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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Marc LeBlanc, Boscoville: la rééducation évaluée. Préface de Gilles Gendreau. Montréal, Éditions Hurtubise HMH, Ltée, Cahiers du Québec Collection Droit et criminologie. 1983, 416 pp. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 23 mai 2005]. Préface Je n'ai jamais analysé les motivations qui pouvaient pousser un auteur à demander à telle ou telle personne d'écrire la préface d'une nouvelle publication. Je sais cependant que la plupart des lecteurs trouvent les préfaces tellement inutiles que beaucoup ne se donnent même pas la peine de les lire s'ils ne connaissent déjà les personnes qui osent les signer... Or, Marc LeBlanc a demandé à un éducateur, idéaliste par nécessité professionnelle et par choix personnel, de présenter un ouvrage à caractère scientifique qui s'inspire des techniques rigoureuses de la recherche évaluative. J'ai eu le goût d'introduire mon texte par une parodie d'une maxime célèbre : « Paradoxe, tout n'est que paradoxe ! » ... en apparence à tout le moins. Comment, en effet, présenter un ouvrage scientifique de façon quelque peu pertinente quand on a pour seul mérite une certaine foi en la nature humaine, une certaine considération pour les personnes en difficulté, une certaine confiance en la qualité d'une intervention cohérente, et une certaine conviction que des professionnels assumant des responsabilités éducatives spécialisées doivent chercher à améliorer constamment leur compétence professionnelle. On comprend mieux la demande de l'auteur quand il justifie le choix qu'il a fait de Boscoville comme cible d'une étude scientifique de l'efficacité de l'intervention auprès des jeunes délinquants. « Le programme de traitement de Boscoville, écrit-il, systématiquement conçu, rigoureusement appliqué, est précis et conçu dans ses moindres détails. » En s'adressant à l'un des concepteurs de ce centre de rééducation qui y exerça d'ailleurs la fonction de directeur pendant de nombreuses années, l'auteur pouvait espérer du préfacier qu'il présente son livre en toute connaissance du milieu. C'était prendre un risque bien sûr, mais ce risque j'ai accepté de le partager avec lui. La première question que l'on peut vouloir me poser est sans doute celle-ci : Le chercheur a-t-il bien compris et traduit la théorie (générale et spécifique) qui sous-tend le traitement des jeunes à Boscoville, et l'application que l'on en fait ? La lecture des deux premiers chapitres de son ouvrage me permet de penser que l'auteur a admirablement saisi et transmis les principes à la base du système d'intervention de Boscoville. Deux détails pourront cependant retenir les puristes. D'une part, lorsque l'auteur parle des activités, il semble confondre retard du fonctionnement scolaire et retard du fonctionnement intellectuel, lesquels, selon moi, apparaissaient nettement distincts dans la description de la clientèle de Boscoville. D'autre part, il laisse supposer que le citoyen devait avoir atteint son étape personnalité (?) pour se voir confier une responsabilité officielle. Or, nous souhaitions plutôt que, parvenu à cette étape, le jeune puisse s'engager au service de son groupe social, de son quartier (unité de vie), sans le soutien d'une responsabilité officielle, comme celle d'échevin ou autre. Le premier détail illustre combien il est facile de confondre certains aspects du fonctionnement humain ; on imagine ce qu'il peut en être du fonctionnement délinquant. Quant au second, il fait ressortir que Marc LeBlanc n’a pas voulu insister sur l'idéalisme des « jeunes » éducateurs qui, à l'époque, avaient conçu le déroulement des stratégies rééducatives. Il se dégage de ses premiers chapitres une profonde honnêteté intellectuelle qui renforce d'emblée la portée de l'analyse des résultats que nous retrouvons dans les autres chapitres. Bien sûr, ces résultats déçoivent l'éducateur que je suis et ils provoqueront sans doute une vague dépressive chez ceux qui tentent encore de faire jaillir une lueur d'espoir là où il y avait tellement de noirceur dans les années 55-60 qu'on se croyait justifié de dire « qu'il n'y avait plus grand espoir avec des délinquants de cet âge et aussi ancrés dans leur délinquance [1] ». Bien sûr, il fallait une bonne dose d'idéalisme pour se lancer dans une telle aventure ; nous avions pris des moyens que LeBlanc énumère bien et que nous croyions, à l'époque, appropriés aux objectifs que nous poursuivions. Mais nous ne refusions pas de rendre des comptes. Déjà en 1965, je souhaitais, avec toute l'équipe de Boscoville, que notre travail fût évalué systématiquement par des chercheurs évaluateurs parce que je savais les efforts fournis par les femmes et les hommes qui consacraient leurs compétences professionnelles à la rééducation des jeunes délinquants, parce que je savais aussi les sommes considérables pour l'époque qu'investissait la société dans l'expérience de Boscoville, et l'ultime espérance que représentait notre travail pour les jeunes et leurs parents. Pourquoi alors en 1982, être déçus de ce qui a été fait parce que les résultats de l'étude de LeBlanc ne correspondent pas tous aux attentes des éducateurs et aux données que des études préliminaires avaient permis d'anticiper ? Je voudrais réussir à convaincre tous les éducateurs de lire les pages qui suivent ; cette lecture pourra rendre plus réalistes certaines de leurs attentes, voire de leurs ambitions, mais elle ne devrait, en aucune façon, leur enlever leur confiance dans les potentialités des jeunes dont ils ont la charge ni dans les efforts qu'ils continueront de faire pour les aider. Quand des parents un père, une mère songent à l'avenir de leurs enfants en donnant libre cours à leur imagination, il n'est pas rare qu'ils se mettent à rêver : leurs rejetons seront évidemment très ceci et très cela, ils deviendront des femmes et des hommes dont les parents auront raison d'être fiers. Cette attitude des parents est même perçue comme essentielle au développement de l'enfant. Malheureux, dit Jean Vanier, l'enfant qui n'a pas senti dans le regard de ses parents cette espèce d'idéal dynamique que la vie se chargera sans doute de relativiser. Au moment de l'adolescence, en effet, alors que les jeunes font des choix personnels, chacun devient ce qu'il peut être. Combien de parents ont alors l'impression que leurs enfants n'ont pas réalisé leurs rêves ! Pourtant, beaucoup plus tard parfois, avec le recul qu'apporte une certaine sagesse, ces mêmes parents découvrent de l'intérieur que l'important c'est ce que leurs enfants ont eux-mêmes réalisé et non ce qu'ils avaient d'abord rêvé pour eux. Nul ne pourra dire cependant l'influence de leurs projections idéalistes sur les réalisations de leurs enfants. En lisant ce livre de Marc LeBlanc, les éducateurs pourront réfléchir sur des textes leur présentant d'autres éducateurs qui ont accompli un excellent travail, qui ont mis sur pied un milieu où, malgré tout, il fait bon vivre, qui ont créé des conditions éducatives stimulantes, bref qui ont fait de Boscoville « un modèle peut-être unique au monde ». Ils pourront en venir à une conclusion comme celle-ci : « Voilà où peuvent conduire de grandes aspirations ! » Mais en même temps, ils y verront des chiffres qui font état des trop grandes ambitions de ces mêmes éducateurs : ils ont visé des objectifs trop élevés, trop idéalistes ; leur cohérence qui par ailleurs est une force risque d'être perçue comme une « rigidité » si on considère le nombre impressionnant de « mortalités cliniques » ; leur conception même de la délinquance et de la rééducation est par trop abstraite ; ils n'ont pas su accompagner les jeunes après leur départ d'un lieu qui les protégeait si bien... Une nouvelle conclusion pourra s'imposer à eux : « L'idéal visé n'a pas permis d'atteindre des résultats concrets à la mesure de leur ambition. » Marc LeBlanc disait un jour que les résultats de son étude avaient suscité chez les éducateurs plus d'attitudes défensives que de questionnements véritables. Évidemment, ces derniers sont rassurés quand Edgar Morin écrit que la science aussi comme l'intervention rééducative d'ailleurs joue « au jeu de l'erreur et de la vérité », en ajoutant : l'histoire des sciences nous montre que les théories scientifiques sont changeantes, c'est-à-dire que leur vérité est temporaire. La prise en considération de données négligées, l'irruption de nouvelles données grâce aux progrès dans les techniques d'observation / expérimentation tuent les théories devenues inadéquates et en appellent de nouvelles [2]. Il faut comprendre les éducateurs. Ceux qui ont vécu ou qui vivent aujourd'hui l'expérience de Boscoville, et combien d'autres aussi, ont eu à livrer de nombreuses batailles : contre eux-mêmes d'abord (« est-ce que ça vaut la peine que je m'embarque dans cette galère ? »), contre les jeunes ensuite (« moi, je suis bien comme ça ! ») et enfin, contre les structures (« on en fait trop pour ces jeunes ! »). Ils ont actuellement l'impression de devoir mener une nouvelle bataille, celle-là contre des chiffres qui veulent quantifier leur efficacité... ou leur pseudo-efficacité. Et comme cette éducatrice terminant un rapport d'intervention dont les résultats quantitatifs soulevaient de nombreuses questions, ils pourraient dire :
Il nous faut reconnaître que Marc LeBlanc et son équipe de chercheurs ne sont pas tombés dans le panneau des « terribles simplifications [4] » qui laisseraient entrevoir le meilleur des mondes de la criminologie, laquelle aurait enfin trouvé une réponse à ce problème humain extrêmement complexe qu'est l'accompagnement psycho-socioéducatif des jeunes délinquants. Il écrit en effet : « Toutes les questions que nous avons abordées dans ce livre n'ont pas reçu de réponse définitive. » Le chercheur ne met pas le point final à une expérience humaine qui est le reflet « de l'état d'avancement actuel de la science et de la progression de la pratique clinique ». Malgré toutes les précautions que l'auteur a jugé bon de prendre, certains lecteurs, pressés d'en arriver à des conclusions, risquent de devenir de terribles simplificateurs. Je pense tout particulièrement, en cette période de crise économique, à certains gestionnaires des fonds publics ; peut-être essaieront-ils de trouver dans l'étude de Marc LeBlanc, la raison qui légitimerait d'emblée certaines solutions simplistes en apparence révolutionnaires comme celles adoptées dans certains États du Nord des États-Unis. Marc LeBlanc est un scientifique ; de ce fait, une lourde responsabilité lui incombe. Il lui aurait été facile d'envenimer cette espèce de guerre larvée entre « femmes et hommes de tête » et « femmes et hommes de cœur ». L'éducatrice dont je citais plus haut un passage du rapport d'intervention faisait écho à ce phénomène :
Marc n'a pas situé sa recherche sur ce terrain et l'on sent, tout au long de son volume, son profond respect pour le travail du praticien. Les praticiens auront-ils, à leur tour, assez de respect pour situer le travail du scientifique dans un ensemble, dans un moment de l'histoire de l'intervention et de la recherche, pour en faire une critique objective, pour en dégager ce qu'il peut avoir de stimulant pour l'intervenant à mieux accompagner ces jeunes qu'on dit délinquants ? Je m'en voudrais de ne pas attirer l'attention sur un dernier paradoxe, l'un des plus captivants d'ailleurs : « la spécification de la cible de l'intervention ».
La rééducation s'apparenterait alors à une chaîne de montage où tel type de personnalité pourrait s'engrener, mais pas tel autre. Je ne suis pas sûr que la recherche et la réflexion soient assez avancées pour que nous puissions seulement anticiper cette façon de faire. S'il y a là un objectif scientifique très élevé, voire utopique, que les éducateurs devront quand même accepter de considérer, de poursuivre et d'évaluer en toute honnêteté, il y a là en même temps un danger : celui de la simplification à outrance de la complexité de la rééducation. « Boscoville, écrit LeBlanc, est un milieu sain. Cette affirmation (...) signifie seulement que le potentiel thérapeutique est présent, que les conditions sont favorables au développement personnel des jeunes qui y sont placés et rien de plus. » Or, selon moi, le rôle de tout éducateur est justement de mettre en place le plus grand nombre possible de conditions favorables au développement des jeunes et de les accompagner dans leur croissance, d'abord par un vécu partagé, puis dans un accompagnement approprié à leur insertion sociale. Là s'arrêtent son rôle et sa responsabilité. Le mouvement d'évolution du jeune ne peut venir que de lui-même surtout quand les conditions extérieures favorables sont assurées. Je n'ai rien contre le choix d'une clientèle cible désignée à partir d'études statistiques, à la condition qu'il s'agisse d'une orientation générale et non de l'expression d'une philosophie déterministe qui tenterait d'en venir à une simple adéquation entre le sujet idéal et les conditions environnementales, également idéales, dans lesquelles on le placerait. Il faut bien reconnaître que nous rejoignons ici une certaine conception de l'homme. Si la science peut nous éclairer sur les conditions d'efficacité de l'intervention et, à la limite, sur le délinquant lui-même, elle ne pourra jamais empêcher que tout accompagnement éducatif est en soi, et demeurera toujours, un risque : risque de se faire répondre non alors qu'on avait mis en place les conditions les plus susceptibles de provoquer un oui de la part du jeune. Ce risque encouru par tout éducateur rejoint ainsi un risque inhérent au métier de chercheur. Ce dernier peut avoir créé toutes les conditions permettant au lecteur de suivre la logique de sa démarche, de comprendre l'analyse des résultats et d'accepter les conclusions qui en découlent, il n'a cependant aucun pouvoir sur l'utilisation que pourra faire le lecteur de tout ce matériel. Il peut seulement souhaiter que chercheurs et praticiens tentent une lecture commune de la réalité délinquance et qu'ensemble ils parviennent à la déformer un peu moins. Gilles Gendreau [1] Réflexion verbale de Gregory Zilboorg, Boscoville, 1958. [2] MORIN, Edgar (1981). Pour sortir du vingtième siècle, Fernand Nathan, p. 206. [3] TÉTREAULT, Élise (1982). Rapport d'expérience professionnelle, École de Psycho-Éducation, Université de Montréal, p. 147. [4] WATZLAWICK, P., HELMICK-BEAVIN, J., JACKSON, D. (1972). Une logique de la communication, Paris : Seuil. [5] TÉTREAULT, Élise, op. cit., p. 148. [6] LEBLANC, Marc, L'efficacité de la rééducation des jeunes délinquants : Boscoville : un cas type.
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