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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

ne édition électronique réalisée à partir du texte de Maurice Lagueux, “Individualisme, subjectivisme et mécanismes économiques.” Un texte publié dans la revue Dialogue, revue canadienne de philoso-phie, vol. 40, no 4, 2001, pp. 691-722. [Autorisation accordée le 11 décembre 2019 par l’auteur de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Maurice Lagueux

Professeur de philosophie, retraité de l’Université de Montréal

Individualisme, subjectivisme
et mécanismes économiques
.”

Un texte publié dans la revue Dialogue, revue canadienne de philosophie, vol. 40, no 4, 2001, pp. 691-722.

Résumé / Abstract

Introduction

I.  Un individualisme méthodologique anti-constructiviste
II. Un individualisme méthodologique anti-réductionniste
III. Un individualisme méthodologique anti-positiviste

Conclusion
Ouvrages cités


Résumé

Les économistes de l'école autrichienne comptent parmi les partisans les plus cohérents de l'individualisme méthodologique. Aussi étaient-ils, pour la plupart, fortement opposés aux tendances clairement anti-holistes telles que le constructivisme, le réductionnisme et le positivisme. Cet article explique pourquoi le type d'individualisme méthodologique défendu par les Autrichiens ne pouvait, pour des raisons interreliées, être rendu compatible avec aucune de ces tendances philosophiques. La manière dont les Autrichiens ont réussi à concilier leur analyse des mécanismes économiques avec une approche strictement subjectiviste est particulièrement étudiée. La discussion souligne également certaines dimensions ambiguës du débat entre holisme et individualisme.

Abstract

The economists of the Austrian School count among the most consistent supporters of methodological individualism, but they were for the most part strongly opposed to clearly anti-holists trends such as constructivism, reductionism and positivism. This paper discusses why the sort of methodological individualism defended by the Austrians could not, for interconnected reasons, be rendered compatible with any one of these philosophical trends. The manner in which the Austrians managed to reconcile their analysis of economic mechanisms with a strictly subjectivist approach is especially considered. The discussion also underscores some ambiguous dimensions of the debate between holism and individualism.

________________________

Introduction

L'individualisme méthodologique, on le sait, est une attitude intellectuelle dont se sont réclamé des philosophes comme Karl Popper ou J.W.N. Watkins, des sociologues comme Max Weber ou Raymond Boudon ainsi que de nombreux économistes. Plus encore que leur façon de rendre compte des phénomènes et en particulier des phénomènes sociaux, ce qui rassemble tous ces partisans de l'individualisme méthodologique, c'est leur opposition commune à la thèse épistémologique que l'on désigne habituellement du nom de « holisme méthodologique », selon laquelle ce serait plutôt les phénomènes sociaux eux-mêmes qui devraient être invoqués pour rendre compte en dernier ressort des comportements individuels. Or, parmi les économistes, ceux qui se sont le plus systématiquement employés à dégager les implications philosophiques de leur individualisme méthodologique sont sans doute ceux qui se rattachent à ce qu'il est convenu d'appeler « l'école autrichienne ». De Carl Menger, qui est à l'origine de ce courant de pensée, à Ludwig Lachmann ou à Murray Rothbard, en passant par Ludwig von Mises et Friedrich von Hayek, les économistes associés à cette tradition — qui, pour faire bref, seront appelés désormais « les Autrichiens » — ont, malgré leurs divergences sur plusieurs autres points, non seulement adopté dans leurs travaux économiques une méthodologie rigoureusement individualiste mais, de façon plus ou moins explicite, se sont fréquemment portés à la défense d'une telle façon de procéder, laquelle est devenue, en quelque sorte, une composante essentielle de leur credo épistémologique. 

Puisqu'un adepte de l'individualisme méthodologique est normalement amené, quand il s'agit d'expliquer un phénomène social, à « reconstruire les motivations des individus concernés par le phénomène en question » et, pour continuer de le dire dans les mots de Raymond Boudon, à « appréhender ce phénomène comme le résultat de l'agrégation des comportements individuels dictés par ces motivations »  (1986, p. 46), on comprend qu'un individualiste méthodologique ne peut que se méfier fortement de toutes les doctrines qui mettent l'accent sur le primat du social sur l'individuel. Aussi, sans parler de leurs convictions politiques généralement anti-interventionnistes qui les incitaient fortement à s'en prendre aux mêmes adversaires, les Autrichiens ont-ils été amenés — au nom de leurs thèses microéconomiques fondées sur l'analyse du comportement rationnel des individus — à polémiquer constamment, tant contre les keynésiens qui privilégiaient une approche macroéconomique aux dépens de l'analyse microéconomique, que contre les socialistes d'inspiration marxiste qui fondaient leurs explications sur les structures socio-économiques plutôt que sur les comportements individuels.

Quoi qu'il en soit, il ne sera pas question ici d'insister plus avant sur le fait, nullement contesté, que l'individualisme méthodologique occupe une place centrale dans la pensée des Autrichiens. Il ne sera pas davantage question de développer une étude systématique des diverses façons dont l'individualisme méthodologique s'est imposé au sein de l'école autrichienne et encore moins des diverses démarches théoriques auxquelles, depuis un peu plus d'un siècle, cette approche méthodologique a donné lieu. Ce qu'il s'agira par contre d'examiner, d'illustrer et d'expliquer dans le présent article est le fait, étonnant au moins à première vue, que les Autrichiens se soient opposés avec force à trois courants de pensée que, pour des raisons diverses, on aurait pu être tenté de rapprocher de l'individualisme méthodologique et que, conformément à un usage inégalement établi, je désignerai respectivement par les noms de « constructivisme », de « réductionnisme » et de « positivisme ». L'objectif de cet article sera donc de montrer en quoi et pourquoi l'individualisme méthodologique des Autrichiens s'oppose paradoxalement à chacun de ces trois courants de pensée. Par le fait même, cet objectif sera aussi de caractériser de manière plus précise le type d'individualisme dont ces économistes se sont faits les défenseurs. Cette démarche devrait ainsi permettre de préciser la signification et la portée de cette forme d'individualisme tout en mettant en lumière l'ambivalence qui est responsable du fait que des thèses qui auraient pu passer pour les alliées naturelles de l'individualisme méthodologique aient été aussi dédaigneusement repoussées par les Autrichiens. Enfin, par-delà le cas des Autrichiens, la discussion de cette « ambivalence » devrait modestement contribuer à mettre en relief certaines des raisons qui expliquent que les débats portant sur ce qui fait le propre de l'individualisme méthodologique, comme ceux qui ont marqué les années 1950 et 1960,  aient été si peu concluants.

Précisons d'abord que s'il paraît naturel de s'attendre à ce que les trois courants de pensée ci-haut mentionnés fassent bon ménage avec l'individualisme méthodologique, c'est qu'ils sont tous trois profondément opposés au holisme méthodologique qui en est l'antithèse même. Tout comme ceux qui se réclament de l'individualisme méthodologique, les adeptes de chacun de ces trois courants de pensée se sont, en effet, généralement montrés particulièrement hostiles à l'idée qu'il faille se tourner vers des entités organiques complexes pour rendre compte de comportements individuels plus simples. Pour un constructiviste au sens où il en sera question ici, c'est-à-dire pour un partisan de la thèse d'inspiration cartésienne selon laquelle une réalité sociale fonctionnerait d'autant mieux qu'elle résulterait d'une construction planifiée grâce à l'intervention d'un esprit humain, il va évidemment de soi que ce sont bien plutôt les entités complexes qui peuvent être expliquées à l'aide des réalités plus simples à partir desquelles ces entités plus complexes ont pu être construites. Le réductionniste, pour sa part, est par définition celui qui cherche à réduire les phénomènes organiques complexes à des réalités plus simples et plus élémentaires. Enfin, un positiviste trouve habituellement intolérable qu'on se contente de « comprendre » dans sa globalité une totalité présumée organique et indivisible quand, à ses yeux, il s'agit plutôt de l'expliquer à partir de lois applicables à un grand nombre de faits similaires entre eux, lesquels sont normalement d'une plus grande simplicité. Sans doute les adeptes de ces trois courants ne font-ils pas forcément profession d'individualisme méthodologique, et surtout les défenseurs non Autrichiens de cette dernière approche sont-ils loin d'endosser d'emblée les thèses qui sont caractéristiques de chacun de ces trois courants ; mais la parenté d'attitude qui vient d'être évoquée est assez significative pour que d'éminents penseurs aient parfois été amenés à associer sans plus le anti-holisme des uns et celui des autres.

Quoi qu'il en soit, on ne rendrait pas justice aux Autrichiens en caractérisant de façon purement négative leur adhésion à l'individualisme méthodologique. Il serait, en effet, assez singulier de présenter ces économistes comme des partisans de cette thèse épistémologique si c'était pour se contenter de souligner qu'ils repoussent toute forme concurrente d'anti-holisme avec autant de vigueur qu'ils rejettent le holisme méthodologique auquel ils s'opposent par principe. Je devrai donc montrer en quoi les Autrichiens, malgré leur ferme opposition aux trois courants de pensée mentionnés, n'en demeurent pas moins partisans d'une méthodologie résolument individualiste. À cette fin, je chercherai à mettre en relief la place que, avec la plupart des autres penseurs qui se rattachent à l'individualisme méthodologique, ils ont accordée à une forme d'intelligibilité qui repose sur l'analyse de ce qu'il me paraît commode d'appeler des « mécanismes ». Toutefois, comme la pensée autrichienne se caractérise également par un subjectivisme pour le moins méfiant à l'égard de tout ce qui a une connotation mécaniciste, il importera de montrer qu'on a affaire ici à une réinterprétation « subjectiviste » de cette intelligibilité « mécaniciste », réinterprétation qui, en dernier ressort, rendra compte de la tonalité assez particulière de l'individualisme méthodologique des Autrichiens.

I) Un individualisme méthodologique
anti-constructiviste


L'anti-constructivisme constitue certes l'un des traits les plus caractéristiques de la pensée autrichienne. Il s'affirme de la façon la plus nette dans une thèse prônée par Menger et abondamment développée par Hayek. Cette thèse, que ces auteurs ont rendu célèbre mais dont on trouve déjà l'esquisse chez Adam Ferguson (1992, p. 221) et même dans la Fable des Abeilles de Bernard Mandeville, assure que les phénomènes sociaux sont bien le résultat d'actions humaines, mais non pas le résultat d'intentions humaines.  Que des phénomènes sociaux résultent d'actions humaines paraît bien conforme à ce que suggère un individualisme méthodologique conséquent, mais le fait qu'ils ne résultent pas d'intentions humaines semble, à première vue du moins, avoir pour effet de dénouer, entre le phénomène social et l'action humaine, le lien de dépendance que l'individualisme méthodologique entendait pourtant raffermir. Montrer que les phénomènes sociaux ne résultent en rien des intentions des hommes, c'est montrer qu'ils échappent à leur emprise et qu'ils constituent — pour reprendre l'expression désormais consacrée — un ensemble de « conséquences non voulues » qu'il paraît bien difficile, sinon impossible, de dériver des intentions des agents individuels, alors que, s'il faut en croire Watkins, une telle dérivation serait un trait distinctif d'une démarche individualiste.

Or, tout individualiste qu'il ait été, Hayek a voué le plus fort de son énergie à soutenir que les structures sociales échappent totalement aux actions individuelles dont elles sont issues. Il n'a cessé, en effet, de polémiquer contre ceux qu'il qualifiait de « constructivistes », à qui il reprochait de soutenir que de telles structures sociales peuvent, au contraire, être « construites » à partir d'un plan, lequel aurait pourtant eu l'avantage, d'un point de vue individualiste, d'être forcément conçu et exécuté par des individus.  Cette volonté de traquer le constructivisme a même progressivement conduit Hayek à rendre compte des institutions sociales en invoquant une sorte de sélection naturelle qui lui permettait de recourir le moins possible à quelque intervention individuelle que ce soit et ce, au point de mettre carrément en veilleuse ses positions individualistes quand il s'est orienté vers une version de cette théorie selon laquelle des règles seraient sélectionnées parce qu'elles avantagent le groupe plutôt que l'individu (voir à ce sujet Vanberg, 1986, p. 83, 85). Ce serait évidemment une grave erreur de penser pour autant qu'un individualisme méthodologique conséquent doit donner dans le constructivisme, mais il n'en reste pas moins que la thèse que Hayek ne cesse de combattre aurait eu, d'un point de vue individualiste, l'avantage de faire découler directement toute explication des phénomènes sociaux de décisions individuelles nullement dénaturées par des processus non intentionnels. À tout le moins, peut-on penser que dans la mesure où l'individualisme méthodologique exige que les phénomènes sociaux soient « dérivés » d'actions individuelles, une trop grande insistance sur les dimensions non voulues des conséquences de ces actions a pour effet de rendre nettement plus difficile une telle dérivation.

Il paraîtra toutefois bien excessif de voir là une sorte de contradiction puisqu'il est généralement admis que cette insistance sur le caractère non intentionnel du résultat des actions humaines, loin de contredire l'individualisme méthodologique, est bien plutôt une partie intégrante de ce qui le caractérise (voir, par exemple, Dray, 1967, p. 54). Aussi, la plupart des adeptes de l'individualisme méthodologique refuseraient-ils absolument de reconnaître que leur approche puisse être le moindrement embarrassée, bien au contraire, par la présence des conséquences non voulues. Watkins lui-même assure qu'il suffit, pour être un individualiste conséquent, d'imputer ces conséquences non voulues aux réponses que les individus apportent à leur situation (1957, p. 113).  Hayek, malgré sa tendance à minimiser, par zèle anti-constructiviste, le rôle des interventions intentionnelles, n'en a pas moins associé son nom à la thèse voulant que les conséquences non-voulues résultent d'actions individuelles et c'est justement en ceci qu'il peut se proclamer un adepte de l'individualisme méthodologique. Il semble donc qu'on aurait bien tort de rapprocher cette position épistémologique du constructivisme et qu'il faut conclure qu'il n'y a rien de particulièrement choquant à ce qu'un individualiste méthodologique dénonce avec force ceux qui prétendent que le social est construit à partir d'actions individuelles.

S'il reste toutefois quelque chose d'assez gênant à cette situation, c'est que dans la mesure où l'individualisme méthodologique ne requiert rien d'autre, comme le suggère Watkins, que l'imputation à des comportements individuels de ces conséquences non voulues, il devient étonnamment difficile de démarquer clairement les théories qui se réclament de l'individualisme méthodologique tout en considérant le social comme ensemble de conséquences non voulues et les théories, comme celles de Keynes ou de Marx par exemple, qui sont censées être sur ce plan aux antipodes des premières. Le problème n'est donc pas qu'un individualiste méthodologique comme Hayek accentue, dans un esprit anti-constructiviste, l'importance des conséquences non voulues pour rendre compte des phénomènes sociaux puisque ceux-ci sont bel et bien imputés à des comportements individuels. L'aspect problématique de cette situation tient plutôt à ce que la présence des conséquences non voulues — qui, en tant que telle, n'a rien de particulièrement troublant pour un individualiste méthodologique — a pour effet, en quelque sorte, de brouiller les critères qui auraient pu autrement permettre d'opposer clairement cet individualisme méthodologique aux thèses de présumés adversaires, qui, s'ils insistent fortement sur l'autonomie du social, n'en supposent pas moins une imputation assez analogue. Il ne s'agit pas ici, ce qui serait absurde, de nier toute différence entre l'individualisme méthodologique et les positions de Keynes ou de Marx ; il s'agit seulement de souligner que la place centrale reconnue aux conséquences non voulues complique considérablement l'application d'un quelconque critère qui pourrait permettre de départager les théories fondées sur l'individualisme méthodologique et les théories que d'aucuns associent volontiers au holisme, même si, au moins implicitement, ces dernières reconnaissent tout autant, fût-ce en dernier ressort, le bien-fondé d'une imputation des phénomènes sociaux à des actions individuelles.

Examinons d'abord le cas de Keynes, le fondateur de la macroéconomie moderne. Pour Keynes, il importait surtout de se garder d'étendre « au système pris dans son ensemble des conclusions qui avaient été correctement établies en considération d'une seule partie du système prise isolément ». Cette mise en garde n'équivaut peut-être pas à une profession de holisme, mais elle n'en constitue pas moins la déclaration de principe qui est à la base de l'approche macroéconomique qui semble heurter de front l'individualisme méthodologique des Autrichiens. Pour mieux voir la façon dont Keynes met en oeuvre cette « déclaration de principe », examinons l'argument par lequel, dès le deuxième chapitre de La théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, il entend établir que les travailleurs n'ont aucune sorte de contrôle sur leur salaire réel, c'est-à-dire sur le panier de provisions qu'ils sont en mesure de se procurer grâce à leur salaire nominal (1985, pp. 36-39).  Une telle thèse aurait paru absurde à ses prédécesseurs, puisque rien n'empêche un travailleur de se contenter d'un salaire nominal moins élevé avec lequel il ne pourra évidemment pas acheter autant de marchandises qu'avec son salaire antérieur, ce qui signifie que, de cette façon, il « réussit » bel et bien, si l'on ose dire, à réduire son salaire réel.  Ceci suppose, aurait alors fait observer Keynes, que les prix de ces marchandises ne tombent pas eux-mêmes du fait de cette baisse de salaire nominal, sans quoi notre travailleur pourrait bien, avec un salaire nominal moindre, être en mesure d'acheter autant de marchandises qu'auparavant, de telle sorte que son salaire réel n'aurait nullement baissé. Certes, on voit mal en quoi le fait qu'un travailleur accepte ainsi un salaire nominal moins élevé puisse affecter les prix des diverses marchandises ; mais il n'en va plus de même si tous les travailleurs de l'économie acceptent ensemble de réduire leurs salaires nominaux, car alors c'est l'ensemble des coûts de production qui diminuent massivement de telle sorte que, pour peu que l'économie soit suffisamment concurrentielle, une baisse des prix devrait s'ensuivre et brouiller complètement les conclusions que l'on aurait pu tirer autrement sur l'évolution des salaires réels. Keynes en conclut que ce qui est vrai des conséquences d'une décision isolée, comme celles que considère la microéconomie, ne l'est pas des conséquences d'une décision qui, comme celles que considère la macroéconomie, serait prise collectivement par l'ensemble des membres d'une économie.

Or, même s'il illustre parfaitement bien ce qui oppose une approche macroéconomique à une approche microéconomique, cet exemple pourrait assez paradoxalement illustrer tout aussi bien la thèse individualiste de Hayek à propos des conséquences non voulues. Keynes, en effet, reconnaîtrait aisément que si, en période de chômage élevé, par exemple, certains chômeurs acceptaient d'offrir leur travail à un salaire nominal inférieur au salaire prévalant alors sur le marché et que cette façon de faire, en contexte de concurrence, incitait peu à peu d'autres demandeurs d'emploi puis, petit à petit, l'ensemble des travailleurs, dont l'emploi se trouverait menacé, à en faire autant, il en résulterait forcément une baisse générale des salaires nominaux. Il en conclurait cependant que, dans la mesure où ils sont commandés par les coûts, les prix des marchandises s'en trouveraient alors affectés à leur tour, de telle sorte que les salaires réels ne baisseraient pas forcément. Il n'en faut pas plus à Keynes, en effet, pour rejeter la théorie d'inspiration microéconomique selon laquelle une croissance de la demande de travail et donc du niveau d'emploi devrait résulter d'une baisse de salaire.  Or, si l'on s'en tient au critère suggéré par Watkins, il faut reconnaître que les exigences de l'individualisme méthodologique sont tout aussi scrupuleusement respectées dans cette analyse, typique de la macroéconomie keynésienne, que dans celles que Hayek propose pour rendre compte des phénomènes sociaux. Les conséquences manifestement non voulues observées ici peuvent bel et bien, en effet, être « imputées » aux réponses que les travailleurs croient devoir apporter à leur situation. Il est vrai qu'il ne faudrait pas en conclure pour autant que l'on puisse systématiquement réduire la macroéconomie à la microéconomie, car les corrélations macroéconomiques entre chômage, inflation et produit national brut ne peuvent, de ce seul fait, être dérivées d'observations microéconomiques. Néanmoins, il faut bien admettre que la distance épistémologique entre les théories de Keynes et celles de Hayek ne doit pas être exagérée et qu'il n'est pas si facile qu'on pourrait le penser au premier abord de trouver des exemples de holisme dans les théories macroéconomiques.

Arrêtons-nous quand même au cas d'un penseur que l'on est tenté d'opposer encore plus radicalement à l'individualisme méthodologique de Hayek, puisqu'il s'agit de Marx qui serait, selon Popper, « le dernier des grands constructeurs de systèmes holistes ». Sans doute n'aurait-on pas de mal à relever chez Marx des passages suggérant que des comportements individuels s'expliquent par des conditions proprement sociales. Toutefois, quand on se demande comment Marx cherche à rendre compte de ces conditions elles-mêmes, on est généralement ramené à une explication qu'il n'est pas facile de distinguer clairement de celles qui s'inspirent de l'individualisme méthodologique.

Il semble raisonnable, par exemple, de chercher la manifestation d'un éventuel holisme de Marx dans la façon dont, pour lui, les comportements des membres d'une classe sont interprétés comme des comportements « de classe » plutôt que comme des comportements individuels explicables par la psychologie des individus. L'une des meilleures illustrations de cette façon de voir nous est fournie par l'analyse — présentée principalement dans la quatrième section du premier livre du Capital — de la propension des capitalistes à accumuler leur capital. Marx nous y assure que si les membres de la classe capitaliste sont mus par une insatiable volonté d'accumuler, ce n'est pas en vertu d'un trait singulier de leur psychologie individuelle, mais bien parce qu'ils sont membres de cette classe.  Mais qu'est-ce à dire ? Rien d'autre que ceci : quels que soient leurs traits psychologiques particuliers, ceux qui s'engagent dans le monde de la production capitaliste se lancent dans une aventure où ils ne survivront que s'ils apprennent à réinvestir tous leurs profits dans la production ou, dit en termes marxiens, s'ils apprennent à « accumuler leur capital ». S'ils s'avisaient de ne pas se plier à ce que Marx aime appeler une « loi du capitalisme », ils apprendraient à leurs dépens, c'est-à-dire par la faillite qui les attendrait à peu près inéluctablement, que la survie n'appartient qu'à ceux qui savent « accroître leur plus-value relative » de manière à être en mesure de couper leur prix pour arracher ainsi à leurs concurrents une part de plus en plus importante d'un marché forcément limité. En vertu d'un mécanisme apparenté — mais à certains égards seulement — à la sélection naturelle, dont Marx avait compris le principe, seuls survivraient comme capitalistes ceux qui, psychologiquement, sont aptes à se comporter, plus ou moins spontanément, de la façon dont les membres de la classe capitaliste doivent se comporter pour pouvoir survivre économiquement.

Mais une telle façon d'argumenter n'est-elle pas, sur le plan épistémologique, tout à fait conforme à celle dont Hayek s'est fait l'avocat ? On y observe à la fois un bel exemple de « résultats non voulus » et un bel exemple d'« imputation » aux réponses que les aspirants capitalistes apportent à leur situation. On peut même dire que si cette imputation se fait chez Marx par le biais d'un processus qui s'apparente à la sélection naturelle, comme c'est aussi le cas chez Hayek (voir à ce sujet Lagueux, 1989), ce processus repose beaucoup plus nettement que celui qui est invoqué par Hayek sur le comportement consciemment calculateur des individus qui s'y trouvent engagés. Les phénomènes sociaux analysés par Marx peuvent, en dernier ressort, être imputés aux actions de capitalistes individuels, non pas parce que ces derniers ont délibérément agi de manière à les produire, mais parce que ceux qui ont agi autrement ne peuvent plus de ce fait — et c'est là qu'interviendrait une certaine sélection — être comptés parmi ceux qui posent les actes auxquels ces phénomènes sociaux doivent être finalement imputés. Qu'on ait bien affaire à des résultats non voulus ne peut être mieux illustré que par le fameux passage du Manifeste Communiste qui nous montre une bourgeoisie qui, en croyant travailler à son propre enrichissement, produirait rien moins que « ses propres fossoyeurs » (Marx, 1963, p.173). Or le mécanisme qui explique un tel résultat — dont le moins qu'on puisse penser est qu'il n'était pas « voulu » par les membres de cette classe — n'interdit aucunement d'imputer le phénomène en question à des actes individuels guidés par un calcul. En effet, les divers membres de la classe bourgeoise développent l'un son industrie, l'autre son commerce, de manière à ce que chacun accroisse sa richesse individuelle. Or, selon Marx, les actions conjuguées de tous ces bourgeois ont pour effet de favoriser, à leur insu et bien malgré eux, la formation et l'unification d'une autre classe, le prolétariat, composée d'individus qui ont intérêt à abattre cette bourgeoisie dominatrice et qui trouvent dans l'unification ainsi produite le pouvoir de le faire. On a bien affaire ici à un résultat non voulu, mais on voit mal pourquoi cette analyse de Marx relèverait davantage du holisme que, par exemple, cette autre analyse, mise de l'avant par Adam Smith et par Friedrich Hayek, selon laquelle un marché efficace résulte des décisions prises par une multitude de capitalistes mus par leurs seuls intérêts. Peut-être s'étonnera-t-on moins de voir les arguments de Marx ainsi rapprochés, sur le plan épistémologique, de ceux de Hayek quand on aura considéré le passage suivant, qu'on aurait fort bien pu trouver chez Hayek, mais qui est tiré d'un ouvrage de Engels dont on sait combien la pensée, sur ces questions, est inséparable de celle de Marx : « Les buts des actions sont voulus, mais les résultats qui découlent réellement de ces actions ne le sont pas, ou s'ils semblent, au début, correspondre malgré tout au but poursuivi, ils ont finalement des conséquences tout autres que celles qui ont été voulues » (1979, p. 95).

Ceci ne veut évidemment pas dire que les vues épistémologiques de Keynes ou celles de Marx puissent être qualifiées d'individualistes, au même titre que celles de Hayek, tant demeurent importantes sur ce plan les différences entre les idées de ce dernier et celle de ces penseurs. Qu'ils soient à tort ou à raison qualifiés de « holistes », des auteurs comme Keynes et Marx n'hésitent pas à invoquer ce que Maurice Mandelbaum appelle des « societal laws » (Mandelbaum, 1957), lesquelles mettent directement en relation entre elles des variables sociales — comme un taux d'inflation et un taux de chômage, un taux de croissance et un niveau moyen des salaires, ou encore comme la façon dont sont structurées les classes sociales et les rapports de force entre entités politiques —, alors que des penseurs scrupuleusement « individualistes » refuseraient normalement d'accorder à de telles corrélations le statut de lois explicatives, même dans le meilleur des quatre cas distingués par Mandelbaum où l'on a affaire à des lois fonctionnelles et spécifiques. Aussi ne s'agit-il pas ici de nier toute différence entre individualisme et holisme méthodologiques, mais seulement de faire ressortir la similarité des explications associées respectivement à ces deux approches quant à la façon dont elles parviennent à rendre intelligible un phénomène social. Ce que montrent les cas de Keynes et de Marx considérés ici, c'est que si la différence entre les explications apportées par ces auteurs et celles qui satisfont les réquisits de l'individualisme méthodologique devait tenir uniquement à leur propension respective à imputer les conséquences sociales à des actions individuelles, cette différence paraîtrait bien mince, surtout si l'on s'emploie, comme on l'a fait ici, à mettre en relief les éléments, souvent plus ou moins implicites, qui contribuent à rendre ces explications vraiment éclairantes.

Aussi peut-on comprendre en ce contexte que ce que Hayek reproche à Marx, dont la pensée est pourtant considérée par plusieurs comme l'un des paradigmes du holisme, est beaucoup moins son holisme que ce qu'il appelle son « constructivisme ». Bref, ce n'est pas quand il entend rendre compte de comportements individuels à partir de structures sociales que Marx tombe sous le coup des critiques de Hayek. Même s'il n'a pas été amené à thématiser de ce point de vue son option épistémologique, Marx était beaucoup trop profondément anti-idéaliste pour ne pas reconnaître que ces structures sociales s'expliquent à leur tour par un amalgame de décisions individuelles et de contingences matérielles donnant lieu à des conséquences non voulues, comme le montrent bien les quelques exemples évoqués plus haut. Là où Marx devient pour Hayek une cible de choix, c'est quand, à l'inverse, il s'estime en droit de conclure qu'une société fonctionnerait d'autant mieux qu'elle dériverait directement de décisions individuelles planifiées par des esprits révolutionnaires éclairés. Si l'on préfère, c'est quand il soutient, quel que soit le sens qu'il faille accorder à de tels propos, qu'une société socialiste peut être érigée à partir des idéaux révolutionnaires des porte-parole du prolétariat ou que la construction d'une société sans classes est possible, pour peu qu'elle soit instaurée et mise en place par des travailleurs qui peuvent agir à l'unisson du fait qu'ils « n'ont rien d'autre à perdre que leurs chaînes ».

Ainsi, en insistant sur l'importance décisive des conséquences non voulues pour mieux dégager la spécificité du social, Hayek parvient à faire échec aux théories « constructivistes » de la société, mais malgré le caractère « individualiste » de sa méthode, il s'exprime alors en des termes qui, sans correspondre certes à leurs conceptions épistémologiques explicites, caractériseraient fort bien nombre d'analyses socio-économiques de penseurs dont l'approche est présumée se situer aux antipodes de l'individualisme méthodologique. Bref, si l'on fait de la seule « imputation aux réponses individuelles » le critère permettant de reconnaître une démarche proprement individualiste, on parvient mal à distinguer Hayek de ses adversaires prétendument holistes puisqu'il est bien entendu que, dans les deux cas, une telle imputation peut avoir lieu même si les conséquences sociales qu'il s'agit d'imputer à des interventions d'individus demeurent parfaitement étrangères à l'action consciente de ces derniers. Si ces présumés « holistes » peuvent, comme Marx, être qualifiés de « constructivistes », ils seraient même en meilleure position que Hayek — justement parce qu'ils soutiennent que les institutions sociales les plus satisfaisantes sont le fruit d'une construction ou d'une planification réussie — pour se faire les champions d'un individualisme radical. Un tel individualisme pourrait, en effet, tabler sur le fait que les institutions sociales peuvent être imputées à des actions individuelles de façon d'autant plus décisive qu'elles seraient alors fondées de façon transparente sur une convergence par hypothèse voulue et planifiée de ces actions individuelles.

On sait cependant que Hayek ne s'est pas fait le défenseur de toute forme d'individualisme et qu'il n'aurait guère été impressionné par ce que je viens de présenter comme un « individualisme radical ». Dès 1945, dans une conférence qu'il intitulait « Individualism : True and False », il distinguait un « faux » individualisme d'inspiration cartésienne de l'individualisme qu'il faisait sien en le qualifiant de « vrai » (1948, ch. I). Le paradigme de ce « faux individualisme », il le trouvait chez Rousseau, dont le Contrat social faisait craindre à un « vrai » individualiste comme Burke que la société soit dissoute « into the dust and powder of individuality » (cité par Hayek, 1948, p. 5). Bien que Hayek ne soit pas avare de précisions à propos de ce qui caractérise, selon lui, ce vrai individualisme, il faut toutefois reconnaître que les précisions qu'il apporte concernent beaucoup plus un individualisme politique qu'un individualisme proprement méthodologique. Cependant, même si ces deux formes d'individualisme n'ont pas forcément partie liée, il n'en reste pas moins que la transposition est facile à faire et qu'on peut aisément supposer que, là où il est question d'individualisme méthodologique, Hayek distinguerait également un « vrai » individualisme méthodologique, qui ferait place aux conséquences non voulues, d'un « faux » individualisme d'inspiration vaguement cartésienne, qui entend ramener toute institution sociale à une construction érigée à partir de ce que, en traduisant Burke assez librement, on pourrait appeler une « poussière d'individualités ». Somme toute, si Hayek peut incontestablement être considéré comme un ardent défenseur de l'individualisme méthodologique, il faut reconnaître que, chez lui, cet individualisme demeure subordonné, en quelque sorte, à une conscience très vive de la spécificité du social qui le rend particulièrement méfiant à l'égard de tout individualisme qui s'apparenterait le moindrement à un « constructivisme » de type cartésien.

C'est cette « conscience très vive » qui amène Hayek à faire une place centrale aux conséquences non voulues et à dénoncer impitoyablement toute conception qui présenterait les phénomènes sociaux comme s'ils pouvaient être construits librement à partir de décisions individuelles. À ses yeux, il n'y a de réalité sociale que « dans la mesure où l'action consciente de nombreux individus produit des résultats inattendus, où des régularités sont observées qui ne sont pas le résultat d'un dessein personnel » (1953, pp. 36-37). Tout se passe comme si, pour Hayek, l'imputation du social à l'individuel n'avait d'intérêt que dans la mesure où elle permet de révéler ce qui fait que le social est justement une réalité sociale et non pas individuelle. En d'autres termes, tout se passe comme si cette imputation permettait avant tout de démonter le mécanisme incontrôlé qui est responsable de la constitution du social. Pour Hayek, le rôle de la notion de conséquences non voulues est justement de rendre compte de cette sorte de mécanisme et d'expliquer, par le fait même, comment le résultat d'un ensemble d'actions humaines s'est trouvé doté d'un certain degré d'autonomie qui en a fait justement un phénomène social. Imputer le social à l'individuel, ce n'est donc pas établir qu'il trouve son principe explicatif dans un ensemble de décisions individuelles dont on pourrait, en quelque sorte, le dériver ; c'est montrer qu'il résulte d'actions humaines certes, mais en vertu d'un processus ou d'un mécanisme dont nul ne peut suivre le déroulement et qui a pour effet d'arracher littéralement à leurs auteurs tout contrôle sur les conséquences de ces actions.

Mais pourquoi ce genre d'imputation serait-il propre à l'individualisme méthodologique ? On pourrait penser que c'est parce que ceux qui se réclament de l'individualisme méthodologique prennent davantage au sérieux cette imputation du social à l'individuel. On pourrait penser que, par principe, les défenseurs de l'individualisme méthodologique entendent réduire littéralement le social à l'individuel. Mais cela nous conduit tout droit à une seconde caractéristique de l'individualisme méthodologique des Autrichiens qui, cette fois, nous oblige à remettre assez inopinément en question le lien qu'il paraît pourtant si naturel d'établir entre cette thèse épistémologique et la notion de « réduction ».

II) Un individualisme méthodologique
anti-réductionniste


Cette seconde singularité de l'individualisme méthodologique des Autrichiens a été clairement mise en évidence par Robert Nozick dans un article intitulé « On Austrian Methodology » (1977, pp. 353-392) où ce philosophe dénonçait le peu de cohérence des Autrichiens en matière de réductionnisme. Nozick observait, en effet, que les Autrichiens, qui sont si prompts à imputer, au nom de leur individualisme méthodologique, tous les phénomènes sociaux à des actions individuelles, refusent absolument de pousser un cran plus loin ce processus d'imputation en « imputant » à leur tour ces actions individuelles à des phénomènes neurophysiologiques. C'est pourtant là, à première vue du moins, ce qu'exigerait la logique de ce qu'on pourrait appeler un « imputationnisme » conséquent. Mais rappelons d'abord les termes mêmes de Nozick qui, en fait, parle carrément de réduction plutôt que d'imputation :

Methodological individualists are reductionists to the extent of their claim that true theories of social science are reducible to theories of social human action, but typically Austrians oppose  other reductionist claims, e.g. that theories of human action are reducible to neurophysiology, chemistry, and physics, or that social science is reducible to these in a way which bypasses human action. (1977, pp. 353-354).

Nozick n'est d'ailleurs pas le seul à associer ainsi réductionnisme et individualisme méthodologique. Jon Elster, par exemple, assurait que « l'individualisme méthodologique est une forme de réductionnisme » (1986, p. 61) et, plus récemment, Geoffrey Hodgson soutenait que « by far the most common form of reductionism in social science is methodological individualism... » (1998, p. 161). Bref, aux yeux de plusieurs, il serait assez normal qu'un individualiste méthodologique soit spontanément enclin à pratiquer la réduction du complexe au simple partout où elle paraît possible ; or, les Autrichiens refusent manifestement de généraliser une telle façon de faire.

Devant une telle attitude, il semble s'imposer que si l'individualisme méthodologique doit encore être considéré comme un trait caractéristique de la pensée autrichienne, ce ne saurait être qu'à condition de ne plus le caractériser par une logique de la réduction, que les Autrichiens n'acceptent que trop parcimonieusement et très partiellement. Peut-être d'ailleurs, ne faudrait-il pas le caractériser davantage par une logique de l'imputation qu'il est trop difficile de distinguer clairement de la réduction pour qu'elle puisse permettre de bien cerner leur façon de voir. Pour caractériser cet individualisme méthodologique à l'autrichienne, en se gardant bien de le confondre avec un réductionnisme qui serait pourtant, s'il faut en croire Nozick, la conséquence logique d'une véritable volonté d'imputation, il suffira de se pencher à nouveau sur l'opposition que soulignait Hayek entre « vrai » et « faux » individualisme. On se rappelle que le faux individualisme politique que dénonçait Hayek était caractérisé par une démarche « constructiviste » qui trouverait ses sources dans la pensée cartésienne (1948, ch. I, partie II). Comment alors ne pas supposer qu'un faux individualisme méthodologique se soit encore plus naturellement inspiré de Descartes, en se fondant sur les Règles pour la direction de l'esprit de ce philosophe dont la Règle VI exige que l'on examine d'abord « les choses les plus simples », étant bien entendu que ce qui est « simple » s'oppose à ce qui est « composé » (1953, p. 53) ?    N'est-ce pas un idéal méthodologique de ce type qui sous-tend le réductionnisme radical associé à une variante de l'individualisme méthodologique qu'à proprement parler il vaudrait mieux appeler « atomisme méthodologique » ? C'est, en tout cas, un tel idéal méthodologique qui sous-tend la conviction que l'intelligence des phénomènes complexes ne peut résulter que de leur décomposition en éléments présumés plus intelligibles, parce que plus simples  ? D'où l'importance, dans une telle perspective, de réduire le social au psychologique qui est plus simple et donc plus intelligible, le psychologique au neurophysiologique, ce dernier au chimique et ainsi de suite. Or, comme l'observe Nozick, un tel mode de pensée est manifestement répudié par les Autrichiens.

Si ce réductionnisme « cartésien » n'est qu'un « faux » individualisme méthodologique, on comprend que les Autrichiens refusent de se faire les défenseurs de la réduction du psychologique au neurophysiologique comme le voulait Nozick. Reste cependant à caractériser autrement qu'en recourant à la notion de réduction l'individualisme méthodologique auquel l'école autrichienne est quand même censée se rattacher. Pour le faire, il n'est qu'à se tourner vers les sources propres de la pensée autrichienne par opposition aux sources cartésiennes d'un individualisme réductionniste et atomiste. Ce qui faisait l'originalité de la pensée de Menger et des économistes autrichiens qui furent ses disciples, c'était beaucoup plus le subjectivisme que l'individualisme méthodologique qu'ils partageaient, à vrai dire, avec les autres artisans de la révolution marginaliste en économie ainsi qu'avec la plupart des penseurs de tradition plus ou moins positiviste ou scientiste. Le subjectivisme est fondé sur la primauté épistémologique du sujet conçu comme l'auteur des actions humaines. Aussi, alors que Stanley Jevons et Léon Walras, les deux autres artisans de la révolution marginaliste, recourent avant tout à la notion d'utilité, Menger, dans ses Grundsätze der Volkswirtschaftslehre, se réfère plutôt à la satisfaction (Befriedigung) subjectivement éprouvée par les agents économiques et reproche à ces deux économistes de recourir au concept d'utilité (Nützlichkeit) et de faire de ce concept la base d'une théorie de la valeur, alors qu'il ne saurait désigner que la capacité objective qu'a une chose de satisfaire un besoin (1968, p. 84). Menger définit, en effet, la valeur (économique) de façon purement subjective comme « la signification que des biens ou des quantités de biens acquièrent pour nous du fait que nous sommes conscients de notre dépendance à leur égard puisqu'il faut en disposer pour satisfaire nos besoins ». Qui plus est, il insiste sur le fait que cette valeur est non seulement subjective dans « son essence » même mais que sa mesure aussi est subjective. Comme le suggère le titre Subjectivism, Intelligibility and Economic Understanding donné à l'ouvrage collectif qui a été publié à l'occasion du 80e anniversaire de naissance de Ludwig M. Lachmann, l'un des plus éminents représentants de la tradition autrichienne moderne (Kirzner, 1986), ce subjectivisme autrichien est même perçu comme une source d'intelligibilité et de compréhension des phénomènes économiques.

Alors que pour le réductionnisme d'inspiration cartésienne, que l'on est souvent tenté d'associer à l'individualisme méthodologique, la source de l'intelligibilité réside avant tout dans la réduction des phénomènes complexes à un ensemble d'éléments simples assorti d'une règle de recomposition, pour le subjectivisme autrichien, qui a toujours été associé à un individualisme méthodologique, la source de l'intelligibilité réside avant tout dans le caractère immédiatement compréhensible des actions humaines. On voit maintenant pourquoi les Autrichiens ne pouvaient être intéressés par la réduction du psychologique au neurophysiologique. Contrairement à ce qu'estiment les réductionnistes cartésiens, cette réduction ne contribue pas vraiment, à leurs yeux, à accroître l'intelligibilité des phénomènes dont il s'agit de rendre compte, puisque l'action humaine est intelligible en tant qu'action et non à partir de ses sources ou de ses composantes neurophysiologiques. Pour eux, on gagne en intelligibilité quand les phénomènes sociaux sont imputés à des actions humaines, mais on ne gagnerait rien de ce point de vue à ce que des actions humaines soient « réduites » à leur tour à des données neurophysiologiques.

On comprend mieux, dans ce contexte, pourquoi Walter Block, un défenseur acharné de la tradition autrichienne, a critiqué de manière si sévère l'intervention de Nozick, pourtant assez nuancée à bien des égards. Ce dernier, selon Block, aurait commis l'erreur inexcusable de réduire l'individualisme méthodologique des Autrichiens, qui est une théorie de l'action individuelle, à ce qu'il appelait un peu malicieusement « théorie de Robinson Crusoe » et définissait comme une théorie portant sur l'interaction de Crusoe « with the inanimate and nonhuman animate environment » (Nozick, 1977, p. 354 ; passage cité par Block, 1980, p. 399). Block formule à ce propos une objection qui va commander tout le reste de sa discussion du texte de Nozick : « the Austrian theory of individual human action most definitely includes Crusoe's interactions with other human beings also » (Block, 1980, p. 399). Le reproche essentiel de Block à Nozick, c'est d'avoir laissé penser que les Autrichiens se seraient donné pour programme de réduire le comportement adopté en société au comportement adopté par Crusoe face à Vendredi, et ce dernier comportement au comportement adopté par Crusoe à l'égard des seuls animaux, et ainsi de suite. Dans les termes plus prosaïques de la présente analyse, Nozick aurait commis l'erreur de traiter les Autrichiens comme des individualistes réductionnistes d'inspiration cartésienne, qui s'efforceraient avant tout de réduire les phénomènes sociaux à des phénomènes psychologiques et qui devraient, logiquement, s'efforcer également de réduire ceux-ci à des phénomènes neurophysiologiques. Mais là n'est pas le souci des Autrichiens, de répliquer Block, puisque, à leurs yeux, l'action humaine est, au départ, conçue par eux comme une action qui a un sens dans un univers social.  S'il en est ainsi, toute explication d'un phénomène social, même si elle suppose une imputation à des actions humaines, n'aurait d'intérêt, aux yeux d'un Autrichien, que parce qu'elle renvoie, de cette façon, à des actions humaines (forcément exercées en contexte social) et nullement parce qu'elle renvoie à quelque chose de plus élémentaire ou de plus simple au sens cartésien.

Ces considérations dissipent ainsi ce qui a pu paraître singulier et incohérent dans l'attitude des Autrichiens à l'égard de la réduction et, du coup, elles rendent compte également de la situation qui avait suscité notre première source d'inquiétude à propos de l'anti-constructivisme viscéral de ces individualistes. Elles permettent, en effet, de comprendre pourquoi les Autrichiens n'avaient nullement, en tant qu'adeptes d'un individualisme méthodologique « vrai », à être plus activement imputationnistes que ne l'étaient, par exemple, Keynes ou Marx. Au surplus, elles nous offrent l'occasion de mesurer la distance qui, sur le plan épistémologique, les séparaient néanmoins de ces derniers penseurs, même s'ils partageaient avec eux une volonté certaine d'imputer les phénomènes sociaux à des actions individuelles. Chez Keynes et chez Marx, il y avait bien imputation au moins implicite en ce sens que ces auteurs n'étaient manifestement pas prêts à invoquer une sorte d'âme collective pour rendre compte des phénomènes sociaux et que, pour eux, il allait de soi que les actions concrètes menées au sein des sociétés sont, en dernier ressort, le fait d'individus. La différence entre les économistes autrichiens et un macroéconomiste comme Keynes ou un économiste socialiste comme Marx ne tenait donc pas à ce que, pour rendre compte des phénomènes sociaux, les Autrichiens, plus « individualistes », seraient davantage amenés à les expliquer à partir d'actions individuelles. Il ne pouvait en être ainsi car, en un sens, toute volonté de rendre intelligibles des phénomènes sociaux implique cette sorte d'imputation, puisque seuls y échapperaient totalement ceux qui voient d'emblée le social comme une sorte de réalité indécomposable qui pourrait elle-même rendre compte d'autre chose mais dont, pour de mystérieuses raisons, on ne saurait rendre compte. Or, nonobstant quelques formulations de leur part plus percutantes que décisives, cette dernière façon de voir ne peut manifestement pas être attribuée à Keynes ou à Marx et il est même assez douteux qu'elle puisse l'être à des penseurs qui ne font pas profession d'une forme quelque peu mystique d'organicisme.

Ce qui fait la différence entre les Autrichiens et des penseurs comme Keynes ou Marx, c'est que, chez les premiers, la subjectivité des agents, dont les actions sont immédiatement comprises comme ayant une signification, c'est-à-dire comme visant rationnellement à satisfaire une fin, est perçue comme la seule véritable source d'intelligibilité à partir de laquelle tout le reste de la vie sociale doit être expliqué. Pour les seconds, par contre — encore que, là-dessus, le cas de Keynes, dont la position épistémologique n'est guère explicitée, demanderait peut-être plus de nuances —, il n'est pas question de concéder une valeur explicative à la signification de l'action humaine mais seulement de se mettre à l'abri de toute accusation d'idéalisme, en rappelant que le social doit forcément prendre appui, en définitive, sur la base plus concrète (plus matérielle, dirait sans doute Marx) que constituent les comportements humains. La signification que prend l'action de ces agents ne les intéresse donc pas au même titre et n'est pas, pour eux, la source même de l'explication. Pour les Autrichiens, au contraire, tout est là. Si Hayek, par exemple, parle tant des conséquences non voulues, c'est que, pour lui — malgré ce que suggèrent assez trompeusement les accents darwiniens de ses derniers écrits — il est tellement évident que tous les phénomènes sociaux ne se comprennent qu'à partir d'actions humaines signifiantes, que le plus fort de ses analyses sociales va viser à montrer comment des institutions sociales, dont manifestement il ne peut être question de nier l'autonomie relative et l'origine non-intentionnelle, ne sont telles que parce qu'elles résultent d'actions signifiantes dont, toutefois, les conséquences non voulues échappent à leurs auteurs.

III) Un individualisme méthodologique
anti-positiviste


Dire que les Autrichiens, assez typiquement, mettent d'abord l'accent sur la signification  que ces actions ont pour les agents, c'est aussi dire que, en matière d'analyse économique, ils récusent toute approche qui se contenterait de substituer à l'action humaine le calcul impersonnel d'un homo oeconomicus. Même s'il partage avec Jevons et Walras le mérite d'avoir lancé la pensée économique sur la voie qui devait être celle de la microéconomie moderne, Menger, contrairement aux deux premiers, n'a jamais proposé de modèle visant à permettre la détermination d'un équilibre basé sur le postulat voulant que les décisions et les actions des agents économiques soient elles-mêmes déterminées par un calcul maximisateur. Pour lui comme pour la plupart des Autrichiens, l'analyse de ces actions ne doit en rien dissimuler sous une représentation mécaniciste le fait que toutes les actions humaines sont fréquemment sujettes à erreur, qu'elles sont menées dans une relative ignorance et dans une profonde incertitude à l'égard du futur, qu'elles reposent sur des anticipations établies de façon souvent assez aléatoire et que, par conséquent, elles ne sauraient autoriser des prédictions bien précises. C'est ce dont Ludwig Lachmann a voulu rendre compte de façon particulièrement radicale en cherchant à fonder son analyse microéconomique sur les plans de chacun des individus ; or de tels plans peuvent occasionnellement converger et permettre ainsi le bon fonctionnement d'une économie, mais, comme le rappelle Lachmann, ils peuvent aussi diverger et se révéler incompatibles entre eux en entraînant ainsi des goulots d'étranglement ou, de façon plus générale, une situation de déséquilibre (1969, pp. 89-103).

Pour Lachmann, rien ne peut garantir que le marché libre va déboucher sur une situation d'équilibre, ni même qu'un ordre spontané de type hayékien va finir par s'imposer, mais ceci n'enlève rien au fait que pour un économiste individualiste d'inspiration subjectiviste, l'essentiel est toujours de rendre la réalité sociale intelligible selon un mode qui est inaccessible aux sciences naturelles puisqu'il consiste à les expliquer « dans les termes mêmes des plans qui guident l'action humaine » (Lachmann, 1969, p. 92, traduction libre). En faisant d'une intelligibilité qui se fonde sur l'imputation des phénomènes sociaux aux plans subjectifs des individus la visée caractéristique de ce qu'il appelle « l'individualisme méthodologique » et en insistant sur le fait que ces plans subjectifs échappent à l'emprise de leurs auteurs au point de risquer — par suite de divergences croissantes — de déboucher sur un déséquilibre radical, Lachmann illustre bien l'interprétation proposée ici du sens assez particulier que les Autrichiens ont eu tendance à donner à l'individualisme méthodologique.

Il est intéressant de noter que Lachmann présente ce processus par lequel les événements sont rendus intelligibles à partir des plans conçus par les individus comme un processus cognitif auquel ne pourraient recourir ceux qui pratiquent les sciences naturelles. Ceux-ci, en effet, ne sauraient évidemment expliquer et rendre intelligibles les phénomènes naturels en montrant qu'ils dérivent bel et bien, en dernier ressort, des plans ou des intentions de qui que ce soit ; ils ne sauraient expliquer ces phénomènes qu'en invoquant leur régularité et leur conformité à des lois bien établies.  C'est dire que l'analyse de Lachmann, comme celle d'autres théoriciens de l'école autrichienne, privilégie une approche qui s'apparente à celle qu'avaient esquissée les théoriciens de la méthode dite du Verstehen — dont Lachmann entend même dégager la « véritable signification » (« real meaning », Lachmann 1969, p. 94) —, méthode qui oppose aux explications nomologiques propres aux sciences naturelles une compréhension jugée plus appropriée aux sciences sociales.

Or, tous ces traits (subjectivisme, impossibilité de prédire, accent mis sur l'intelligibilité et le Verstehen plutôt que sur le type d'explication qui prévaut en sciences naturelles) font de l'individualisme méthodologique dont il est alors question une démarche qui tend à se situer aux antipodes du positivisme. Sans doute, les économistes autrichiens n'ont-ils pas tous insisté autant que Lachmann sur ces dimensions, mais il était important de considérer les idées de cet économiste car elles accentuent les tendances inhérentes au mode de pensée qui découle du subjectivisme de Carl Menger, l'inspirateur de toute la pensée autrichienne. On retrouve, en fait, le vieux débat, familier aux philosophes, entre Erklären et Verstehen, entre un mode d'explication qui convient aux sciences naturelles et un type de compréhension qui est mieux adapté aux sciences humaines, et c'est à la lumière de ce débat que prendra forme un troisième caractère assez insolite de l'individualisme méthodologique des Autrichiens. Opposer au type d'explication qui a fait ses preuves en sciences naturelles un mode de compréhension plus spécifique aux sciences sociales n'est-ce pas, en effet, risquer de verser dans quelque forme de holisme ? Dans un esprit holiste, en effet, il est assez tentant d'opposer aux explications réductrices des sciences naturelles une approche compréhensive capable d'appréhender dans leur globalité les aspects souvent indissociables des phénomènes sociaux ou psychiques. Dans un article récent, Harold Kincaid soulignait que l'individualisme méthodologique — qu'il associait d'ailleurs à un réductionnisme — a su s'inspirer de la conception « positiviste » selon laquelle les diverses sciences forment une hiérarchie unifiée (Kincaid, 1998). On sait par ailleurs avec quelle vigueur divers défenseurs de l'individualisme méthodologique — au premier rang desquels il faut placer Karl Popper — ont, à tout le moins, ébranlé les prétentions associées au Verstehen, à force de prôner le recours à des explications scientifiques fondées sur une analyse précise des cas considérés, sur le recours à des lois applicables à ces cas et sur des prédictions (issues de déductions) qui permettent de tester la validité des explications ainsi fournies. (Voir, par exemple, la quatrième partie de Popper, 1956). Cette dernière attitude qui, faute de mieux, est qualifiée ici de « positiviste » semble étroitement associée à une réaction de défense typiquement « individualiste » contre toute tentative de prendre directement appui sur des macro-entités prétendument inanalysables. Bref, en s'engageant plus ou moins discrètement sur la voie qu'avaient ouverte au XIXe siècle les théoriciens du Verstehen, certains des ténors de l'école autrichienne risquaient une fois de plus de voir leur individualisme méthodologique associé à une thèse contre laquelle bon nombre des adeptes de cette approche, dans leur volonté de défendre l'unité de la méthode scientifique, ont été amenés à se mobiliser. 

À vrai dire, cette apparente incohérence n'est pas étrangère aux deux premières. D'une part, l'anti-constructivisme de Hayek, à force de mettre l'accent sur l'ignorance, sur l'aléatoire, sur l'imprévisibilité des résultats, rendait bien difficile le recours à des lois et à des prédictions précises. Certes, il n'y avait là aucune incompatibilité de principe puisque l'ignorance des agents n'entraîne pas celle des théoriciens ; mais, quand l'objet étudié est ainsi caractérisé, il est naturel de s'attendre à ce que les lois universelles se fassent plutôt rares et les prédictions pour le moins hasardeuses. Bref, en un tel contexte, le champ d'application des explications « positivistes » se rétrécit singulièrement et parvient mal à égaler les possibilités d'intelligibilité qu'offre la compréhension des phénomènes sociaux à partir de la signification des actions qui en sont indirectement responsables. D'autre part, s'il est vrai, comme le soutient May Brodbeck, que « toute réduction [...] implique une déduction » (« Reduction [...] involves deduction »,  Brodbeck, 1958, p. 6), on peut également penser que le peu de cas que les Autrichiens font de la réduction comme telle ne favorise guère le développement d'une science déductive et prédictive. Ici encore, il n'y a pas vraiment incompatibilité de principe, car s'il n'y a pas de réduction sans déduction, il pourrait y avoir déduction (et donc explication et prédiction) sans qu'il y ait pour autant réduction (Brodbeck, 1958, p. 7). Mais, le champ de l'analyse déductive ne s'en trouverait pas moins rétréci à nouveau. Le réductionnisme atomiste et cartésien qui caractériserait un univers où tous les phénomènes sociaux seraient intégralement et directement réductibles à des phénomènes psychologiques et ceux-ci à des phénomènes neurophysiologiques, comme ces derniers le sont de plus en plus à des phénomènes d'ordre physico-chimique, offrirait à l'analyse nomologique et déductive des possibilités d'explication que ne saurait lui réserver la simple mise en rapport, aussi significative qu'elle puisse être, d'actions individuelles trahies par leurs conséquences non voulues. Bref, si l'individualisme méthodologique anti-réductionniste qui s'est peu à peu défini au sein de l'école autrichienne n'exclut pas formellement tout recours aux explications basées sur des lois et testées par des prédictions comme celles que valorise l'individualisme méthodologique de Popper, il ne reconnaît aucune place particulière à ce mode d'explication et tend plus spontanément vers une conception de l'intelligibilité qui se rapproche de celle des théoriciens du Verstehen.

À ce stade de la présente discussion, on pourrait légitimement se demander en quoi une approche qui s'emploie surtout à souligner la spécificité du social, qui se méfie fortement de toute réduction un peu systématique et qui recourt plus volontiers à une intelligibilité de type Verstehen qu'à celle que procure l'application de lois universelles mérite encore d'être appelée « individualisme méthodologique ». Répondre à cette question, c'est mettre en évidence ce qui fait l'originalité de l'individualisme méthodologique des Autrichiens. Or cette originalité consiste à avoir associé une méthode qui met résolument l'accent sur l'intelligibilité des actions humaines, à une volonté de rendre compte de « mécanismes » sociaux — de mécanismes économiques, en l'occurrence, puisqu'on a affaire à des économistes — que l'on avait tendance, jusque-là, à analyser selon un mode objectivisant qui ne reconnaissait aucun rôle particulier au fait que ces mécanismes sont engendrés par des actions humaines. Pour illustrer la chose et mettre en évidence l'originalité de ce privilège accordé à l'intelligibilité des actions humaines, il peut être utile de faire un bref détour par l'histoire de la science économique.

L'analyse économique moderne est née à la fin du XVIIIe siècle avec la mise en lumière de véritables mécanismes que leurs découvreurs ont eu tôt fait de rapprocher des mécanismes que les physiciens avaient eux-mêmes dégagés dans le domaine qui leur est propre. Jusque-là, en effet, les moralistes, les commerçants ou les légistes qui s'intéressaient aux phénomènes économiques se contentaient de proposer des recettes plus ou moins empiriques associées parfois à des normes ou à des principes qui témoignaient certes d'une certaine sagesse mais qui pouvaient difficilement constituer les ingrédients d'une science économique. C'est la contestation de cette approche « mercantiliste » par les premiers penseurs libéraux qui allait permettre la mise en place de théories économiques à prétention scientifique.  Or, si ces penseurs libéraux n'ont pas craint de recommander de ne « rien faire » en vue d'améliorer le fonctionnement pourtant peu rassurant de l'économie, c'est parce qu'ils s'estimaient capables de montrer que, beaucoup plus que sur des contrôles tatillons, on pourrait alors compter sur des mécanismes impersonnels, tout aussi fiables que des mécanismes physiques, qui devraient assurer la bonne marche d'une économie laissée à elle-même. David Hume, par exemple, soutenait que tout contrôle des mouvements internationaux de l'or est inutile puisque, en vertu d'un mécanisme analogue à celui qui assure l'équilibre des liquides dans des vases communicants, toute baisse de la quantité de métal précieux dans un pays commande une baisse du niveau des prix qui ne tardera pas à y faire affluer ce métal à nouveau (1970, pp. 62-64). Turgot se référait également à des vases communicants, contenant cette fois deux « liqueurs », pour rendre compte de la constance des proportions entre les niveaux respectifs des profits, des intérêts et des rentes (1970, p. 178-179). Il serait facile de poursuivre cette énumération et de montrer que les principales conquêtes de Smith, de Say ou de Ricardo dans l'analyse des marchés reposaient sur la mise en relief de mécanismes dont le fonctionnement automatique évoquait spontanément le fonctionnement des mécanismes que la science physique avait analysés. Si l'on choisissait de porter plutôt attention à l'œuvre de Marx ou encore à celles d'économistes marginalistes, comme Jevons ou Walras, on en arriverait sensiblement à la même conclusion à propos, bien sûr, de mécanismes fort différents. Bref, l'économie pouvait se proclamer scientifique dans la mesure où elle savait mettre en évidence l'existence de mécanismes, en construisant des modèles sociaux susceptibles d'être pensés comme des machines dont on pouvait analyser le fonctionnement. Pour assurer l'efficacité de tels mécanismes, il paraissait toutefois assez indiqué et assez légitime de substituer, aux subjectivités souvent tâtonnantes et indécises d'une économie concrète, des pseudo-agents susceptibles de réagir de façon parfaitement standardisée. C'est ainsi que les capitalistes de Ricardo ou de Marx, les échangistes de Walras, l'homo oeconomicus de Jevons et de ses successeurs ne peuvent, à proprement parler, être considérés comme des sujets, mais uniquement comme les pièces d'une structure qui a au moins le mérite de fonctionner à peu près comme une machine.

Or, on le sait, les partisans de la méthode dite du Verstehen ont systématiquement dénoncé cette tendance dont ils ont souvent été amenés à prendre le contre-pied. Ceux qui, à l'instar de Dilthey, ont valorisé la compréhension (ou l'interprétation) des phénomènes humains, l'ont fait en opposant celle-ci à l'explication (Erklären) qu'ils reléguaient justement à l'analyse de ce qui, en quelque sorte, s'apparentait à la mécanique. Les enquêtes sur les us et coutumes, sur les traditions, sur les cultures ou sur ce qui caractérise « l'esprit d'un peuple » n'avaient que faire d'un mode d'explication qui paraissait adapté exclusivement à l'analyse de tels mécanismes. Aussi, seules des disciplines comme l'histoire, l'exégèse et, à la rigueur, la sociologie dite « compréhensive », mais non la théorie économique trop mécaniciste et généralisante, pouvaient paraître compatibles avec la méthode associée à la notion de Verstehen. Bref, la science économique fondée sur des mécanismes apparentés à ceux que les physiciens mettaient en relief était vouée à être une science d'un type tout autre, modelée sur la physique.

Or, l'originalité d'une approche comme celle des Autrichiens aura été de concilier l'inconciliable, soit une méthode subjectiviste pouvant être apparentée à celle du Verstehen et l'analyse systématique des mécanismes économiques. Il n'est pas évident que ce difficile amalgame ait été réalisé chez Carl Menger, le fondateur de l'école autrichienne, tant celui-ci était soucieux de s'opposer à la façon dont les membres de l'école historique allemande entendaient faire de la science économique une science historique allergique aux principes généraux. Menger consacra, en effet, le plus fort de son principal ouvrage méthodologique à défendre le caractère scientifique de la science économique et la légitimité de recourir à des lois pour en établir les principales conclusions (Menger, 1883). Dans un tel contexte, il peut paraître difficile de voir en quoi il s'écarterait vraiment de la démarche d'économistes comme Jevons ou Walras ; toutefois, il suffit de considérer sa propre analyse économique — par opposition à son entreprise épistémologique dominée par sa polémique avec les défenseurs allemands de l'Historismus — pour voir s'affirmer cette différence. Menger ne cherche pas alors à décrire le type d'intelligibilité qu'il met en oeuvre, mais en faisant du sujet économique et de son degré subjectif de satisfaction le point de départ d'une analyse systématique des mécanismes à l'œuvre dans un marché libre, en renonçant, pour y arriver, à mesurer des degrés d'utilité à la manière de Jevons ou à chercher à définir une position d'équilibre à la manière de Walras, il ouvre la voie à ceux de ses successeurs — dont Lachmann est peut-être, sur ce plan, le plus représentatif — qui associeront explicitement les analyses de tels mécanismes à un type d'intelligibilité qui s'applique proprement aux actions humaines.

La synthèse de ces deux composantes ne va pas de soi car reconnaître un rôle décisif au caractère immédiatement intelligible des actions humaines, c'est refuser de transformer l'agent humain en simple composante d'une mécanique, de telle sorte que, tout comme les théoriciens du Verstehen, les économistes autrichiens ont souvent fait montre d'une extrême méfiance à l'égard de tout ce qui pouvait tendre à réduire les rapports économiques à de purs mécanismes. De fait, ils ont même assez généralement évité l'emploi du terme « mécanisme » qu'ils préféraient abandonner à ces économistes qui, parce qu'ils traitaient les rapports économiques comme s'ils se réduisaient aux éléments d'un système mécanique, auraient versé dans ce que Karl Mittermaier qualifiait péjorativement de « mécanomorphisme » (ch. 17 de Kirzner, 1986). À cet égard, il suffit, en effet, de rappeler avec quelle sévérité Hayek et Lachmann ont dénoncé les théories de l'équilibre, beaucoup trop mécanicistes à leurs yeux (Hayek, 1948, ch. V ; Lachmann, 1969).

Pourtant, dans la mesure où ils entendaient rendre compte des phénomènes économiques, les Autrichiens ne pouvaient que s'intéresser à ces mécanismes, quitte à les désigner autrement et, surtout, à les réinterpréter de manière à échapper au « mécanomorphisme ». Pour y parvenir, ils se devaient de faire reposer de tels mécanismes sur des actions humaines ou, pour être plus précis, sur des actions rationnelles mais menées dans un contexte d'ignorance relative, d'incertitude et de faillibilité. Peut-être même faut-il voir dans l'apriorisme impénitent d'un von Mises l'expression ultime de cette volonté de loger ces mécanismes économiques dans le sillage même des actions humaines, en les réinterprétant comme des effets incontournables de lois qui seraient directement intelligibles et comprises « de l'intérieur », parce qu'elles seraient fondées sur la signification présumée immédiatement accessible de ces actions (voir Mises, 1976, en particulier, pp. 13-14). Chez Mises, le caractère a priori de la connaissance économique n'a jamais eu pour effet, bien au contraire, de freiner le désir d'analyser rigoureusement le fonctionnement de ce que d'autres auraient qualifié sans ambages de mécanismes économiques. Quoi qu'il en soit de cet apriorisme radical et fort discutable qui est d'ailleurs loin d'être partagé, du moins sous une forme aussi explicite, par la plupart des membres de l'école autrichienne, on peut affirmer que, pour un économiste de cette école, expliquer un phénomène économique (par exemple, la stabilité relative du prix d'une marchandise), c'est analyser le fonctionnement de mécanismes économiques (en l'occurrence, les mécanismes à l'œuvre dans un marché libre) en insistant sur le fait que ces mécanismes n'ont de portée explicative qu'à la lumière de la signification qu'avaient pour leurs auteurs les actions humaines qui en furent indirectement responsables, compte tenu, bien sûr, des conséquences non voulues de ces actions. C'est ainsi, par exemple que, lors d'un débat portant sur la possibilité de se passer du postulat de rationalité en théorie économique, Israel Kirzner, un des principaux représentants contemporains de l'école autrichienne, a pu objecter à Gary Becker que des courbes d'offre et de demande ne peuvent expliquer des prix de marché que dans la mesure où elles indiquent de quelle façon des plans conçus par des agents seront révisés à la lumière de « la déception résultant de plans antérieurs ». Pour qui ne comprendrait pas la signification d'une telle déception, l'analyse en termes d'offre et de demande n'expliquerait rien où, en tout cas, ne rendrait pas les prix de marché intelligibles au sens où ils le sont pour quiconque ayant éprouvé subjectivement ce genre de réaction voit parfaitement pourquoi les échangistes ont été amenés à agir d'une façon qui a eu pour conséquence (non voulue) l'établissement de tels prix.

Pour un économiste autrichien, rendre intelligibles les phénomènes économiques, c'est, en effet, montrer que ce qui, à première vue, n'a pas de sens, comme les crises, le chômage, l'inflation incontrôlable, les goulots d'étranglement, le caractère impitoyable d'un système de prix, la dégradation d'une économie, peut parfaitement (moyennant, dans ce cas, la prise en compte de jeux d'interrelations que d'autres économistes aiment appeler des « mécanismes ») se comprendre à partir de décisions rationnelles mais faillibles. Mais, c'est aussi montrer que ce qui, à première vue, semble avoir trop  de sens — au point où l'on est tenté d'y voir la présence mystérieuse d'une sorte de « main invisible » — peut également (moyennant la prise en compte de mécanismes analogues) se comprendre à partir de décisions rationnelles mais faillibles. Dans les deux cas, le rôle de ces mécanismes, dégagés peu à peu au cours de l'histoire de la science économique — peu importe d'ailleurs que les économistes qui les ont mis en lumière aient partagé ou pas les vues philosophiques des Autrichiens — est d'expliquer en quoi les phénomènes (bénéfiques ou contrariants) qu'il s'agit d'expliquer sont des conséquences non voulues engendrées par l'interaction de décisions parfaitement compréhensibles.

Or, ce que je soutiens ici, c'est que c'est en ce sens, et en ce sens seulement, que les économistes autrichiens se proclament partisans de l'individualisme méthodologique tout en soulignant avec insistance l'importance décisive des conséquences non voulues. Tout autant que ceux qui attribuent un rôle épistémologique fondamental à la réduction, ils estiment que les phénomènes sociaux doivent bel et bien être ramenés à quelque chose de plus intelligible et, à cette fin, ils s'emploient à dégager le fonctionnement de divers mécanismes économiques. En ouvrant ainsi « la boîte noire » de manière à faire voir « les rouages du mécanisme » — pour parler à la manière de Jon Elster —, ils s'inscrivent bien dans l'esprit le plus pur de l'individualisme méthodologique et, d'une certaine façon, proposent bien aux sciences sociales « l'idéal explicatif des autres sciences », soit « l'analyse du complexe en termes du plus simple » (Elster, 1986, p. 61).  Toutefois, ce « plus simple » ou — pour invoquer à nouveau une notion qui s'applique mieux à la pensée des Autrichiens — ce « quelque chose de plus intelligible » ne saurait se rencontrer, à leurs yeux, que dans le monde des actions humaines, lesquelles auraient l'avantage d'être immédiatement intelligibles, au sens où l'entendent les théoriciens du Verstehen.  Comme ces mécanismes — ou, si l'on préfère, ces jeux d'interrelations qui se manifestent par le biais de conséquences non voulues — permettent d'établir une sorte de pont entre les actions subjectives et les phénomènes sociaux, les économistes autrichiens ont pu, tout en se montrant foncièrement anti-réductionnistes, se faire les farouches défenseurs d'un individualisme méthodologique qui n'exigeait rien d'autre, à leurs yeux, que l'analyse des phénomènes sociaux à partir  d'actions humaines intelligibles.

* * *

Conclusion

Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi une conception « constructiviste » de l'ordre social, qui verrait en celui-ci le résultat voulu et intentionnel des décisions d'une autorité guidée par des principes rationnels, paraît aux Autrichiens inintéressante et fautive, parce que, malgré le fait qu'une telle conception rabat directement un phénomène social sur des décisions humaines, elle n'en rend nullement compte à partir d'actions proprement humaines, puisque de telles actions ne sauraient être que faillibles et leurs conséquences à peu près imprévisibles. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que des défenseurs de l'individualisme méthodologique compris de la façon qui vient d'être décrite dénoncent un tel constructivisme. On comprend mieux aussi pourquoi les Autrichiens ne sentent aucun besoin de réduire les actions humaines à des phénomènes neurophysiologiques puisque la quête d'intelligibilité qui commande leur propre entreprise de « réduction » des phénomènes sociaux trouve, en quelque sorte, son achèvement dans ces actions humaines elles-mêmes. Il n'est donc pas étonnant non plus que des défenseurs de ce type d'individualisme méthodologique ne s'intéressent nullement à un réductionnisme systématique. On voit mieux enfin que, pour expliquer les phénomènes sociaux à partir d'actions humaines directement intelligibles au sens qui a été illustré plus haut, ils devaient forcément faire appel à des mécanismes économiques interprétés toutefois de manière à ce qu'ils puissent trouver leur support dans de telles actions comprises comme étant rationnelles mais faillibles. Aussi, n'y a-t-il pas lieu de s'étonner davantage de ce que des défenseurs d'un individualisme méthodologique faisant appel à de tels mécanismes rejettent un positivisme qui, en n'accordant aucun crédit à la conception de l'intelligibilité qui est associée à la notion de Verstehen, valoriserait un mode d'explication déductiviste et nomologique.

Il faut donc conclure que l'individualisme méthodologique des Autrichiens ne semble comporter des aspects insolites que si l'on oublie que cette approche se présente d'abord comme un subjectivisme qui n'a que très indirectement quelque chose à voir avec les divers traits (priorité absolue de l'individuel sur le social, réduction du plus complexe au plus simple, universalité du modèle positiviste d'explication) qu'au nom d'un anti-holisme systématique et radical on serait tenté de lui associer. Tout au plus, doit-on reconnaître une certaine ambiguïté dans les intuitions qui sont à la base de cette forme d'individualisme méthodologique. Sans doute, peut-on soutenir que les phénomènes sociaux s'expliquent par des actions individuelles et non l'inverse, mais il importe aussi de préciser la nature du lien qui relie ces actions aux phénomènes sociaux, et seule une équivoque à ce propos a pu inciter à rapprocher individualisme méthodologique et constructivisme. Il importe aussi de souligner la place privilégiée reconnue à l'action humaine comme source d'intelligibilité et seule une équivoque à ce propos a pu laisser penser que l'individualisme méthodologique devait être associé à un réductionnisme. Il importe enfin de préciser la façon dont l'action humaine peut elle-même être connue et seule une équivoque à ce propos a pu laisser se tisser des liens de parenté factices entre individualisme méthodologique et positivisme. Que ce triple rapprochement se révèle ainsi tributaire de telles équivoques n'en aura pas rendu l'examen moins approprié si leur mise en lumière a pu contribuer à dégager le sens et l'originalité de l'individualisme méthodologique des Autrichiens, tout en mettant en relief le caractère quelque peu ambigu du débat entre individualisme et holisme méthodologiques qui occupe une place si importante dans l'histoire des sciences sociales.

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 26 avril 2024 19:35
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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