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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
La libération des femmes. (1974) Texte intégral de l'article.
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de la professeure Nicole Laurin-Frenette, La libération des femmes . Un article publié dans la revue Socialisme québécois, no 24, 1er trimestre 1974, pp. 47-62. Montréal: Éditions coopératives Albert Saint-Martin. [Autorisation accordée lundi le 14 janvier 2003].
“ La libération des femmes. ” (1974)
par Nicole Laurin-Frenette, sociologue, Université de Montréal
Mars 1973
L'essentiel des thèses présentées dans cet article a déjà fait la matière d'un texte polycopié utilisé dans le cadre du cours sur la condition féminine, donné à l'Université du Québec à l'automne 72. Il m'a semblé utile de le reprendre à la lumière des commentaires et des critiques qu'a suscités sa discussion. L'objectif de ce travail est de tenter une synthèse des éléments théoriques déjà existants qui peuvent s'appliquer à l'analyse de la condition féminine. Au cours des trois dernières années, une abondante littérature consacrée à la condition féminine a été produite dans le cadre du nouveau mouvement féministe, tant en Europe qu'en Amérique. Ce mouvement a par ailleurs suscité un renouveau d'intérêt pour des ouvrages moins récents consacrés à la femme et à la famille tels les textes de Engels, Lénine, Bebel dans le courant marxiste, ceux de Reich en psychanalyse, ceux de Simone de Beauvoir etc.
Dans un premier temps, nous essaierons d'examiner le cadre théorique dont s'inspire chacun des principaux courants : marxisme, psychanalyse, existentialisme, féminisme révolutionnaire. Cette démarche nous permettra de constater que chaque problématique semble privilégier une dimension de la condition féminine - économique, biologique, idéologique - à l'exclusion des autres et qu'une synthèse de ces points de vue partiels peut-être envisagée. Nous verrons qu'une analyse fondée sur une théorie de la reproduction indique la voie d'une telle synthèse. Dans un second temps, nous aborderons brièvement le problème de l'organisation en rapport avec le mouvement féministe, en essayant de dégager les implications pratiques des propositions théoriques discutées dans la première partie.
Avant de s'engager dans l'exposé, quelques mises en garde s'imposent. Il faut d'abord souligner qu'il s'agit de théorie et que, en l'absence de pratique révolutionnaire, la théorie est un discours assez gratuit meublant les heures creuses de l'attente, de mots qui ne sont que "canaux à travers lesquels les analphabètes se donnent bonne conscience" comme dit Léo Ferré. La vraie théorie est dans l'usine, dans la cuisine et dans l'asile ; l'Université et ses appendices ne sont là qu'en attendant qu'on vienne les transformer en ce qu'on jugera, utile : garderie, commune, théâtre ou autre unité de production libre. Aussi, ce qui fait l'opprimé(e), c'est - en autres - la langue de l'oppresseur. Et qu'on ne s'y méprenne point, nous parlons toutes et tous ce langage. Les femmes ne diront et n'écriront quelque chose que le jour où elles ré-inventeront les mots et la grammaire et cesseront de paraphraser le discours de l'oppression, y compris celui dit théorique. Telles sont les limites de ce texte.
1 Engels : le fondement économique de la condition féminine
L'ouvrage de Engels, "L'Origine de la propriété, de la famille et de l'État", est l'unique texte marxiste qui applique rigoureusement les principales thèses du matérialisme historique à l'analyse de la condition féminine. Engels part du postulat matérialiste que les institutions économiques, sociales, politiques que l'on trouve dans une société, à une période donnée de son développement, représentent toujours l'ensemble des manières dont les membres de cette société produisent et reproduisent leur existence matérielle. D'une part, les êtres humains doivent produire ensemble ce qui est nécessaire à leur vie : nourriture, logement, habillement etc., de même que les outils nécessaires à cette production. D'autre part, ils doivent aussi se reproduire, c'est-à-dire produire les enfants nécessaires à la survie de l'espèce. Engels écrit :
"Selon la conception matérialiste, le facteur déterminant en dernier ressort, dans l'histoire, c'est la production et la reproduction de la vie immédiate. Mais à son tour, cette production a une double nature. D'une part, la production des moyens d'existence, d'objets servant à la nourriture, à l'habillement, au logement et des outils qu'il nécessitent; d'autre part, la production des hommes mêmes, la production de l'espèce. Les institutions sociales sous lesquelles vivent les hommes d'une certaine époque historique et d'un certain pays sont déterminées par ces deux sortes de production - par le stade de développement où se trouvent d'une part le travail, et d'autre part, la famille."
Dans la perspective marxiste, c'est donc la manière dont les hommes et les femmes dans une société produisent et reproduisent ensemble leur existence, c'est-à-dire la matière dont ils et elles vivent, travaillent, font des enfants et les nourrissent qui déterminent ce qu'ils et elles sont, comment ils et elles pensent, parlent, aiment, etc.
Ce mode de production et de reproduction de l'existence est soumis à un changement constant parce que les moyens et les outils dont on se sert et la façon dont on s'organise pour produire se perfectionnent, se développent, se complexifient au fur et à mesure que l'on produit. Les rapports entre les gens, les diverses institutions sociales se transforment en conséquence. C'est ce que Engels s'applique justement à démontrer en reconstituant l'histoire du développement de la propriété, de la famille et de l'État. Nous n'entrerons pas dans les détails de cette démonstration qui relèvent de l'histoire et de l'anthropologie. Nous en tirerons les éléments qui permettent, selon Engels, de rendre compte de l'oppression de la femme.
Selon l'auteur, les société primitives ne reconnaissent aucune inégalité entre les sexes. La femme jouit d'une position identique à celle de l'homme et y détient, dans certains cas, la suprématie sociale; c'est l'époque du matriarcat. Les sociétés primitives produisent et consomment sur un mode communiste ; elles ne sont divisées par aucune inégalité, elles ne pratiquent aucune exploitation, domination ou oppression. C'est qu'il n'y existe aucune propriété au sens strict. En effet, la 'production collective permet tout juste la subsistance de chacun et ne donne lieu à aucun surplus au-delà de ce minimum vital. Selon Engels, on assiste à une division "naturelle" du travail entre l'homme et la femme. Il s'occupe de la chasse, de la pêche, de la guerre ; elle se charge de la maison et du jardin. Chacun est propriétaire de ses instruments de travail et considéré comme souverain et autonome dans sa sphère propre. Cette division n'entraîne aucune inégalité entre les sexes parce que les travaux de chacun ont une utilité, une importance et une valeur identiques. Le cadre des rapports sexuels et de l'élevage des enfants est collectif : ce sont les diverses formes de mariage par groupes et de mariage par paires à l'intérieur d'un groupe familial ou tribal très étendu. De même, sur le plan politique la collectivité règle directement ses propres affaires et l'autogestion tient lieu du gouvernement.
C'est l'instauration de la propriété privée rendue possible par le développement de la production sur une échelle plus vaste qui bouleverse cette organisation de la société. En effet, avec des moyens de production plus efficaces, une division du travail plus poussée s'effectue : des groupes se spécialisent dans l'élevage, ensuite dans l'agriculture, dans l'artisanat, le commerce, etc. Cette productivité accrue permet l'accumulation de richesses (surplus non consommés) par des producteurs individuels. L'exploitation du travail d'autrui devient rentable d'où l'avènement de l'esclavage. La division du travail et la propriété provoquent ainsi la division de la société en diverses fractions et classes antagonistes et la destruction de l'ancienne organisation sociale et politique communautaire et égalitaire. (note 1)
Avec la division du travail, la production de surplus, l'émergence de la propriété et la division de la société en classes coïncide, selon Engels, l'avènement de la famille patriarcale et de l'État. La position de la femme est profondément modifiée par le nouveau mode de production. Car ce sont les activités de l'homme (élevage, agriculture, artisanat, commerce) et non les siennes qui deviennent rentables, source de valeur dans l'échange, de profit et de richesse accumulables. La production effectuée par la femme rit présente de valeur que pour l'usage privé, domestique ; pour une bonne part, elle n'est pas commercialisable, La femme se retrouve ainsi dans une position d'infériorité vis-à-vis de l'homme et celui-ci ne tarde pas à la réduire au rang de servante, voir d'esclave, dépourvue de propriété et de contrôle quant à son travail, ses outils et ses produits.
En outre, la nouvelle propriété privée acquise par l'homme doit être conservée et transmise à ses descendants ; il n'est plus question qu'elle retourne à la tribu, au clan, à la communauté. L'homme obligera dons la femme à lui garantir une descendance qui lui appartienne en propre. Cette nécessité amène l'établissement du mariage conjugal qui consomme et consacre la déchéance de la femme et sa nouvelle position d'infériorité. En résumé:
"La monogamie est née de lit concentration des richesses importantes dans une même main - la main de l'homme - et du désir de léguer ces richesses aux enfants de cet homme, et d'aucun autre."
Ainsi s'établit l'unité économique fondée sur l'union conjugale et réglée par la domination que l'homme exerce sur sa (ses) femme(s), enfants, serviteurs et esclaves. Elle se maintiendra jusqu'à nos jours, avec des variations mineures.
À la famille patriarcale comme appareil d'oppression des femmes et des enfants correspond l'État comme appareil d'oppression des classes qui sont dominées et exploitées à l'échelle de la société globale. Les structures politiques qui se forment en même temps que la famille répondent à la nécessité d'empêcher l'éclatement de la société maintenant divisée en classes antagonistes. l'État permet à la production sociale de s'effectuer en contrôlant par la force et par la persuasion les luttes qui résultent de la division sociale nécessaire à la production. En plus, l'État contribue, souvent directement à la production sociale mais il exerce ce rôle au profit de la classe qui domine la production puisqu'il a comme principale raison de maintenir cette domination. Donc, la famille et l'État sont le cadre de processus qui permettent à l'organisation sociale de se perpétuer malgré les luttes et les oppositions qui la déchirent et qui résultent d'une part, de l'inégalité économique entre les sexes et d'attire part, de l'inégalité économique entre les classes de producteurs. Ces deux types d'oppression ont leur source comme on l'a vu, dans la propriété privée née de la division du travail dans la production sociale. Telle est selon Engels, l'origine de la propriété, de la famille et de l'État.
Pour Engels, la fin de l'oppression des femmes coïncide avec l'abolition de la société divisée en classes; à notre époque, il s'agit de la société capitaliste ou bourgeoise. La révolution prolétarienne met fin à la propriété privée des moyens de la production collective. Ceux-ci appartiennent à l'ensemble des travailleurs qui, par l'intermédiaire de l'État prolétarien, organisent sur une base égalitaire la production et la distribution. La femme devient un membre à part entière de la collectivité parce qu'elle est intégrée à la production sociale au même titre et aux mêmes conditions que les autres travailleurs. Le travail ménager et les tâches liées à l'élevage des enfants sont transférés pour une large part à la collectivité. Le mariage peut être maintenu mais il n'existe plus sous la forme bourgeoise qui représente simplement une façade légale servant à protéger la propriété privée et derrière laquelle fleurissent l'adultère et la prostitution. Il est fondé sur l'amour réciproque dans l'égalité la plus complète parce qu'il n'est plus indissoluble et que l'homme n'y détient aucun moyen de suprématie économique et sociale sur la femme. Pour Engels, l'oppression de la femme est donc, fondamentalement, un problème économique ; par conséquent, sa solution est principalement d'ordre économique et elle n'est possible que dans la société industrielle socialiste :
"L'affranchissement de la femme a pour condition première la rentrée de tout le sexe féminin dans l'industrie publique et cette condition exige à son tour la suppression de la famille conjugale en tant qu'unité économique de la société".
"L'émancipation de la femme, son égalité de condition avec l'homme est et demeure impossible tant que la femme restera exclue du travail social productif et qu'elle devra se borner au travail privé domestique. Pour que l'émancipation de la femme devienne réalisable, il faut d'abord que la femme puisse participer à la production sur une large échelle sociale et que le travail domestique ne l'occupe plus que dans une mesure insignifiante".
2 Les dimensions du problème non envisagées par Engels
Le principe sur lequel se fonde l'approche de Engels est correct et indispensable à la compréhension du problème de l'oppression des femmes: l'inégalité entre les sexes dépend comme tout autre fait social de la manière dont les membres d'une collectivité produisent et reproduisent leur existence matérielle. Si la production implique l'inégalité des producteurs (leur division en classes), la famille comme l'État sont nécessaires en tant qu'appareils de maintien et de perpétuation de cette division. Et la famille, sous ses diverses formes ou variantes, se définit par l'oppression des femmes et des enfants. Là-dessus, je suis d'accord avec Engels mais je considère cependant qu'il a tort de ramener l'oppression de la femme et l'ensemble des institutions patriarcales à une seule cause, d'ordre économique. Pour lui, l'instauration de la propriété privée explique directement la sujétion de la femme parce que cette propriété est concentrée dans les mains de l'homme. La suprématie économique masculine est de même nature que celle du maître sur l'esclave, du capitaliste sur le travailleur salarié. Ces affirmations doivent être nuancées.
Il me semble que la prépondérance économique de l'homme basée sur sa propriété des moyens de travail n'explique que pour une part seulement l'oppression de la femme. Toute l'explication de Engels repose sur ce malencontreux hasard qui a voulu que les outils et les activités de l'homme deviennent sources de valeur et de profit au dépens de ceux de la femme. On peut bien croire que les femmes n'étant pas plus bêtes que les hommes, auraient pu délaisser leurs activités domestiques et s'emparer des nouveaux outils, source de richesse. Dans certains cas d'ailleurs, elles s'occupaient déjà de l'artisanat, de l'élevage etc. En outre, les nouveaux moyens de production n'ont pas permis à tous les hommes de s'enrichir. Engels affirme lui-même qu'une classe restreinte s'en est assuré la propriété et le bénéfice. Et pourtant, l'oppression s'est abattue sur toutes les femmes ; le mariage et la famille sont devenus le cadre des rapports de tous les hommes et de toutes les femmes. Il faut également considérer que dans la mesure où elle existe, la prépondérance économique de l'homme ne suffit pas à expliquer que l'on doive condamner les femmes au travail domestique : maison, jardin, enfants. Cette division du travail renforcée par l'institution du mariage et de la famille, existe déjà, Engels l'affirme, avant que l'homme n'accède à la suprématie que lui procurent la propriété et l'échange. Et on se demande d'ailleurs comment Engels peut se permettre de la considérer comme une division naturelle du travail.
La concentration des richesses dans les mains de l'homme et la nécessité de les léguer à ses descendants légitimes rend compte certainement d'une partie de l'oppression des femmes. Mais la nécessité pour les membres d'une collectivité d'assurer à la fois la production de leur existence matérielle et sa reproduction à court aussi bien qu'à long terme, permet également de comprendre certains déterminants importants de la condition des femmes. La reproduction matérielle simple, c'est toute cette partie de la production sociale qui permet à la collectivité de continuer de produire, de renouveler constamment le cycle de la production et de la consommation. Cette part de la production comprend la fabrication de nouveaux outils, machines etc. et la recherche de nouvelles matières premières ; elle comprend aussi la procréation et l'élevage des enfants et enfin le renouvellement de la force de travail du producteur : nourriture, vêtement, soins divers etc. Une partie importante de cette production sociale destinée à la reproduction matérielle est effectuée par les femmes, dans toutes les périodes de l'histoire. Et il ne semble pas qu'il en soit ainsi parce que les hommes leur sont économiquement supérieurs. C'est que : 1) il est plus rentable que ces tâches soient remplies par une catégorie particulière de travailleurs plutôt que par tout le monde ; c'est le principe général de la division du travail ; 2) le fait que les femmes portent les enfants, leur donnent naissance, les allaitent etc. est un prétexte commode pour leur confier ce type de fonction.
Le travail domestique et ménager est source d'infériorité et d'oppression pour les femmes parce qu'il permet à l'homme dans certains cas, de devenir économiquement supérieur à sa femme, mais non dans tous les cas. Il rend la femme dépendante de l'homme pour son embauche, sa protection et sa participation aux produits de la production sociale dont elle est exclue. Il entraîne et exige le développement de caractères physiques, intellectuels et émotifs qui rendent la femme incapable d'échapper à la prison conjugale et au ghetto familial. Il faut remarquer par ailleurs -que d'une autre façon, le travail domestique est dévalorisé et dévalorisant parce que les femmes qui en sont chargées, sont considérées comme inférieures sous d'autres prétextes que nous allons analyser.
En effet, l'asservissement et l'oppression de la femme dans le cadre du mariage et de la famille tient à une autre série de raisons, qui s'ajoutent aux premières et qui dépendent également du procès de reproduction, mais de la reproduction idéologique cette fois. On a vu que la collectivité doit sans cesse se reproduire matériellement par la fabrication d'outils, le renouvellement de la force de travail, la procréation des enfants etc. Elle doit aussi se reproduire comme organisation sociale, reproduire la manière dont elle produit. Cela signifie que toute collectivité jusqu'à nos jours doit reproduire sa division en classes ainsi que les structures, appareils et institutions sociales qui maintiennent cette division en classes nécessaire à la production sociale. Cette reproduction se fait principalement dans et par la socialisation ou l'éducation des enfants. Ce processus consiste à fabriquer des futurs producteurs ou agents de production présentant des façons de penser et de sentir telles qu'ils trouveront normale la société où ils sont appelés à vivre, qu'ils se mouleront dans les places qui leur sont réservées, qu'ils referont le monde selon le même modèle que leurs parents.
Dans une société de classe, cette reproduction des agents de la production exige qu'ils fassent l'apprentissage et l'acquisition de tous les caractères intellectuels et émotifs nécessaires pour subir l'exploitation, la domination et l'oppression. Les petits maîtres comme les petits esclaves, les petits bourgeois comme les petits prolétaires doivent apprendre à dominer et à être soumis, à opprimer et à être asservis, à gagner et à perdre, etc. Cette formation de la personnalité se fait principalement à l'intérieur de la cellule familiale, c'est-à-dire dans le cadre de rapports humains fondés sur l'inégalité, la domination et l'oppression. La suprématie de l'homme et l'asservissement de la femme trouvent une de leurs raisons d'être les plus importantes dans cette fonction "éducative" de la famille qui consiste à offrir au futur agent de production un milieu d'apprentissage de la société de classe, c'est-à-dire de la domination et de l'exploitation auxquelles il devra plus tard se soumettre et consentir et qu'il devra reproduire à son tour.
3 La psychanalyse: le fondement idéologique de la condition féminine
Les travaux de Wilhem Reich sur la famille patriarcale sont centrés sur l'analyse de ce processus de reproduction idéologique auquel il donne le nom d'ancrage caractérologique de l'ordre social: l'imposition à tous les membres d'une société du caractère psychique permettant à l'ordre social de se maintenir, imposition qui se fait par l'intermédiaire de la répression que la famille patriarcale exerce sur ses membres. Il écrit dans l'introduction à "L'analyse caractérielle":
"Tout ordre social crée les caractères dont il a besoin pour se maintenir. Dans la société divisée en classes, la classe dirigeante s'assure sa suprématie par le moyen de l'éducation et des institutions familiales, par la propagation parmi tous les membres de la société de ses idéologies déclarées idéologies dominantes. Mais il ne s'agit pas seulement d'imposer des idéologies, des attitudes et concepts aux membres de la société : en réalité, nous avons affaire, dans chaque nouvelle génération, à un processus en profondeur, générateur d'une structure psychique correspondant dans toutes les couches de la société à l'ordre social établi".
Les idées de Reich sur la famille ressortent d'une tentative de conciliation et de synthèse du marxisme et de la théorie freudienne. Pour Freud, le refoulement et la sublimation des pulsions libidinales de l'enfant, imposés par les relations familiales, sont nécessaires à la création et au maintien de l'ordre et de la civilisation, malgré les inévitables troubles psychiques qu'ils entraînent (névroses et psychoses) et que la cure psychanalytique individuelle peut soulager. Le mérite de Freud est d'avoir montré et expliqué le fonctionnement de ce processus de production de l'inconscient par lequel les petits humains - mâles et femelles - sont transformés en agents dociles et malades de la production sociale. Mais il n'en est pas moins odieusement misogyne dans la mesure où il considère comme normale, nécessaire et naturelle, la castration psychique qui fait de la femme cet être passif, masochiste, infantile et "envieux" qui ne peut s'accomplir que dans la soumission et la dépendance. L'absence de pénis chez la femme justifie, pour Freud, l'infériorité intellectuelle et sociale dans laquelle on la maintient. De même, la présence chez l'homme de cet organe magique suffirait à légitimer la transformation sociale du mâle en être dominateur et agressif, perpétuellement voué à la démonstration physique, intellectuelle et politique de sa supériorité.
Pour Reich, ce conditionnement psychique, fondé sur la répression et la diversion de l'énergie vitale, est nécessaire à la reproduction des sociétés de classe et disparaîtra avec elles. Il considère que cette répression - condition et but de la famille - est soutenue par l'idéologie coercitive ou autoritaire qui, loin d'être le monopole d'une minorité dominante, imprègne largement toutes les classes de la société. Cette idéologie, dès lors qu'elle est enracinée dans la structure psychique des masses, permet le fonctionnement des processus socio-économiques de la production. Ainsi, la production économique est inconcevable hors de la production d'un substrat psychique (intellectuel et affectif) fonctionnel et vice-versa. Reich écrit dans la seconde préface à "La Révolution sexuelle" :
"Il n'y a rien de l'ordre d'un développement des forces productives per se ; il n'existe qu'un développement de l'inhibition dans la structure psychique humaine, dans la pensée et le sentiment, sur la base de processus socio-économiques. Le processus économique, c'est-à-dire le développement des machines, est fonctionnellement identique au processus psychique structural de ceux qui réalisent le processus économique, l'accélèrent ou l'inhibent, et qui en subissent aussi l'influence. L'économie est inconcevable hors de la structure affective agissante de l'homme..."
Dans les sociétés capitalistes et autoritaires, la virilité et la féminité - ainsi que le modèle de leurs rapports - ne sont que le produit de la mutilation sexuelle et affective imposée par la famille aux futurs agents de la production, au nom des classes dominantes et en vue de la perpétuation de cet "ordre", cette "culture" et cette "civilisation" dont elles tirent pouvoir et profit. Pour Reich, la révolution sera donc sexuelle et politique à la fois, n'en déplaise à Lénine ou à Freud.
Les thèses de Reich, reprises sous une forme nouvelle par l'école anti-psychiatrique actuelle (Laing et Cooper et d'une autre façon, Deleuze et Guattari) représentent un complément essentiel à la théorie marxiste, particulièrement en ce qui concerne la question de la condition féminine. En effet, elles permettent de comprendre pourquoi le mariage et la famille tout comme l'appareil d'État, apparaissent en même temps que la propriété privée et la division de la société en classes. C'est que la famille, par ses fonctions de reproduction matérielle et de reproduction idéologique, est essentielle au maintien de toute société de classe. La reproduction idéologique exige l'oppression de la femme car les membres de chaque nouvelle génération doivent être transformés en bons agents de la production dans et par des rapports familiaux inégalitaires, autoritaires et répressifs. À cette fin, la famille doit présenter l'image en miniature de la société de classes. C'est dans ce sens-là que Marx et Engels qualifient quelquefois de rapports de classes l'antagonisme entre l'homme et la femme, comparant celui-ci au bourgeois et celle-là au prolétaire. Car :
"La famille ... contient en miniature tous les antagonismes qui, par la suite, se développeront largement, dans la société et dans son État." (Marx)
"Le mariage conjugal est la forme-cellule de la société civilisée, forme sur laquelle nous pouvons déjà étudier la matière des antagonismes et des contradictions qui s'y développent pleinement." (Engels)
"Dans la famille conjugale... nous avons une image réduite des mêmes antagonismes et contradictions dans lesquels se meut la société divisée en classes depuis le début de la civilisation, sans pouvoir ni les résoudre, ni les surmonter." (Engels)
4 La révolution socialiste: une solution ?
On a vu que Engels liait la libération de la femme à la révolution socialiste qui abolirait la propriété privée des moyens de production et permettrait à tout le sexe féminin de participer de plein droit à la production sociale. La majorité des penseurs et des leaders socialistes et communistes ont également proposé ce type de solution à l'oppression des femmes. Pour Bebel et Lénine par exemple, l'oppression de la femme a sa source dans le fait que l'économie domestique demeure séparée de la production collective et s'achèvera lorsque le socialisme aura mis fin à cette séparation. Lénine écrit:
"La femme continue à demeurer l'esclave domestique, malgré toutes les lois libératrices, car la petite économie domestique l’oppresse, l'étouffe, l'abêtit, l'humilie, en l'attachant à la cuisine, à la chambre des enfants, en l'obligeant à dépenser ses forces dans des tâches terriblement improductives, mesquines, énervantes, hébétantes, déprimantes. La véritable libération de la femme, le véritable communisme ne commenceront que là et au moment où commencera la lutte des masses (dirigée par le prolétariat possédant le pouvoir) contre cette petite économie domestique ou, plus exactement, lors de sa transformation massive en grande économie socialiste."
Cette solution socialiste au problème de la femme est évidemment partielle et il est aisé de comprendre pourquoi en regard de la critique que l'on vient de faire de la théorie de Engels. En effet, on a constaté que c'est le processus de reproduction nécessaire à toute société de classe qui détermine les caractères particuliers de la condition féminine. Or, ce processus implique des dimensions multiples et les marxistes économistes ne tiennent compte que d'une partie de cet ensemble. Récapitulons les diverses composantes du procès de reproduction:
1 - Reproduction matérielle:
A) de la propriété (outils, moyens de travail, produits) ;
B) de la force de travail,
C) de l'espèce ;
2 - Reproduction idéologique : des caractères nécessaires aux agents de la production.
Il est essentiel de souligner que la reproduction sociale, c'est-à-dire la reproduction de l'organisation générale de la vie collective pour la production, le contrôle, la distribution, la consommation etc., représente un seul processus d'ensemble dont les divers éléments, phases et composantes ci-haut distingués sont nécessaires, cohérents et interdépendants. En d'autres termes, chaque dimension de ce procès implique toutes les autres de sorte que tout changement social révolutionnaire doit nécessairement modifier l'ensemble des formes de la reproduction. Il est inutile d'en multiplier les exemples ; il n'y a qu'à se rapporter au tableau précédent.
La solution socialiste au problème de la femme ne concerne que 1-A et 1-B et n'attaque pas de front 1-C et 2. La socialisation des moyens de production supprime l'économie domestique privée et par conséquent le travail ménager réservé à la femme en tant qu'esclave de son mari. La femme participe à l'ensemble de la production sociale et le travail privé de reproduction de la force de travail est collectivisé (1-B). La nécessité de reproduire la propriété de l'homme en la transmettant à ses descendants légitimes est également abolie (1-A) ; ainsi disparaît une partie des raisons justifiant le mariage et la famille. Cependant, la procréation et l'élevage des enfants demeurent en tant que services privés et gratuits que les femmes fournissent à la collectivité (1-C). Cette obligation les maintient dans une position inférieure et dépendante tant et aussi longtemps que l'élevage des enfants - et même la procréation - ne constitue pas une production socialisée, collectivisée au même titre que les autres. Reste enfin la reproduction idéologique qui, comme on l'a vu, impose des rapports d'oppression entre les sexes tant et aussi longtemps que les enfants, que la famille doit produire, sont appelés à s'insérer dans une société divisée en classes, quelle qu'elle soit (2).
L'échec partiel de la libération des femmes dans les pays socialistes doit être expliqué dans cette perspective. Malgré l'intégration massive des femmes au marché du travail, l'inégalité entre les sexes s'est maintenue. L'insuffisante socialisation du travail domestique et l'absence de socialisation de l'élevage des enfants en sont partiellement responsables. L'oppression des femmes dans le mariage et la famille y demeure aussi possible et nécessaire parce que ces sociétés sont encore divisées en classes. La présence d'une classe dominante, la bourgeoisie d'État, et par conséquent, celle de travailleurs victimes d'une certaine forme d'exploitation, exigent le maintien de rapports conjugaux et familiaux autoritaires et répressifs. Cette nécessité renforce par voie de conséquence le maintien du caractère privé du travail domestique et de l'élevage des enfants et renforce également la tendance à la décollectivisation de la propriété, c'est-à-dire la reconstitution de classes sociales antagonistes et ainsi de suite ... car telle est la cohérence du procès de reproduction.
La libération des femmes par leur intégration au marché du travail est un problème qui se pose aussi dans les sociétés capitalistes. On peut constater que cette forme de libération offre des possibilités très limitées parce que: 1) la position d'infériorité générale des femmes est utilisée par la bourgeoisie comme prétexte à la surexploitation de toute cette partie de la main-d’œuvre qu'elles constituent ; 2) le mariage et la famille imposent aux femmes toutes les tâches privées de reproduction de la force de travail et l'élevage des enfants même lorsqu'elles participent au reste de la production sociale ; 3) bien que la société capitaliste aura tendance à intégrer à la production publique une plus large fraction du travail domestique dont elle a déjà commercialisé une partie, la nécessité de maintenir des rapports d'inégalité entre les hommes et les femmes pour reproduire la société de classe demeurera et n'en deviendra que plus aiguë encore que par le passé.
Plusieurs textes féministes de socialistes modernes mettent l'accent sur le travail domestique privé comme source d'oppression de la femme. Margaret Benston dans "Pour une Économie politique de la libération des femmes", considère qu'il représente un rapport spécifique aux moyens de production. La femme n'est pas propriétaire de ces moyens, elle produit des biens qui ne sont pas monnayables (valeurs Susage) même si son travail est socialement nécessaire. Isabel Larguia reprend les mêmes idées dans "Contre le Travail invisible". Christine Dupont ("L'ennemi principal") démontre qu'il existe deux modes de production des biens et des services dans les sociétés modernes, le mode industriel capitaliste et le mode familial patriarcal. Chacun donne lieu à une exploitation spécifique et c'est le second qui détermine la condition féminine. Ces analyses sont correctes mais elles se limitent trop facilement à un des aspects économiques de l'oppression des femmes et négligent d'autres dimensions fondamentales. En ce sens, elles s'exposent - comme les théories socialistes - à limiter la lutte de libération des femmes à des objectifs partiels : participation au marché du travail et commercialisation (ou même socialisation) du travail ménager.
5 Simone de Beauvoir : l'approche existentialiste
En plus du marxisme et de la psychanalyse, il faut également tenir compte de la conception existentialiste des rapports entre les sexes, ne serais-ce qu'à cause de l'influence qu'elle a exercée et qu'elle exerce encore, principalement par l'intermédiaire des travaux de Simone de Beauvoir. "Le deuxième Sexe" est probablement l'ouvrage le mieux documenté et le plus passionnant jamais écrit sur la condition féminine. Il faut y distinguer deux aspects : d'une part, l'analyse descriptive ou phénoménologique de la condition féminine et d'autre part, l'explication philosophique des phénomènes analysés. Cette explication s'appuie sur les principes de la philosophie existentialiste et en utilise les concepts et la terminologie. je devrai la résumer grossièrement. Pour Simone de Beauvoir, la condition particulière de la femme vient de ce qu'elle tient, pour l'homme, essentiellement la place de l'Autre qui lui permet de se définir et de se constituer comme Sujet. Pour poser des actes librement et en assumer la responsabilité, l'être humain doit s'éprouver comme sujet, c'est-à-dire comme souverain, libre et essentiel au monde. C'est en se confrontant et en s'opposant à un autre individu ou à un autre groupe que l'être prend ainsi conscience de soi. Or, c'est précisément la femme qui remplit ce rôle au profit de l'homme. C'est en se confrontant et en s'opposant à elle, qui est à la fois semblable à lui et différente de lui qu'il s'éprouve comme souverain, autonome et puissant. Il devient essentiel en la définissant comme inessentielle, actif en la réduisant à la passivité, maître de lui-même en l'asservissant. Elle lui permet littéralement d'exister en lui permettant de dominer, de vaincre, de contrôler une liberté et une volonté autres que la sienne. Donc, l'être humain n'existe vraiment que comme sujet et il lui faut se définir par rapport à un autre pour exister comme sujet. Mais son existence comme sujet, l'expérience de sa liberté et de sa souveraineté se fait dans l'angoisse, la tension et la solitude. Pour fuir cette angoisse existentielle, il cherche à se perdre, à se nier, à s'abolir comme sujet : il aspire à devenir une chose, un objet inconscient, immuable. pétrifié. Cette caractéristique essentielle de la conscience humaine explique la soumission de la femme à l'homme, son consentement à jouer pour lui le rôle d'Autre c'est-à-dire d'Objet. Ainsi, la femme se fait complice de sa propre oppression.
En résumé, l'inégalité et la lutte entre les sexes s'expliquent par la coïncidence de deux tendances universelles et essentielles de la conscience humaine : 1) la tendance à constituer l'autre en objet pour s'éprouver comme sujet ; 2) la tendance à vouloir se pétrifier en objet pour fuir l'angoisse et la responsabilité d'exister comme sujet.
Simone de Beauvoir résume ainsi la dialectique hégelienne du maître et de l'esclave dans les rapports entre les sexes :
"...on découvre dans la conscience elle-même, une fondamentale hostilité à l'égard de toute autre conscience; le sujet ne se pose qu'en s'opposant: il prétend s'affirmer comme l'essentiel et constituer l'autre en inessentiel, en objet. (...) À côté de la prétention de tout individu à s'affirmer comme sujet, qui est une prétention éthique, il y a aussi en lui la tentation de fuir sa liberté et de se constituer en chose : c'est un chemin néfaste car passif, aliéné, perdu, il est alors la proie de volontés étrangères, coupé de sa transcendance, frustré de toute valeur. Mais c'est un chemin facile ; on évite ainsi l'angoisse et la tension de l'existence authentiquement assumée. L'homme qui constitue la femme comme une Autre rencontrera donc en elle de profondes complicités."
Reste à expliquer pourquoi c'est l'homme qui sort vainqueur de cette dialectique avec la complicité de la femme. Il semble que ce soit, selon Simone de Beauvoir, les caractéristiques naturelles de la féminité qui aient destiné la femme plutôt que l'homme à jouer le rôle de l'Autre: le, fait qu'elle soit plus dépendante de son corps que l'homme, plus soumise à la matière, plus empêtrée dans la chair, que son anatomie la destine à recevoir le mâle plutôt que le contraire etc.
Dans cette perspective, la libération de la femme exige qu'elle refuse d'être complice de son oppression. C'est-à-dire qu'elle refuse de s'abandonner au rôle d'objet, qu'elle s'affirme et s'assume comme sujet dans l'angoisse et la solitude inévitables. Et c'est principalement dans et par le travail défini comme activité créatrice, prise sur le monde, réalisation de soi, que la femme peut devenir un être humain authentique, libre et responsable.
La dialectique du sujet et de l'objet, de l'essentiel et de l'autre, du maître et de l'esclave permet de décrire ce qui se passe dans la conscience des hommes et des femmes en rapports d'oppression. C'est le grand mérite de l'ouvrage de Simone de Beauvoir ; à partir de ces catégories, elle présente et analyse d'une façon magistrale divers aspects de la condition féminine: les mythes qui ont été créés au cours de l'histoire pour formuler et illustrer ces rapports entre les sexes; les diverses étapes du développement intellectuel et émotif de la femme et de sa transformation en être aliéné et en objet consentant; toute l'expérience vécue de la dialectique sujet-objet, maître-esclave dans l'amour, dans la religion, dans l'étude, dans le travail etc. Mais si sa philosophie permet de bien analyser la manière dont l'oppression est vécue subjectivement par les femmes et les hommes, elle n'explique ni pourquoi cette oppression existe, ni pourquoi elle est vécue de cette façon. A moins de croire à l'existence de caractéristiques immuables et éternelles de la conscience humaine, de supposer que l'homme est un oppresseur par nature et de toute éternité et que la femme est de toute éternité destinée à être opprimée parce que les êtres humains sont ainsi faits! On ne saurait admettre ce genre d'explication par les essences éternelles. Nous avons vu, avec Engels, que ce que sont les hommes et les femmes dépend de leur mode d'existence matérielle, de la façon dont ils sont obligés de vivre, de produire et de se reproduire et que ce mode d'existence change, se transforme et transforme les hommes en même temps. Il n'y a donc pas de raisons ineffables et éternelles, inscrites dans l'âme humaine qui expliqueraient l'aliénation de la femme, sa transformation par l'homme en objet. La dialectique de l'aliénation est réelle et Simone de Beauvoir l'analyse parfaitement mais elle a son premier fondement dans l'existence des gens non dans leur conscience. Simone de Beauvoir a d'ailleurs admis cette faiblesse de son ouvrage plusieurs années plus tard, dans "La Force des choses". Comme Sartre, elle est arrivée à la conclusion que la philosophie existentialiste était dépourvue de racines et devait chercher un fondement dans le matérialisme historique. Cette révision a par la suite profondément modifié ses positions politiques en général.
La solution qu'elle propose au problème de la femme dans "Le deuxième Sexe" est une solution individualiste et bourgeoise : la réalisation de soi comme sujet dans le travail créatif. C'est une solution individualiste parce que sa théorie comme on l'a vu, suppose que l'aliénation a sa source dans les états de conscience des individus impliqués. La libération exige donc seulement que chacun transforme sa propre morale, s'efforce d'être un sujet sans réduire la femme en objet ou refuse d'être réduite par l'homme à un objet. Il est pourtant évident que les conditions collectives de l'existence qui imposent la dialectique sujet-objet aux consciences des individus ne peuvent être transformées par des efforts personnels isolés d'affirmation de soi et de désaliénation. En outre, ce qu'elle propose a la femme comme objectif de libération : s'imposer comme sujet, signifie au fond adopter ce que Reich appellerait la structure psychique bourgeoise. On constate en effet que les caractéristiques que l'existentialisme prête au sujet, à l'existant, loin d'être des attributs humains essentiels et immuables, sont les traits particuliers du caractère qui sert d'ancrage à l'ordre social capitaliste: individualisme, liberté et souveraineté éprouvées dans l'opposition à autrui, affirmation de soi dans le travail, angoisse, tension, solitude dans la réalisation de soi etc. L'idée de la femme se libérant et s'affirmant comme sujet dans le travail en usine, par exemple, laisse perplexe. La démarche pratique sur laquelle débouche l'approche existentialiste laisse ainsi de côté l'action collective de libération parce qu'elle ne tient pas suffisamment compte du fondement économique et politique au sens large, de l'oppression des femmes, tel qu'on l'a analysé dans les pages précédentes.
6 La théorie féministe radicale : le fondement sexuel de l'oppression
L'approche féministe radicale ou révolutionnaire est liée à la vague la plus récente du mouvement de libération des femmes et lui sert de théorie. Les ouvrages de Kate Millett, "La Politique du mâle" et de Shulamith Firestone, "La Dialectique du sexe" en sont des exemples représentatifs de même que plusieurs articles de militantes féministes regroupés dans le numéro spécial de Partisans sur la libération des femmes et dans les anthologies de textes féministes américains, "Sisterhood is Powerful," "Woman in Sexist Society", etc.
Dans cette perspective, les rapports d'oppression entre les sexes sont considérés comme la source première de tous les phénomènes économiques et politiques d'exploitation et de domination dans la société capitaliste comme dans les sociétés antérieures. En d'autres termes, la lutte des sexes représente la contradiction, l'opposition, le conflit social principal dont dépendent et dérivent tous les autres : lutte des classes, conflits raciaux, domination impérialiste etc. C'est ainsi que pour Kate Millett, les rapports entre les sexes sont des rapports politiques, c'est-à-dire des rapports de Pouvoir, de puissance, par lesquels la moitié féminine de l'humanité est soumise au contrôle de la moitié masculine. Cette oppression et cette exploitation d'un sexe par l'autre sont fondées dans la relation humaine fondamentale, celle de la sexualité qui est le modèle de tous les rapports sociaux plus élaborés. Le système patriarcal est l'institution qui organise et maintient la suprématie masculine ; il repose sur la famille, il est universel et bien antérieur à la société capitaliste. Aucune révolution ne peut opérer une transformation sociale profonde et durable si elle ne s'attaque pas au système patriarcal comme source de tous les autres systèmes d'oppression, si elle ne renverse pas d'abord la suprématie de l'homme sur la femme comme source et modèle de tous les rapports humains corrompus. Kate Millett conclue ainsi son analyse très intéressante de la olitique sexuelle telle que "reflétée" dans la littérature contemporaine et dénoncée ans les pièces de jean Genêt :
"L'enseignement politique que contient la pièce de Genêt ("Le Balcon") est celui-ci : tant qu'on n'aura pas renoncé à l'idéologie de la virilité réelle ou imaginaire, tant que l'on considérera la suprématie masculine comme un droit de naissance, tous les systèmes d'oppression continueront à fonctionner par la simple vertu du mandat logique et affectif qu'ils exercent au sein de la première des situations humaines."
Shulamith Firestone reprend les mêmes thèmes en démontrant qu'un tel cadre théorique est plus fondamental que celui de Marx et Engels et qu'il permet d'expliquer à la fois la lutte des sexes qui dépend du rapport fondamental entre l'homme et la femme dans la procréation et la lutte des classes qui s'édifie sur la base de cette première division sociale du travail. Pour elle, c'est l'organisation sexuelle de la société pour la reproduction qui seule constitue la base à partir de laquelle on peut expliquer la "superstructure" des institutions économiques, juridiques et politiques de même que les systèmes philosophiques, religieux et autres d'une période historique donnée. De son point de vue, une telle perspective est à la fois matérialiste et dialectique parce qu'elle recherche le fondement de l'ordre social dans les rapports de production matérielle premiers et fondamentaux : les rapports entre les sexes dans la reproduction de l'espèce et parce qu'elle considère le développement social comme le résultat de la lutte entre ces deux classes primordiales que sont les hommes et les femmes. C'est ainsi qu'elle reformule en termes féministes la définition que Engels donne du matérialisme historique:
"Historical materialism is that view of the course of history which seeks the ultimate cause and the great moving power of all historic events in the dialectic of sex: the division of society into two distinct biological classes for procreative reproduction, and the struggles of theses classes with one another; in the changes in the mode of marriage, reproduction and childcare created by these struggles; in the connected development of other physically- differentiated classes (castes) ; and in the first division of labor based on sex which developed into the (economic-cultural) class system."
Ce cadre théorique toutefois est simplement ébauché dans les ouvrages féministes radicaux ; l'accent est mis plutôt sur la description et l'analyse des situations vécues d'aliénation et de lutte des sexes dans la société capitaliste moderne. La perspective révolutionnaire du féministe radical s'appuie sur la dénonciation des formes contemporaines du mariage et de la famille et des conséquences actuelles de l'oppression sexuelle, économique, politique et idéologique des femmes. Cette actualité lui assure une influence plus grande auprès des femmes que celle des courants marxiste et existentialiste.
L'action révolutionnaire privilégiée est celle qui s'attaque aux bases du système patriarcal: la suprématie masculine dans les rapports sexuels et dans les relations qui en dérivent. Cette action prend appui sur l'expérience subjective et les conditions personnelles d'oppression vécues et ressenties par chaque femme dans ses rapports avec la société mâle. En pratique, chacune doit être amenée à se "politiser" à partir d'une réflexion sur ses problèmes personnels, avec l'aide de ses consœurs ; c'est le processus du "consciousness raising". Ce type de militantisme féministe implique d'abord une transformation de la vie personnelle des militantes. Il débouche sur une organisation politique révolutionnaire dont les femmes ont le contrôle exclusif et qui se caractérise par le refus de subordonner ou d'intégrer les objectifs de la libération des femmes à ceux des mouvements révolutionnaires traditionnels : communistes, socialistes, anti-impérialistes, libération des Noirs etc., sous prétexte que ces mouvements ne S'attaquent pas au fondement sexiste de toute oppression sociale, économique ou politique et reproduisent dans leurs rangs mêmes, les rapports patriarcaux entre les sexes. En conséquence, les féministes révolutionnaires s'efforcent d'extirper de leurs organisations tout élément bureaucratique, hiérarchique ou autoritaire.
Le féminisme radical est une théorie et un mouvement très important et il importe de l'évaluer sérieusement. Il présente quelquefois un caractère petit-bourgeois à la fois par sa composition et par le type de préoccupation qu'il met de lavant. Il est né de l'oppression vécue et ressentie par toute une catégorie de femmes "émancipées" sur le plan économique et professionnel et dont l'expérience de l'oppression se situe particulièrement sur le plan des rapports personnels: sexuels, amicaux, conjugaux et familiaux et des rapports de la femme au savoir, à la culture, à la politique et tout spécialement, à la politique révolutionnaire. En effet, il faut noter que dans plusieurs pays comme les États-Unis et la France, ce sont des militantes déçues par le chauvinisme mâle des organisations de la gauche (communistes, trostkistes, maoistes) qui sont venues grossir les rangs du mouvement de libération des femmes. Ces conditions expliquent l'emphase placée sur certains aspects de l'oppression des femmes dans l'analyse, dans l'explication et dans l'action féministe radicale. En reprenant la liste que nous avons utilisée des composantes du processus de reproduction dont doit tenir compte l'analyse de l'oppression des femmes, nous pourrons comparer cette perspective aux précédentes :
1 - Reproduction matérielle :
A) de la propriété,
B) de la force de travail,
C) de l'espèce.
2 - Reproduction idéologique: des caractères des agents de production.
La théorie radicale ramène l'antagonisme des sexes aux rapports et à la division du travail qu'entraîne la seule reproduction biologique. La nécessité d'opprimer les femmes en vue de la reproduction de la propriété et de la reproduction de la force de travail est tout aussi importante et ne dérive pas nécessairement des rapports dans la procréation. Elle ne dépend pas non plus de la méchanceté ou de la perversion naturelle du mâle. Elle relève plutôt de la division du travail et trouve son fondement dans le mode de production des biens et des services dans une collectivité.
L'asservissement qu'entraîne la procréation privée et gratuite est certes fondamentale et aucune tentative sérieuse n'a été faite jusqu'ici pour transformer ce mode de reproduction séculaire. Les féministes radicales ont raison de s'attaquer à ce fondement de la suprématie masculine et de réclamer un contrôle collectif des productrices sur l'organisation de la procréation et de l'élevage. D'autant plus qu'existent les moyens techniques nécessaires à cette fin et que Engels, Lénine ou Simone de Beauvoir ne pouvaient même imaginer. Il reste toutefois que l'oppression engendrée par l'organisation économique des sociétés de classes doit également être considérée en tant que déterminant essentiel de la condition féminine, dans tout projet de libération.
Les féministes radicales comprennent mal par ailleurs, le processus de la reproduction idéologique en tant qu'il impose l'oppression des femmes dans le cadre de la famille patriarcale, dans le but d'inculquer aux futurs agents de production les caractères nécessaires à leur fonctionnement dans une société de classe. C'est ce processus de reproduction idéologique qui fait des rapports entre homme et femme la "relation première", la "forme-cellule" des relations humaines sur laquelle les autres relations paraissent s'édifier et qui semble faire fonctionner tous les autres systèmes d'oppression. C'est poser un faux problème que de tenter d'établir la primauté de la lutte des sexes dans la famille sur la lutte économique et politique des classes dans la société ou bien l'inverse. La théorie féministe radicale oublie l'interdépendance et la cohérence étroites qui caractérisent les procès de production et de reproduction de la vie sociale. Car les rapports entre les sexes dans la reproduction de l'espèce et les rapports entre les agents économiques dans le travail, s'inscrivent dans un seul et même procès général de la production sociale qui distribue simultanément les agents en classes, en sexes, en races, en catégories de toutes sortes, souvent sur la base de critères qui ne possèdent aucun sens social immanent: couleur de la peau, caractères sexuels, etc. Selon Shulamith Firestone, il est réactionnaire de rapporter au "système", la responsabilité de l'oppression des femmes qui incombe objectivement aux hommes. Ne serais-ce pas, au contraire, jouer le jeu de l'idéologie réactionnaire que de combattre dans les termes mêmes des catégories, divisions et barrières qu'elle impose?
Il faut reconnaître que les féministes radicales ont su décrire et dénoncer avec une vigueur sans précédent, les multiples formes et conséquences, des plus brutales aux plus subtiles, de l'asservissement des femmes dans les sociétés capitalistes contemporaines. Elles ont eu le courage de jeter au visage des révolutionnaires les mieux pensants, l'image hideuse de la mutilation sexuelle, affective, intellectuelle qu'eux-mêmes subissent et font subir - produits malgré tout dociles du système. En ce sens, le nouveau discours féministe est révolutionnaire. Car dans les sociétés occidentales, certains effets psychiques et sexuels des contradictions du capitalisme moderne sont ressentis avec acuité par une part importante de la population. Le féminisme révolutionnaire, comme l'idéologie hippie et yippie, celle des mouvements de libération des homosexuels, des fous etc., exprime ce malaise et y propose des solutions.
Mais le sens de la lutte féministe est partiellement ambigu dans la mesure où elle se définit comme une guerre entre les sexes, prenant en outre la précédence sur la lutte des classes, celle des Noirs et autres. À mon avis, il n'y a qu'une seule lutte à finir : celle des révolutionnaires - de tous les sexes - contre les minorités d'exploiteurs qui profitent de l'organisation sociale telle qu'elle est. L'objectif à long terme du féminisme ne peut être ni la revalorisation, ni la glorification de "l'être féminin", pas plus que l'accession des femmes à l'égalité ou même à la suprématie sociale. Cet objectif doit être la destruction de ce qu'on appelle aujourd'hui la féminité, comme de ce qu'on appelle la virilité, dans l'unique but de justifier diverses formes d'exploitation et d'oppression : du travail domestique non rémunéré jusqu'à la vente des cosmétiques, en passant par le viol, la prostitution, la guerre, etc. Une véritable transformation révolutionnaire de l'ordre social ne peut laisser subsister l'inégalité et la domination entre les sexes, quelqu'en soit la forme; elle ne peut non plus laisser subsister les institutions qui servent de cadre à l'asservissement sexuel: mariage, famille etc. Et ce, parce qu'une véritable révolution doit abolir la division de la société en classes, en créant des conditions qui rendent impossibles et inutiles la division du travail, l'exploitation, la domination et la nécessité de les reproduire.
En ce sens, c'est un faux problème que celui de la priorité ou de la non priorité de, la libération des femmes comme objectif révolutionnaire. Les féministes radicales ont raison de s'attaquer au système d'oppression patriarcale ; elles ont tort d'exclure comme réformistes ou de considérer comme secondaires, les luttes contre le capitalisme, l'impérialisme, le racisme. Une révolution véritable devra libérer tout le monde ensemble : prolétaires, Noirs, colonisés, femmes, enfants etc. Il peut bien exister plusieurs fronts de lutte mais elle ne doit avoir qu'un objectif ultime: la destruction complète de la propriété, de la famille et de l'État dont on a vu qu'ils formaient un système auto-reproducteur d'éléments indissociables.
Certains mouvements qui se disent révolutionnaires visent cependant, en pratique, à établir des formes différentes de domination et d'oppression : technocratie, dictature prolétarienne ou autre. Il est évident qu'ils ne peuvent envisager la destruction de la famille puisqu'ils souhaitent recréer une nouvelle division de la société en classes et conserver l'État et la propriété sous des formes différentes. Ils ne devraient normalement pas pouvoir compter sur le militantisme des femmes. Par ailleurs, toute action visant réellement la destruction de la propriété et de l'État coïncide avec l'objectif de la libération des femmes et réciproquement, toute action visant au renversement du système d'oppression patriarcale contribue à l'abolition de la propriété et de l'État.
7
Le problème de l'organisation
Une fois compris que la libération des femmes est tout à la fois objectif, condition et conséquence essentielles (note 2) d'une révolution digne de ce nom, on peut se demander comment y parvenir dans la pratique. Il est impossible de répondre à cette question de façon complète et satisfaisante puisque la tâche, de libérer les femmes n'est aucunement différente dans le fond, de la tâche générale de tous les révolutionnaires : faire la révolution. Cette tâche présente des difficultés qui ne sauraient être résolues que par tous les révolutionnaires dans le feu (et le froid) de l'action.
En Europe et en Amérique du Nord, il existe présentement de multiples formes et cadres d'action féministe, qui vont des groupes de pression réformistes, se consacrant au lobbying parlementaire en faveur des droits égaux au travail, de la contraception, etc., jusqu'aux groupuscules extrémistes visant l'organisation de la lutte armée contre le mâle. Entre ces deux pôles, on trouve des groupes féministes militant à l'intérieur d'organisations politiques de gauche mixtes et de nombreux mouvements féministes autonomes, différant par le caractère plus ou moins radical de leurs revendications et de leurs moyens d'action. Il serait prématuré et prétentieux de tenter d'évaluer l'impact des actions entreprises par ces groupes et l'efficacité de leurs structures. On peut seulement en tirer quelques éléments très simples de stratégie.
D'abord, il semble bien que la majorité des femmes doivent être sensibilisées à partir de problèmes vécus quotidiennement, très restreints en apparence et à partir desquels une réflexion et une "politisation" plus générales peuvent être amorcées. En cela, les femmes ne diffèrent pas des autres classes et groupes opprimés. Les problèmes ou les dimensions de l'oppression qu'il faut privilégier semblent d'ailleurs varier selon les classes ou catégories de femmes auxquelles on s'adresse : travailleuses, ménagères, étudiantes, bourgeoises etc. Ce qui ne veut as dire que toutes les femmes ne subissent pas les mêmes formes d'oppression - à des degrés variables - et que les chemins de la sensibilisation ne mènent pas tous à une révolte commune.
Deuxièmement : le sectarisme, ici comme ailleurs, s'avère stérile et épuisant. Le purisme théorique, l'intransigeance idéologique, le chauvinisme féminin, ne conduisent qu'au gaspillage d'énergie, à l'isolement et au ridicule. Par exemple, la lutte de libération des femmes n'aura aucun sens si on interdit aux "vrais" révolutionnaires de sexe masculin d'y travailler de plein droit. Il serait pour le moins paradoxal que l'on institue une-division du travail de libération ! Le féminisme, comme toute théorie et pratique révolutionnaires, doit éviter de devenir une Église, avec sa panoplie de dogmes et de sacrements, ses rituels de consécration et d'excommunication. Pendant que nous nous battrons entre nous, les autres femmes "consommeront" leur libération sous forme de gadgets, cosmétiques et lingerie "libérés".
Troisièmement: on peut constater que l'organisation est nécessaire aux luttes féministes mais qu'elle présente les mêmes dangers qu'en toute autre circonstance. Briser l'isolement des agents subversifs ou potentiellement subversifs est une des conditions les plus cruciales de tout processus révolutionnaire. Il est nécessaire d'établir une communication et une concertation permanentes entre les divers individus, couples et groupes engagés (ou désireux de s'engager) dans des actions de lutte, quelles que soient la nature, la forme ou l'ampleur de ces actions : expériences de vie communautaire, garderies militantes, luttes pour l'avortement et la contraception, contre la publicité sexiste et la discrimination ; revendication pour la parité des salaires et les congés de maternité etc. Il est également essentiel de créer des conditions telles que ces divers types de lutte féministe et anti-familiale rejoignent et complètent les luttes révolutionnaires centrées plus expressément sur les questions économiques et politiques et vice-versa.
Les structures et les mécanismes qui favorisent la communication, la concertation et la coordination ne doivent en aucun cas se transformer en appareils de contrôle, de direction, de centralisation. Car ces organisations doivent permettre de reproduire des modes d'action et de lutte révolutionnaires et non le système des rapports politiques et affectifs imposés par la classe dominante. Il faut que les femmes tirent leur leçon des échecs historiques du mouvement révolutionnaire comme de ses victoires et aucune n'est attribuable au bureaucratisme et au sectarisme mais, tout au contraire, à un parti-pris de confiance à l'égard de tous ceux et celles qui cherchent péniblement la voie de leur libération.
Nicole Laurin-Frenette
Mars 1973
Fin du texte.
Notes:
(1) Le compte rendu que fait Engels de l'origine et du développement des classes sociales fait ressortir la confusion qui entoure la définition du concept de classe. Dans Certains passages, les classes paraissent correspondre aux groupes nés de la division du travail: pasteurs, agriculteurs, artisans, etc. dans la société globale ; hommes et femmes dans la famille. Ailleurs, Engels considère comme une division en classes l'inégale distribution de la richesse à l'intérieur d'un groupe sans préciser la nature de l'écart ni celle des biens possédés. Dans d'autres passages, les groupes que l'on considère comme des classes se définissent simultanément par la division du travail et par la propriété ou la non propriété des moyens de production et des produits: maîtres et esclaves ; nobles et serfs; capitalistes et prolétaires. Le problème de l'exploitation dans les rapports d'échange entre ces groupes est également confus. Tout échange découlant de lia division du travail n'implique pas nécessairement J'exploitation mais Engels ne spécifie pas clairement quelles sont lus conditions de j'échange qui déterminent l'exploitation économique d'un groupe par l'autre.
Cette question de la définition des classes sociales, de leur fondement et de leurs caractères demeure un des éléments les plus embrouillés de la théorie marxiste en général. Il faut retenir pour l'essentiel qu'une société es, divisée en classes si, pour effectuer la production sociale, il est nécessaire d'y établir et d'y maintenir des ensembles de positions différentes en ce qui concerne l'apport d'un groupe à la production sociale (propriété ou non des moyens de travail, de la matière première, de in force de travail) et en ce qui concerne le contrôle exercé par un groupe sur la production et sur les produits (gestion du travail productif, appropriation et contrôle du produit ut de sa distribution). La simple division du travail ne suffit pas pour qu'il existe des classes ainsi définies. Mais elle en est la condition nécessaire, la base à partir de laquelle se constituent des ensembles de positions distinctes quant à la propriété, au contrôle, à l'appropriation.
(2) "Essentiel" dans cette phrase doit être écrit au masculin pluriel, du point de vue de la grammaire dominante.
Dernière mise à jour de cette page le samedi 17 novembre 200710:47
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
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