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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Simon LANGLOIS, TENDANCES DE LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE 1999. Québec, département de sociologie, Université Laval, version du 3 septembre 1998, 24 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 8 octobre 2007 de diffuser cet article dans Les Classiques des science sociales.]

 Simon LANGLOIS,* 

TENDANCES DE LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE 1999. 

Québec, département de sociologie, Université Laval,
version du 3 septembre 1998, 24 pp.

 

Table des matières 
 
Introduction
 
Aspects démographiques
 
Croissance continue de la population totale mais diminution du poids relatif du Québec au sein du Canada
 
Moins de jeunes et plus de personnes âgées
Inégale croissance démographique des régions
Une population de plus en plus urbanisée
La chute de la natalité s’accélère
Hausse des interruptions volontaires de grossesse
Diminution du nombre d’immigrants
Le solde migratoire total est en baisse depuis 1993
Le solde migratoire interprovincial se détériore
 
L’Ontario est de loin le principal partenaire des échanges de population avec le Québec et la Colombie-britannique attire de plus en plus de citoyens du Québec
 
Hausse continue de l’espérance de vie
 
Aspects démolinguistiques
 
La proportion de personnes de langue maternelle anglaise régresse au Québec et en Ontario
 
La langue parlée à la maison: le français domine et l’anglais a attiré jusqu’à présent plus de nouveaux locuteurs que le français
 
Le français, langue commune de la société québécoise
Environ le tiers des nouveaux immigrants au Québec connaissent le français
Les francophones canadiens se concentrent davantage au Québec.
Deux lectures de la place du français au Canada

 
Autochtones et minorités visibles
 
Le nombre d’Amérindiens et d’Inuit augmente
 
Les minorités visibles: concentrées à Montréal, mais moins nombreuses que dans le reste du Canada
 
 
Familles et modes de vie
 
Désaffection vis-à-vis du mariage comme institution
De plus en plus de naissances hors mariage
Hausse tendancielle du divorce
Les types de familles changent
Le couple sans enfant présent à la maison: catégorie de ménages en croissance.
Les types de familles changent
Le couple sans enfant présent à la maison: catégorie de ménages en croissance.
 
Éducation
 
Ralentissement de la croissance du nombre de diplômés universitaires dans les années 1990
 
Hausse de la scolarité moyenne de la population
 
Macroéconomie
 
Croissance continue du PIB, mais la part du Québec dans l’économie canadienne tend à Régresser
 
Le revenu personnel par habitant a été stagnant durant les années 1990
 
L’État prélève une part toujours grandissante des revenus personnels en impôts directs et autres contributions
 
Les sources du revenu personnel sont stables depuis plus de dix ans

 
Emplois et activité professionnelle
 
Baisse du taux d’activité de la population en âge de travailler et féminisation du marché du Travail
 
Augmentation de l’emploi à temps partiel
Baisse du taux de syndicalisation et diminution des conflits de travail
Le taux de chômage régresse après une longue période de hausse
 
 
Revenus, pauvreté et inégalités
 
Les gains hebdomadaires réels des travailleurs salariés reculent au Québec et l’écart s’agrandit avec les salariés de l’Ontario
 
L’écart de revenu entre hommes et femmes travaillant à temps plein diminue
 
Après avoir augmenté rapidement jusqu’en 1990, le revenu familial réel moyen stagne; le revenu disponible régresse
 
L’impôt et les paiements de transferts réduisent les inégalités de revenus
 
Les ménages à faibles revenus: une proportion assez stable depuis quinze ans, mais une tendance à la hausse se dessine
 
Les pauvres, une population mouvante
 
Après six ans de croissance, la dépendance vis-à-vis de l’aide de dernier recours régresse, suivant les cycles économiques
 
 
Consommation
 
La proportion de ménages propriétaires de leur logement continue d’augmenter lentement
 
Diffusion rapide de nouveaux biens durables
Le cinéma, divertissement toujours plus populaire

 

 Données sur Internet

Toutes les données contenues dans ce chapitre, de même que les tableaux (en version intégrale) ayant servi à la construction des graphiques, sont accessibles en format PDF sur le site Les Classiques des sciences sociales. 

 

Introduction

 

L’analyse des grandes tendances du changement social met en perspectives le bilan annuel que propose Québec 1999. Par tendances, il faut entendre un diagnostic posé sur l’évolution de certains segments de la société québécoise [1]. Bien qu’elles puissent aussi être dégagées à partir d’observations qualitatives et à partir de théories -- pensons aux deux tendances majeures des sociétés modernes observées par Alexis de Tocqueville au siècle dernier: progression de l’égalité et concentration du pouvoir politique -- nous nous limiterons ici à dégager quelques grandes tendances caractérisant la morphologie du Québec à partir de séries statistiques et d’observations standardisées. 

Québec 1999 s’inscrit en continuité avec un ouvrage de même facture publié depuis quelques années. Nous avons augmenté le nombre des tendances qui seront analysées dans la présente édition et toutes les séries statistiques ont été mises à jour. Les aspects suivants ont été retenus: principales tendances démographiques et macroéconomiques, éducation, emplois et activité professionnelle, revenus, pauvreté et inégalités, consommation. De nouvelles sections ont été ajoutées: aspects démolinguistiques, familles et modes de vie, les autochtones; d’autres ont été élargies et nous avons tenu compte des données du Recensement de 1996 qui sont maintenant accessibles. Le champ couvert dans ce chapitre introductif est donc cette année encore plus large. 

Il faut considérer une assez longue période afin de faire ressortir les changements de fond qui sont les plus marquants, car se limiter à un horizon de quelques années paraît insuffisant pour en mesurer toute la portée. Des séries statistiques portant sur une vingtaine d’années, si possible, s’imposent. Les commentaires qui suivent seront nécessairement brefs. Nous laissons au lecteur le soin de faire une lecture plus détaillée des tableaux publiés ci-après. Plutôt que de décrire systématiquement leur contenu, nous préférons attirer l’attention sur les évolutions les plus significatives. 

Enfin, la présentation des tableaux a été allégée et nous avons ajouté plusieurs graphiques afin de mieux visualiser les tendances. Cependant, le lecteur intéressé par la consultation des données complètes pourra les retrouver sur un site Internet (voir encadré). On y trouvera des séries statistiques plus longues et plus détaillées, qui seront mises à jour à mesure que de nouvelles données paraîtront. Il est encore trop tôt pour dire quelle place occuperont dans l’avenir les publications électroniques. Sans doute ne remplaceront-elles pas l’imprimé – livres ou journaux -- pas plus que la télévision n’a remplacé la radio. Elles proposent plutôt, croyons-nous, une nouvelle façon de diffuser des connaissances dont les caractéristiques se préciseront à l’usage. Dans le cas présent, le site sur les tendances sera un complément documentaire au présent ouvrage susceptible d’intéresser le lecteur à la recherche d’informations chiffrées.

 

Aspects démographiques 

Croissance continue de la population totale
mais diminution du poids relatif du Québec
au sein du Canada 

 

Le Québec comptait plus de sept millions quatre cent mille personnes en 1998. Les chiffres de la population tiennent compte des résidants non permanents (tableau 1 et graphique 1). Malgré une population toujours en croissance -- en hausse d’environ 42% depuis 1961 – le poids relatif du Québec au sein du Canada ne cesse de diminuer parce que la population canadienne progresse encore plus vite. La part de la population québécoise est tombée pour la première fois dans l’histoire en bas de 25% de l’ensemble canadien en 1994. À moins d’une hausse significative de l’immigration au Québec -- non prévue en ce moment, cependant --, cette diminution ne pourra que se poursuivre, au rythme de un dixième de un pour cent environ chaque année. La population du Québec comptait pour 24,4% de l’ensemble du Canada en 1998. 

Moins de jeunes et plus de personnes âgées

 

Le poids relatif des différents groupes d’âges est en changement rapide et profond (tableau 2). La part des jeunes âgés de 0 à 14 ans a fortement diminué, passant de 35,4% en 1961 à 19,4% de l’ensemble en 1997, et celle de la population ayant atteint l’âge de la retraite est en forte croissance, notamment parce que l’espérance de vie augmente. Le Québec n’a pas encore une population vieille, mais la tendance au vieillissement est nettement présente. Cette tendance va s’accélérer au début du XXIe siècle de façon rapide, comme l’indiquent les projections de population faites par le Bureau de la Statistique du Québec: la part de la population âgée de 65 ans et plus va passer de 12,9% en 1997 à 20,5% en 2021, alors que la part de la population des jeunes (0-14 ans) va se stabiliser (graphique 2). L’âge médian de la population -- l’âge qui départage la population entre deux groupes égaux -- fera un bon considérable, passant de 36,7 ans en 1997 à 43,7 ans en 2021. Cela signifie que la moitié de la population aura moins de 43,7 ans cette année-là. Rappelons que la moitié de la population avait moins de 25 ans en 1951, et moins de 34 ans en 1991. L’image classique de la pyramide pour représenter la distribution de la population selon l’âge devra être remplacée par celle d’un cottage anglais: plusieurs étages de proportions qui vont tendre à devenir égales surmontés d’un toit prononcé. Quand on évoque les changements démographiques en cours, tous pensent spontanément à la baisse de la natalité et au vieillissement de la population; il faut aussi avoir en tête que le centre de la distribution se gonfle à mesure que vieillit la génération du baby-boom. 

Le rapport de dépendance -- qui est mesuré par le rapport du nombre des jeunes et des personnes 65 ans ou plus sur la population âgée de 15 à 64 ans -- va aussi augmenter vers l’an 2011, mais sans atteindre le haut niveau observé dans les années 1950 et 1960. Ce rapport de dépendance doit être interprété avec précaution, notamment parce qu’une partie des personnes ayant dépassé l’âge de la retraite pourront rester active sur le marché du travail ou encore effectuer des travaux non rémunérés, à titre de bénévoles par exemple.
 

Inégale croissance démographique des régions

 

Plusieurs régions administratives du Québec ont vu leur importance relative diminuer depuis vingt-cinq ans (tableau 4). Deux régions ont connu une diminution de leur population depuis 1991: la Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine et le Bas St-Laurent. Quatre autres régions éloignées -- le Saguenay/Lac-St-Jean, l’Abitibi-Témiscamingue, la Côte Nord et le Nord du Québec -- maintiennent leur place relative avec une croissance modeste. La région administrative de Montréal ne compte plus que le quart de la population du Québec et la diminution qui l’affecte s’explique par le déplacement de population vers la banlieue de la métropole et les régions qui l’entourent, qui sont en forte croissance démographique: la Montérégie, Laval, Lanaudière, les Laurentides. L’Outaouais a connu une croissance plus importante que celle de l’ensemble du Québec. Les régions de Québec, de Chaudières-Appalaches, de l’Estrie et de la Mauricie-Bois-Francs ont maintenu leur part relative dans l’ensemble du Québec depuis 25 ans. 

Une population de plus en plus urbanisée

 

La population québécoise se concentre davantage dans les grandes régions métropolitaines, qui connaissent toutes (sauf celles de Chicoutimi-Jonquière et de Trois-Rivières) une croissance démographique plus forte que celle de l’ensemble du Québec (tableau 5 et graphique 3). Ce dernier est de plus en plus urbain et un peu moins de la moitié de toute sa population se retrouvre dans la grande région montréalaise. C’est la région de Hull qui croit le plus vite au Québec depuis dix ans. 

Trois phénomènes démographiques affectent la taille de la population totale et l’équilibre entre les groupes d’âges, et jusqu’à un certain point la répartition entre les régions : la natalité, l’immi­gration internationale et les migrations interprovinciales. Nous en examinerons brièvement les évolutions. 

La chute de la natalité s’accélère

 

Le nombre de naissances et le taux de natalité sont en baisse depuis 1990, après avoir connu un certain redressement à la fin des années 1980 (tableau 6). Une nouvelle tendance à la baisse des différents indicateurs de fécondité existe nettement depuis sept ans (graphique 4). Il faut signaler que la chute du nombre des naissances est importante depuis 1992, ce nombre étant maintenant inférieur à 80,000 depuis 1997. 

Le taux de fécondité a diminué de façon importante dans le groupe des jeunes femmes (20-24 ans), mais non dans le groupe des femmes âgées de 30 ans et plus (tableau 7). Plus scolarisées qu’auparavant, les jeunes femmes reportent à plus tard la venue des enfants, comme le montre l’augmentation de l’âge moyen à la naissance. Elles attendent aussi d’être établies professionnellement avant de devenir mères. Or, les études montrent que plus l’âge à la première naissance augmente, plus la probabilité d’avoir un autre enfant par la suite diminue. 

La désaffection vis-à-vis du mariage est liée à la dénatalité -- les couples vivant en union libre ont moins d’enfants que les couples mariés -- mais cette désaffection vis-à-vis du mariage n’est pas la cause de la baisse de la natalité. Le mariage et la décision d’avoir plusieurs enfants sont plutôt deux phénomènes reliés qui dépendent d’un ensemble de facteurs. Il en va de même pour la diminution de la pratique religieuse, elle-même associée à la baisse de la natalité par plusieurs chercheurs [2]. La désaffection vis-à-vis la pratique religieuse, la désaffection vis-à-vis du mariage et la dénatalité sont en fait trois tendances qui révèlent des changements culturels encore mal connus. 

Deux facteurs semblent par ailleurs liés à la chute de la natalité. Le premier est sans doute l’insécurité économique qui frappe plus durement les jeunes ménages -- précarité, taux de chômage élevé, revenus de travail en baisse -- empêchant l’élaboration de projets d’avenir au cœur desquels le désir d’enfants -- bien présent, les études le montrent -- ne peut pas se concrétiser. Les jeunes couples reportent à plus tard la venue des enfants qu’ils désirent, au risque de ne jamais passer à l’acte. Le second facteur est la difficulté qu’ont les jeunes mères surtout, mais aussi de plus en plus de pères, à concilier l’occupation d’un emploi et le soin des enfants, surtout les 2e et 3e. Si les places en garderies sont maintenant plus accessibles, il faut souligner que les entreprises et les employeurs sont encore réticents à mettre de l’avant des mesures favorisant la conciliation des activités professionnelles et familiales des parents. Le conflit entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec au sujet de la réforme des congés de maternité -- dont on a fait état en 1998 mais qui n’est toujours pas réglé -- empêche la mise en place d’un volet important de la politique familiale qui serait sans doute susceptible d’aider les couples à concilier leurs responsabilités familiales et professionnelles et les aider à avoir les enfants qu’ils désirent. 

La mesure de la descendance finale d’une cohorte de femmes donne une mesure plus fiable du remplacement de la population que l’indice synthétique de fécondité (tableau 8). Nous pouvons estimer avec assez de justesse quel a été le nombre total d’enfants mis au monde par les femmes nées avant le milieu des années soixante, puisqu’elles ont maintenant passé l’âge d’en avoir d’autres. La mesure de descendance finale décline chaque année depuis 1921, date à partir de laquelle chaque cohorte annuelle de femmes a eu un peu moins d’enfants que la précédente. La cohorte des femmes nées en 1943 a été la première à avoir eu moins de 2,1 enfants par femme, soit le nombre nécessaire pour assurer le remplacement naturel de la population. La diminution de la descendance finale semble s’être arrêtée en 1955, pour se stabiliser à 1,6 enfants environ dans les cohortes de femmes nées entre 1955 et 1965. Seul l’avenir dira si elle se maintiendra à ce niveau, mais les indices synthétiques donnent à penser qu’elle diminuera. 

Hausse des interruptions volontaires de grossesse

 

Le nombre d’interruptions volontaires de grossesse est étonnamment élevé et il est en hausse: il s’établit à 27 184 en 1996, dernier chiffre disponible (tableau 9). L’interruption volontaire de grossesse n’est pas seulement répandue chez les adolescentes et les jeunes femmes, mais elle est également fréquente dans le groupe des femmes plus âgées, dans lesquels le phénomène est même en croissance (graphique 5). Selon quelques experts consultés en santé publique, ce nombre élevé est difficile à expliquer, compte tenu de l’accessibilité des différents moyens de contraception et de l’information donnée en la matière dans les écoles, les institutions de santé et la famille. L’interruption volontaire de grossesse serait-elle devenue un moyen de contraception, marquant ainsi l’échec relatif des autres moyens disponibles? 

Diminution du nombre d’immigrants

 

Le nombre d’immigrants qui se sont établis au Québec a été de 27 420 en 1997, en baisse par rapport au nombre approximatif de 50 000 en 1991 et 1992 (graphique 6). La diminution est importante. Le Québec n’a accueilli que 12,3% du nombre total d’immigrants qui ont choisi de vivre au Canada en 1997, ce qui contribue fortement à l’affaiblissement de son poids démographique. Les niveaux d’immigration internationale retenus pour les deux prochaines années ne laissent pas entrevoir de changement à cette situation. 

Le solde migratoire total est en baisse depuis 1993

 

Le Québec avait un solde migratoire négatif jusqu’en 1980. Cette tendance avait été renversée par la suite, le solde migratoire étant largement positif jusqu’en 1993 (graphique 7). Depuis cette date, il est de nouveau en baisse, tout en restant positif. Peut-on parler d’un revirement de tendance à la baisse? Il est encore trop tôt pour l’avancer, mais le phénomène mérite d’être signalé [3]. 

Le solde migratoire interprovincial se détériore

 

En fait, c’est le solde migratoire inter provincial qui se détériore. Celui-ci avait toujours été négatif depuis les années 1960. Il avait même augmenté de façon importante après l’élection en 1976 du premier gouvernement péquiste, et ce jusqu’en 1983, avant de régresser par la suite. Il est de nouveau en hausse depuis le début des années 1990, le Québec ayant connu une perte nette de 17 625 personnes dans ses échanges de migrants avec les autres provinces canadiennes en 1997 (tableau 10). 

Les migrations d’une province à l’autre sont fort importantes au Canada, et il en va de même dans le cas du Québec. Ainsi plus d’un million de personnes ont quitté le Québec entre 1972 et 1997 afin d’aller vivre ailleurs au Canada et presque 660 000 personnes sont venues s’établir au Québec. En 27 ans, le Québec a perdu 426 120 personnes dans ses échanges de population avec le reste du Canada. Rappelons que d’autres provinces canadiennes ont aussi eu un solde migratoire négatif important au cours de la même période, de même que plusieurs États américains de taille comparable à celle du Québec dans leurs échanges de population avec d’autres États. Outre l’incertitude qui entoure l’avenir du Québec, bien d’autres facteurs expliquent les mouvements de population d’une région à l’autre.  

L’Ontario est de loin le principal partenaire des échanges
de population avec le Québec et la Colombie-britannique
attire de plus en plus de citoyens du Québec

 

Où vont les Québécois qui migrent ailleurs au Canada? Un peu moins des deux tiers se sont établis en Ontario en 1997, suivi de la Colombie-britannique (12,9%), des Prairies (12,3%) et de la région Atlantique (10,5%) (tableau 10). Il y a un très net changement dans la destination choisie par les personnes sortant du Québec depuis 1975 : la part de la Colombie-britannique a augmenté et celle des provinces de l’Atlantique a régressé de moitié. Il faut signaler un ralentissement des départs vers la Colombie-britannique en 1997 et 1998, sans doute dû à la crise de l’emploi qui a touché cette province dans la foulée de la crise asiatique. L’Ontario d’abord, puis la Colombie-britannique, sont les deux provinces qui attirent maintenant la majorité des personnes qui quittent le Québec (77,2% de tous les sortants en 1997), suivies de l’Alberta. 

D’où viennent les Canadiens qui migrent vers le Québec? Cette fois encore, l’échange de population avec l’Ontario domine largement: celle-ci a fourni les deux tiers des personnes nouvellement établies au Québec en 1997 en provenance d’une autre province. Les provinces de l’Atlantique suivent avec 14,8% de l’ensemble, la Colombie-britannique avec 10,7% et les Prairies avec 8,3%. La provenance des entrants a été assez stable depuis vingt ans, contrairement ce qui s’est passé pour les sortants qui se concentrent en large majorité dans deux provinces. Il faut aussi noter une certaine progression de la proportion de personnes entrant au Québec en provenance de la Colombie-britannique, qui reste cependant loin derrière l’Ontario. Celle-ci demeure la première province avec laquelle se font les migrations inter provinciales qui impliquent des Québécois.

Hausse continue de l’espérance de vie

 

L’espérance de vie continue de progresser (graphique 8). D’après le dernier chiffre disponible (année 1997), elle est de 75,3 ans pour les hommes et de 81,5 ans pour les femmes. On observe une réduction de l’écart qui sépare hommes et femmes, qui est maintenant de 6,2 ans. La différence après 65 ans est cependant moindre, soit un peu plus de 4 ans. S’ils se rendent jusqu’à 65 ans, les hommes peuvent espérer vivre encore environ un peu moins de 16 ans et les femmes, encore un peu plus de 20 ans (graphique 9). 

Aspects démolinguistiques

 

L’arrivée massive de nouveaux immigrants au Canada (et dans une moindre mesure au Québec) nous amène à analyser les aspects démolinguistiques selon de nouvelles approches. L’indicateur langue maternelle est appelé à perdre de son importance au profit des indicateurs langue parlée à la maison et connaissance de l’anglais et du français susceptible de permettre la participation à la vie civique commune dans les sociétés d’accueil. Il faut en effet accorder plus d’attention aux choix linguistiques que font les immigrants. À quelle communauté linguistique les nouveaux arrivants vont-ils s’intégrer? Cette question est particulièrement importante pour le Québec, mais aussi pour les minorités de langue française dans le reste du Canada. En d’autres termes, un tout nouveau contexte linguistique se dessine qui nécessite l’examen de plusieurs indicateurs démolinguistiques différents. Nous en avons retenu trois: la langue maternelle, la langue parlée le plus souvent à la maison et la connaissance de l’anglais et du français. 

La proportion de personnes de langue maternelle
anglaise régresse au Québec et en Ontario

 

Considérons d’abord la langue maternelle. La proportion de personnes de langue maternelle française est stable au Québec depuis le début du siècle à environ 82% de l’ensemble (tableau 11). Par ailleurs, la proportion de Québécois de langue maternelle anglaise a connu une chute importante depuis 1951, chute qui s’est accélérée dans les années 1970 et 1980 à cause du départ d’une proportion importante de la communauté anglo-québécoise. La part des personnes n’ayant déclaré ni le français ni l’anglais comme langue maternelle augmente par ailleurs, celle des francophones restant assez stable. 

Soulignons au passage que l’on observe le même phénomène en Ontario, où la proportion de personnes de langue maternelle anglaise est aussi en régression, mais pour des raisons différentes: l’immigration internationale massive dans cette province affecte le poids relatif des anglophones établis depuis longtemps. 

La langue parlée à la maison: le français domine
et l’anglais a attiré jusqu’à présent plus de nouveaux
locuteurs que le français

 

Le français comme langue d’usage à la maison est un indicateur plus significatif en terme de comportements. La majorité des Québécois (84%) parle le français à la maison (tableau 12). L’anglais a attiré jusqu’à présent plus de nouveaux locuteurs que le français chez les immigrants, puisqu’au total la proportion de personnes qui parlent l’anglais seulement à la maison (10,1%) est plus élevée que la proportion de personnes de langue maternelle anglaise. Les transferts linguistiques ont donc permis à la communauté anglo-québécoise d’augmenter ses effectifs, contrant ainsi l’impact négatif de la migration en dehors du Québec d’une partie de ses membres. 

Nous avons estimé, dans le tableau 13, quelle a été l’ampleur des transferts linguistiques en comparant la langue maternelle et la langue parlée à la maison, ce qui permet de construire un indice de continuité linguistique. Au total, on peut estimer d’après cet indicateur que la communauté anglophone a augmenté ses effectifs au Québec de 24% grâce à l’intégration de personnes ayant adopté l’anglais comme langue d’usage à la maison, soit un apport de 158 330 personnes. Par ailleurs, 108 215 personnes ont adopté le français comme langue parlée à la maison. Au total, 40% des transferts linguistiques ont été faits vers le français. Il y a cependant lieu de noter qu’il y a ici un important effet de génération --bien dégagé dans les travaux du démographe Charles Castonguay [4], les immigrants les plus âgés ayant opté plus fréquemment pour l’anglais. La situation est en train de changer chez les plus jeunes à cause des lois linguistiques qui les amènent à apprendre le français. 

Il faut souligner au passage les pertes importantes d’effectifs que connaissent les commu­nautés francophones en dehors du Québec qui, à cause des transferts linguistiques, sont en train de perdre le tiers de leur population d’après les données du dernier Recensement. En 1996, il y avait un million de personnes le langue maternelle française en dehors du Québec. Or, seulement 650 000 d’entre eux affirment parler français à la maison, ce qui est un indicateur de l’assimilation en cours. 

Le français, langue commune de la société québécoise

 

Langue connue par 94% de la population, le français est devenu la langue commune des Québécois (tableau 14). Une majorité d’entre eux ne connaissent que le français (56,1%) et 37,8% se déclarent bilingues dans le Recensement de 1996. C’est au Québec que le taux de bilinguisme est le plus élevé, car il tourne autour de 10-12% dans le reste du Canada, cette proportion étant plus élevée en Acadie. 

Environ le tiers des nouveaux immigrants au Québec
connaissent le français

 

Une faible proportion de nouveaux immigrants venant de l’étranger ont le français comme langue maternelle (10,5% en 1997), mais cette proportion est en hausse depuis 1990 (tableau 15). La connaissance du français est cependant plus répandue chez les nouveaux immigrants (35,8% en 1997) et 31,2% d’entre eux connaissaient l’anglais. 

Les francophones canadiens se concentrent
davantage au Québec.

 

Il ressort des données présentées plus haut que le Canada est un pays polarisé sur le plan linguistique à l’aube de l’an 2000. La proportion de francophones hors Québec régresse dans l’ensemble du pays (à signaler au passage que la communauté acadienne maintien cependant son poids démographique relatif au Nouveau-Brunswick, où elle a aussi acquis plus de pouvoir politique et économique) et les francophones du Canada se concentrent de plus en plus au Québec d’après l’indicateur langue maternelle (tableau 16). La concentration est encore plus forte d’après l’indicateur langue parlée à la maison, à cause de l’importance des transferts linguistiques en milieux francophones canadiens. 

Deux raisons expliquent cette polarisation. Même si les communautés francophones en dehors du Québec sont dynamiques, elles connaissent un taux élevé de transferts linguistiques vers l’anglais, particulièrement en Ontario et dans l’Ouest du Canada. Mais surtout, l’importance de l’immigration au Canada est telle qu’elle contribue fortement à la croissance du nombre des anglophones -- puisque la grande majorité des 225 000 nouveaux arrivants qui s’installent dans le reste du Canada chaque année adopte l’anglais -- affectant ainsi le poids relatif des francophones en dehors du Québec. 

Si le reste du Canada devient de plus en plus anglophone d’après l’indicateur de la langue parlée à la maison, le Québec de son côté affirme son caractère francophone, notamment avec la politique de francisation des immigrants qui s’y installent, bien qu’une partie d’entre eux opte finalement pour l’anglais dans leur vie privée. 

Deux lectures de la place du français au Canada

 

La publication des données du recensement de 1996 sur les langues officielles a donné lieu à plusieurs débats publics en 1998. Deux lectures de la situation s’opposent. La première, véhiculée par Patrimoine Canada et le Commissariat aux langues officielles, insiste sur la progression du nombre absolu des francophones en dehors du Québec et sur les progrès du français comme langue seconde au Canada anglais et de l’anglais langue seconde au Québec, présentées comme deux tendances marquantes de l’évolution de la connaissance des langues officielles. Les travaux du ministère du Patrimoine canadien minimisent l’importance de l’assimilation des francophones hors Québec. L’auteur de l’une de ces études écrit, en commentant l’analyse des transferts linguistiques (proportion de personnes de langues maternelle française qui parlent le plus souvent anglais à la maison : “Finalement, il est bon de rappeler que la grande majorité de ces soi-disant francophones assimilés peuvent encore parler le français” [5]. 

Soit, mais si le français cède ainsi la place à l’anglais dans le foyer, n’est-ce pas le prélude à l’assimilation ou à l’anglicisation de la génération suivante? L’auteur ajoute :“Toutefois, le débat sur la vitalité des communautés ne peut ni ne devrait se réduire à une simple question de chiffres. L’esprit, la détermination et le sentiment d’identité d’une communauté, voilà ce qui fait son dynamisme et pas uniquement le nombre de ses membres” (p. 58). Fort bien, mais il faut rappeler que l’assimilation et les transferts linguistiques sont moins élevés dans les régions où la concentration des francophones est la plus forte. Le nombre est donc important... 

La seconde perspective insiste sur la régression du poids relatif des francophones au Canada. Trois facteurs l’expliquent: l’assimilation et la baisse de la natalité des francophones d’un côté, mais surtout l’importance de l’immigration venant de l’étranger, qui a comme effet de faire baisser la proportion relative des francophones, puisque la très forte majorité des nouveaux arrivants s’intègrent à la majorité de langue anglaise. Le Canada est en ce moment le pays occidental développé le plus ouvert à l’immigration internationale. L’une des conséquences de cette forte immigration, non voulue explicitement mais bien réelle, est de marginaliser les communautés francophones hors Québec, dont le poids relatif diminue. Dans ce contexte, l’attrait de l’anglais devient presque irrésistible, principalement dans les milieux où les francophones sont les plus minoritaires, d’où une assimilation plus forte comme on le voit dans les Prairies.

 

Autochtones et minorités visibles

 

Le nombre d’Amérindiens et d’Inuit augmente

 

Le Québec comptait environ 72 000 personnes déclarant une identité autochtone, soit environ 1% de sa population totale. Les autochtones sont moins nombreux au Québec qu’ailleurs au Canada, où ils comptent pour 3,4% de la population dans le reste du Canada (leur poids total dans tout le Canada incluant le Québec étant de 2,8%) (tableau 17). Le nombre total d’autochtones est en hausse à cause de la forte fécondité des familles, mais aussi à cause de la hausse du nombre de personnes qui ont déclaré une ascendance autochtone dans les derniers recensements, à la suite de la nouvelle affirmation identitaire des Amérindiens, Inuit et Métis. 

Le tableau 18 présente la distribution de la population autochtone entre les diverses nations que l’on retrouve au Québec. Les Mohawks (20,2%), les Montagnais (18,8%) et les Cris (17,2%) sont les communautés les plus populeuses. 

Les Amérindiens du Québec vivent en majorité dans des réserves (70,7%) et cette proportion est plus élevée qu’au Canada où elle est de 58% (tableau 29). 

Les minorités visibles: concentrées à Montréal,
mais moins nombreuses que dans le reste du Canada

 

Une nouvelle question dans le Recensement de 1996 demandait aux répondants s’ils appar­tenaient à l’un des groupes de minorités visibles tels que définis dans la loi (11 groupes étaient donnés en exemple). La Loi canadienne sur l’équité en matière d’emploi définit les minorités visibles comme étant “les personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche”. Que l’État mesure ainsi l’appartenance raciale de ses citoyens paraît bien étrange aux citoyens d’autres pays, en Europe principalement, où le souvenir de telle catégorisation des citoyens selon la race a laissé de fort mauvais souvenirs. Le but poursuivi par cette opération est fort différent au Canada: il s’agit d’évaluer quelle est l’égalité des chances des citoyens qui se démarquent de la majorité par leur apparence physique. 

Le Canada compte maintenant 11,2% de sa population qui s’identifie comme faisant partie d’une minorité visible, ce qui reflète les mutations récentes de l’immigration internationale vers le Canada (tableau 20). Cette proportion est inférieure au Québec, qui ne compte que 6,2% de sa population se plaçant elle-même dans cette catégorie, presque toute concentrée à Montréal, où les minorités visibles représentent 12% de la population. Montréal se situe donc dans la moyenne canadienne, mais loin derrière Toronto et Vancouver, où le tiers de la population fait partie d’une monorime visible. Au total, les trois-quarts des minorités visibles de tout le Canada se retrouvent dans les trois plus grandes villes et 42% de ces personnes se concentrent à Toronto même.

 

Familles et modes de vie

 

Désaffection vis-à-vis du mariage comme institution

 

Le nombre absolu de mariages est tombé de moitié depuis 1970, alors que la population augmentait par ailleurs (graphique 10). Moins de 24 000 mariages on été célébrés en 1997, contre 51 690 en 1975. L’âge moyen au premier mariage a nettement augmenté en cinq ans, atteignant 27,2 ans pour les femmes et de 29 ans pour les hommes en 1996. On peut en fait parler d’une véritable désaffection envers le mariage, qui apparaît de moins en moins comme une institution normative aux yeux des nouveaux couples. D’après le Recensement de 1996, le quart de tous les couples québécois (24,4%) vivaient en union libre contre 19% en 1991. Cette proportion dépasse un couple sur deux dans les jeunes ménages. Fait à signaler, la désaffection vis-à-vis du mariage est beaucoup plus prononcée au Québec qu’ailleurs au Canada. 

De plus en plus de naissances hors mariage

 

La proportion de naissances hors mariage a continué de s’accroître, au point de dépasser une naissance sur deux (54,7% en 1997, voir le tableau 6 plus haut). Cette proportion est encore plus élevée pour les naissances de rang un (63,2% en 1997). Il faut noter la forte progression de ce phénomène en moins de dix ans et il s’agit ici d’une mutation majeure et radicale, parallèle à la désaffection vis-à-vis du mariage dont on parlera plus loin. Une étude de Louis Duchesne révèle d’importantes variations régionales dans la proportion des naissances hors mariage [6]. En Abitibi-Témiscamingue, en Gaspésie et sur la Côte-Nord, plus des deux tiers des naissances sont issues de parents non mariés et dans la région de Montréal, cette proportion, qui est stable depuis 1990, se situe à 39% seulement. Les différences sont encore plus considérables entre les municipalités, le phénomène étant moins marqué dans celles où se trouve une forte présence anglophone, notamment à l’ouest de Montréal, là où l’union libre est aussi beaucoup moins répandue. 

Hausse tendancielle du divorce

 

Le nombre total de divorces tourne autour de vingt mille depuis dix ans (tableau 21). En fait cette relative stabilité en nombre absolu est trompeuse, car l’incidence du divorce augmente très nettement d’une génération à l’autre. Le tableau 22 est très révélateur de cette tendance: quelle que soit la durée du mariage, le taux de rupture d’union augmente de façon régulière d’une cohorte annuelle de mariés à l’autre. Considérons un exemple. Quelle est la proportion de couples mariés en 1973 qui n’ont pas fêté leurs noces d’argent en 1997? Environ 32%, soit plus précisément 319 sur mille. Cette proportion était plus faible pour la cohorte des couples mariés en 1964, soit 21% après 25 ans de mariage. Les diverses colonnes du tableau 22 montrent clairement qu’à mesure qu’on se rapproche des années récentes, les chances de divorcer augmentent. Ainsi, cette tendance est particulièrement évidente pour les jeunes couples qui divorcent plus fréquemment après 5 ans de mariage, par exemple, soit 13% des couples mariés en 1991. 

Plus de la moitié des divorces survenus en 1994 ont eu lieu après moins de quinze ans de mariage, alors que cette proportion était plus élevée dix ans auparavant. Ce résultat révèle un phénomène culturel important et un effet de génération. Au cours des années qui ont suivi l’adoption de la Loi qui a légalisé le divorce en 1969, il semble que les ménages formés de conjoints plus âgés ou mariés depuis plusieurs années aient eu moins tendance à rompre leur union que les jeunes ménages. Au fil des années, le divorce est devenu plus fréquent dans tous les groupes d’âge, ce qui explique la hausse observée après une durée de mariage plus longue. Ce résultat est congruent avec l’observation précédente d’une hausse tendancielle du taux de rupture des unions conjugales. 

Les types de familles changent

 

La proportion de familles monoparentales est en légère hausse et elles comptent maintenant pour 16% de l’ensemble des familles. Les changements les plus significatifs sont sans doute la hausse marquée des familles formées par des couples vivant en union libre (tableau 23) et la réduction de la taille des familles, celles qui ne comptent qu’un seul enfant étant en hausse. L’historien E. Shorter qualifie ce type de familles de triade, pour bien montrer que la position de l’enfant change alors radicalement, celui-ci étant minoritaire devant deux adultes et sans interaction avec un frère ou une sœur, avec un nombre limité de cousins. 

Le couple sans enfant présent à la maison:
catégorie de ménages en croissance.

 

Les types de ménages changent dans le temps. Avant les années 1930, les ménages multi-familiaux représentaient une proportion non négligeable des ménages et très peu de personnes vivaient seules. Les célibataires vivaient avec d’autres personnes ou encore en communauté. La famille nucléaire s’est imposée avec l’avènement de la société de consommation et l’urbanisation accélérée. Puis on a assisté à la croissance du nombre de ménages formés de personnes vivant seules dans les années 1960 et 1970, les mutations dans l’espace habité, l’enrichissement et l’extension de l’État-providence rendant possible ce mode de vie. Avec les années 1990 s’impose un nouveau type de ménages qui gagne en importance et croit plus vite que tous les autres: le couple sans enfant présent à la maison. L’allongement de l’espérance de vie et la baisse de la natalité sont les deux facteurs qui ont causé la forte croissance de ce type de ménages. À côté des personnes vivant seules et des familles avec enfants présents à la maison s’impose donc une nouvelle catégorie modale de ménages qui a des comportements de consommation et des habitudes de vie différents des autres dont on commence à découvrir les caractéristiques.

 

Éducation

 

Ralentissement de la croissance du nombre de diplômés
universitaires dans les années 1990

 

Le nombre de diplômés universitaires a continué d’augmenter. Le Québec a franchi la barre des 1,000 diplômés au doctorat par année en 1995 et les universités en ont décerné 1 143 en 1997 (graphique 11). Le nombre de maîtrises est plus élevé: 6 514 en 1997, dernière année disponible. Les diplômés au baccalauréat sont plus nombreux, et leur nombre a progressé de manière régulière entre 1970 et 1993. Depuis cette date, ce nombre plafonne autour de 28 000 à 29 000 par année, malgré une hausse du taux de fréquentation universitaire. Enfin, le nombre de certificats a beaucoup progressé depuis vingt-cinq ans, mais il tend lui aussi à plafonner. “Selon les comportements observés en 1995, plus du quart des jeunes Québécois et Québécoises (27,7%) peuvent espérer obtenir un baccalauréat. Depuis quelques années, les femmes ont progressé davantage que les hommes en ce qui a trait à l’accès aux études universitaires et à l’obtention d’un baccalauréat”. [7] 

L’examen de ces données nous amène à formuler l’hypothèse qu’une nouvelle tendance se dessine dans la deuxième moitié des années 1990: celle d’un ralentissement -- et même d’un plafonnement -- du nombre de diplômés universitaires, sauf au niveau du doctorat. Il semble que le Québec marque le pas dans la production de diplômés universitaires, après des années de croissance. 

Le nombre de doctorats décernés chaque année peut paraître élevé, mais en chiffres absolus les 1 100 nouveaux docteurs ne sont-ils pas trop peu nombreux pour une société qui compte 7 millions d’habitants et qui investit une part importante de ses ressources publiques dans le système d’éducation? 

Hausse de la scolarité moyenne de la population

 

La scolarisation de la population âgée de 15 ans et plus a profondément changé en 25 ans. En 1971, seulement 5% des Québécois de 15 ans et plus possédait un diplôme universitaire; cette proportion est aujourd’hui (1996) de 20% (tableau 24). Ces diplômes universitaires sont cependant eux-mêmes hiérarchisés, du certificat au doctorat.

 

Macroéconomie

 

Croissance continue du PIB, mais la part du Québec dans l’économie canadienne tend à Régresser

 

Le Produit Intérieur Brut a connu une croissance importante depuis 1981. Après un ralentissement au début de 1990, le PIB a augmenté de nouveau à partir de 1994. La part du Québec dans l’ensemble de l’économie canadienne a fléchi lentement de décennie en décennie depuis les années 1960. Elle était de 25,9% en moyenne pour les années 1960 et de 24% pour les années 1970. [8] Celle-ci a reculé à environ 22% au début des années 1980 et elle est maintenant de nouveau en baisse depuis (Graphique 12). 

Le revenu personnel par habitant a été stagnant
durant les années 1990

 

Le revenu personnel par habitant en dollars constants avait beaucoup augmenté durant les années 1970. La tendance à la hausse s’est maintenue durant les années 1980, mais elle a été moins prononcée. Cette tendance s’est encore ralentie durant les années 1990, alors que la croissance du revenu personnel par habitant a été moins forte (graphique 13). 

L’État prélève une part toujours grandissante des revenus
personnels en impôts directs et autres contributions

 

L’État -- que ce soit l’État fédéral, l’État provincial ou les diverses administrations publiques -- prélève une part toujours plus grande des revenus personnels en impôts directs et transferts courants aux administrations publiques. Les prélèvements directs par les administrations publiques continuent d’augmenter même dans le contexte d’une réduction des dépenses publiques. Cette proportion était de 16,9% en 1970, de 20,8% en 1980 et de 26,6% en 1996 (graphique 14). Il s’ensuit que la hausse du revenu disponible a été moins forte que celle du revenu brut. Le revenu disponible représente, en 1997, 73,4% du revenu personnel contre 83,1% en 1970 (graphique 15).

Les sources du revenu personnel sont stables
depuis plus de dix ans

 

Depuis dix ans, la part relative des sources du revenu personnel varie peu. La proportion des salaires et traitements est restée stable à environ 62-63% de l’ensemble des revenus personnels et elle est encore de loin la principale source de revenus de la population (tableau 25) . La proportion respective des trois autres sources est elle aussi stable, après avoir varié de façon importante dans les années 1970 et 1980. En nette hausse depuis le début des années 1970, la part des paiements de transferts plafonne en ce moment autour de 19% et celle des revenus de placements est en régression à cause de la baisse majeure des taux d’intérêts. La part du revenu total qui va aux entreprises individuelles et aux travailleurs autonomes n’a pas beaucoup bougé depuis le début des années 1990, malgré l’augmentation du nombre de personnes actives travaillant à leur compte, sans doute parce qu’il y a dans ce groupe de plus en plus de travailleurs ayant de plus faibles revenus.

 

Emplois et activité professionnelle 

 

Baisse du taux d’activité de la population en âge de travailler
et féminisation du marché du Travail

 

Après avoir connu une hausse continue pendant des années à cause de l’entrée massive des femmes sur le marché du travail, le taux global d’activité de la population en âge de travailler régresse quelque peu depuis 1990, surtout parce que moins d’hommes sont actifs, ce qui n’est pas le cas des femmes. Il y a ici une tendance qui se confirme: pendant que les femmes maintiennent leur présence sur le marché du travail -- autour de 54% depuis huit ans – les hommes s’en retirent quelque peu, leur taux d’activité passant de 75% à 69,7% au cours de la même période (graphique 16). 

Ce sont surtout les hommes âgés de plus de 55 ans qui quittent le marché du travail, alors que la proportion de femmes actives dans ce groupe d’âge est quelque peu en hausse (graphique 17). Les deux récessions économiques du début des années 1980 et début des années 1990 ont touché plus durement les industries productrices de biens. “Comme ces industries embauchent beaucoup d’hommes, ces derniers ont subi les effets immédiats et prolongés de la réduction de l’effectif dans des secteurs ” (Statistique Canada, cat. 71-259, p. 15). Les mutations du marché du travail -- notamment l’emploi salarié dans les grandes entreprises industrielles -- ont affecté le niveau d’emploi des hommes âgés de plus de 50 ans, sans parler de l’usure de la force de travail qui marque ce groupe de travailleurs, dont plusieurs sont actifs depuis l’adolescence. Ensuite, les cohortes de femmes plus âgées, qui ont eu historiquement un taux d’activité plus bas, sont en ce moment remplacées par de nouvelles cohortes de femmes qui restent actives et pour cette raison le taux de participation des femmes au marché du travail continue de croître. Il s’ensuit une féminisation accrue du marché du travail. 

Une étude récente de l’économiste Georges Mathews a montré que la prise en compte de ce taux de participation plus faible au marché du travail impliquait une augmentation de la distance qui se crée entre l’économie québécoise et celle du reste du Canada. [9]
 

Augmentation de l’emploi à temps partiel

 

L’emploi à temps partiel occupe une part grandissante de l’emploi total, comptant pour 17,8% de l’ensemble en 1997, en nette hausse depuis 1987, dernière date pour laquelle les données révisées ont été calculées [10] (graphique 18). Un peu plus du quart des femmes en emploi travaillent à temps partiel (27,3%), contre 10,6% chez les hommes. Ces proportions sont en hausse depuis 1987, tant chez les hommes que chez les femmes. Les hommes occupent maintenant 31,2% de l’ensemble de ces emplois. Les femmes sont cependant encore largement majoritaires dans ce type d’emplois, comptant pour un peu plus des deux tiers de l’ensemble depuis vingt ans (68,8% en 1997). 

Baisse du taux de syndicalisation
et diminution des conflits de travail

 

Le taux de syndicalisation a décliné de façon importante depuis 1990, passant de 46,9% à 41,7% en 1997. On observe aussi une nette diminution des conflits de travail mesurés par différents indicateurs qui sont tous en baisse: moins de conflits de travail, moins de travailleurs touchés et moins de jours-personnes perdus (graphique 19). Les années 1990 ont été nettement moins troublées par des conflits de travail que les années 1980, et surtout les années 1970. Cette tendance se maintiendra-t-elle? Plusieurs indices donnent à penser que les syndicats seront plus combatifs et revendicateurs dans les années à venir, compte tenu de la faiblesse des augmentations de salaires obtenues au cours des dernières années, de la reprise économique et de la fin des compressions budgétaires effectuées par les gouvernements fédéral et provinciaux. 

Le taux de chômage régresse
après une longue période de hausse

 

Le taux de chômage évolue de manière cyclique. Après avoir atteint un sommet en 1983 (13,9%), il a décliné jusqu’en 1989 (9,3%), pour ensuite remonter jusqu’en 1993 (13,2%). Il régresse de nouveau depuis cette date (graphique 20). 

Cependant, deux changements majeurs se sont produits depuis vingt ans dans la composition du groupe des chômeurs qui n’est plus tout à fait le même. Tout d’abord, les hommes chôment plus que les femmes au cours des années 1990, ce qui était le contraire au début des années 1980. Ensuite, il y a une hausse du taux dans la dernière moitié de la vie active, après 45 ans, comparé aux chiffres du début des années 1980. Cette dernière évolution est sans doute liée à la hausse du taux de chômage chez les hommes. La situation s’est nettement améliorée dans le groupe des travailleurs plus âgés en 1997 et 1998, après plusieurs années de détérioration. Même s’ils ont toujours connu un haut taux de chômage, les jeunes sont quant à eux moins affectés dans les années 1990 qu’ils ne l’ont été au cours des années 1980 (graphique 21). Le taux de chômage des jeunes de 20-24 ans reste cependant beaucoup plus élevé que celui observé dans les autres groupes.

 

Revenus, pauvreté et inégalités

 

L’analyse de l’évolution des revenus et du niveau de vie est complexe, parce que les indicateurs le plus souvent retenus mesurent des aspects différents qui ne sont pas toujours bien distingués.
 

Les gains hebdomadaires réels des travailleurs salariés reculent au Québec et l’écart s’agrandit avec les salariés de l’Ontario

 

Considérons un premier indicateur: les gains hebdomadaires des salariés. Ceux-ci compren­nent l’ensemble des revenus gagnés par les personnes salariées, y compris les revenus tirés du travail supplémentaire. Cet indicateur mesure à la fois les revenus gagnés et les heures travaillées. Ces gains, exprimés en dollars courants, sont en hausse depuis 1983, mais il s’agit en fait d’une illusion puisque, transformés en dollars constants de 1997, ils sont en réalité en recul de 4,9%, étant en effet passés de 595$ en 1983 à 566$ en 1997 (graphique 22). 

Cette absence d’augmentation réelle des gains a été maintes fois décrite comme un trait typique du marché du travail contemporain. Si nous comparons la situation du Québec avec celle de l’Ontario, il ne semble pas que tel soit le cas puisque, dans la province voisine qui sert souvent de référence privilégiée, l’évolution contraire s’est produite, les gains réels des salariés progressant de 9,4%, soit de 588$ à 643$ en dollars de 1997. L’écart entre le Québec et l’Ontario s’est agrandi de façon marquée en une douzaine d’années, comme le montre le ratio des gains dans les deux provinces, les salariés québécois gagnant en moyenne 88% des gains des salariés ontariens en 1997, alors qu’il y avait parité relative entre les deux groupes 14 ans plus tôt (graphique 23). 

L’écart de revenu entre hommes et femmes
travaillant à temps plein diminue

 

Les femmes qui travaillent à temps plein gagnent maintenant 76% du revenu moyen des hommes, contre 61% en 1973 (graphique 24). La tendance à long terme d’une réduction de l’écart de revenu entre hommes et femmes actifs à temps plein se maintient. Le revenu réel moyen des hommes travaillant à temps plein a peu augmenté depuis vingt ans, alors que celui des femmes travaillant aussi à temps plein a progressé plus vite, réduisant ainsi les écarts. 

Cet écart de revenu moyen entre hommes et femmes est, faut-il le rappeler, l’une des statistiques les plus connues et les plus citées. Ce ratio de 0,76 est souvent présenté, dans les débats publics, comme une mesure de l’iniquité des revenus entre hommes et femmes. Cette lecture doit être nuancée. En fait, plusieurs raisons expliquent un tel écart. Outre l’iniquité salariale -- salaires moindres pour les emplois majoritairement occupés par les femmes et équivalents à d’autres emplois majoritairement occupés par des hommes -- , il faut aussi prendre en considération les différences dans le capital humain (les hommes plus âgés sont souvent plus scolarisés et ils ont plus d’ancienneté que les femmes), les différences dans les modes de vie et les préférences pour le temps de loisir. Les femmes employées à temps plein travaillent moins d’heures que les hommes également employés à temps plein, notamment parce que celles-ci consacrent plus de temps aux tâches domestiques et les hommes, plus de temps au travail salarié. Le nombre moyen d’heures travaillées par les personnes employées à temps plein est rarement pris en compte dans les débats sur les écarts de revenus entre les sexes. Tous ces facteurs combinent leurs effets pour créer un écart de revenus entre hommes et femmes. Rappelons enfin que les différences de revenus entre homme et femmes célibataires sont beaucoup moins marquées, ce qui confirme que le mode de vie exerce aussi un important effet sur les revenus, en plus des caractéristiques associées au monde du travail. 

Après avoir augmenté rapidement jusqu’en 1990, le revenu
familial réel moyen stagne; le revenu disponible régresse

 

Du milieu des années 1970 au milieu des années 1980, le revenu familial brut total a augmenté notamment à cause de l’avènement du double revenu dans les couples, mais cette hausse a cependant été plus faible durant les années 1980 et nulle durant les années 1990. Le revenu familial moyen exprimé en dollars constants reste à environ 51 000$ depuis 1992 (graphique 25). 

Le revenu familial disponible (après impôts directs) s’est élevé encore moins vite et il a régressé dans les années 1990. En fait, les contributions payées à l’État et les impôts directs ont continué leur progression alors que la croissance des revenus réels était fortement ralentie. Depuis 1980, l’État prélève une part plus grande des revenus réels des ménages. Ce résultat va dans le sens des observations faites plus haut à partir de l’examen de la comptabilité nationale. 

L’impôt et les paiements de transferts
réduisent les inégalités de revenus

 

On observe une augmentation des inégalités de revenus bruts entre les ménages comprenant deux personnes ou plus [11] (tableau 26). Les profonds changements qui ont marqué le marché du travail ces dernières années ont sans conteste contribué à faire augmenter les inégalités socioéconomiques, sans oublier les mutations qui marquent les modes de vie, comme le divorce et le travail salarié des deux conjoints. Le double revenu étant devenu la norme, les ménages qui ne comptent que sur un seul pourvoyeur (les familles monoparentales, par exemple) sont distancés par les autres. 

Les ménages formés de personnes vivant seules sont plus inégaux entre eux que ne le sont les ménages de deux personnes ou plus, comme l’indiquent les coefficients de GINI qui sont systématiquement plus élevés. 

L’impôt sur le revenu et les paiements de transfert aux individus réduisent considérablement les inégalités entre les ménages. Cette observation est importante, car elle montre que ces deux grands mécanismes de réduction des inégalités, caractéristiques du mode de fonctionnement de l’État-providence, continuent de fonctionner. Les changements importants observés dans les politiques publiques (abolition des allocations familiales, remise en cause de l’universalité du programme de sécurité du revenu de la vieillesse, faible indexation de l’aide de dernier recours, modifications radicales au programme de l’assurance-emploi, etc.) et surtout les baisses d’impôts qui sont annoncées (déjà en vigueur dans plusieurs provinces et discutées au Québec) risquent s’accroître la hausse des inégalités dans les années à venir. 

Les ménages à faibles revenus: une proportion assez stable
depuis quinze ans, mais une tendance à la hausse se dessine

 

Statistique Canada ne propose pas de mesure officielle de la pauvreté. L’organisme statistique construit plutôt un seuil de faible revenu (SFR) qu’il ne faut pas confondre avec une mesure de la pauvreté. Sur le long terme, le seuil de faible revenu est resté assez stable dans le cas des ménages formés de deux personnes ou plus, soit autour de 16%, évoluant un peu la hausse ou à la baisse selon la conjoncture économique avec un creux en 1990. Par ailleurs, la proportion de ménages à faible revenu est en hausse depuis 1990 chez les personnes vivant seules, après avoir régressé durant les années 1980. 

Au total, on peut estimer qu’un peu plus de 21,4% de l’ensemble des personnes vivent dans une situation de faiblesse du revenu au Québec, et cette proportion est en hausse depuis 1990. 

Il existe une autre mesure de faible revenu, le MFR, qui se rapproche davantage d’une définition opératoire de la pauvreté qui est maintenant employée par un grand nombre de pays aux fins de comparaisons internationales [12]. La tendance qui caractérise la mesure de faible revenu (MFR) suit de près le seuil de faible revenu analysé plus haut dans le cas des ménages d’une seule personne où la pauvreté apparaît en baisse (un tiers de ménages pauvres en 1995 contre 42,2% en 1980). La situation est un peu différente dans le cas des ménages de deux personnes ou plus, marqués par une certaine réduction de la proportion de ménages pauvres (de 16,4% en 1980 à 14,7% en 1996). Une tendance à la hausse est visible depuis 1993 (graphique 26), ce qui donne à penser que la pauvreté -- et non seulement la faiblesse du revenu -- serait en hausse. 

Les pauvres, une population mouvante

 

La population des pauvres est mouvante. Selon une étude publiée par Statistique Canada en 1997, effectuée à partir de données d’enquête par panel menées en 1993 et 1994, un peu moins la moitié des ménages pauvres ne l’étaient plus après deux ans, ayant été remplacés par un contingent à peu près équivalent de nouveaux pauvres. La pauvreté est donc un état temporaire ou transitoire pour une proportion importante des ménages. Il ressort aussi de cette étude que l’incidence de la pauvreté est importante puisque plus de ménages peuvent être pauvres à un moment ou à un autre au cours d’une certaine période. 

Pour un tiers des ménages, l’entrée dans l’état de pauvreté a été causée par la perte d’un membre à la suite d’un divorce ou d’une mortalité. La même proportion de ménages a pu quitter l’état de pauvreté à la suite de l’arrivée d’un nouveau gagne-pain. L’autre facteur déterminant est l’entrée ou la sortie du marché du travail. Cette étude montre bien que le changements qui marquent le mode de vie sont à peu près aussi importants que la participation au marché du travail pour expliquer la sortie ou l’entrée dans l’état de pauvreté.  

Après six ans de croissance, la dépendance vis-à-vis de l’aide
de dernier recours régresse, suivant les cycles économiques

 

La progression continue depuis 1989 du nombre de personnes vivant de l’aide sociale s’est arrêtée en 1997 et le nombre des personnes dépendantes de l’aide de dernier recours est maintenant inférieur à 700 000 (mai 1998). La diminution a été de 11% entre mars 1996 et mars 1998 (graphique 27). Les personnes qui vivent de l’aide sociale représentent 10,8% de la population âgée de 0 à 64 ans. 

Au total, 447 476 ménages recevaient l’aide de dernier recours au 31 mars 1998, soit 9% de moins que le sommet atteint en 1996 (graphique 28). Sur une longue période, la croissance du nombre des ménage recevant de l’aide sociale est importante, tant en indice (+ 116% en vingt-cinq ans) qu’en proportion. Au total, 16,1% des ménages ont reçu l’aide de dernier recours en 1998, contre 11,2% en 1975. On le voit, l’augmentation du nombre de ménages vivant dans cette situation de dépendance (+116%) a été beaucoup plus rapide que l’augmentation du nombre de personnes (+36%), ce qui s’explique par la multiplication des petits ménages, essentiellement formés de personnes seules et de familles monoparentales. 

Environ les deux tiers des ménages qui ont reçu de l’aide sociale sont formés de personnes vivant seules (tableau 27). Les familles monoparentales constituent le second type en importance de ménages qui bénéficient de cette aide. On le voit, environ 85% des ménages qui reçoivent l’aide directe de l’État ont à leur tête un seul adulte, ce qui est bien révélateur que la dépendance va de pair avec un certain isolement social. La vie en couple ou la vie de famille donnent aux individus sans ressources propres le support matériel pour vivre, mais lorsque survient une crise dans le couple ou la famille, bon nombre d’individus ne peuvent subvenir seuls à leurs besoins et ils doivent alors compter sur l’aide de l’État. Celle-ci permet à des personnes en difficulté de vivre seules, ce qui était à peu près impossible avant 1970. 

Plus des deux tiers des bénéficiaires de l’aide de dernier recours étaient des adultes et 30,6%, des enfants, soit 221 648 au 31 mars 1998. Les deux tiers de ces enfants vivaient en majorité dans des familles monoparentales.

 

Consommation

 

La proportion de ménages propriétaires de leur logement continue d’augmenter lentement

 

L’accès à la propriété progresse lentement et la proportion de propriétaires de leur logement a augmenté à 55,8% en 1997 (tableau 28). Le taux de propriétaires est plus élevé dans les petites villes et à la campagne que dans les grands centres. 

Diffusion rapide de nouveaux biens durables

 

L’équipement de base nécessaire à la vie quotidienne est maintenant à peu près présent dans tous les ménages: système de chauffage, chauffe-eau, cuisinière, frigidaire, machines à laver et à sécher le linge, téléphone, radio, télévision couleur font partie de l’équipement standard, y compris dans les jeunes ménages et les ménages à faible revenu. Ce constat passe aujourd’hui pour une évidence, mais il faut se rappeler qu’il était loin d’en être ainsi il y a vingt ans encore. 

De nouveaux équipements ménagers et de nouveaux biens durables continuent de se répandre dans les foyers. Le four à micro-ondes est devenu un bien essentiel en moins de dix ans, alors que le lave-vaisselle s’est répandu moins rapidement. En dix ans le BBQ au gaz s’est retrouvé dans presque la moitié des ménages, mais sa diffusion ne dépassera sans doute pas la proportion de ménages propriétaires de leur logement, pour des raisons de sécurité (les locataires n’ayant généralement pas l’espace nécessaire ni l’autorisation d’avoir un tel équipement). 

Le taux de possession d’une voiture n’augmente plus depuis 10 ans mais la proportion de ménages équipés d’un camion ou d’une fourgonnette (minivan) est en nette hausse. Si les ménages ont acquis de nombreux biens d’équipement ménager durant les années soixante et soixante-dix, ils se sont massivement équipés d’une grande panoplie d’équipements électroniques reliés aux loisirs durant les années 1980 dont la consommation était encore en hausse en 1997. Presque tous les ménages ont la télé-couleur et la moitié d’entre eux ont même deux postes ou plus, le magnétoscope est présent dans 80% des ménages, la moitié des ménages ont un lecteur de disques compacts et le câble est présent dans les deux tiers des foyers. Ces biens font maintenant eux aussi partie de l’équipement de base de ces derniers. 

L’ordinateur personnel est présent dans un foyer sur quatre d’après Statistique Canada et dans un foyer sur trois d’après l’enquête sur les pratiques culturelles du ministère de la Culture du Québec. Après un lent départ, le taux de possession d’un micro-ordinateur à la maison est en nette progression chaque année. D’autres biens, tels que les fours à micro-ondes, les magnétoscopes et les BBQ au gaz, pour ne citer que trois exemples, se sont diffusés plus rapidement parce qu’ils avaient trouvé une utilité immédiate dans le foyer. Le micro-ordinateur a tardé à trouver la sienne aussi vite. Sans doute est-ce la communication avec l’extérieur qui va lui permettre de trouver son véritable créneau dans le foyer. Les loisirs, la vie quotidienne, les activités d’apprentissage et les relations sociales, sans oublier le travail au foyer, exigent de communiquer avec l’extérieur et il est possible d’utiliser l’ordinateur pour chacune de ces activités. Deux facteurs contribuent à l’extension du taux de possession d’un ordinateur domestique: la simplification de la manipulation et le développement de nouveaux usages. L’apprentissage des micro-ordinateurs s’avère plus long et plus complexe que celui d’autres biens durables. Mais le développement de nouveaux logiciels conviviaux a simplifié son utilisation et on peut entrevoir le jour où il deviendra sans doute aussi simple de faire fonctionner un ordinateur que de téléphoner (compte tenu que l’utilisation du téléphone se complexifie de son côté!). Par ailleurs, le nombre de personnes qui ont une connaissance pratique des ordinateurs sur le marché du travail augmente, sans oublier les jeunes générations qui se familiarisent tôt avec cet appareil. 

Le cinéma, divertissement toujours plus populaire

 

Le cinéma est, avec la télévision, l’une des industries culturelles les plus développées. L’auditoire des cinémas et ciné-parcs a connu une forte croissance au Québec durant les années 1990, plus rapide que l’accroissement de la population (tableau 29). Les salles de cinéma du Québec ont connu plus de 23 millions d’entrées en 1997, soit une hausse de 11% par rapport à l’année précédente. Cette croissance est étonnante et il faut parler d’un véritable engouement pour le 7e art, comme en témoigne l’ouverture de complexes géants de salles de cinémas à Québec et Montréal. Les Québécois âgés de 12 ans et plus ont vu en moyenne 3,1 films en salle en 1997, soit un film de plus en moyenne par année en cinq ans. 

L’industrie du cinéma est largement dominée par les grandes sociétés commerciales américaines, qui contrôlent à toutes fins pratiques la production et la commercialisation des films (tableau 30). En 1997, 84,1% de tous les films vus par les clients des cinémas étaient d’origine américaine (chiffre qui inclue les co-productions). Les films venant de France suivent loin derrière avec 4,9% de l’auditoire, et la part des films du Québec a été de 3,7% (0,3% pour les films canadiens). 

La proportion de films projetés en version française a augmenté au début des années 1990, et elle se situe à environ 64% de l’ensemble depuis 1993.


*     L’auteur remercie David-H. Mercier pour l’aide apportée dans la mise à jour des données de la présente édition des tendances et pour la préparation des tableaux et graphiques.

[1]    Nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage dont nous avons coordonné la rédaction, La société québécoise en tendances 1960-1990, (Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1990). Les données de ce chapitre reprennent quelques-unes des séries statistiques qu’on trouve dans cet ouvrage, qui couvre par ailleurs l’ensemble des domaines que l’on nous reprochera peut-être de ne pas aborder ici.

[2]    Selon une étude de Statistique Canada publiée en 1998 donnant les résultats d’une enquête faite auprès des Québécoises.

[3]    Le solde migratoire est établi à partir des déclarations d’impôt sur le revenu, avec deux ans de retard. Le solde calculé chaque année à partir du fichier des allocations familiales surestime les départs du Québec et les deux statistiques ne peuvent être comparées. Lorsque le solde estimé est publié chaque année, il s’ensuit une distorsion si on le compare au seuil définitif de l’année précédente mesuré à partir d’une autre base. La surestimation qui résulte de la comparaison de données venant de deux sources a donné lieu à des manchettes alarmistes ces dernières années, surtout dans la presse anglophone.

[4]    Charles Castonguay, “Évolution de l’assimilation linguistique au Québec et au Canada entre 1971 et 1991”, Recherches sociographiques, 3, 38, 1997: 469-490.

[5]    Michael O’Keefe, Minorités francophones: assimilation et vitalité des communautés, Ottawa, Patrimoine Canada, 1998, p. 37.

[6]    Louis Duchesne, “Naître au naturel: les naissances hors mariage ”, Statistiques. Données socio-démographiques en bref, BSQ, juin 1997.

[7]    Ministère de l’Éducation, Indicateurs de l’Éducation 1996 et 1997, Québec, 1997.

[8]    Voir Statistique Canada, Système de comptabilité nationale. Comptes économiques provinciaux, édition historique 1961-1986, cat. 13-213, p. xxii.

[9]    Georges Mathews, « L’essoufflement de l,économie québécoise face à l’économie canadienne », dans Recherches sociographiques, 2-3, 1998 : 363-391.

[10]   Statistique Canada a modifié la définition du travail à temps partiel. Certains emplois réguliers occupés moins de trente heures par semaines (pilotes d’avion, par exemple) sont inclus dans les emplois à temps plein. Les données ont été révisées à partir de 1987. Avant cette date, elles ne sont pas strictement comparables.

[11]   L’inégalité est mesurée par le coefficient de GINI, qui est une mesure classique. Plus les riches reçoivent une part élevée des revenus, plus le coefficient de GINI est élevé.

[12]   La Mesure de Faiblesse du Revenu (MFR) définit comme pauvres les ménages qui reçoivent moins de la moitié de la médiane du revenu disponible par unité. Cette mesure, plus facile à calculer, est maintenant de plus en plus utilisée dans les comparaisons internationales de la pauvreté.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 25 novembre 2007 18:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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