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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Diane Lamoureux, “Nos luttes ont changé nos vies. L’impact du mouvement féministe”. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Gérard Daigle et Guy Rocher, Le Québec en jeu. Comprendre les grands défis. Chapitre 25 (pp. 693 à 711). Montréal: Les Presses de l’Université de Montréal, 1992, 812 pp. [Mme Lamoureux est professeure au département de science politique à l’Université Laval.] Introduction
C'est en ces termes, au début des années soixante, que l'éditorialiste de Châtelaine (citée par Gagnon, 1974, p. 58) tentait de définir un nouveau rôle social pour les femmes. Désormais, il ne suffisait plus que les femmes se contentent d'être des mères attentives et des épouses dévouées; il fallait en plus qu'elles soient ouvertes sur le monde. Cependant, il n'était pas encore question de les amener à participer à ce monde; elles devaient le comprendre, mais non le bâtir! À cette époque, une femme c'est avant tout une mère, et son rapport au monde est filtré par son mari ou ses enfants; sa tâche reste de leur procurer un cocon douillet où se réfugier à l'abri de la tourmente du monde. Ce monde, il est pourtant en pleine mutation et les anciennes certitudes éclatent de toute part. Sous le nom de Révolution tranquille, le Québec des années soixante se veut moderne. L'« équipe du tonnerre » orchestre d'en haut tout ce changement, mais les bouleversements qui accompagnent la Révolution tranquille feront apparaître de nouveaux acteurs sociaux pour lesquels on n'avait pas prévu de rôle. Les femmes sont du nombre. Que de chemin parcouru en trente ans! La société québécoise a découvert la mixité, non sans grincement de dents. Une à une, les forteresses masculines doivent faire la (pénible?) expérience que le monde se compose aussi de femmes. L'Assemblée nationale (qui s'appelait l'Assemblée législative à l'époque) voyait arriver la première femme en son sein, Claire Kirkland-Casgrain, et les parlementaires se demandaient si elle allait siéger à la Chambre avec son chapeau et ses gants, comme il était encore de mise de le faire à la messe. Les collèges classiques allaient se dissoudre dans les polyvalentes et les cégeps qui (horreur!) réunissaient garçons et filles sur les bancs d'école. Le marché du travail ne savait que faire des jeunes diplômées qui ne se contentaient plus des emplois subalternes en plus de proclamer leur volonté de concilier maternité et travail rémunéré. L'Expo 67 allait nous faire découvrir la révolution sexuelle, nous apprendre que sexualité ne signifie pas nécessairement devoir conjugal ou procréation, que le plaisir peut exister et (même) que les femmes peuvent avoir du désir. A la fin des années soixante, on verra même quelques « furies » [1] envahir les tavernes. Aujourd'hui, il semble assez banal que les femmes, au même titre que les hommes, fassent des choix quant à leur avenir, un avenir qui ne s'impose pas à elles comme un destin. Cependant, si le mariage n'entraîne plus l'asservissement des femmes ni leur disparition symbolique [2], si la maternité est beaucoup plus librement choisie, si le marché du travail et les emplois valorisés socialement ne sont plus totalement une chasse gardée masculine, ce n'est pas du simple fait de l'évolution naturelle de la société. C'est d'abord et avant tout parce que des femmes ont lutté et ont fait éclater les frontières du possible. Lorsqu'on parle du mouvement féministe, c'est de cela qu'il s'agit. Il importe maintenant de préciser les notions de mouvement des femmes et de féminisme, afin de mieux cerner notre objet. Par mouvement des femmes, j'entends toutes les pratiques et les organisations qui permettent aux femmes de participer à l'action politique organisée. Quant au féminisme, il s'agit d'une pensée politique se caractérisant par la reconnaissance de l'identité individuelle des femmes et la revendication d'un statut social, politique et juridique non discriminatoire pour elles. On voit donc que mouvement des femmes et féminisme peuvent tout aussi bien coïncider qu'être dissociés et c'est à travers leurs oscillations réciproques que j'envisagerai le cheminement du mouvement des femmes au cours des trente dernières années. Mon analyse s'inspire des dynamiques mises en évidence par Juteau-Lee et Laurin-Frenette (1983) dans leur communication à la Commission canadienne de l'UNESCO. Elles analysent le mouvement comme relevant « d'un double système de forces qui correspondent à deux formes et deux niveaux d'organisation et d'action » (p. 2). [3] Elles distinguent quant à elles entre les groupes institutionnels et les groupes ponctuels, et se concentrent sur les diversités organisationnelles qui caractérisent le mouvement des femmes. Par ailleurs, l'analyse prend également appui sur la distinction qu'introduit Dahlerup (1986) entre un women's right movement, dont l'objectif réside essentiellement dans la reconnaissance sur le plan formel de l'égalité entre hommes et femmes, et un women's liberation movement, qui vise l'affirmation de l'autonomie personnelle et collective des femmes (p. 7-9). Dahlerup juge cependant utile de préciser que « Feminism is an ideology, a doctrine. The women's movement comprises the conscious, collective activities of women fighting for feminist goals » (p. 6). En ce qui me concerne, je juge préférable de distinguer le plan de la pensée et celui de l'organisation, bien que l'un et l'autre soient liés. Avant d'aborder l'évolution du féminisme contemporain, il faut également souligner l'impact de l'existence de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada [4] qui servira de catalyseur aux groupes de femmes et aux aspirations féministes dans l'ensemble du Canada. Sous l'influence de ce qui se passait alors à la National Women Organization (NOW) aux États-Unis, des groupes de femmes au Canada se sont groupées dans un Committee for the Equality of Women in Canada et ont revendiqué une commission d'enquête afin de faire le point sur la situation des femmes au Canada. D'ailleurs, dès 1966, Jeanne Sauvé avait réclamé une telle commission d'enquête. Judy LaMarsch, la seule femme du cabinet fédéral à l'époque, en a également fait son cheval de bataille. La Commission allait permettre deux choses: d'abord, faire la lumière sur la discrimination dont étaient victimes les femmes canadiennes et contribuer ainsi tant à dégager certains enjeux qui, par la suite, seront repris par les groupes de femmes qu'à proposer à ces problèmes des solutions allant dans le sens de l'instauration d'un statut égalitaire entre hommes et femmes dans la société; ensuite, permettre aux groupes de femmes de préciser leurs objectifs et d'entrevoir de nouveaux terrains d'action. En faisant un bilan de la « condition féminine » au Canada, elle allait ouvrir une décennie d'expansion du mouvement des femmes et de développement de la pensée féministe. [1] Ce sont les termes employés par la presse de l'époque. [2] Il était encore courant au début des années soixante, lorsqu'une femme se mariait, qu'elle prît non seulement le nom de famille mais aussi le prénom de son mari. [3] Le texte a été publié ultérieurement par la Commission canadienne de l'UNESCO, mais je me sers de la première version dactylographiée que les auteures ont aimablement mise à ma disposition. [4] Les travaux de la Commission durèrent du 16 février 1967 au 28 septembre 1970. Elle était formée de la journaliste Florence Bird, qui en assuma la présidence (d'où sa désignation comme Commission Bird), de Jacques Henripin, démographe et auteur de travaux sur la dénatalité au Québec, de John P. Humphrey, avocat qui avait travaillé sur la Déclaration des droits de l'homme de 1948 de l'ONU, de Lola M. Lange, fermière albertaine engagée auprès des femmes autochtones, de Jeanne Lapointe, professeure d'université ayant siégé à la Commission Parent, d'Elsie Gregory McGill, première femme ingénieure au Canada et proche des mouvements féministes en Ontario, et de Doris Ogilvie, juge à la Cour juvénile du Nouveau-Brunswick.
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