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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Micheline Labelle, “Nation et ethnicité. Perspectives théoriques à propos du Québec.” Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Françoise-Romaine Ouellette et Claude Bariteau, Entre tradition et universalisme. Colloque 1993 de l'ACSALF, pp. 37-74. Québec: L'Institut québécois de la culture (IQRC), 1994, 574 pp. [Autorisation reconfirmée le 2 mars 2010 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[37]

Micheline Labelle
Sociologue, UQÀM

Nation et ethnicité.
Perspectives théoriques à propos du Québec
.”

Un texte publié dans l'ouvrage sous la direction de Françoise-Romaine Ouellette et Claude Bariteau, Entre tradition et universalisme. Colloque 1993 de l'ACSALF, pp. 37-74. Québec : L'Institut québécois de la culture (IQRC), 1994, 574 pp.


Introduction
Pluralisme, ethnicité et processus de racisation
Ethnicité, processus de racisation et mouvement associatif
Ethnicité et pluralisme dans le contexte canadien et québécois

- Le contexte canadien
- Le contexte québécois

Bibliographie

Introduction

Ce texte présente divers modèles d'analyse de l'ethnicité, des processus de racisation et du mouvement associatif à caractère ethnique. Il s'inspire largement de la problématique de la recherche, menée sur trois ans, qui a guidé l'analyse du discours des leaders d'associations des communautés italienne, juive, haïtienne et libanaise de la région de Montréal [1]. L'analyse de ce discours est publiée ailleurs (Labelle, Beaudet, Tardif, Lévy, 1993 ; Labelle, Therrien, 1992 ; etc.). Nous nous contenterons ici de développer des pistes d'analyse théorique et non de rendre compte de données empiriques sur la question.

Certains des modèles examinés ici suscitent des hypothèses et des questions qui permettent de comprendre le discours public quant à la gestion de l'ethnicité dans la société québécoise et au rôle de l'ethnicité, comme catégorie politique, dans la question nationale. Il semble que deux logiques, deux idéologies d'intégration des minorités ethniques soient à l'oeuvre dans le discours public et parapublic et dans celui des élites issues des minorités et qu'elles sous-tendent à la fois la question ethnique et la question nationale. La première, dominante jusqu'à tout récemment, se fonde sur la notion de pluralisme culturel, sinon racial ; initiée et véhiculée par la politique fédérale du bilinguisme et du multiculturalisme canadien, elle a été reprise par l'État du Québec. La seconde se présente comme une logique universaliste axée sur l'idée de citoyenneté, de non-ethnicisation des groupes sociaux, et tente d'investir certaines fractions du mouvement [38] national québécois. Ces deux logiques sont avancées par des blocs sociaux dont les intérêts et les positions sont contradictoires dans l'espace canadien et l'espace régional québécois.

Au Québec, le discours public sur les particularismes ethniques a longtemps masqué la faible participation des minorités à la vie sociale et politique publique. Ce discours module de façon particulière les rapports sociaux entre la majorité d'origine canadienne-française et les minorités anglo-britannique et autres. Le discours culturaliste (celui sur les communautés culturelles, l'interculturalisme, etc.) dissimule en outre d'autres réalités, notamment le degré accentué de « complétude institutionnelle » des minorités, les multiples solitudes qui forment le tissu social, surtout dans la région métropolitaine de Montréal (Langlais, Laplante, Lévy, 1989) et le rôle que joue l'ethnicité, en tant que catégorie politique, dans la société québécoise.

La première partie de ce texte explore les modèles d'analyse de l'idéologie du pluralisme culturel et de l'ethnicité et des processus de racisation dans les sociétés capitalistes avancées. La seconde partie s'attarde plus précisément à l'application de ces modèles au mouvement associatif à base ethnique ou à identité racisée. La troisième partie traite du rôle de l'ethnicité dans le contexte canadien et dans la question nationale.


PLURALISME, ETHNICITÉ
ET PROCESSUS DE RACISATION


D'abord liée à une philosophie de l'universalisme et de l'ouverture, proche du libéralisme et d'un idéal méritocratique, la notion de pluralisme a débordé dans certains courants de pensée contemporains des sciences humaines en une « politique de la différence », comme l'indiquent Ouellet et Pagé (1991). Dans la sociologie américaine des années 1920, un débat autour de la notion de pluralisme a cours déjà dans ce que l'on a appelé l'école de New York, animée par des intellectuels juifs de la diaspora, école opposée à l'école de Chicago. Cette dernière concluait au caractère inévitable de l'assimilation chez les individus issus des courants migratoires de masse aux États-Unis. Pour l'école de New York, le maintien des particularismes ethniques et culturels était une donnée positive de la vie sociale dans la société américaine puisque l'ethnicité, comme phénomène liant les appartenances et les identités, était incontournable (Hacker, 1979). Ce courant d'idées influencera le mouvement noir des années 1960 et le mouvement des White Ethnics apparu au cours des années 1970.

En sciences humaines, la notion de pluralisme et de sociétés pluralistes (plural societies) est surtout utilisée par l'anthropologie sociale américaine [39] et britannique, parallèlement au remplacement de la notion de tribu ou de groupes tribaux par celle d'ethnicité et de groupe ethnique. Ce sont les anthropologues qui ont attiré l'attention sur l'identité ethnique comme phénomène social et sur le pluralisme comme phénomène distinctif de l'organisation sociale. Cette pensée a émergé dans le contexte du post-colonialisme et dans la mouvance des nouvelles prémisses philosophiques et éthiques que durent adopter les anthropologues (Jenkins, 1988, p. 179).

Le modèle pluraliste tente d'analyser les problèmes liés à l'existence de colonies multiethniques, créées par les pouvoirs impérialistes européens, et plus tard, les problèmes inhérents à l'émergence des nouveaux États-nations dont les frontières géographiques avaient peu en commun avec les frontières traditionnelles, définies autour de l'identité ethnique ou de la continuité culturelle.

La notion de société plurale vient d'abord de l'analyse que fait Furnivall de la politique menée par les puissances coloniales en Asie du Sud-Est (1940). Cette politique, selon lui, amène les gens à se côtoyer dans la sphère économique, mais sans se mêler sur le plan social, car les sociétés sont segmentées selon la langue, la religion, etc. Cette notion sera appliquée par M.G. Smith au contexte antillais et africain, et par Kuper à l'Afrique du Sud et à d'autres États africains, puis par des auteurs comme Schermerhorn et Van den Berghe, ou encore par Baker, dans son analyse comparée des sociétés canadienne, américaine et sud-africaine. Selon ces auteurs, la société pluraliste implique l'incorporation de différents groupes ethniques dans un même système social et étatique, en dépit d'institutions et de coutumes juridiques et culturelles conflictuelles et même du refus de la citoyenneté à de larges secteurs de la population (comme en Afrique du Sud) (Jenkins, idem). Comme le note Baker, les sociétés plurales sont analysées comme des fields of social, economic, and political power (Baker, 1977, p. 109), parce que la différenciation des groupes, structurée qu'elle est au niveau du pouvoir politique, surdétermine leur intégration culturelle et sociale. Dans ce système de pensée, la société plurale ou segmentée s'oppose au système de l'État-nation homogène. Le concept de pluralisme, d'ores et déjà, se révèle complémentaire de celui d'ethnicité (Jenkins, 1988, p. 180).

On a par ailleurs tenté de distinguer divers types de pluralisme. Par exemple, Smith distingue le pluralisme culturel des sociétés dont la multiethnicité n'a pas de conséquences sur l'organisation politique des collectivités ni la citoyenneté (comme au Brésil et au Royaume-Uni), du pluralisme social, dans lequel l'ethnicité affecte la sphère politique mais non la citoyenneté (comme dans les Antilles, l'ex-URSS ou la Belgique) et du pluralisme structurel, dans lequel l'identité ethnique a des effets directs sur la citoyenneté et les droits politiques (comme en Afrique du Sud, en Israël [40] ou aux États‑Unis). Voir les idéaux types de Smith (Rex, Mason, 1988) qui parle de sociétés basées sur des pluralités hiérarchiques, des pluralités segmentées ou des pluralités complexes.

La notion de pluralisme ethnique s'est aussi étendue aux analyses du pluralisme « racial », en particulier dans les sociétés métissées comme celles des Caraïbes, du Brésil, etc. Les travaux de Wagley, Harris, etc., ont tenté de situer des sociétés multiethniques et multiraciales sur le continuum de la démocratie sociale et « raciale », en se basant sur la terminologie raciale utilisée, les préjugés, les relations sociales, etc. (Labelle, 1987, 2e édition).

Les critiques de ce modèle ont été nombreuses. Certains ont dénoncé le fait que la notion de pluralisme passait dans la lingue franca ou le pidgin des anthropologues comme un terme purement descriptif pour étiqueter les sociétés multiethniques. D’autres ont fait valoir que la notion de pluralisme impliquait la référence à une norme politique homogène, à un « monoïsme » illusoire. On allégua que la notion était théoriquement suspecte et ne servait qu'à établir des idéaux types de sociétés plurales en évacuant les autres variables de la stratification sociale, comme la classe sociale ou les relations internationales. Enfin on souligna que le modèle surestimait l'autonomie des segments, par exemple le jeu de la diversité culturelle et politique, aux dépens du rôle des inégalités économiques dans la production et la reproduction des clivages sociaux (Jenkins, op. cit., p. 180-182).

La notion de pluralisme est également au coeur des analyses de plusieurs sociologues occidentaux qui ont tenté d'expliquer l’ethnicité et son renouveau dans les sociétés capitalistes avancées, phénomène allant à l'encontre de l'assimilation prévue par les précurseurs rationalistes, libéraux ou marxistes, de la sociologie, pour qui l'industrialisation, l'urbanisation et l'État-nation devaient entraîner le déclin des particularismes ethniques (voir Simon, 1976 ; Smith, 1981 ; Beaud, Noiriel, 1989).

L'un des premiers sociologues à s'être arrêté aux idéologies relatives à l'assimilation des immigrants dans la société américaine (l'anglo-conformité, l'assimilation et le pluralisme culturel), Milton Gordon, distingue les notions de pluralisme structurel et de pluralisme culturel, chacun identifiant des dimensions différentes du processus d'assimilation. Le pluralisme structurel est lié à l'existence de « sous-sociétés créées par l'intersection de la stratification ethnique (verticale) et de la stratification sociale (horizontale), maintenant et reproduisant des sous‑cultures propres (Gordon, 1964) [2].

Au cours des décennies 1970 et 1980, la réflexion sur l'ethnicité menée par la sociologie américaine des relations ethniques s'enrichit de [41] l'influence du mouvement noir et du mouvement féministe. Certains chercheurs américains, interpelés par « les contradictions Culturelles du capitalisme » (Bell, 1979) tenteront, bien avant les Européens, de légitimer la revalorisation de la différence et la résurgence de l'ethnicité dans le monde. Dans ce débat toujours en cours, les assimilationnistes, tenants de la perspective de Parsons, soutiennent que la réduction de l'appartenance ethnique permet une plus grande égalité, affaiblit les sources de la discrimination, augmente la liberté individuelle et favorise une société plus flexible. Leurs opposants affirment plutôt que les groupes ethniques peuvent être des centres puissants d'opposition à des États coercitifs, que ces mêmes groupes ethniques protègent des ressources culturelles valables, etc. (voir Yinger, 1981, p. 260). Ainsi, la justification du pluralisme culturel se fonde sur une critique de la bureaucratie et de l'État-providence, et sur la difficulté qu'éprouvent les individus à s'identifier à de larges sociétés, où règnent la rationalité, les valeurs instrumentales de la performance et de l'efficacité, et l'anomie. L'ethnicité représenterait au contraire une base essentielle pour encadrer et fonder une vie communautaire en lutte contre l'envahissement de la bureaucratie et de l'État (Novak, 1978). Ce courant s'inscrit dans la réflexion théorique sur ladite postmodernité.

Cette division n'est pas la seule qui traverse la sociologie américaine des relations ethniques. Certaines théories mettent l'accent sur l'irréductibilité de la différence et sur le caractère primordial des liens de l'ethnicité, que celle‑ci repose sur des fondements biologiques ou culturels. Par opposition, d'autres courants, qualifiés de situationnistes ou de constructivistes, affirment que l'ethnicité n'est pas un phénomène absolu. À la suite de Barth (1969), leurs tenants insistent sur le fait que l'ethnicité se modèle et se construit dans des rapports d'opposition. Cette perspective inspirera également les théoriciens du processus de racisation vu comme un processus de construction identitaire.

De leur côté, les partisans de la tendance politiste font plutôt valoir l'utilisation de l'ethnicité dans les luttes pour le pouvoir, le statut et le revenu (Glazer, Moynihan, 1975 ; Bell, 1975 ; Breton, 1991). À l'encontre de Parsons pour qui l'ethnicité est une survivance de loyautés archaïques et dysfonctionnelles dans le monde moderne, industriel et bureaucratique (Metzger, 1971, p. 635), cette perspective veut se situer entre l'assimilationnisme et le pluralisme culturel. Elle introduit la vision d'une ethnicité en mouvement (Omi, Winant, 1986, p. 18) et cherche à lier pluralisme culturel et pluralisme politique. L'ethnicité renvoie à l'émergence d'une catégorie sociale nouvelle, plus significative que le concept de classe sociale devenu désuet, notamment à cause de l'embourgeoisement du mouvement ouvrier, et inapplicable dans les sociétés postindustrielles. Ici, le groupe ethnique apparaît donc comme un groupe de pression, créé par de nouvelles expériences [42] en situation d'immigration, et capable de défendre les intérêts de ses membres face à l'État-providence.

Par exemple, Bell explique la résurgence de l'ethnicité, au niveau mondial comme dans les sociétés fortement industrialisées, par : 1) le mélange des peuples, conjugué au développement parallèle d'une culture syncrétique et d'une structure sociale de plus en plus bureaucratique qui nourrit le besoin d'ancrages primordiaux ; 2) la débâcle des structures traditionnelles d'autorité et d'unités sociales autrefois significatives (comme la classe sociale et la nation), débâcle qui intensifie l'attachement à l'ethnicité ; 3) la politisation des décisions et l'élargissement de la sphère politique qui donne naissance à des groupes de pression de plus en plus puissants et spectaculaires. Ce contexte fait de l'ethnicité un moyen privilégié de revendication. L'ethnicité ne relève donc pas d'un phénomène primordial nourri par les identités profondes, mais plutôt d'un choix stratégique et politique pour les individus qui, dans d'autres contextes, choisiraient d'autres appartenances de groupe (Bell, 1975).

Les critiques radicaux du paradigme de l'ethnicité affirment que pour comprendre la réalité des relations ethniques, il faut tenir compte de la réalité des classes sociales ou, tout au moins, de la différenciation sociale basée sur les inégalités économiques, et de la division internationale du travail. On cherchera à distinguer l'ethnicité traditionnelle des classes ouvrières de l'ethnicité symbolique que véhiculent les classes moyennes, lesquelles définissent leur identité ethnique en termes psychosociaux. L'ethnicité dont il s'agit dans ces groupes est un phénomène d'ethnicité volontaire, de revalorisation symbolique de l'origine minoritaire (Gans, 1979).

L'un des auteurs les plus critiques de la notion de pluralisme, Stephen Steinberg, soutient que le pluralisme, comme symbole national et politique, est une idéologie normative qui célèbre l'ethnicité tout en masquant les inégalités systémiques qui sont à l'origine de son maintien (1981, p. 254-255). Le pluralisme surévalue la culture d'origine en en faisant la caractéristique principale des groupes ethniques et sous-estime les conditions structurelles de ces derniers dans la société américaine. Par exemple, les Afro-Américains ont expérimenté le côté amer du pluralisme et l'ont défendu par dépit devant l'impossibilité d'arriver à une véritable intégration. Pour Steinberg, pluralisme et démocratie peuvent d'ailleurs être incompatibles, les positions pluralistes ne remettant pas en question, en général, les clivages de classe et représentant une idéologie du statu quo.

Les nation-based theories proposent la même critique de la notion de pluralisme. Ainsi, la thèse du colonialisme interne soutient que c'est la [43] division Culturelle du travail, dite coloniale par analogie et fondée sur le développement régional inégal, qui a contribué au maintien de l'identité raciale et ethnique dans les pays fortement industrialisés (Maurier, 1972 ; Hechter, 1978, etc. Voir Omi, Winant, 1986,1987). Dans un ouvrage récent, Hacker (1992) présente la situation des « Noirs » américains comme l'une des deux nations de la société américaine, séparées, hostiles, inégales. Cette position sera dénoncée par plusieurs intellectuels afro-américains qui refusent le réductionnisme racisant de son analyse.

Les théories de la segmentation du marché du travail, la perspective du système mondial de Wallerstein, ou les théories européennes et américaines (d'inspiration marxiste) des migrations et des relations ethniques, parfois désignées comme historico-structurelles, mettent quant à elles l'accent sur l'utilisation de l'ethnicité et de la racisation des groupes par le biais des préjugés et de la discrimination systémique, comme facteurs de division et d'exclusion liés à l'occupation de places différentes dans la structure économique (Edwards et al., 1972 ; Portes, 1980 ; Portes, Walton, 1981 ; Portes, Manning, 1985 ; Castles, Kosack, 1973 ; Hayot, 1980 ; Miles, 1984,1992 ; Phizacklea, 1980 ; Castles, Booth, Wallace, 1984 ; Balibar, Wallerstein, 1988 ; Ng et al., 1990 ; Vorst et al., 1989 ; Labelle, Turcotte, Meintel, Kempeneers, 1987 ; Labelle, 1990 ; Stasiulis, 1987 ; Ng, Estable, 1987 ; Solomos, 1988, 1989, etc.). Toutes ces perspectives attestent de la persistance de l'ethnicité, en dépit de l'homogénéisation que l'on attendait sous l'influence du mouvement ouvrier et syndical et en raison des transformations profondes des courants migratoires survenues depuis la décennie 1970. Pour leurs tenants, les groupes ethniques et les groupes racisés sont « construits » ou « reconstruits » sur la base de relations sociales inégalitaires et non à partir de traits primordiaux ou de différences génétiques (Li, 1988, 1990). L'ethnicité, la « race » et le sexe (gender) s'articulent à titre de variables de mobilisation autonomes et de même niveau, ou à titre de variables secondaires, à des paramètres de classe - ces dimensions étant distinctes mais interreliées et devant être prises en compte dans toute analyse de situation, de condition, ou de conscience identitaire, comme on le verra plus loin à propos des perspectives théoriques sur le mouvement associatif immigré ou à caractère ethnique. Ces perspectives aident à comprendre le rôle hégémonique de certaines fractions au sein des minorités.

Comme le note McAll, l'ethnicité dans les sociétés capitalistes n'est pas tellement l'expression de différences linguistiques, de régionalismes, d'identités primordiales ou de marqueurs culturels mais la traduction des inégalités sociales et de la réalité des classes sociales (McAll, 1990, p. 222). En ce sens, le pluralisme ethnique n'est souvent que le symptôme d'un pluralisme de l'inégalité sociale.

[44]

Pareilles critiques seront reprises, à la fin des années 1980, à propos de notions associées à celle de pluralisme, les notions d'interculturalisme et de multiculturalisme ; on insistera notamment sur la réduction culturaliste du discours qui la promeut et sur l'occultation des inégalités sociales qu'elle véhicule. Par ailleurs on a souligné les problèmes d'éthique que posent, sur le terrain des sciences humaines comme sur celui des sciences de l'éducation, soit un assimilationnisme dur, soit au contraire un pluralisme à tout crin, sous‑tendu par un relativisme culturel absolu, incapable de se situer face aux pratiques des groupes ethnoculturels minoritaires qui vont à l'encontre des valeurs de la société d'accueil (Ouellet, Pagé, 1991).

Dans le contexte européen, les questions de l'immigration, musulmane en particulier, et de la lutte contre le racisme ont suscité de vifs débats entre les tenants du droit à la différence et les communautaristes, d'une part, et les tenants d'une politique d'intégration individuelle et non collective (ou par communautés) à la nation, d'autre part (Schnapper, 1992). Ainsi le modèle dominant en Angleterre admet l'idée de minorités ethniques dont les droits pourraient être reconnus, au contraire du modèle français qui fonctionne autour du pacte républicain. Tous les pays européens proclament la liberté de culte et d'expression religieuse en même temps que la laïcité de l'État, donc un pluralisme de fait, avec des accommodements différents entre les associations religieuses et l'État (Schnapper, 1992).

D'où l'émergence parallèle de réflexions nouvelles autour des conceptions de l'État-nation, des politiques d'intégration des immigrants et des minorités, et de l'identité nationale (Finkielkraut, 1987 ; Delannoi, Taguieff, 1991 ; Lewis, Schnapper, 1992 ; Heckmann, 1992 ; Schnapper, 1991, 1992 ; Yuval‑Davis, 1993). Ces débats, prioritaires en Europe, sont présents dans la société québécoise, comme on le verra plus loin.

Parallèlement, la montée des mouvements de droite en Europe et la crise de l'identité nationale qui frappent plusieurs pays ont entraîné une sorte de perversion du droit à la différence. Un nouveau discours de type nativiste prétend que les populations immigrées menacent l'homogénéité culturelle des nations britannique et française. La culture occidentale serait menacée de disparition. Or il existerait un droit naturel de vivre entre soi, de former une communauté nationale. « Chaque communauté est l'expression de la nature humaine », chaque communauté est naturellement exclusive et a le droit et le devoir de protéger ses frontières culturelles (Baker, 1983). Pour Balibar (1988), Taguieff (1988), De Rudder (1985), Miles (1989), Wieviorka (1991, 1992, 1992), ce discours témoigne du passage du racisme biologique au racisme culturel ou différencialiste. Il argue que les différences entre cultures sont non assimilables et que l'autre est désormais défini comme naturellement différent en termes culturels. Son idée essentielle est [45] que la culture fonctionne comme nature (Balibar, 1988, p. 34). On reconnaît l'influence de Fanon, pour qui le racisme évolue dans ses formes : du racisme biologique, à la phase du colonialisme, au racisme culturel, à la phase du post-colonialisme. En conséquence, De Rudder souligne « l'extrême ambiguïté, non seulement théorique, mais sociale et politique, de la notion de « droit à la différence » où la prétendue reconnaissance de « la » différence gomme la « ressemblance », permet la réactivation d'un « non-droit » et, par conséquent, celle du « non-droit » à la ressemblance » (De Rudder, 1985, p. 30).

De même, aux États‑Unis, l'extrême-droite tentera, face aux revendications des Afro‑Américains et aux politiques de l'État libéral, de renverser la discrimination positive et de développer une nouvelle identité blanche (Whiteness), alors que la nouvelle droite formulera des revendications en termes de Cultural Politics en faveur de la population blanche qui se perçoit maintenant comme minoritaire (Omi, Winant, 1986 ; Hacker, 1992).

La revendication du droit à la différence, thème lié au courant du culturalisme anthropologique et aux mouvements progressistes et anticolonialistes, aurait donc été pervertie. Au nom du pluralisme, on passe à un racisme qui naturalise non pas l'appartenance à une soi-disant race mais la différence culturelle. Ce déplacement d'intérêt vers les enjeux culturels de l'immigration et la relation avec la crise d'identité des sociétés européennes naît de l'impuissance à faire face à la crise économique qui affecte les immigrés aussi bien que les nationaux. Ainsi, au nom de l'antiracisme, une nouvelle théorie des relations ethniques, axée autour des notions de seuil et de distance culturelle, et qui naturalise les comportements racistes, cherche à s'imposer.

Dans la partie qui suit, nous nous arrêterons à l'application de ces modèles au mouvement associatif à base ethnique ou à identité racisée. L'on constatera que s'affrontent ici les conceptions globales de l'ethnicité, comme catégorie d'orientation universaliste ou particulariste de l'action sociale et de la mobilisation identitaire.


ETHNICITÉ, PROCESSUS DE RACISATION
ET MOUVEMENT ASSOCIATIF


Les chercheurs de l'école de Chicago (Matthew, 1977) ont mis en évidence le rôle médiateur des associations ethniques dans l'adaptation psychosociale des nouveaux immigrants et dans le processus irréversible de l'assimilation à plus long terme. Encore aujourd'hui, une majorité de chercheurs s'accordent d'ailleurs sur le rôle crucial des associations ethniques volontaires dans l'adaptation à court terme des immigrants et des réfugiés.

[46]

À cette perspective déjà ancienne, s'en sont ajoutées d'autres selon lesquelles les associations représentent des lieux privilégiés de la production de l'ethnicité ou de la « race », des espaces d'affirmation du groupe minoritaire au sein de la société globale ou encore des centres stratégiques de mobilisation dans l'assimilation et l'intégration à la société globale.

Délaissant les axes du conflit ou du consensus, certains chercheurs ont choisi de procéder à des analyses systémiques des organisations ethniques ; on a ainsi mis en évidence deux facteurs explicatifs de leur émergence et de leur disparition : la discrimination subie dans la société plus large et 1'« ethnic resilience », soit les caractéristiques primaires des organismes ethniques en termes de motivation, d'orientation et de décision (Baureiss, 1982).

Certains anthropologues sociaux voient dans le développement communautaire un prolongement de l'organisation sociale liée aux structures de parenté, de voisinage et de convivialité dans le pays d'origine, organisation ou réorganisation sociale propre à faciliter l'adaptation des immigrants et des réfugiés. Dans ses travaux sur les communautés indochinoises, Dorais pose que toute communauté ethnique est constituée d'un réseau de relations socialement signifiantes entre ses membres. La culture et le système symbolique s'expriment à travers ces relations, les institutions et les associations communautaires (Dorais, 1991). (Voir aussi Rex, Joly, Wilpert, 1987 ; Indra, 1987 ; Dorais et al., 1988 ; Dorais, 1990a, 1990b, 1991 ; Lévy, Ouaknine, 1989).

Dans la logique globale du paradigme de l'ethnicité, le maintien de l'identité et la cohésion ethnique sont intimement associés à la question du pluralisme. Certains auteurs ont avancé la notion de institutional completeness (Breton, 1964). La complétude institutionnelle est présentée dans le contexte canadien « comme une dimension de la solidarité, de la loyauté et de la cohésion ethnique » et se définit par la capacité qu'a un groupe ethnique de développer des organisations pour les membres de cette « ethnoculture » (Herberg, 1989). Cette complétude institutionnelle s'évalue, selon les sociologues qui font référence à cette notion, par la vigueur des réseaux primaires et secondaires fondés sur l'appartenance ethnique, sur le taux d'endogamie, le taux de rétention de la langue d'origine, l'existence d'institutions religieuses, culturelles et éducatives, de quartiers distinctifs, d'associations volontaires et de médias fondés et organisés autour de particularismes ethnoculturels.

Ainsi, dans le cas canadien, Reitz considère que la discrimination subie par un groupe minoritaire et l'existence d'organismes structurés sur la base de l'ethnicité expliquent la persistance de l'ethnicité des classes moyennes et la cohésion ethnique que l'on observe dans la société canadienne. [47] Les associations Contribuent à maintenir la culture ethnique, à développer des intérêts ethniques, et à soutenir la mobilisation ethnique (Reitz, 1980).

Cette complétude institutionnelle soulève deux positions divergentes quant à la fonction de l'ethnicité, notamment dans le cas du mouvement associatif. Pour les uns, les associations ethniques, parce qu'elles sont des organismes intermédiaires susceptibles de créer un équilibre entre des intérêts multiples, favorisent l'assimilation ou l'intégration ; pour d'autres, elles encouragent la ségrégation car, fonctionnant de façon parallèle et chaque sous-groupe étant isolé sur le plan institutionnel, elles minimisent les contacts interpersonnels et institutionnels avec la société globale (Schoenberg, 1985). Une telle position soulève la question des orientations idéologiques qui sous‑tendent le mouvement associatif à vocation ethnique de même que la gestion étatique de la diversité ethnoculturelle qui utilise ces associations comme interlocuteurs ou partenaires sociaux : l'une repose sur une logique universaliste d'intégration à la société globale, l'autre sur une logique différencialiste d'intégration à la société globale (Finkielkraut, 1987 ; Schnapper, 1991,1992 ; Delannoi et Taguieff, 1991). Or, selon certains chercheurs comme Radecki (1976), la majorité de ce type d'associations ne cherchent Pas à faciliter l'insertion de leurs membres dans la société canadienne, mais travaillent plutôt à maintenir l'identité ethnique et nationale d'origine de leurs membres et à assurer la spécificité culturelle des groupes. L'association est ici un lieu privilégié de production de l'ethnicité (Schoenberg, 1985).

Le courant politiste analyse la relation État/groupe ethnique comme partie intégrante du système démocratique libéral, dans lequel les groupes sont encouragés à entrer en compétition pour obtenir biens et services par le biais de leurs organisations. Vue ainsi, on l'a dit plus haut, l'ethnicité devient une catégorie politique, qui supplante la classe sociale comme facteur de mobilisation et de défense des intérêts collectifs ou corporatistes. Les associations sont un lieu crucial de mobilisation politique. L'idée clé est que la communauté ethnique se gouverne, constitue une mini polity ou s'agrège autour d'un « Pacte social » (Weinfeld, 1984 ; Elazar, Waller, 1990) pour maintenir son identité ethnique, mais également se défendre contre la discrimination virtuellement associée au statut de groupe minoritaire. L'exemple type de cette analyse se trouve chez Breton, pour qui la communauté ethnique est une construction sociopolitique qui définit les frontières de son identité collective, s'organise et coordonne son action collective pour la conduite de ses affaires publiques, gère des conflits internes, et mobilise ses ressources pour assurer la participation de ses membres (Breton 1983, 1991 ; Breton et al., 1990). C'est aussi la perspective adoptée par le collectif de textes édités par Higham sur le leadership des [48] juifs, des Irlandais, des Afro-Américains, etc., aux États-Unis (voir la postface de Mintz, dans Higham, 1978).

Ici les groupes ethniques se constituent en groupes de pression qui revendiquent face à l'État-providence. Les associations ethniques sont donc fonctionnelles dans le sens où elles articulent des demandes sociales auxquelles l'État peut répondre dans le cadre du système existant. Pourtant, dans la conjoncture des années de crise de la décennie 1980, les principaux tenants de cette perspective combattront les programmes de discrimination positive susceptibles de répondre aux inégalités sociales subies par certaines minorités (le corporate pluralism reconnaît ouvertement que la distribution du pouvoir et des privilèges opèrent selon des clivages ethniques et raciaux et qu'en conséquence la revendication se fait autour de droits collectifs et d'une définition de l'appartenance qui est collective (Yinger, 1988, p. 32).

Les modèles marxisants, de même que la sociologie de Faction, sont traversés de débats sur le rôle de l'ethnicité dans la mobilisation et les mouvements sociaux. Ces débats portent sur l'orientation de Faction sociale et posent encore la question de la défense d'intérêts universalistes ou particularistes, de l'autonomie des facteurs explicatifs qui renvoient à la classe, aux processus de racisation, etc. (Castles, Kosack, 1973 ; Castles, Booth, Wallace, 1984 ; Solomos, 1988, 1989 ; Gilroy, 1987 ; Anthias, 1990 ; Vorst, 1989 ; Goulbourne, 1991, 1992, etc.). Ainsi Miles et Phizakclea distinguent, dans le cas de la Grande‑Bretagne, trois logiques de mobilisation ou d'orientation de l'action des immigrés. L'action peut être orientée par la lutte contre le racisme et organisée autour de l'identité raciale construite ou reconstruite (black unity process) ; ou orientée par les conditions de classe des immigrés et être organisée et intégrée autour des combats de la classe ouvrière autochtone (class unity process) ; ou encore autour de la spécificité culturelle ou ethnique et être organisée dans des communautés spécifiques ou des regroupements minoritaires (ethnic organization process) (Miles, Phizakclea, 1977).

Plusieurs auteurs ont analysé le phénomène de racisation des groupes ou des questions sociales, comme un processus autonome échappant aux paramètres de l'ethnicité, de la classe ou de la nation. La racisation a, dans le cas américain ou britannique, provoqué la mobilisation identitaire en réponse à une situation historique d'exploitation coloniale fondée sur le racisme (Omi, Winant, 1986 ; Solomos, 1988,1989 ; Rex, Mason, 1988). Ainsi Omi et Winant soutiennent-ils que l'État doit maintenir l'ordre racial existant et gérer les relations contradictoires de conflit et d'accommodation qu'il entretient avec les mouvements raciaux construits sur le terrain de la société civile.

[49]

Un auteur relativement critique de cette mobilisation fondée sur la racisation, Goulbourne, se penche sur l'action politique communale en Grande‑Bretagne, Faction basée sur la catégorie politique de la race ou du groupe ethnique. Elle entraîne, selon lui, un discours et des pratiques axées sur l'idéologie de la différence et du pluralisme culturel et promeut ainsi une distance entre les groupes en alimentant le « nationalisme ethnique ou racial » aux dépens des luttes et des alliances autour d'objectifs communs axés sur les droits sociaux et la justice (Goulbourne, 1991). Pour cet auteur, le pluralisme culturel, tout comme le nationalisme monoculturel, partage des visions conservatrices de la société et mène à un cul‑de‑sac (Goulbourne, 1992).

Dans le cas canadien, Stasiulis soutient même que les luttes des minorités contre le racisme représentent souvent, de façon non médiate, des luttes de la classe ouvrière, en dépit de la classe moyenne qui en a la direction et en dépit des idéologies du nationalisme noir qui les traversent. Selon elle, les luttes des minorités pour combattre le racisme en matière de justice, d'éducation, d'accès à l'emploi, ou de représentation politique dans les institutions de l'État, relèvent de revendications démocratiques et égalitaristes et sont reliées aux luttes plus larges de la classe ouvrière afin de rendre ces institutions plus accessibles et plus conformes aux besoins des travailleurs (Stasiulis, 1989).

Le thème des contradictions de classe qui traversent la vie associative des minorités ethniques, de même que leur rapport à l'État, a suscité une riche réflexion (Painchaud, Poulin, 1985,1988 ; Stasiulis, 1989 ; Aboud, 1992 ; Ng et al., 1990, etc.). Ainsi, Stasiulis (1980) et Anderson et Frideres (1981) soutiennent que la dialectique État-association doit être comprise en regard des fonctions contradictoires de l'accumulation et de la légitimation du capital assumées par l'État sous le capitalisme monopoliste. Ces auteurs pensent que la politique du multiculturalisme canadien et l’intervention de l'État fédéral dans les affaires des groupes ethniques (subventions, consultations, discours public, politiques, relations publiques, clientélisme politique, etc.) correspondent à cette fonction de légitimation ; l'État devient partie prenante dans la formulation et la réalisation des mandats des associations ethniques, de même que dans les processus organisationnels de ces associations. Cette intervention correspond aux demandes des groupes ethniques non dominants, tout en gardant sous contrôle l'action politique et en préservant l'harmonie sociale. Les racines sociales de l'exploitation ethnique et du racisme ne sont pas remises en question et le leadership demeure dans les mains d'une élite jouant sur l'ethnicité.

Les analyses du féminisme socialiste ou marxiste soutiennent que les relations de classe, modelées par le processus de production propre aux [50] différentes phases du capitalisme, sont aussi constituées ou traversées par les relations de genre, de race et d'ethnicité (Ng et al., 1990 ; Vorst, 1989). En ce sens, la problématique des femmes immigrées (travailleuses indépendantes, parrainées, réfugiées ou travailleuses temporaires) ne peut être comprise comme une totalité homogène mais en fonction des relations de classe et d'ethnicité en jeu (Labelle, Turcotte, Kempeneers, Meintel, 1987 ; Labelle, 1990). De même, ces relations sont interreliées dans les luttes et les revendications contre la domination ou la discrimination, comme dans la construction de l'État et de la communauté (Ng et al., 1990). Les débats entre féministes marxisantes ou socialisantes et féministes du « nationalisme noir » portent sur l'autonomie relative de ces variables et sur le caractère principal ou fondamental des relations de classe. Certaines féministes ont critiqué le mouvement social du féminisme « blanc » basé sur une « commune oppression des femmes » comme participant au racisme institutionnel existant et comme étant incapable de prendre en compte les dimensions de la classe et du racisme (voir Thornhill, Kline, Muszinski dans Vorst, 1989).

Les travaux de Wieviorka et de Lapeyronnie s'inscrivent dans la sociologie tourainienne des mouvements sociaux et de l'action. Wieviorka (1992) se demande si Faction basée sur l'ethnicité peut être considérée comme un mouvement social dans les sociétés postindustrielles. Pour qu'il en soit ainsi, l'affirmation identitaire doit d'abord pouvoir participer à des débats de société plus généraux ; l'affirmation de la différence doit aller de pair avec l'affirmation des droits de la personne, du citoyen et des valeurs universelles. Deuxièmement, il y a virtualité de mouvement social dans un mouvement ethnique si les enjeux de Faction vont au-delà d'intérêts économiques et politiques spécifiques et si l'affirmation de l'ethnicité est liée aux demandes sociales et politiques d'autres groupes exclus ou marginalisés ; autrement dit, si la mobilisation ethnique refuse l'enfermement dans l'identité ethnique. Dans la conjoncture actuelle, on observe que les mouvements ethniques se mobilisent surtout autour de leurs particularismes au nom du principe de la différence. Ils s'inscrivent dans la chute du mouvement ouvrier, défendeur de problématiques liées à l'inégalité de classe, dans la crise de l'État-providence et dans la crise des États-nations, lesquels véhiculent de plus en plus des idéologies particularistes de la nation. La croissance des identités ethniques ne constitue pas seulement une menace pour les identités nationales ; elle est, partiellement, le résultat de la crise de ces identités nationales.

Pour Lapeyronnie, la mobilisation identitaire, observée en France autour de la question des jeunes maghrébins, s'explique par l'assimilation et non par la résurgence d'ethnicités primordiales, la marginalité ou la déviance (Lapeyronnie, 1987). L'auteur distingue des facteurs externes et internes susceptibles de favoriser l'action sociale et la mobilisation immigrée [51] ou ethnique. Les premiers facteurs, internes, renvoient à la constitution d'une identité collective fondée sur l'expérience de la discrimination et du racisme. En ce sens, le rôle de la justice et de la police est déterminant dans le déclenchement des révoltes des minorités immigrées ou ethniques. C'est cette identité qui explique la constitution d'une élite radicale et l'utilisation de l'idéologie de la différence culturelle comme principale ressource dont se serviront les leaders pour leurs revendications. Les autres facteurs, d'ordre externe, renvoient au climat politique de la société d'accueil, la montée de l'extrême-droite et les débats autour de l'immigration, d'où le sentiment de menace pour les immigrés et l'apparition d'alliés, etc. (Lapeyronnie, 1987).

Le thème de la multiplicité des références des migrants et de la dynamique qui relie les migrations de travail entre États-nations dans le système-monde s'inscrit dans la réflexion sur l'interpénétration du système-monde et la signification des frontières politiques des États-nations, et l'aspect politique de la migration (Balibar, Wallerstein, 1988 ; Zolberg, 1989). Selon Zolberg, le système international est structuré en États, marchés et sociétés. Seule une approche multidimensionnelle permet de saisir les aspects économiques, politiques et culturels des migrations, dans leurs difficultés avec les sociétés d'accueil. Ce thème a suscité des débats intéressants ces dernières années. En filigrane, se posent les questions de l'allégeance des groupes à l'État-nation de la société d'accueil et des accommodements raisonnables autour de valeurs communes, des relations internationales et de la solidarité des groupes d'immigration face aux politiques du pays d'origine ou du territoire symbolique de référence. Ainsi, les auteurs de Carribean Life in New York City (Sutton, Chaney, 1987), s'inscrivent dans le cadre global de la pensée de Wallerstein sur l'interpénétration du système mondial et illustrent la dynamique qui fait des migrants des Caraïbes à New York des acteurs dans deux systèmes - le pays d'origine et le pays d'immigration - en montrant comment ceci se manifeste dans la vie associative et dans la multiplicité des références identitaires. Cette dynamique transnationale traverse la vie communautaire des migrants sur le plan politique et culturel et explique les échanges bidirectionnels entre les migrants et le pays d'origine qui caractérisent ces migrations.

Catani, Campani et Palidda se situent également dans une perspective transnationale pour expliquer le mouvement associatif immigré en dehors des schémas assimilationnistes ou intégrationnistes. Catani (1986) développe l'idée que le projet migratoire, fondé sur la chaîne migratoire, implique l'existence de réseaux transnationaux et un double système de référence, et que la décision de faire valoir l'une des références s'impose à chaque instant à chaque immigré - phénomène qu'il désignera comme la « bilatéralité orientée des références ». Les associations d'immigrés sont [52] souvent interlocutrices de deux États-nations du fait qu'elles évoluent dans deux sociétés (le cas des associations portugaises et italiennes en France, par exemple). Catani et Palidda introduisent la notion de « double localisme » (1987). La référence à la communauté locale chez les immigrés, le sentiment d'appartenance à cette communauté, sera un fondement déterminant de cohésion. Selon ces auteurs, nous sommes en présence de réseaux-communautés qui maintiennent des relations traditionnelles fondées sur la parenté et le village, à partir d'origines locales et régionales communes. Ce système de relations est efficace tant dans la société d'immigration que dans le pays d'origine. Campani soutient que le maintien de la langue n'est d'ailleurs pas un élément central dans le développement des réseaux et des associations. Le cas des Québécois d'origine italienne est une exception dans la diaspora et l'auteure affirme, à la suite de plusieurs observateurs, que c'est le seul pays où les Italiens ont préservé leur langue d'origine, (grâce au contexte particulier et conflictuel entre les communautés linguistiques anglophone et francophone). En France, l'italianité se préserve sans qu'il y ait pour autant rétention de la langue d'origine. La construction de l'italianité n'a pas beaucoup à voir avec la culture d'origine mais apparaît comme le produit de l'histoire de l'émigration-immigration et des réseaux (Campani, 1991).

La réflexion de Schnapper sur la capacité d'intégration de la nation moderne dans la phase actuelle se situe dans des courants d'idées proches des perspectives de la sociologie de l'action. Selon cette auteure, les communautés ethniques n'existent pas en France et le mouvement associatif immigré ou l'intervention des immigrés sur le plan politique ne signifient pas que Von soit en présence d'une intégration des groupes ethniques opérée sur le mode américain. La France ne favorise pas une culture immigrée, mais une simple « combinaison culturelle » chez les migrants eux‑mêmes, les enfants des migrants étant acculturés à la société française. De même, la perpétuation de liens communautaires et les associations d'immigrés ne signifient pas la conservation d'une culture traditionnelle, mais favorisent l'intégration des membres dans la société d'installation, en empêchant la déculturation et en aidant à résoudre les conflits avec la société globale (Schnapper, 1991, p. 185). Les formes d'expression politique des immigrés, en effet, expriment moins des revendications identitaires liées à la soi‑disant nouvelle saillance de l'ethnicité ou des revendications politiques de groupe (comme aux États‑Unis ou au Canada), que des revendications liées aux droits sociaux et économiques (idem, p. 189). Les références communautaires ou identitaires sont un des moyens que les individus utilisent pour « gérer leurs échecs Sociaux ».

Schnapper rejette la notion de double appartenance des immigrés et de leurs descendants, évoquée par Campani, Palidda et Catani à propos [53] des réseaux et des associations immigrées ; elle préfère lui substituer la notion de double référence. Par exemple les Juifs de France font référence à Israël, mais ils se sentent appartenir à la société française. La socialisation dans un pays et la participation à la vie collective ne peuvent être mis sur le même pied que les liens commerciaux ou les relations de nature symbolique ou touristique que les descendants d'immigrés continuent à avoir avec le pays d'origine de leurs parents. La double référence implique qu'il n'y a pas égalité entre les termes. L'auteure rappelle d'ailleurs, à l'appui de son propos, la définition de l'ethnicité symbolique apportée par Gans, celle d'ethnicité affective apportée par Weinfeld (1981), ou encore celle d'identité imaginaire que donne Finkielkraut (1987), pour conclure que l'identité des immigrés est d'abord française et que ces modes d'intégration sont en accord avec la nation comme forme politique : « Dans son principe, l'abstraction de la citoyenneté autorise la légitimité des identités historiques particulières et des pratiques spécifiques, à l'intérieur de l'universalité de l'ordre politique et juridique » (idem, p. 310).

Tous ces débats témoignent de la pertinence de stratégies particularistes ou universalistes d'intégration nationale des immigrants et des minorités ethniques, qu'il s'agisse des stratégies des États-nations ou de celles des groupes sociaux. Est-ce que certaines de ces analyses s'appliquent au cas québécois ? Ce dernier présente-t-il des particularités, une complexité qui, pour être éclairée, requiert la déconstruction de l'ethnicité et une réarticulation à la notion de nation ? Les questions qui se posent sont multiples et complexes : au plan du découpage discursif et des représentations que produisent les diverses sociétés autour de l'idée de communauté et d'espace communautaire, pour employer le langage de Gilles Bourque ; au plan des politiques étatiques de gestion de la diversité ethnoculturelle et de leur contribution à l'ethnicisation et à la racisation des groupes, ensuite ; au plan des mobilisations politiques basées sur l'ethnicité qu'en gendre la polarisation de la souveraineté et du fédéralisme, etc. La partie suivante fait état de l'évolution de l'idée de pluralisme et de sa signification politique dans le contexte canadien, et des débats sur le rôle de l'ethnicité dans la question nationale.


ETHNICITÉ ET PLURALISME
DANS LE CONTEXTE CANADIEN ET QUÉBÉCOIS


Le contexte canadien

De nombreuses analyses sociologiques et politiques ont déjà montré l'existence d'un pluralisme structurel ou d'une segmentation économique, politique et culturelle de la formation sociale canadienne. Depuis la création de l'État canadien en 1867 jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale,  [54] la pensée sur l'ethnicité a été dominée par l'idéologie nativiste, ou la britannisation, appuyée par un racisme officiel [3] dans les politiques d'immigration et par l'intolérance vis-à-vis des cultures minoritaires.

L'évolution vers l'idée d'une mosaïque au Canada anglais se fait entre les deux guerres. Elle est définie comme une unité sociale « formée de groupes ethniques divers, mais dont la juxtaposition créait une identité nouvelle globale, une gestalt, l'identité canadienne. La mosaïque ne créait pas un être nouveau où seraient mélangés divers groupes, comme le creuset, mais une société où chacun garderait son identité, tout en formant un ensemble national nouveau. Cette idéologie reconnaissait la présence des « Autres », mais n'empêchait pas l'hégémonie sociale, économique et politique des « Blancs » d'origine anglo‑saxonne et le rejet de ceux tenus pour « différents » et inassimilables » (Laferrière, 1983). Sous-jacent à ce constat est le double problème des Canadiens français, réfractaires à l'assimilation, et des Premières Nations, d'où l'impossibilité de parler de creuset comme aux États-Unis.

La décennie 1960 sera le théâtre d'un nouveau discours et de nouvelles politiques étatiques relatives à l'immigration et à la diversité ethnoculturelle, compte tenu de l'entrée d'immigrants issus de nouvelles régions du monde, du mouvement de décolonisation dans le monde, de la redéfinition des relations internationales et du mouvement nationaliste au Québec (Labelle, 1988). Parallèlement à ce qui se passe aux États-Unis, les politiques canadiennes évoluent autour d'une reconnaissance officielle d'une éthique pluraliste qui s'exprimera dans la politique du multiculturalisme. La Déclaration canadienne des droits, en 1960, l'abandon des mesures basées sur l'ethnicité et la race dans la sélection, en 1962 et 1967, la création de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, en 1963, afin de contrer l'assimilation des francophones du Canada et du Québec, de corriger les inégalités liées à leur situation, et de répondre à la force du nationalisme montant, en constituent les principaux jalons. On sait que l'une des recommandations de la Commission Laurendeau-Dunton vise à conserver la culture dans un cadre biculturel et qu'elle se butera aux revendications des groupes ethniques canadiens de l'Ouest, et dans une moindre mesure, des nations autochtones qui affirment leur volonté d'être reconnus et refusent biculturalisme et bilinguisme.

En 1969, la Loi sur les langues officielles reconnaît l'égalité des langues anglaise et française au Canada, mais non la primauté des deux cultures. Elle constitue un compromis politique qui, malgré tout, provoque des réactions hostiles au Canada anglais, dans l'Ouest en particulier, où il y a une forte présence ukrainienne. Pour contrer ces réactions, le gouvernement [55] fédéral adopte en 1971 le multiculturalisme comme politique officielle.

À la fin des années 1970 et au cours des années 1980, on prolongera la politique du multiculturalisme de 1971 par des programmes d'intégration sociale, d'harmonisation des « relations raciales », de protection des langues ancestrales, de participation des minorités à la vie politique et d'égalité économique. Ceci se concrétisera par la désignation officielle des « minorités visibles », diverses commissions d'enquête sur la problématique du racisme et de la discrimination, la création d'une direction des Relations raciales à l'intérieur de la direction du Multiculturalisme en 1982, la proclamation de la IIe Décennie de lutte contre le racisme et la discrimination raciale et du 21 mars, journée internationale de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, la ratification de la Convention sur l'élimination de la discrimination raciale sous toutes ses formes.

En juin 1986, le gouvernement fédéral adopte la Loi sur l'équité en matière d'emploi et une Politique d'équité en matière d'emploi par laquelle il oblige ses co-contractants à mettre en oeuvre un programme d'équité dans l'emploi. Le programme d'équité dans l'emploi du gouvernement fédéral touche les femmes, les « minorités visibles », les personnes handicapées et les autochtones. Son but est de réduire le racisme institutionnel et d'inclure la légalité de ces programmes dans la Charte (Stasiulis, 1991).

Le Parlement adopte la Loi sur le multiculturalisme canadien en 1988. En 1991, le gouvernement fédéral crée un nouveau ministère du Multiculturalisme et de la Citoyenneté : « Le multiculturalisme, puisque tous les Canadiens ont des origines et des antécédents culturels divers, et la citoyenneté, parce qu'ils sont tous unis par des valeurs partagées et un attachement commun au Canada » (Canada, 1991). Dans le projet de loi C-63 de 1990, figure la création d'une Fondation canadienne sur les relations raciales établie en 1991. La loi lui établit le mandat suivant : « further understanding of the nature of racism and racial discrimination and to assist business, labour, voluntary associations and other private associations, as well as public institutions, governments, researchers and the general public in eliminating racism and racial discrimination ».

La notion de pluralisme fonde la politique du multiculturalisme en affirmant que le Canada est formé de différentes cultures, toutes également dignes de respect, qui coexistent et s'enrichissent les unes les autres dans un cadre de bilinguisme officiel. Cette politique se démarque de l'anglo-conformité, liée au modèle britannique, et de l'assimilationnisme du melting pot, associé au modèle américain (Laferrière, 1983, p. 209 ; Gay, 1985 ; Godin, 1985). Si certains ont chaleureusement accueilli cette politique (Anderson [56] et Frideres, 1981, p. 294), d'autres l'ont fortement critiquée, et ce à partir de points de vue différents.

Par exemple, Baker analysera la société canadienne à l'aide du paradigme des sociétés plurales, la situant sur un continuum entre les États-Unis et l'Afrique du Sud. Il distinguera dans les trois cas, des groupes blancs dominants, des groupes autochtones ou indigènes dominés et des white siege cultures, soit les Canadiens français, les Afrikaners, et les Blancs du sud des États-Unis (Baker, 1977). Selon l'auteur, le Canada, comme l'Afrique du Sud, a favorisé la différenciation des groupes ethniques et culturels beaucoup plus qu'aux États-Unis, même s'il s'agit dans les trois cas de sociétés segmentées, donc seule la théorie du pluralisme de conflit et de pouvoir peut rendre compte de ce fait.

Porter, assumant la position de l'assimilationnisme libéral, soutiendra que le multiculturalisme et le pluralisme qui le sous‑tend vont contre l'assimilation souhaitable, condition de toute mobilité sociale. Le multiculturalisme, qui maintient les particularismes, est basé sur les inégalités sociales (Porter, 1975). Dans la même veine, plusieurs sociologues ont commenté, au cours des années 1980, le haut degré de cohésion ethnique retrouvé au Canada, son impact négatif sur la stratification sociale et le rôle de l'État dans la structuration ethnique des inégalités (Brym, Fox, 1989).

La sociologue Stasiulis soutiendra aussi que la thèse selon laquelle les groupes ethniques partagent certains aspects d'une culture commune, participent à la vie politique et économique du Canada tout en conservant leur langue et leur culture (dans leurs quartiers, leurs écoles, les églises, etc.) est un mythe. Mythe puissant qui permet à l'État d'assurer à la fois une gestion ethnique des problèmes sociaux et la dépendance des associations à son égard à travers les subventions qu'il leur verse (Stasiulis, 1980, 1991).

On a vu la politique du multiculturalisme comme une attaque aux revendications du Québec, une façon d'occulter la question nationale, puisque les Canadiens français perdent ainsi leur statut de peuple fondateur. De même certains Canadiens britanniques y verront la fin de la notion de Dominion relié à la Couronne d'Angleterre. Cependant l'idée de pluralisme, qui est au fondement du multiculturalisme canadien, est plus que jamais dominante dans la production des sociologues, des intellectuels et des intervenants sociaux et politiques du Québec, bien qu'elle s'articule autour de la notion d'interculturalisme dont la polysémie est tout aussi grande (Berthelot, 1990).

De leur côté, des groupes ethniques critiqueront le manque de sérieux et l'aspect folklorique du multiculturalisme ; ces groupes dénonceront [57] aussi le fait que la politique canadienne encourage la formation d'une petite bourgeoisie réfractaire au changement social et par conséquent hypothèque l'intégration des immigrants à la société canadienne (Moodley, 1983). Autrement dit, la politique n'opère qu'au seul niveau idéologique (Li, 1988, p. 8-10, 1990).

Warburton fera une critique serrée de la vision dominante des relations ethniques au Canada. Il mettra en évidence l'hésitation à abandonner les explications biologisantes de l'ethnicité ; la tendance à réifier l'ethnicité et à surestimer l'autonomie des éléments culturels et primordiaux dans l'explication des processus et des phénomènes sociaux ; la tendance à masquer la signification idéologique de l'ethnicité. Par exemple la situation des Premières Nations n'est pas due qu'à leur culture, ou encore la lutte politique des Québécois n'est pas qu'ethnique, c'est‑à‑dire dirigée contre les Anglophones. Warburton rappelle que beaucoup de sociologues canadiens-anglais ont longtemps perçu les Canadiens français comme un groupe ethnique parmi d'autres, à l’exception de la sociologie marxiste ou de la tendance progressiste. Selon Warburton, l'insistance mise sur le pluralisme de la société canadienne, c'est‑à‑dire sur la coexistence de plusieurs groupes ethniques, communautés, classes, a des implications idéologiques. Les communautés ethniques sont vues comme séparées du champ économique et politique auquel participent les autres membres de façon pleine et entière (Warburton, 1989).

Dans les années 1980, les arguments contre la politique officielle du multiculturalisme proviennent de couches plus larges ; par exemple, le Reform Party ou certains courants à l'intérieur du Parti libéral ou du Parti conservateur canadien. Plusieurs facteurs semblent alimenter cette offensive de droite dans le contexte canadien : 1) la question constitutionnelle (les Québécois et les Premières Nations) ; 2) le nombre croissant de demandeurs d'asile politique ; 3) le sentiment que les « minorités visibles » prennent trop de pouvoir, etc. (Abu-Laban et Stasiulis, 1992).

Le contexte québécois

Selon plusieurs analystes canadiens, l'émergence du mouvement néo-nationaliste québécois des décennies 1960 et 1970 s'inscrit dans le courant général du renouveau de l'ethnicité (Smith, 1981 ; Goldstein, Bienvenue, 1980 ; Anderson, Frideres, 1981 ; Breton, Isajiw, Kalbach, Reitz, 1990).

Dans cette logique, on a souvent réduit les revendications autonomistes ou souverainistes des Premières Nations ou des Québécois à des revendications d'ordre ethnique et occulté leur dimension nationalitaire.

[58]

Bourque et Duchastel, quant à eux, soulignent la nécessité d'analyser le Québec comme « un espace (social, régional, national) tout entier produit dans son rapport constitutif à l'État canadien » (1983, p. 134) et relient la question nationale à la production de blocs sociaux. Le discours politique sur cette question vise donc « à la définition-représentation de l'espace, de la communauté et des rapports de force (intérieurs et extérieurs) en tant qu'il est produit et producteur d'un bloc social » (idem, p. 154). Dans ce contexte, pour Bourque (1993), la représentation de l'ensemble social est problématique, et ce de façon constante, tant pour les acteurs sociaux que pour les producteurs des sciences humaines. De façon corollaire, soutiennent Dumont et Harvey, les représentations cherchent à se structurer dans un espace circonscrit dans une culture particulière, au coeur d'une réalité collective et spécifique en devenir, et révèlent une identité québécoise incertaine (1985, p. 86).

Dans ce processus d'interrogation sur la représentation de la communauté et de la nation, on peut noter que la sociologie québécoise de cette période n'a pas suffisamment tenu compte de l'articulation de la question ethnique et de la question nationale, ainsi que du rôle politique que joue l'ethnicité (Elbaz, 1983, 1990 ; Labelle, 1985 ; Juteau, 1990). Cette carence s'explique par plusieurs facteurs : 1) les sociologues spécialistes de la question nationale ou de la question régionale, inspirés par une pensée radicale et gauchiste au cours des années 1960 et 1970, ont abandonné à la sociologie des relations ethniques, plus souvent qu'autrement d'inspiration fonctionnaliste, le champ de la théorie sur les minorités et l'ethnicité ; 2) la difficulté de s'extirper de la dualité francophone-anglophone et de postuler que le Québec, bien que n’étant pas un État-nation, puisse s'opposer aux visées hégémoniques du palier fédéral en matière d'immigration, d'intégration, et de langue ; 3) la présence au Québec d'un phénomène de « complétude institutionnelle » ou de « frontières ethniques » plus accentué qu'ailleurs dans la formation sociale canadienne, dont l'impact est important sur le plan politique.

La thèse que nous soutenons ici est la suivante : avant d'être une catégorie culturelle, l'ethnicité est une catégorie politique qui sert à la mobilisation des communautés ethniques du Québec, non seulement en leur sein, niais aussi dans leurs rapports avec la société globale. Si l'ethnicité a des fonctions précises dans le mouvement associatif à caractère ethnique, elle en a tout autant dans le domaine politique et dans la question nationale. L'État fédéral et provincial ont d'ailleurs contribué largement à l'ethnicisation et à la racisation des enjeux, contrairement à d'autres situations nationales où les notions d'intégration collective et de communauté ne sont pas reconnues.

[59]

Quels sont les principaux éléments d'analyse que nous pouvons mettre en évidence ?

Au cours des dernières années, plusieurs chercheurs québécois ont analysé les tendances migratoires et les politiques d'immigration qui ont contribué à la diversification de la population du Québec (diversification des sources nationales d'immigration, augmentation relative des immigrants de la catégorie de la famille, des réfugiés et des demandeurs du statut de réfugié) suivant les tendances observées aux États‑Unis et dans le reste du Canada.

On observe une certaine ségrégation résidentielle et une certaine complétude institutionnelle des groupes ethniques dans la région métropolitaine de Montréal - où se concentre 87% de la population immigrée du Québec, et où, en 1986, les personnes d'origine ethnique autre que française ou britannique, représentent plus de 21%, les « minorités visibles », environ 4%, et la population immigrée, environ 16% de la population totale. Ce phénomène serait, selon certains, plus manifeste que dans des villes comme Toronto, Boston, Calgary, etc. (Anctil, 1984 ; Paillé, 1991 ; Veltman, 1986) et s'expliquerait par la prégnance de la question nationale et les particularités de certains flux migratoires à l'origine de la formation des minorités ethniques.

La situation de « dualité linguistique » a favorisé la polarisation politique et idéologique des luttes des minorités sur la question linguistique et l'intégration (Cappon, 1974 ; Taddeo, Taras, 1987 ; Assimopoulos, Humblet, 1987 ; Linteau, 1987 ; Mathews, 1990). Elle a aussi favorisé la forte rétention de la langue d'origine dans certaines communautés (Paillé, 1991) phénomène que les leaders d'associations communautaires interrogés dans la recherche sur Ethnicité et pluralisme. Le discours de leaders d'associations communautaires  àcaractère ethnique de la région de Montréal attribuent à des raisons historiques : « fermeture » des écoles franco-catholiques aux immigrants, longue prépondérance de l'anglais dans le marché du travail québécois, auxquelles s'ajoutent des motifs liés au désir de mobilité économique. Plusieurs insistent d'ailleurs sur la ghettoïsation culturelle entraînée par ces pratiques. Selon un leader ashkénaze, la formation de « ghettos d'or » au Québec a permis aux minorités de se développer librement et de conserver plus longtemps qu'ailleurs leur langue d'origine, amoindrissant la force du nationalisme canadien et renforçant le nationalisme québécois. Certains émettront même l'opinion qu'une telle situation a encouragé le conservatisme politique et culturel de leur communauté (Labelle, Beaudet, Tardif, Lévy, 1993).

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Les théories historico-structurelles de la migration internationale de travail et de la segmentation du marché du travail ont expliqué comment l'insertion des immigrants et des minorités ethniques s'effectue de façon extrêmement variable selon les divers secteurs du marché du travail dans les pays capitalistes avancés. La segmentation du marché du travail n'opère pas de façon neutre, l'ethnicité, le racisme et le sexisme légitimant les pratiques de discrimination en emploi, lesquelles sont amplifiées en période de crise économique comme celle que nous vivons. Par ailleurs, si l'ethnicité est un obstacle dans plusieurs situations d'emploi, elle peut aussi constituer une ressource pour favoriser l'insertion des nouveaux arrivants et contrer la discrimination.

La main-d'oeuvre immigrée au Québec remplit des fonctions diverses dans le marché du travail : marché primaire, marché secondaire, économie informelle (Portes et Walton, 1981). Ces fonctions différenciées évoluent avec les transformations du marché du travail et celles des migrations de travail. Alors que les migrations de travail s'internationalisent et se nourrissent des flux de réfugiés et de demandeurs d'asile, le chômage et le travail au noir s'accroissent. Ces phénomènes ont un impact certain sur l'approfondissement de la division sociale et ethnique du travail et sur l'ethnicisation des conflits sociaux liés au monde du travail (discrimination, ghettos d'emploi, intégration linguistique, syndicalisation, travail au noir, etc.) (Labelle 1987 ; Audet, 1987 ; Gagné, 1989).

Plusieurs études témoignent de la vivacité de l'identité ethnique chez les membres des communautés ethniques du Québec. Ainsi, dans le cas des communautés italienne, juive, libanaise et haïtienne, on a souligné le rôle prépondérant à cet égard de leurs associations communautaires dans la société canadienne et québécoise (voir Abu-Laban, 1980, 1989 ; Anctil, Caldwell, 1984 ; Déjean, 1978 ; Elbaz, 1989 ; Elazar, Waller, 1990 ; Herberg, 1989 ; Labelle, 1984 ; Lasry, 1982 ; Langlais, Rome, 1986 ; Painchaud, Poulin, 1988 ; Massé, 1983 ; Lévy, Ouaknine, 1989 ; Rodal, 1984 ; Weinfeld, 1981,1984, 1993 ; Deschamps, 1990 ; Labelle, Therrien, 1992 ; Labelle, Therrien, Lévy, à paraître). Ces minorités ont développé un important réseau d'associations et de relations sociales et se sont constituées en groupes de pression. Les associations ont un rôle d'intégration à la communauté ethnique ou à la société globale, de préservation de l'ethnicité ou de l'identité culturelle, de représentation politique et de défense de la communauté, et de solidarité avec le pays d'origine (Labelle, Therrien, Lévy, à paraître).

Le mouvement associatif dans ces communautés semble aussi se définir et se mouvoir autour d'une multiple mobilisation identitaire : rune se définit autour d'une identité « nationale » (celle du pays d'origine ou du pays fondateur, et celle du Canada et /ou du Québec), s'inscrivant dans les [61] liens internationaux qui unissent les Québécois d'origine italienne, haïtienne, juive ou libanaise à la patrie d'origine ou à la terre de référence et à son contexte de lutte. L'autre axe de mobilisation se définit autour d'une identité « ethnique » ou minoritaire - en tant que membres de la communauté juive, italienne, haïtienne, libanaise ou arabe dans la société québécoise ou canadienne - qui active les différents enjeux de l'intégration de ses membres et de son rapport à la majorité. Enfin, une dernière dimension d'action s'articule autour du processus de racisation touchant certaines catégories de population, qui affecte les Haïtiens et les Libanais, et fonde les regroupements à identité racisée.

Les leaders participent à la construction du discours et des représentations relatives aux catégories d'ethnicité, de « race » et de nation. Par le fait même, ils sont partie prenante des débats portant sur les politiques et les idéologies de gestion de l'ethnicité que sont la politique fédérale du multiculturalisme, ou la politique d'intégration et d'interculturalisme du gouvernement québécois (Labelle, 1990b, 1992). À titre de représentants ou de porte-parole de communautés ethniques, ces leaders, engagés qu'ils sont dans l'action sociale et politique, contribuent à la définition d'identités particulières et sont porteurs de revendications, lesquelles sont elles-mêmes fonction des rapports de force existant entre des sous‑groupes dont les intérêts matériels, politiques et idéologiques peuvent diverger. Parmi les lieux privilégiés où s'exprime cet engagement figurent des regroupements monoethniques ou pluriethniques fondés soit sur une identité racisée, soit sur le sexe, ou encore des organismes sans but lucratif, ainsi que des institutions du secteur public ou parapublic canadien et québécois. Nos recherches montrent que deux visions de l'intégration traversent leur discours, s'articulant et se complétant, ou se polarisant : l'une met l'accent sur une stratégie d'intégration particulariste, visant surtout le maintien de l'identité nationale et ethnique, et à la défense des intérêts de la communauté, Vautre insiste sur la légitimité d'une stratégie universaliste (voir Wieviorka, 1992), la participation à la société globale, la minimalisation de la différence et la défense d'intérêts communs axés davantage sur les mouvements sociaux que sur les mouvements communautaires.

L'ambiguïté référentielle des politiques étatiques de gestion de la diversité ethnoculturelle renforcent et soutiennent l'ethnicisation des rapports sociaux au Québec. Gay (1985), Laferrière (1983), Assimopoulos et Humblet (1987), Godin (1985) ont tenté d'analyser la question de l'immigration et de l'intégration des minorités ethniques en insistant sur les contradictions qui existent entre les paliers du gouvernement fédéral et du Québec quant aux politiques liées à l'immigration, la langue et la gestion de la diversité ethnoculturelle. Pour Juteau (1986), la question des minorités ethniques, réduites à une place de dominés, se prête mieux à l'analyse [62] lorsqu'on comprend que l'État fédéral et l'État provincial, « instruments des deux groupes ethniques dominants » selon l'auteure, gèrent les rapports sociaux ethniques dans le but de maintenir l'ordre sociopolitique établi et donc la hiérarchisation ethnique en vigueur. Fontaine et Shiose, quant à elles, avancent l'hypothèse que l'État québécois a institutionnalisé la catégorie politique de « communautés culturelles » et créé ainsi une frontière légale et politique entre deux catégories de citoyens propageant « une idéologie différencialiste qui accompagne la fabrication étatique des communautés culturelles (1991, p. 442). Pour Crête et Zylberberg (1991), on observe une dissociation des référents « Canada » et « Québec » par les élites politiques, une polysémie des référents accompagnant la communauté politique et l'extension progressive d'une souveraineté produisant une quasi-citoyenneté québécoise qui recoupe une citoyenneté canadienne formelle. Pour Labelle (1990,1991, 1992), les contradictions entre les politiques d'immigration et les politiques linguistiques de l'État canadien et de l'État québécois sont sources de confusion dans la saisie, par les minorités ethniques, de la question nationale, entraînent l'ambivalence de leur identification à la culture et à la société québécoise, et influent sur leur intégration sociale et politique dans les institutions publiques. Les minorités se voient, au bout du compte, vouées à être définies par un lexique ethnoculturel, et à des orientations contradictoires en ce qui concerne les politiques ethniques, de même qu'à une ethnicisation perpétuelle hors de la québécitude.

Dans le champ de l'éducation, le discours promoteur de la différence et des particularismes ethnoculturels est dominant. Ouellet et Pagé posent la question de la cohésion sociale et de la culture nationale dans un tel contexte idéologique (Ouellet, Pagé, 1991 ; Pagé, 1991 ; Laberge, 1991 ; Simard, 1991 ; Rocher, Rocher, 1991). Ces auteurs défendent l'intégration des immigrants et des minorités ethniques au nom d'une logique plus universaliste que celle qui a prévalu dans le contexte québécois, à la remorque du multiculturalisme canadien.

Ces analyses n'épuisent pas les fonctions de l'ethnicité dans le champ politique québécois. Pour Labelle, Beaudet, Tardif et Lévy (1993), l'apparition dans le champ politique de nouveaux acteurs sociaux, issus des minorités ethniques, intervenant à propos de l'ethnicité et de la racisation des groupes est concomitante de la Révolution tranquille, c'est-à-dire de cette période où les Canadiens français, se définissant de plus en plus comme Québécois, cherchent à se réapproprier l'espace économique, politique et culturel de leur territoire et formulent un projet d'État-nation. L'intervention de l'État fédéral par le biais des politiques de bilinguisme de 1969 et de multiculturalisme de 1971 renforce la constitution de deux blocs sociaux et régionaux antagonistes, l'un canadien, l'autre québécois (avec la loi 101 et les interventions spécifiques du Québec) [4] et crée un espace politique [63] au profit des Communautés ethniques, qui s'alignent majoritairement sur les politiques fédérales.

Pour ces auteurs [5], la question de l'ethnicité au Québec apparaît donc en partie comme la résultante d'une stratégie politique fédérale, laquelle s'efforce de réduire le peuple québécois à sa vision du multiculturalisme et encourage les minorités québécoises à affirmer leurs multiples particularismes. Confortées par l'échec du référendum de 1980, les fractions au pouvoir des groupes ethniques les mieux insérés dans la structure économique du Québec s'aligneront pour la plupart sur les forces dominantes régionales alliées au bloc au pouvoir (canadien) et se mobiliseront en créant des associations et des fédérations dont le discours politique sera conforme à cette perspective. La fonction politique de l'ethnicité au Québec se pose donc dans le contexte des rapports de force démographiques, économiques et politiques canadiens et québécois (Bell, 1975 ; Breton, 1991).

Compte tenu des contradictions de classe internes dans les communautés et de la présence de groupes d'immigration plus sensibles à la question nationale [6], les acteurs des minorités ethniques se répartiront dans les partis politiques ou les mouvements sociaux du Québec. Épousant une politique fédéraliste associée à une logique particulariste ou, au contraire, une position souverainiste liée à une perspective plus universaliste d'intégration à un État-nation en devenir, une minorité s'alignera, avec une lente progression, entre 1980 et 1992, sur le bloc social de tendance nationaliste, démontrant l'existence au sein même des communautés ethniques d'intérêts contradictoires et faisant la preuve de leur hétérogénéité. Les débats autour des accords constitutionnels de Charlottetown montrent, par exemple, l'entrée en action d'une coalition (la Coalition des communautés juive, italienne et grecque) qui se prononce pour un fédéralisme renouvelé et s'aligne, au nom de leurs particularismes ethniques dans le contexte québécois, sur le bloc social dominant au niveau canadien. On assiste par ailleurs à l'émergence d'un « Rassemblement des communautés culturelles pour le non » qui, s'alimentant à même des fractions minoritaires plus progressistes de communautés anciennes ou nouvelles (Québécois d'origine africaine, latino‑américaine, haïtienne, etc.), souligne les réagencements ethniques à l'oeuvre.

Parallèlement à cette émergence de l'ethnicité comme catégorie politique dans le contexte québécois, le mouvement national québécois tente, au contraire, de sortir du nationalisme de survie ethnique qui le caractérisait jusqu'alors, pour tenter d'articuler un nationalisme territorial, universaliste et participatif (tous les habitants du territoire du Québec sont des Québécois et seront des citoyens québécois).

[64]

En conclusion, si l'idéologie du pluralisme culturel et du multiculturalisme dans le cas canadien constitue un symbole politique et éthique axé sur le respect des différences et la non-discrimination, cette idéologie sous‑tend une dynamique de la pluriethnicité et des relations ethniques qui a pour toile de fond les questions nationales - autochtone et québécoise. Dans le cas québécois, les théoriciens de la question nationale ont toujours eu de la difficulté à prendre en compte la dimension politique de l'ethnicité dans leurs analyses, au nom de conceptions obsolètes de l'ethnicité, comme statut attribué à la naissance, donc tribal et biologisant et en vertu d'inhibitions idéologiques et politiques structurées autour de l'éthique du pluralisme et du relativisme culturel. Quant à la littérature sur l'ethnicité, elle a longtemps versé dans le libéralisme et le culturalisme, en vertu d'inhibitions relatives aux notions de rapports de force et d'intérêts de classe ou de blocs sociaux. Dans un contexte où la soi‑disant société d'accueil ne constitue pas un État-nation et n'a pas de pouvoir d'intégration, il est urgent de repérer les logiques discursives et politiques de l'intégration et du pluralisme que portent les acteurs issus des minorités comme de la majorité, dans une perspective politique et non seulement culturelle.


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[1] On retrouvera ici largement le cadre d'analyse qui supporte la recherche Ethnicité et pluralisme. Le discours de leaders d'associations à caractère ethnique de la région de Montréal, recherche subventionnée par l'Université du Québec à Montréal, le Conseil de recherche en sciences humaines, la fondation Thérèse-Casgrain, le Secrétariat d'État, direction du Multiculturalisme et de la Citoyenneté. Nous remercions Francine Tardif pour les commentaires critiques apportés à ce texte.

[2] Dans la suite de ses travaux, Cordon identifiera deux formes de pluralisme. La première est le « pluralisme libéral », où l'accent est placé sur les droits individuels dans des contextes où normes et valeurs culturelles peuvent diverger. Ce pluralisme ne doit pas être affecté par l'identité ethnique ou raciale, et n'implique ni ségrégation ni intégration. Par contre, la deuxième forme, le « corporate pluralism », reconnaît ouvertement que la distribution du pouvoir et des privilèges s'opèrent selon des clivages ethniques et raciaux ; en conséquence, les revendications se font ici autour de droits collectifs et d'une définition collective de l'appartenance (Yinger, 1988, p. 32). On rejoint ici les tenants du pluralisme politique.

[3] On réfère ici aux préférences accordées aux colons ou aux immigrants britanniques et aux pratiques discriminatoires à l'égard des minorités asiatiques et antillaises anglophones ou noires de vieille souche.

[4] Bourque et Duchastel définissent ainsi la notion de bloc social : « Ainsi serons-nous amenés à définir un bloc social comme une alliance-hégémonisation entre des classes et des forces sociales dominantes et des classes dominées qui produit une définition-représentation différentielle de l'espace et de la communauté, soit en produisant la nation dominante et son espace national, soit en produisant la nation dominée et son espace dit régional pour une nation dite minoritaire » (op. cit., p. 133-134). Les auteurs admettent que les rapports entre bloc au pouvoir et blocs sociaux régionaux varient selon la période et la détermination structurelle de classe.

[5] Cette partie du texte reprend intégralement des segments de l'article « La question nationale dans le discours des leaders d'associations à caractère ethnique de la région de Montréal » (Labelle, et al., 1993).

[6] Cette sensibilité pourrait s'expliquer par les modalités de l'apparition ou de la non-apparition de l'État-nation dans leur pays d'origine, par les luttes de libération nationale ou contre des régimes dictatoriaux, ou des fractions de classe et des idéologies politiques des réfugiés qui ont corn posé les migrations au Canada et au Québec.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 27 novembre 2010 19:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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