Diane Lamoureux,
politologue, département de science politique, Université Laval
“La réforme du mode de scrutin. Le déficit démocratique ?
Plus qu’une question de mode de scrutin”.
Un article publié dans Tribunes solidaires, 23 juillet 2004.
Table des matières
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- Introduction
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- Favoriser la participation citoyenne
- Quelle réforme du mode de scrutin et comment y parvenir ?
Introduction
Les élections fédérales du 28 juin dernier nous ont une fois de plus, s’il en était encore besoin, confirmé l’existence d’un profond déficit démocratique dans notre société. Pensons seulement au fait que 40% de l’électorat n’a pas jugé bon de participer au vote, soit parce que ces personnes n’ont plus confiance dans le système politique, soit par manque d’intérêt, soit encore du fait de l’absence de partis politiques dans lesquels elles peuvent se reconnaître. Mentionnons également que les deux principaux partis susceptibles de former le gouvernement ont attendu deux semaines après le déclenchement de la campagne avant de faire connaître leur plate-forme électorale, une attitude tout à fait méprisante par rapport à l’électorat. De plus, une fois encore, nous avons pu vérifier les distorsions inhérentes à notre mode de scrutin : les partis libéral, conservateur et le bloc québécois sont sur-représentés par rapport au pourcentage du vote populaire qu’ils ont recueilli, tandis que le NPD et le parti vert sont nettement sous-représentés. Nous pouvons espérer que le fait que le parti gouvernemental soit minoritaire mettra un frein à l’arrogance dont font preuve les libéraux au pouvoir depuis plus d’une décennie, mais nous devons surtout réfléchir aux moyens de combler ce déficit démocratique.
Depuis quelques années, divers mouvements se sont créés tant sur le plan fédéral, comme Fair Vote, que dans cinq provinces canadiennes pour demander une réforme majeure du mode de scrutin et réclamer le passage à un mode de scrutin proportionnel ou mixte (qui combine le système uninominal à un tour en vigueur actuellement et le scrutin proportionnel), comme l’ont fait récemment la Nouvelle-Zélande et les parlements régionaux britanniques (Écosse, Pays de Galles). Ces revendications sont importantes et, à D’abord solidaires, nous sommes partie prenante de ce mouvement. Pourtant, une réforme du mode de scrutin ne résoudra pas à elle seule le déficit démocratique dont nous souffrons.
Favoriser la participation citoyenne
Les élections ne sont pas les seuls moments au cours desquels la population peut manifester (avec les imperfections inhérentes à notre mode de scrutin) sa volonté politique. La santé démocratique d’une société ne peut donc se résumer à la tenue d’élections concurrentielles à intervalle régulier. Elle dépend en grande partie de l’éducation des citoyen(ne)s à la chose publique et de mécanismes qui favorisent la participation publique la plus large possible. Sur ces deux plans, nous pouvons observer des lacunes importantes.
D’un côté, il est possible de soutenir que nos sociétés favorisent l’individualisme, le “pas-dans-ma-cour” et l’idée que la sphère politique est une arène où ne peuvent s’affronter que des intérêts privés. L’idée que des concitoyen(ne)s pourraient, par la délibération publique et au-delà de leurs divergences, développer un sens de l’intérêt public et de l’avenir de nos collectivités est loin d’être encouragée par nos gouvernements. De plus, la formation civique laisse à désirer et ne peut se résumer à la connaissance des institutions et de la charte des droits. Une formation civique de qualité passe aussi par une connaissance de l’histoire, un apprentissage participatif dans toutes les sphères de l’activité humaine (syndicats, coopératives, entreprises, écoles, etc) et une expérience concrète de la prise de parole et de l’écoute attentive dans les débats publics.
De l’autre, cela demande des médias de qualité qui ne se contentent pas des scandales ou de la reprise des communiqués des grandes agences de presse ou des gouvernements mais qui cherchent à expliquer les enjeux derrière la nouvelle. De plus, il est essentiel de réviser périodiquement les règles du jeu pour empêcher que la chose publique ne devienne le monopole privé de quelques-uns : financement des partis politiques, accessibilité des bureaux de vote, publicité politique, travail de lobbying, etc.
Mais la qualité de la vie démocratique requiert également des citoyen(ne)s impliqué(e)s politiquement. Outre les élections, les citoyen(ne)s disposent d’un registre varié d’intervention politique. Depuis longtemps les groupes féministes, écologistes, populaires, syndicaux savent que, pour faire entendre leur voix, ils ont tout intérêt à recourir à d’autres formes d’action politique que les élections : pétitions, manifestations, occupations, boycotts, sit-ins, participation aux commissions parlementaires, etc.
Ces formes d’action politique sont essentielles et doivent être poursuivies. Le problème, c’est que leur impact sur la décision politique est tout à fait aléatoire puisque ce sont des mécanismes consultatifs (même quand le gouvernement refuse de nous consulter) qui n’ont aucun pouvoir contraignant sauf la force du nombre et de l’indignation. Ailleurs, il existe d’autres moyens de participer directement à l’exercice de la décision politique, dont nous pourrions nous inspirer. Mentionnons-en trois : le référendum d’initiative populaire, la procédure de rappel des élu(e)s et le budget participatif.
Le référendum d’initiative populaire (largement utilisé en Suisse) permet à la population de se prononcer soit sur une loi déjà votée par le parlement, soit sur un nouveau projet de loi. C’est cette procédure qui a été utilisée récemment dans le cas des référendums sur les défusions municipales. Peu importent nos positions sur cet enjeu particulier, le référendum d’initiative populaire peut être intéressant à plusieurs égards. D’abord, il permet à la population d’exercer une vigilance et un contrôle sur le travail des élu(e)s ; s’il est important de ne pas obliger les élu(e)s à légiférer uniquement sur les sujets et dans le sens de leur plate-forme électorale, puisque la vie politique est faite d’imprévus qui nécessitent une décision, il est aussi important de ne pas leur donner un chèque en blanc. Ensuite, il permet de mettre à l’ordre du jour législatif des sujets qui ne figurent pas à l’agenda des partis politiques présents dans les assemblées élues. Enfin, il permet un travail d’éducation politique tout à fait nécessaire en forçant le débat public sur certains enjeux.
La procédure de rappel des élu(e)s (recall) est prévue dans plusieurs États américains et en Colombie-Britannique. Elle consiste à établir des motifs de rappel et une procédure précise pour ce faire. Certes, cela peut donner lieu à des dérives, comme on a pu le voir avec l’accession de Schwarzenegger au poste de gouverneur de Californie à l’automne 2003. Mais cela fixe également des balises au travail des élu(e)s et permet de tempérer leur arrogance une fois au pouvoir. Cela s’inscrit également contre la politique du chèque en blanc aux élu(e)s.
Le budget participatif est plus connu depuis la publicisation de l’expérience de Porto Alegre, mais cette procédure est aussi en vigueur dans plusieurs municipalités espagnoles. Même si elle ne porte que sur une partie du budget, cette expérience présente de nombreux avantages. D’abord, elle s’inscrit dans la lutte contre les politiques néo-libérales en légitimant l’action de l’État par la participation accrue des citoyen(ne)s à la décision politique, ce qui va à l’encontre de l’État « minimal » (ou « modernisé » pour employer le langage de Monique Jérôme-Forget), soumis à une cure d’amaigrissement drastique. Ensuite, elle permet d’éviter la privatisation de l’État au profit des classes dominantes qui ont tendance à s’en approprier les ressources (les tristement célèbres corporate welfare bums) et à l’instrumentaliser. Enfin, il introduit une forme de démocratie directe qui redonne effectivement le pouvoir au peuple, complément nécessaire à la démocratie représentative.
Quelle réforme du mode de scrutin et comment y parvenir ?
Si nous prônons des formes de démocratie directe et que nous visons l’autogestion sur les plans politique, économique et social, il demeure quand même que la démocratie représentative est là pour rester et qu’il est urgent de la réformer. C’est pourquoi une réforme du mode de scrutin est nécessaire. Au Québec, plusieurs groupes en ont fait leur priorité : le Mouvement pour une démocratie nouvelle (MDN) (www.democratie-nouvelle.qc.ca) , le Collectif Féminisme et Démocratie (CFD) (www.cybersolidaires.org/democratie) et le Mouvement pour la citoyenneté et la démocratie du Québec (MCDQ) (www.claudebeland.com). Malgré leurs actions, la réforme tarde à venir et le processus semble s’enliser. C’est dans cette perspective que nous faisons part des objectifs que nous poursuivons avec la réforme du mode de scrutin et que nous suggérons un processus pour y parvenir.
Nous pouvons faire nôtre les quatre grands principes du MDN, repris également par le CFD : traduire fidèlement la volonté populaire ; viser une représentation égale entre les hommes et les femmes ; incarner la diversité québécoise et permettre le pluralisme politique ; assurer l’importance des régions. Ceci implique un mode de scrutin proportionnel et des mesures d’action positive pour assurer l’égalité des femmes et des hommes dans la représentation politique, sans oublier l’ouverture des institutions politiques aux divers groupes minoritaires.
Toutefois, nous sommes sceptiques face aux stratégies qui ont été jusqu’à présent mises de l’avant pour obtenir une réforme du mode de scrutin qui respecte tous ces principes : faire pression sur le gouvernement en place pour qu’il présente un projet de loi à cet égard. N’oublions pas que les trois partis politiques présents à l’Assemblée nationale du Québec prônent la réforme du mode de scrutin... mais qu’ils se gardent bien de la réaliser une fois au pouvoir.
C’est ainsi que le Parti québécois qui, dans un premier temps, a beaucoup souffert des distorsions du mode de scrutin actuel puisque, en 1970 il obtenait 24% des voix mais seulement 7 élus et en 1973 30% des voix et 6 élus, escompte désormais les avantages de la « prime au gagnant » que confère le mode de scrutin actuel. Aussi, lorsqu’il a été question de réformer la vie démocratique, à la fin des années 1970, il y a eu des dispositions concernant le financement des partis politiques et la création de la Direction générale des élections, mais rien sur la réforme du mode de scrutin. Plus récemment, au printemps 2002, Jean-Pierre Charbonneau se voyait confier le mandat de la réforme démocratique et entreprenait une vaste consultation publique autant sur le régime politique, les référendums d’initiative populaire, l’âge de la majorité électorale que sur la réforme du mode de scrutin. Ce processus allait culminer avec les États généraux de février 2003 mais le rapport de la Commission Béland allait rapidement être "tabletté", pour cause de campagne électorale.
Le Parti libéral n’est pas en reste. Lui aussi prône une réforme du mode de scrutin depuis belle lurette mais s’empresse d’oublier ses bonnes intentions lorsqu’il est au gouvernement. Ainsi, quoique que les candidat(e)s libéraux se soient largement prononcés en faveur des quatre grands principes du MDN et que dans le discours du trône qui a suivi son élection Jean Charest ait promis un projet de loi réformant le mode de scrutin avant la fin du printemps 2004, nous attendons toujours puisque la réforme est désormais reportée à, peut-être, l’automne. Pis encore, le contenu de la réforme qui a été habilement coulé aux journaux à la veille de la rencontre de fondation du MCDQ laisse entrevoir une réforme essentiellement cosmétique qui fait peu ou pas de place au scrutin proportionnel.
Ceci montre bien que nous ne pouvons laisser aux mains des parlementaires la réforme d’un mode de scrutin qui les a si bien servis jusqu’à présent. À cet égard, le processus qui a été adopté en Colombie-Britannique présente des espoirs beaucoup plus sérieux de réalisation et nous fournit des pistes intéressantes pour envisager une réforme du mode de scrutin. La réforme dépend d’une assemblée de citoyen(ne)s et le projet auquel ils et elles aboutiront sera soumis directement à la consultation de la population par voie référendaire.
Cette assemblée de citoyen(ne)s reflète la composition de la population puisqu’elle a été formée sur la base d’un tirage au sort respectant la diversité de la population (hommes/ femmes, ruraux/urbains, groupes d’âge, niveau de scolarisation, diversité ethnique, etc.). Ces personnes sont volontaires et se réunissent régulièrement (le taux de participation jusqu’à présent oscille autour de 90%, ce qui est excellent pour une assemblée de volontaires et dépasse même le taux de présence à la Chambre des communes) pour délibérer ensemble sur la réforme du mode de scrutin. Elles disposent de toute l’information pertinente, peuvent convoquer des expert(e)s et peuvent tenir des consultations plus larges de la population. Sur cette base, elles ont la charge de préparer une proposition de réforme.
Une fois le projet arrêté, ce n’est pas l’assemblée législative qui aura à se prononcer, mais la population, par voie de référendum. Ceci permettra de parfaire l’éducation populaire sur les divers modes de scrutin, leurs avantages et désavantages. Ceci remettra également dans les mains de la population la décision finale sur un rouage majeur de leur vie démocratique.
Il est encore trop tôt pour savoir ce que cette assemblée proposera, mais il est d’ores et déjà possible de nourrir un optimisme raisonnable quant à l’aboutissement du processus. Plus encore, pour une fois une réforme démocratique aura été pensée démocratiquement, avec une convergence entre les moyens mis en œuvre et les fins poursuivies. C’est de cela que nous aurions besoin au Québec et pas d’une énième consultation plus ou moins bidon : un débat citoyen et non des astuces ou autres roublardises partisanes.
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