 2007c). Cette clause interprétative était basée sur la section 28 de la Charte canadienne des droits et des libertés qui donne un poids particulier aux considérations de genre. La Loi fut adoptée en 2008, à l’unanimité des 103 députés présents et allait soulever un débat sur la hiérarchisation versus l’indivisibilité des droits.
La Commission Bouchard-Taylor avait reçu le mandat gouvernemental de s’attaquer aux pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles. Ayant mis l’accent sur les accommodements à caractère religieux, elle a inévitablement tracé la voie à une relance de la question de la laïcité, présentée là aussi comme une valeur québécoise. Le rapport recommande un modèle de « laïcité ouverte » qui « ne sacrifie pas la séparation de l’État et de l’Église et la neutralité de l’État envers les religions au profit de la liberté de religion des croyants » (Québec, CCPARDC, 2008a, p. 20). Il recommande que « le crucifix au-dessus du siège du président de l'Assemblée nationale soit retiré et replacé dans l’Hôtel du Parlement à un endroit qui puisse mettre en valeur sa signification patrimoniale » (idem, p. 271).
Réagissant sur le vif en mai 2008, les députés de l’Assemblée nationale rejetèrent à l’unanimité cette recommandation en s’appuyant sur les valeurs de la nation : « L’Assemblée nationale réitère sa volonté de promouvoir la langue, l'histoire, la culture et les valeurs de la nation québécoise, favorise l'intégration de chacun à notre nation dans un esprit d'ouverture et de réciprocité et témoigne de son attachement à notre patrimoine religieux et historique représenté notamment par le crucifix de notre Salon bleu et nos armoiries ornant nos institutions ». Or, c’est bien le premier ministre Maurice Duplessis, un nationaliste de droite pourfendeur des intellectuels et des « communistes », qui avait fait placer le crucifix au Parlement en 1936. Duplessis déclarait alors : « Cette décision nous l’avons prise et nous la maintiendrons, car dans la province de Québec nous donnons aux valeurs religieuses et spirituelles la place qui leur appartient, c’est-à-dire la première » (Lamonde, 2010, p. 27). De ce fait, le Parlement constituait le crucifix en « signe même d’une alliance du politique et du religieux, de l’État et de l’Église, signe qu’on demande aux autres de ne pas afficher » (idem, p. 176). Le gouvernement du Québec s’est empressé, ici, de réagir fortement dans la tourmente, le rapport à peine déposé, en réifiant un biais culturel dit « majoritaire » au détriment de l’adoption d’une laïcité pourtant réclamée lorsqu’il s’agit des religions minoritaires.
En ce qui concerne plus particulièrement le port ostentatoire de signes religieux qui a malheureusement dominé le débat public sur la laïcité la Commission Bouchard-Taylor a opté pour le devoir de réserve de certains représentants de l’État seulement : président et vice-président de l’Assemblée nationale, juges et procureurs de la Couronne, policiers et gardiens de prison, autrement dit de personnes exerçant un « pouvoir de coercition ». On n’a pas manqué de critiquer cette vision restrictive et arbitraire du devoir de réserve. L’État n’a pas qu’un pouvoir de coercition, et ses appareils ont, entre autres, des fonctions d’éducation à la citoyenneté qui exigeraient également un devoir de réserve.
Le débat sur la laïcité ouverte est donc relancé, sous l’influence du philosophe Charles Taylor, auteur de la distinction déjà en 1963 (Lamonde, 2010, p. 96), suivi en cela par le jésuite Julien Harvey (1992) et le Centre justice et foi (1999). Il en va de même de l’interculturalisme, à titre de modèle québécois d’aménagement de la diversité. Le rapport a suscité des commentaires réservés, voire négatifs, dans les milieux intellectuel et politique de diverses tendances (voir dans Rocher et Labelle, 2010). En réaction, les partis d’opposition (ADQ et PQ) ont tenté de convaincre le premier ministre Jean Charest que l’adoption d’une constitution québécoise serait une solution à la crise suscitée par les accommodements. Le premier ministre s’y opposa disant préférer un plan d’action plutôt qu’une démarche constitutionnelle jugée fastidieuse.
Une politique, intitulée La diversité : une valeur ajoutée. Politique gouvernementale pour favoriser la participation de tous à l’essor du Québec, a finalement été rendue publique en 2008, accompagnée d’un plan d’action quinquennal (Québec, MICC, 2008b et c). Cette politique s’inscrit dans l’optique de la lutte contre le racisme, du rapprochement interculturel et de l’accès à l’égalité. Elle s’accompagne d’une Déclaration portant sur les valeurs communes de la société québécoise à faire signer dans la demande de certificat de sélection du Québec. La Déclaration énumère les valeurs énoncées dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec : « le Québec est une société libre et démocratique : les pouvoirs politiques et religieux au Québec sont séparés : le Québec est une société pluraliste : la société québécoise est basée sur la primauté du droit : les femmes et les hommes ont les mêmes droits : l’exercice des droits et libertés de la personne doit se faire dans le respect de ceux d’autrui et du bien-être général ». Elle souligne aussi que la société québécoise est régie par la Charte de la langue française qui fait du français la langue officielle du Québec [3] (Québec, 2008d).
La polémique sur les accommodements a repris de plus belle à l’automne 2009, peu après que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ) a recommandé à la Société d’assurance automobile du Québec de répondre favorablement aux demandes de clientes souhaitant être servis par une personne de leur propre sexe, sous prétexte qu’il n’y avait pas là « contrainte excessive ». Puis le 6 octobre 2009, la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, Yolande James, déposait le projet de loi 16 (Loi favorisant l’action de l’Administration à l’égard de la diversité culturelle) qui devait obliger tous les ministères à adopter une politique de gestion de la diversité (Québec, 2009a). Ce projet, mal accueilli, a été retiré fin octobre 2009.
À la fin novembre 2009, le Parti Québécois relance à son tour le débat avec le projet de loi 391, Loi visant à affirmer les valeurs fondamentales de la nation québécoise, lequel vise à remplacer l’article 50.1 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne par ceci : « La Charte doit être interprétée de manière à tenir compte du patrimoine historique du Québec et des valeurs fondamentales de la nation québécoise, notamment l’égalité entre les femmes et les hommes, la primauté du français et la séparation entre l’État et la religion » (Québec, Assemblée nationale, 2009b). Le projet de loi fut cependant rejeté par le gouvernement.
La ministre de la Justice, Kathleen Weil, revient à la charge avec le projet de loi 94 (Québec, 2010) dont l’objet est d’établir les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’administration gouvernementale et autres établissements. Le projet de loi rappelle les « principes énoncés par la Charte des droits et libertés de la personne, le respect de la dignité de l’être humain, l’égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des droits et libertés ». Le projet propose l’interdiction du voile intégral pour les employés de l’État et les usagers qui requièrent des services publics, autorise les accommodements raisonnables dans le service public, sauf en cas de contrainte excessive, insiste sur l’égalité des sexes et se limite à parler de la neutralité de l’État. Au moment où nous écrivons, le projet de loi est encore à l’étude et le gouvernement ayant fait le choix de la laïcité ouverte, il fait l’objet de positions totalement divergentes, comme en témoignent les mémoires déposés à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale du Québec.
Dans le but de discuter du projet de loi 94 en commission parlementaire, la World Sikh Organisation délègue le 18 janvier 2011 quatre représentants à l’Assemblée nationale. La direction de la sécurité ayant refusé de permettre leur entrée dans l’institution, en raison du kirpan qu’ils portent, les quatre membres de l’organisation quittent le parlement. Dès le 9 février 2011, l’Assemblée nationale adopte à l’unanimité une motion interdisant le port du kirpan au Parlement, motion présentée par l'opposition péquiste : « Que l'Assemblée nationale appuie sans réserve la décision prise par sa Direction de la sécurité à l'effet d'interdire le port du kirpan lors des consultations portant sur le projet de loi no 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements, appliquant ainsi le principe de neutralité de l'État » (Québec, 2011). Dans une lettre ouverte au quotidien Le Devoir, Denis Saint-Martin dénonce immédiatement le cas flagrant de « deux poids, deux mesures » qui consiste à invoquer la neutralité de l’État pour interdire le kirpan à l’Assemblée nationale « sous le regard bienveillant du Jésus crucifié qui surplombe le Salon bleu » (Saint-Martin, 2011, p. A9) [4].
3. Le discours des intellectuels
Sur tous les enjeux que soulèvent les représentations de la diversité et de l’identité québécoise, les mouvements féministes, les ONG, les associations de minorités et les partis politiques raffinent leurs positions. Les intellectuels en font autant. On qualifiera ces derniers différemment : nationalistes conservateurs versus pluralistes : nationalistes du ressentiment versus nationalistes pluralistes : républicains versus pluralistes : fédéralistes multiculturalistes versus nationalistes pluralistes, etc. Les uns plaideront en faveur du retour aux sources et de la culture de convergence autour de la majorité historique francophone (canadienne-française). Les autres se méfieront profondément de l’invocation de l’histoire et de la tradition.
- La querelle des manifestes
Un premier manifeste, En finir avec le multiculturalisme. Manifeste pour un Québec laïque et souverain, paraît dans l’Action nationale en 2007. Il dénonce le modèle du multiculturalisme reposant sur « la cohabitation dans la différence » (Courtois et al, 2007, p. 49), un principe d’intégration non contraignant. Il opte pour un second modèle, celui que le Québec a développé depuis la Révolution tranquille, « plus laïque et d’inspiration plus républicaine » (idem, p. 50). Il lance un appel au « vivre ensemble » plutôt qu’au « vivre-dans-la-différence comme fondement de la démocratie » (idem) et dénonce la politique fédérale du multiculturalisme qui compromet l’intégration des immigrants à la nation québécoise. En la matière « il ne peut y avoir qu’une seule source d’autorité légitime. La souveraineté offre la seule solution concrète : une citoyenneté québécoise légale dans une République laïque et souveraine » (idem, p. 52). La question de la citoyenneté est clairement posée, accompagnée d’une posture qui se révèle par contre méfiante du pluralisme. Ce manifeste n’aura pas eu le même impact que les deux suivants.
En 2010, le quotidien Le Devoir publie le Manifeste pour un Québec pluraliste. Les initiateurs, Pierre Bosset, Dominique Leydet, Jocelyn Maclure, Micheline Milot, Daniel Weinstock, dénoncent deux courants qu’ils considèrent convergents, critiques de la diversité, en rupture avec « les grandes orientations du Québec moderne » : le courant « nationaliste conservateur » et le courant de la « laïcité stricte » » (Bosset et al, 2010, p. A7). Le premier courant fait l’éloge d’un passé québécois et canadien-français auquel il oppose la « menace de la diversité ». L’interculturalisme, la laïcité ouverte, les accommodements raisonnables, le programme d’éthique et de culture religieuse obligatoire aux niveaux primaire et secondaire dans les écoles, sont perçus comme « mettant en péril une culture québécoise authentique, éclipsant la mémoire de la majorité historique ». Le second courant « récuse les manifestations religieuses ostentatoires dans la sphère publique » (idem).
Les auteurs se prononcent en faveur de la « laïcité ouverte » et se méfient d’une charte de la laïcité qui ne servirait qu’à interdire « la manifestation de l’adhésion religieuse dans la sphère publique ainsi que les demandes d’accommodement pour motif religieux ». Les agents de l’État peuvent afficher des signes religieux étant donné que « la laïcité s’impose à l’État, non aux individus ». Le Manifeste laisse percer une nette réticence face aux « valeurs communes » proposées dans le discours gouvernemental. Selon les nationalistes conservateurs : « Il y aurait un Québec profond, une majorité silencieuse qui n’aurait jamais renié ses valeurs traditionnelles, lesquelles représenteraient la véritable identité québécoise » (idem). D’autres privilégient « des principes formulés abstraitement, comme la démocratie, les droits, la liberté, le pluralisme et l’égalité des hommes et des femmes » (idem). Et de préciser : « Comment parler des valeurs québécoises sans évoquer aussi la protection des droits et libertés, la justice et la primauté du droit, la protection des minorités, la solidarité sociale, le rejet de la discrimination et du racisme ». C’est ce qui les amène à affirmer vouloir défendre la voie de la continuité : « la Charte québécoise des droits et libertés, l’interculturalisme, la Charte de la langue française, la laïcité ouverte » qui « visent à établir un équilibre, certes toujours mouvant, entre les préoccupations légitimes de la majorité et des minorités culturelles, linguistiques et religieuses » (idem).
Ils déclarent adhérer au « programme de l’interculturalisme [...] tel qu’il fut d’abord conçu par le Parti Québécois de Gérald Godin et René Lévesque et repris par le Parti Libéral du Québec de Claude Ryan et de Robert Bourassa ». Selon eux, ce « programme » affirme que le Québec est une société pluraliste, dont le français est la langue publique commune. « La diversité est une richesse, dans les limites fixées par le respect des droits et libertés de la personne. L’interculturalisme favorise les échanges interculturels ». Il y a compatibilité à affirmer « à la fois le respect de la diversité et la continuité de la nation québécoise » (idem).
Déjà, un premier biais se dessine. Amalgamer, comme le fait le Manifeste pour un Québec pluraliste, deux courants d’idées aussi différents que le nationalisme conservateur et anti-pluraliste et celui de la laïcité qualifiée de « stricte » pour traiter de questions aussi complexes et aussi diverses est vite apparu comme une entreprise hautement réductrice. Car on peut défendre sans réserve le pluralisme et l’interculturalisme à la québécoise et être contre la laïcité ouverte, marquée au sceau de la tolérance (Laborde, 2010). Ou encore plaider en faveur de la laïcité ouverte, mais refuser le financement des écoles ethnoconfessionnelles privées par l’État et le cours obligatoire d’éthique et de culture religieuse dans les écoles primaires du Québec. Le débat ne peut se réduire à un tel amalgame. Un second biais concerne les postures adoptées sur l’interculturalisme. Certains des auteurs qui ont déjà défendu dans leurs écrits antérieurs la convergence du multiculturalisme canadien et de l’interculturalisme québécois se replient désormais sur le dernier modèle, stratégie ou tactique oblige. On pourrait ajouter que la « laïcité ouverte », promue historiquement par les catho-laïcs québécois, ne peut qu’encourager le statu quo puisque l’ouverture préconisée ne peut que profiter, en dernière analyse, à la majorité historique et aux minorités de « vieille souche », de par le refus de légiférer.
Une Déclaration des intellectuels pour la laïcité intervient peu après. Réagissant à l’assignation de « laïcistes stricts », les rédacteurs, Daniel Baril et Guy Rocher, rétorquent. Le pluralisme et le respect de toutes les convictions en matière de religion impliquent que « l’État et ses institutions s’obligent à une totale neutralité à l’égard de ces convictions », qu’il s’agisse de la foi religieuse ou de l’athéisme. La laïcité n’implique pas que « la majorité renonce à ses choix légitimes et le pluralisme ainsi entendu n’est ni celui des minorités, ni celui de la majorité ». La laïcité ouverte est une négation de la laïcité de l’État car « les aménagements de cette laïcité ouverte convergent avec les objectifs des groupes religieux conservateurs qui cherchent à faire prévaloir leurs principes sur les lois en vigueur » et elle induit une gestion au cas par cas de la liberté de religion dans la sphère publique. L’État doit se déclarer neutre et cette neutralité doit s’exprimer par un devoir de réserve de ses représentants quant à l’expression de leurs convictions religieuses et politiques. Enfin, la laïcité n’est pas un idéal s’opposant aux minorités puisqu’elle s’inscrit dans l’histoire du Québec. Elle fait partie du long processus de laïcisation accompli depuis la fin du 18ème siècle. L’idée de la séparation de la religion et de l’État figurait dans la Déclaration d’indépendance de 1838, proclamée par les Patriotes. Le principe a été défendu par la suite par des intellectuels en lutte avec le cléricalisme, par les signataires du Manifeste du Refus global [5] et le Mouvement laïque de langue française dans les années 1960. Il ne s’agit donc pas d’une idée « défensive face aux minorités issues de l’immigration récente », concluent les auteurs (Baril et Rocher, 2010, p. A7 : Rocher, 2010).
On remarquera que le Manifeste pour un Québec pluraliste et la Déclaration des intellectuels pour la laïcité ne réfèrent pas jusqu’ici à la problématique de la citoyenneté dans sa globalité : la trame de fond renvoie tantôt aux droits, tantôt aux valeurs qui fondent la dimension identitaire. En fait, pour comprendre davantage ces postures, il faut retourner aux textes environnants des débats, qu’ils aient été écrits avant ou après les manifestes.
- Les positions intellectuelles
et politiques environnantes
Les « nationalistes conservateurs » contre lesquels se sont érigés les signataires du Manifeste pour un Québec pluraliste dénoncent le multiculturalisme canadien, les excès de la diversité (dont les accommodements raisonnables à caractère religieux) et, de plus en plus, l’interculturalisme québécois amalgamé au multiculturalisme, comme allant à l’encontre de l’identité québécoise historique. Selon Joseph Facal, « Ce n’est pas la diversité ethnique en soi qui est un problème dans le Québec d’aujourd’hui. C’est d’abord notre réticence à affirmer qu’il est parfaitement normal que les Québécois soient attachés à leurs traditions et à leurs valeurs, et qu’ils fixent clairement les règles du jeu » (2009, p. 184). Le multiculturalisme canadien « légitime au passage le nationalisme pancanadien en le posant aussi comme d'une essence morale supérieure », alors que le nationalisme québécois est « ancré dans la culture et l'histoire de la majorité francophone du Québec, qui voudrait intégrer les immigrants à cette majorité » (idem, p. 168). Facal s’inspire directement de la pensée de Jacques Beauchemin (un membre dissident du comité conseil de la Commission Bouchard-Taylor) pour cerner « les divers malaises et apories qui traversent ce qu’il appelle la culture post-référendaire : l’amnésie volontaire qui est au cœur du pseudo-nationalisme civique, la mauvaise conscience des souverainistes, les fantasmes autoritaires et culpabilisants que charrie le projet multiculturaliste, la déconstruction de tout ce qui donne sens et cohérence à la trajectoire nationale québécoise » (idem, 2010, p. 169).
L’assimilation représente donc pour certains le meilleur modèle d’intégration puisqu’elle permet à l’immigrant, selon cette vision, de partager un « monde commun ». Beauchemin écrit : « Je dirai, en termes sans doute choquants au regard de l'orthodoxie pluraliste ambiante, qu'il faut inviter ceux qui se joignent à elle à consentir à ce désir de durer et à accepter la présence d'une communauté d'histoire majoritaire qui souhaite légitimement poursuivre son aventure collective. Il faut pour cela que la majorité franco-québécoise affirme sans complexe qu'elle forme le cœur de la nation et que, forte de cette conviction, elle accueille, sans jamais renoncer à elle-même, ceux qui viennent la rejoindre avec leurs espoirs et leurs talents » (Beauchemin, 2010, p. A9). On doit donc inverser les principes du Manifeste pour un Québec pluraliste et inscrire le vivre-ensemble dans le parcours historique de la communauté franco-québécoise, ou pour reprendre les mots de Fernand Dumont, dans une culture de convergence. Ici, paradoxalement, la pensée est proche du « principe de préséance de la majorité » défendu par Gérard Bouchard, même si les positions sur l’interculturalisme sont aux antipodes (Bouchard, 2010).
Un deuxième courant s’applique à démontrer les fondements philosophiques, éthiques et juridiques du pluralisme. Jocelyn Maclure (l’un des rédacteurs du rapport Bouchard-Taylor) explique l’opposition aux accommodements raisonnables comme étant « d’abord et avant tout due à la crainte d’un conflit entre les valeurs publiques fondamentales sur lesquelles se fondent le vivre ensemble au Québec et les pratiques religieuses qui sont au cœur des demandes d’accommodements ». La crainte d’un choc des valeurs « que l’on retrouve dans toutes les démocraties libérales marquées par la diversité morale, culturelle et religieuse, est toutefois attisée et amplifiée par le sentiment d’insécurité culturelle ou identitaire qui, selon toute vraisemblance, est toujours latent au Québec » (Maclure, 2008, p. 217). L’insécurité identitaire a notamment donné lieu à une « coalition improbable » (idem, p. 217). Selon l’auteur, « l’histoire explique pourquoi et comment le Québec est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Mais contrairement à ce que laissent entendre les intellectuels néo-dumontiens, elle ne nous dit pas comment vivre ensemble, quel genre de société devrions-nous chercher à réaliser. Ce sont les valeurs collectives qui permettent de répondre à ces questions, et ces valeurs doivent être dérivées de la délibération publique et non simplement déduites ou inférées de l’histoire » (idem, p. 240). Les rapports de force entre le Québec et le reste du Canada étant minimisés, on comprendra que les lignes de tension entre l’interculturalisme québécois et le multiculturalisme canadien ne sont pas plus explorées. Daniel Weinstock, un autre membre du comité conseil de la Commission Bouchard-Taylor et initiateur du Manifeste pour un Québec pluraliste, avait d’ailleurs déjà dénoncé les positions critiques du multiculturalisme canadien tenues par « les nationalistes civiques, les progressistes et les conservateurs » du Québec (2007). Ce qui est remarquable, c’est que ces analyses taisent complètement les oppositions aux accommodements raisonnables ou au multiculturalisme canadien qui émanent des citoyens issus des minorités elles-mêmes, oppositions documentées et par les sondages et par les recherches sur le terrain.
Un troisième courant porté par des intellectuels nationalistes ou souverainistes engagés dans la défense du pluralisme et de l’aménagement de la diversité se démarque des précédents. Michel Seymour remet en question l’opposition « naturalisée » entre nationalisme et pluralisme qu’entretiennent certains pluralistes, fédéralistes de surcroît (Seymour, 2010). Seymour estime que : « ceux qui ne se prononcent pas ouvertement en faveur d’une politique d’affirmation nationale et qui ne posent pas le problème de la non-reconnaissance du Québec au sein du Canada n’obtiendront pas grand-chose en dénonçant la fermeture de certains nationalistes à l’égard du pluralisme. Ils risquent même d’obtenir l’effet inverse de celui qui est escompté. Mais les pluralistes sont-ils prêts à soulever la question de l’accommodement du Québec au sein du Canada? » (Seymour, 2010, p. A7).
Sami Aoun prend parti en faveur d’un processus d’affirmation nationale fondé sur l’interculturalisme et la citoyenneté. Un « contrat social québécois » doit être fondé sur les principes suivants : « une liberté individuelle fondatrice prioritaire et dominante et l’égalité entre hommes et femmes. Tous les Québécois sont des citoyens en parts égales selon un nationalisme civique et appartenant à un État-providence » (Aoun, 2009, p. 123). L’interculturalisme québécois vise à contrer le « développement séparé » des groupes ethnoculturels et religieux et à favoriser une citoyenneté partagée. Le vouloir-vivre collectif des Québécois doit s’articuler autour d’une nouvelle perspective, celle de la citoyenneté » (idem, p. 129).
Louis-Philippe Lampron estime que l’article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés a pour effet de « court-circuiter toutes possibilités d’interprétation interculturelle des droits et libertés fondamentaux protégés sur le territoire québécois » puisqu’il prévoit « que l’interprétation des droits fondamentaux doit ‘concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens’ » (Lampron, 2010, p. A7).
Il propose le recours à la clause dérogatoire pour les articles 2a) et 15 de la Charte canadienne « jouxté à une modification substantielle de la Charte québécoise (qui devrait notamment inclure une clause interprétative similaire à l’article 27 de la Charte canadienne, mais circonscrivant plutôt l’interculturalisme) ». Ceci permettrait à son avis « de rééquilibrer un balancier qui, pour l’heure, tend vers un modèle politique d’intégration (le multiculturalisme) dont certains aspects ne semblent pas correspondre à celui résultant, au Québec, d’un important consensus social (l’interculturalisme) » (idem).
Dans leur rapport préalable à la consultation de la Commission Bouchard-Taylor, François Rocher et Micheline Labelle ont soutenu que l’interculturalisme ne pourra donner sa pleine mesure que dans le cadre d’un Québec souverain : alors sera en place un cadre référentiel nettement plus clair et sera subvertie la polarisation entre Québécois de diverses origines engendrée par l’institutionnalisation étatique des catégories de l’altérité (Rocher, Labelle et al., 2007 : Labelle et Rocher, 2006). Une nouvelle articulation entre interculturalisme et citoyenneté devra alors advenir.
4. Le dialogue interculturel.
Faire face au dissensus
L’ensemble des incidents critiques, législations, manifestes et positions portant sur l’aménagement de la diversité dont nous avons fait état nous projette sur le terrain du dialogue interculturel et de la citoyenneté. Plusieurs questions se posent. Comment définir la culture? S’agit-il de culture ou de religion? Comment procéder à l’évaluation interculturelle des conflits de valeurs? De quel type de valeurs s’agit-il? Qu’en est-il si la signification de ces valeurs ou pratiques change avec le temps et selon les espaces partagés ? Comment parler de diversité ethnoculturelle dans une perspective non communautariste mais en termes de citoyenneté ? Le débat oppose ici les tenants d’une citoyenneté qui doit se baser sur les droits humains et les valeurs morales universelles, ceci représentant un minimum acceptable, culturellement neutre, à ceux qui défendent une conception plus ancrée dans les particularités culturelles nationales.
Des intellectuels associés au « pluralisme radical démocratique » défendent une acceptation inconditionnelle des manifestations de la diversité ethnoculturelle au sein de la sphère publique (sans toutefois définir ce qu’ils entendent par sphère publique), au nom d’une conception indéterminée de la démocratie. Ils s’inscrivent donc « en dehors de la norme socioculturelle et institutionnelle dominante, sans chercher à les absorber contre leur vœu dans un cadre politique et normatif unitaire ou prétendument universaliste » (Salée, 2010, p. 168). La communauté politique doit se concevoir « au-delà, si nécessaire, de l’espace restreint et restrictif de l’État-nation ou, à tout le moins, ne pas tenter de subsumer l’expression de l’altérité et de la différence dans une vision préétablie et culturellement préconçue du Sujet politique national » (idem). Daniel Salée conclut d’ailleurs que toute recherche d’intégration se situe à l’opposé du développement historique de la démocratie (idem, p. 171).
À l’opposé, Bikhu Parekh défend un multiculturalisme interactif, soit un multiculturalisme conçu comme dialogue entre les communautés et les individus. Parekh affirme « the cultural embeddedness of human beings, the inescapability and desirability of cultural diversity and intercultural dialogue, and the plurality of each culture » (2006, p. 338). Chaque société a un caractère historiquement acquis et une identité incarnée dans un noyau de valeurs partagées qu’il faut respecter. Ce noyau constitue la base de son style de vie et chaque société a le droit et le devoir de rejeter ou de désavouer des pratiques qui vont à l’encontre de ce noyau de valeurs : « I shall call this the principle of core or common values » (Parekh, 2006, p. 265) et de son lien avec l’État et l’identité nationale. Parekh soutient que les nouveaux arrivants doivent respecter ce noyau, avant de décider s’ils doivent le contester au nom de la liberté ou de l’égalité.
Cet ensemble de operative public values guident la société et se situent à trois niveaux. Elles peuvent être enchâssées dans une constitution et fournir la base légale et morale de la communauté politique incluant les droits fondamentaux et les obligations des citoyens (ex. l’égalité). Elles sont incarnées dans des législations, en harmonie avec les valeurs enchâssées dans la constitution et se rapportent à la vie quotidienne des citoyens (ex. la monogamie). Elles opèrent également à un niveau intermédiaire : il s’agit alors des valeurs qui renvoient à la régulation de pratiques sociales non légiférées (idem, p. 270). À noter, ces valeurs publiques opérationnelles ne sont ni sacro-saintes, ni non négociables.
Toutes les cultures ont droit au respect, aucune ne devrait être infériorisée. Cependant, toute société a le droit de défendre ses « valeurs constitutives » face à une minorité qui défend des pratiques que cette majorité repousse (idem, p.271). Un dialogue politique est alors nécessaire pour résoudre les divergences morales et culturelles profondes. Ce dialogue intervient au sein de sociétés qui ont une structure morale, une histoire et des traditions particulières, et dont les acteurs ne sont pas des êtres moraux abstraits mais constitués d’une certaine manière (idem, p. 267). Parekh désigne ce dialogue comme un « dialogue bifocal » entre majorité et minorités, vision à notre avis binaire et réductrice qui va à l’encontre d’une vision critique de la culture et des identités totalisantes.
Les pratiques culturelles divergentes exigent un dialogue culturel complexe, souligne Seyla Benhabib. Elle distingue les théoriciens de la démocratie des théoriciens du multiculturalisme selon les conceptions qu’ils véhiculent de la culture. Les premiers supportent les luttes pour la reconnaissance et les mouvements identitaires en autant qu’ils visent l’inclusion démocratique, la justice sociale et politique et la fluidité culturelle (Benhabib, 2002, p. IX). Les seconds visent trop souvent la préservation des pratiques culturelles des minorités et en ont une vision essentialisante. Or Benhabib, qui défend une perspective sociale constructiviste, se refuse à toute idée de pureté culturelle. La culture réfère à des systèmes de significations et de représentations complexes et toutes sont déchirées par des divisions internes. De plus, l’universalisme qui sous-tend les mesures constitutionnelles et législatives doit être préservé au sein de la communauté politique. Trois principes doivent prévaloir : un principe de réciprocité selon lequel les minorités doivent avoir les mêmes droits que la majorité : un principe d’auto-identification volontaire (voluntary self-ascription) selon lequel les individus ne sont pas assignés automatiquement à un groupe culturel, religieux ou linguistique selon la naissance : un principe de liberté de mouvement et d’association (freedom of exit and association) selon lequel un individu peut s’extraire du groupe attribué (ascribed group) (idem, p.19).
L’ouverture typique de l’interculturalisme ne peut donc s’appliquer à toute pratique culturelle, par exemple à celles qui tolèrent la subordination des femmes, comme l’a dénoncé Susan Okin pour qui « toutes les cultures sont patriarcales » (dans Benhabib, 2002, p. 100). Le dialogue culturel complexe doit donc exposer les points de division et de dissension, les conflits ouverts entre « la culture de la majorité et celles des minorités ». La confrontation ainsi révélée est susceptible d’induire des changements au sein des groupes en présence et de faciliter le repérage des injustices et des inégalités de pouvoir qui frappent les minorités vulnérables, au racisme en particulier (Fistetti, 2008).
Ces perspectives ont le mérite de dévoiler la légitimité du dissensus dans une démocratie, mais elles se centrent essentiellement sur les rapports interculturels. Et en dépit d’affirmations explicites sur la « pluralité interne de chaque culture », elles négligent plus souvent qu’autrement les dissensions au sein des minorités elles-mêmes, d’un point de vue sociologique.
Conclusion
Nous proposons de pousser plus loin la réflexion en abordant des questions passées sous silence dans le débat sur la diversité et l’identité nationale au Québec.
En premier lieu, la plupart des analystes et observateurs se centrent exclusivement sur l’État-nation et négligent, en conséquence, de prendre acte des flux d’idées et de revendications que véhiculent les réseaux transnationaux des minorités. Rachad Antonius a souligné avec raison les « angles morts des politiques de gestion de la diversité » en général (voir son chapitre dans cet ouvrage). Les dilemmes que suscitent certaines demandes d’accommodements par des musulmans, par exemple, et qui interpellent l’interculturalisme actuellement, sont structurels : « pour essayer de les comprendre et de les expliquer, il faut inclure, dans un même cadre théorique, les interactions entre trois systèmes différents de rapports de pouvoir : à l’échelle des sociétés occidentales d’abord (premier système), puis à l’échelle internationale (rapports coloniaux et post-coloniaux) et enfin à l’échelle des sociétés se réclamant de l’islam » (Antonius, 2008). L’omission des divergences et des rapports de pouvoir au sein de ces flux est flagrante dans les débats portant sur la laïcité ou autres politiques publiques du Québec.
Un deuxième enjeu fondamental concerne les nations non souveraines (Écosse, Catalogne, Québec). Sur les trois dimensions de la citoyenneté que sont les droits, l’identité et la participation/appartenance à la communauté politique, il y a déficit au Québec. Les nations minoritaires n’ont pas les pleins pouvoirs en ce qui a trait à une politique de frontières (territoriales, juridiques, politiques), au statut juridico-politique qu’accorde la citoyenneté, et à une politique d’admission et de naturalisation, comme le fait remarquer Ricard Zapata-Barrero dans cet ouvrage. Par contre, elles sont intimement concernées par les autres dimensions de la citoyenneté : l’identité et la participation politique. Loin de disparaître, elles cherchent à s’affirmer dans le contexte de la mondialisation et sont sous rature compte tenu de la diversification importante de leurs populations. On doit constater pourtant l’absence de transcendance politique qu’offrirait une constitution formelle portant sur les droits, les principes et les valeurs de la nation. On l’a constaté en 2000 lorsqu’il y a eu un Forum sur la citoyenneté, vilipendé de plusieurs côtés (Labelle et Rocher, 2004). Au sein de la fédération canadienne, il ne peut y avoir une identité québécoise fondée sur la citoyenneté, d’où la concurrence avec l’identité canadienne et le maintien d’identités ethnoculturelles particulières sur plusieurs générations. Ceci favorise donc le repli sur la dimension strictement culturaliste de l’appartenance, repli d’ailleurs souvent folklorisé.
Un troisième point concerne les conceptions elles-mêmes de la citoyenneté. Il faut se démarquer ici des visions républicaines idéal-typiques qui se refuseraient à un traitement différencié de la diversité, par exemple par la mise en place de politiques publiques conséquentes, comme les programmes d’accès à l’égalité en emploi. Ainsi, la perspective de Cécile Laborde ouvre des pistes nouvelles de réflexion. Alors que le républicanisme officiel « se veut aveugle aux différences et indifférent aux identités » et que les penseurs multiculturalistes « concluent que seule une république qui reconnaît de manière égale toutes les identités est à même d’inclure tous ses citoyens », le républicanisme critique se distingue de trois façons. Avant tout, « il ne réduit pas les luttes pour la reconnaissance à des luttes pour la reconnaissance de l’identité » (Le Goff et Anctil, 2009, p. 122). Ensuite, « c’est moins la reconnaissance identitaire que la résistance à l’assignation identitaire qui est souvent en jeu ». Enfin, on doit repenser la dimension proprement identitaire dans la tension qu’elle implique : « Tout d’abord, la république doit, autant que faire se peut, être dés-ethnicisée-détachée de son imbrication avec la culture majoritaire. D’autre part, il ne faut pas nier que cette dés-ethnicisation n’est ni toujours possible ni toujours souhaitable : la citoyenneté s’inscrit inévitablement dans une culture et une histoire » (idem, p. 122). Les luttes contre la domination visent essentiellement l’intégration économique, sociale et politique et non pas « la validation positive par l’État de formes de vie, cultures, religions, etc., particulières ». Les politiques de non-domination exigent donc des stratégies de prise en compte des différences « quand celles-ci produisent des effets de domination » (idem, p. 123). Ce que corroborent de nombreuses recherches sociologiques menées dans le contexte québécois. Même si la conception de Laborde concerne les formes du républicanisme, elle peut inspirer la réflexion québécoise sur la citoyenneté.
Cette dés-ethnicisation n’est possible que si les membres des minorités vulnérables à la discrimination sont présentes dans les espaces de dialogue et de délibération que sont les partis politiques, les médias, les instances de consultation, les syndicats, les coalitions, etc., sans qu’ils soient pour autant réduits et prisonniers d’une identité assignée. L’idée n’est pas nouvelle, mais elle doit être réitérée. Cette conception de la citoyenneté arrimée à la légitimité de débats publics sur les valeurs constitutives politiques d’une société particulière ouvre de nouveaux horizons.
En terminant, il faut souligner à nouveau que la crise actuelle du modèle d’intégration québécois dont nous avons fait état dans les premières sections de ce chapitre s’explique en partie par le décret gouvernemental annonçant et justifiant la création de la Commission Bouchard-Taylor qui opposait majorité et minorités : « Attendu que certaines pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles pourraient remettre en cause le juste équilibre entre les droits de la majorité et les droits de minorités » (Québec, 2008a, p. 275). Et dans la présentation de leur rapport, les commissaires ponctuaient : « La "vague" des accommodements a manifestement heurté plusieurs cordes sensibles des Québécois canadiens-français de telle sorte que les demandes d’ajustement religieux ont fait craindre pour l’héritage le plus précieux de la Révolution tranquille (tout spécialement l’égalité hommes-femmes et la laïcité). Il en a résulté un mouvement de braquage identitaire, qui s’est exprimé par un rejet des pratiques d’harmonisation » (idem, p. 18). Encore là, une opposition simpliste entre majorité et minorités sert d’éclairage.
Rappelons aussi que selon Paul Eid, le problème des accommodements religieux a été construit « dès la création de la Commission Bouchard-Taylor, comme un problème lié essentiellement à l'intégration des immigrants et à la gestion du pluralisme culturel » (Eid, 2009, p. 285). Or, précise-t-il, « on ne peut réduire le débat à la lutte idéologique opposant la majorité ethnoreligieuse du Québec à ses minorités » (idem, p. 320). Ce point de vue contraste avec la doxa ambiante. Le champ des « études ethniques » est marqué depuis toujours par cette opposition structurante de la société québécoise. Cette dichotomie réductrice est fortement intériorisée chez les intellectuels québécois de toutes tendances et elle induit plus souvent qu’autrement un discours de tolérance et de condescendance. Les dilemmes fondamentaux sont les suivants. Comment sortir de ce discours sans nier la position vulnérable de certaines minorités racisées? Comment respecter les droits culturels sans pour autant les essentialiser? Comment ne pas sous-estimer les passerelles et les convergences entre segments de la majorité et des minorités? Comment prendre en considération les divergences internes au sein des minorités elles-mêmes, en se basant sur des analyses concrètes qui ne se réduisent pas à la perspective normative ou à l’ingénierie des rapports sociaux? Comme l’écrit Seyla Benhabib, la réponse à ces questions a trop souvent tourné autour d’une vision holistique des cultures et des sociétés comme des touts cohérents. Cette vision des choses a encouragé « the binaries of we and the other(s) » (Benhabib, 2000, p. 25).
Il apparaît donc nécessaire de contester et de déconstruire la rhétorique dominante qui encourage un tel clivage comme si on avait affaire à des blocs indifférenciés (confessionnels, politiques, sociaux). Non seulement cette vision manque d’assises sociologiques, mais elle ignore la complexité des attitudes et des opinions sur les sujets brûlants que sont l’intégration, les valeurs publiques communes, la laïcité, les accommodements raisonnables, l’interculturalisme ou l’identité nationale. C’est dans ce sens que la perspective de la citoyenneté sans domination ouvrirait de nouvelles avenues.
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Salée, D. (2010). « Penser l’aménagement de la diversité ethnoculturelle au Québec. Mythes, limites et possibles de l’interculturalisme », Politique et Sociétés, vol. 20, n° 1, p. 145-180.
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[1] Ce texte a bénéficié du travail d’assistanat de recherche de Xavier Dionne, politologue. Je remercie également Jocelyne Couture, Ann-Marie Field, Frank Remiggi, François Rocher et Sid Ahmed Soussi pour leurs commentaires sur une version antérieure de ce chapitre.
[2] L’accommodement raisonnable découle de deux concepts juridiques : l’égalité et la discrimination. Il s’agit essentiellement de remédier à des situations de discrimination, idéalement dans le cadre d’une entente négociée, par l’adaptation de pratiques ou de politiques d’une institution, et ce, dans les limites du raisonnable. Contrairement à la croyance populaire, la moitié des demandes d’accommodements raisonnables viennent de personnes souffrant d’un handicap, tandis que les autres proviennent de témoins de Jéhovah, de protestants, de Juifs hassidiques ou de Québécois convertis à de nouveaux mouvements religieux. Une minorité de demandes proviennent d’immigrants. Or, la problématique a été médiatisée comme relevant principalement de l’immigration.
[3] Le discours sur les « valeurs communes » et l’identité québécoise a subi certainement des variations au cours des dernières décennies, mais on peut noter des constantes dans les politiques publiques, les déclarations et les textes de lois. On peut lire dans le plan d’action, La diversité : une valeur ajoutée de 2008 : « Le gouvernement amplifie et raffine depuis quelques années déjà les efforts de promotion et d’information sur les valeurs communes de la société québécoise auprès des personnes immigrantes. Les sites Internet Immigration-Québec et Québec interculturel, les séances d’information offertes aux candidats à l’immigration à l’étranger ainsi qu’aux nouveaux arrivants au Québec, le guide d’aide à l’intégration Apprendre le Québec, disponible par Internet et remis aux candidats à l’immigration dans leur pays de départ ainsi qu’aux nouveaux arrivants, et les cours de français langue seconde abordent cette question de manière explicite. Les intervenants gouvernementaux et communautaires seront également outillés afin d’être en mesure de prolonger et de consolider ces interventions et de développer chez les personnes immigrantes la connaissance et la compréhension de la société québécoise, notamment son histoire, ses valeurs et ses institutions démocratiques. Un guide sur l’égalité entre les femmes et les hommes, élaboré à l’intention des personnes des communautés culturelles afin de leur faciliter l’appropriation de cette valeur, sera également disponible dans le site Internet du Secrétariat à la condition féminine. Enfin, une nouvelle séance d’information Vivre au Québec portant sur les valeurs communes sera offerte aux personnes immigrantes adultes » (Québec, MICC, 2008c, p. 8).
[4] Il importe d’ajouter par ailleurs que, parallèlement à la tenue de la commission parlementaire sur le projet de loi 94, la CDPDJ a rendu deux jugements se rapportant aux pratiques en cours au niveau municipal. Dans le premier cas, elle conclut, en janvier 2011, que la prière lue par la mairesse de l’arrondissement de LaSalle en début des séances du conseil municipal devra être remplacée par un texte plus neutre et sans référence religieuse. L’affaire se base sur un jugement de 2006 de la CDPDJ qui établissait « que la récitation d'une prière en assemblée publique d'un conseil municipal contrevient à l'obligation de neutralité de l'État en matière religieuse » (La Presse, 26 janvier 2011, p. A14). Un second cas concerne le maire de Saguenay, encore plus médiatisé, qui défend la pratique de la prière et a amassé des dizaines de milliers de dollars pour soutenir sa lutte au nom de la défense de la « religion historique » de la majorité.
[5] Sur la dénonciation du cléricalisme par le Refus global et sur les combats du Mouvement laïc de langue française fondé le 8 avril 1961, voir Lamonde, 2010, p. 30, 59 et suivantes.
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