[145]
Claude COURCHESNE,
Albert WALLOT, Suzanne LEMERISE
Département d’Arts plastiques
Rose-Marie ARBOUR,
Marcel ST-PIERRE. Pierre MAYRAND
Département d’Histoire de l’Art
Université du Québec à Montréal
En 1969, lors du passage à l’Université du Québec à Montréal, l’École des Beaux-Arts de Montréal avait déjà un passé syndical. Dès 1961, l’Association des Professeurs de l’École des Beaux-Arts de Montréal était formée en vue d’obtenir des conditions salariales plus décentes, des conditions d’engagement et de promotions moins arbitraires. À cette époque, l’école dépendait directement du ministère de la Jeunesse. Sous l’impulsion de la « Révolution tranquille », elle engagea un grand nombre de jeunes professeurs qui se dégagèrent démocratiquement des anciennes relations paternalistes qui entretenaient l’autogénération du corps professoral. Après la fondation du ministère de l’Éducation en 1964, les Beaux-Arts furent rattachés au Bureau de l’Enseignement supérieur. Mais, suite aux restructurations du gouvernement Lesage, plusieurs écoles professionnelles rattachées à la fonction publique se syndiquèrent en 1966.
Avec le SPEQ, Syndicat des Professeurs de l’État du Québec affilié à la CSN, les questions de salaires, de classification et de permanence furent les principaux points négociés. Le nouveau syndicat demanda une classification en fonction de l’expérience professionnelle des professeurs, de préférence à la formation « académique ». Cette première convention collective du secteur [146] public se signa après une grève des professeurs au terme de laquelle les négociateurs allèrent en prison après avoir défié une injonction obligeant le retour au travail. Cette étape dans la syndicalisation joua un rôle important pour les professeurs de l’École des Beaux-Arts de Montréal. Leurs activités professionnelles étant reconnues, cette caractéristique sera une constante et en même temps un objet du débat aux Arts. Le professeur était considéré comme un artiste avant d’être un enseignant.
Lors de la formation des CEGEP, le SPEQ fut agent négociateur avec le gouvernement dans le cas des écoles professionnelles. Aux Arts, cette opération n’engendra aucune difficulté ; les deux premières années du cours furent considérées de niveau collégial, les deux autres assuraient l’obtention du diplôme.
En 1968, les étudiants des Beaux-Arts occupèrent l’école pendant plus de deux mois. Réclamant l’autogestion, les étudiants souhaitaient balayer une grande partie du corps professoral qu’ils considéraient incompétente pour répondre aux exigences nouvelles d’intégration de l’art aux besoins sociaux et à la technologie industrielle. Les plus radicaux mettaient en question les conceptions élitistes de la pratique artistique et le maintien d’un enseignement limité aux médiums traditionnels. Seule la cohésion syndicale des professeurs évita le carnage souhaité ; réaction corporatiste s’il en fut, mais tout à fait normale, si on admet que le syndicat de l’époque (sic) avait été créé pour protéger exclusivement les professeurs et non pour mettre en question leurs conceptions artistiques et pédagogiques.
En 1969, c’est encore le SPEQ qui négocia le protocole de passage des professeurs des Écoles normales et des Beaux-Arts à l’Université du Québec à Montréal. La majorité des professeurs de l’école s’intégra à l’université avec la garantie de conserver leurs droits acquis dans l’échelle salariale. Ainsi, de par leur ancienneté, plusieurs professeurs obtinrent une équivalence « officieuse » de doctorat. L’avènement des Arts à l’UQAM, outre qu’il fut un précédent dans le système d’enseignement francophone, eut pour effet immédiat une transformation des rapports traditionnels entre professeurs et étudiants, entre étudiants de l’école et ceux de l’université, entre professeurs eux-mêmes. Contesté violemment en 1965, 1966 et 1968, le système clos et hiérarchisé des Arts se trouvait à nouveau remis en question et forcé de s’ouvrir à d’autres disciplines.
L’intégration du secteur Arts à l’UQAM valorisa le travail artistique, puisqu’enfin la société (patron et syndicat (?)) reconnaissait une équivalence entre la carrière artistique et la carrière universitaire. L’artiste-enseignant, accédant subitement au statut d’universitaire, se voyait revalorisé socialement et professionnellement sans pour autant avoir modifié sa conception de l’école d’art et de la formation artistique.
Le diplôme, consistant en un baccalauréat spécialisé, permettait aux étudiants de devenir des membres à part entière d’une société hiérarchisée en fonction de la diplômation. Finies, croyait-on, les hantises ou les coquetteries [147] d’être considérés comme marginaux, finies les difficultés de se trouver du travail ou de poursuivre ses études à cause d’un diplôme sans valeur reconnue... L’intégration à l’UQAM, organisme intéressé aux recherches « sérieuses »et, qui plus est, se voulait à la pointe de la nouveauté par la participation professeurs-étudiants, suscita d’énormes espoirs de renouveau. La hiérarchie entre professeurs anciens, omniprésents, et professeurs plus jeunes, s’atténua au profit d’un partage des responsabilités. La majorité des professeurs accepta l’idée d’une régénération de l’école d’art sur la base d’une hypothèse de participation mise de l’avant par l’Université du Québec.
Les conséquences ne se firent pas attendre. La rencontre entre les exigences d’une pratique artistique et le mode de fonctionnement de l’université engendra désillusions et difficultés. À l’impossibilité de répondre aux fonctions modulaires et départementales, s’ajoutèrent les difficultés découlant de la gestion et de la coordination d’un trop grand nombre de modules, d’une banque de cours démesurément gonflée, de budgets mal définis, de locaux exigus, de dossiers d’étudiants incomplets en ce qui concerne les équivalences et finalement d’inscriptions totalement incohérentes. Tous ces facteurs négatifs s’expliquent peut-être par le fait que le fonctionnement de l’UQAM cadrait mal avec une pratique d’atelier ayant ses traditions bien enracinées par 45 années d’existence. Aux difficultés administratives, s’ajoutaient des oppositions sourdes à toute tentative de renouveler le contenu de la formation artistique. De plus, une définition de la recherche répondant aux critères universitaires tels qu’établis ne réussit jamais à rallier l’ensemble des professeurs en arts plastiques (groupe majoritaire). Enfin, la rencontre du secteur Arts avec les autres secteurs de l’UQAM n’entraîna pas les échanges escomptés. Certains avaient estimé que la vocation de pluridisciplinarité que voulait se donner l’Université du Québec, permettrait aux professeurs du secteur des Arts des échanges fructueux avec les autres disciplines. Ces échanges malgré leur fréquence accrue ont abouti à des difficultés de compréhension et de communication qui se retrouvent également à l’extérieur de l’Université. La sémantique universitaire tend évidemment à être différente de celle qu’utilisent les artistes créateurs ; elle modifie néanmoins leurs habitudes de travail en les remettant en question. Il reste à démontrer si cette rencontre sera utile à l’évolution des arts.
Les changements apportés par le passage des Beaux-Arts à l’UQAM ne se limitent pas aux espoirs et désillusions que nous venons de mentionner. Avant l’intégration, une direction unique dirigeait toutes les options de l’école d’art : arts plastiques, pédagogie artistique et design. À l’UQAM, la double structure modulaire et départementale modifia cette structure hiérarchisée et simple, mais suscita à cause des répartitions d’espace et de budget, des rivalités entre les représentants des diverses disciplines artistiques. Par contre les nouveaux modules et départements (tels Histoire de l’Art, Design graphique et Design d’Environnement) élargirent les fonctions de la Famille des Arts. Plusieurs orientations idéologiques et professionnelles transparaissent maintenant dans ce secteur et cette situation est des plus engageantes pour l’avenir.
[148]
Suite à la création du SPUQ-CSN, un grand nombre de professeurs des anciennes institutions obtinrent leur permanence, mais en dépit du caractère combatif de ce syndicat qui situait l’action syndicale dans un contexte élargi, plusieurs professeurs se retranchèrent sur des positions sécurisantes et abandonnèrent peu à peu les tâches qui leur auraient permis de donner un autre sens aux réformes administratives mises de l’avant. Cette démission des uns, liée à l’usure des autres qui assuraient jusque là des responsabilités dans la structure de participation, favorisa l’abandon de leurs idéaux et la sclérose du secteur des Arts.
L’Opération ’72 fut la première tentative pour remédier à cette situation et pour rationaliser les processus administratifs des modules et des départements. Cette opération, dirigée initialement par le vice-doyen, demandait la participation de tous. En même temps que la rationalisation administrative s’élaborait, on tenta de rendre les modules fonctionnels. (On peut comparer jusqu’à un certain point les fonctions sociales définies dans les modules de la Famille Lettres à celles qu’on tentait d’esquisser pour les Arts, à la même période). Cependant, les antagonismes latents et la réaction de retrait tactique des professeurs les plus influents dans le secteur Arts, donnèrent aux propositions de l’Opération ’72 une fin de non-recevoir : ce qui voua à l’échec cette tentative de renouvellement et de clarification du rôle des Arts à l’UQAM. La cause principale de cet échec fut la proposition de regrouper les départements en deux groupes à savoir Communication et Environnement. Pris au dépourvu par cette perspective interdisciplinaire, le corps professoral opta pour l’ordre, mais sans changement. On s’objecta également à la proposition de « rentabiliser » les structures modulaires par la destination de huit cours qui auraient fait appel à des spécialistes extérieurs à l’UQAM (cours modulaires en fonction de la polyvalence et de l’ouverture sur des préoccupations reliées au marché du travail). D’ailleurs, le principe même des cours modulaires était un épineux problème pour tous les secteurs et pour le syndicat.
Suite à cet échec fort coûteux, l’UQAM nomma un observateur délégué, chargé de faire rapport sur la situation prévalant au secteur Arts. En 1973, le Rapport Vallerand, véritable roman de cape et d’épée, est déposé. Afin de conduire à son application, un administrateur délégué, J.-M. Tousignant, fut nommé : il est toujours en fonction en 1976-77. Les modifications proposées par Vallerand devaient ouvrir théoriquement le secteur à l’ensemble de l’UQAM ; elles devaient conférer aux programmes plus de crédibilité et élargir les possibilités de rentabilisation sur le marché du travail. Concrètement, tout au plus réussit-on à imposer le calme au secteur et à le doter d’une administration qui fut en fait la base et l’instrument pour amorcer des réformes importantes dans le fonctionnement de la double structure. Les contrôles administratifs et pédagogiques de toutes sortes, tels qu’ils sont énoncés par le président Després, trouvèrent dans le secteur Arts un champ tout indiqué d’application. Par exemple, la nomination de cet administrateur alla à l’encontre des acquis syndicaux, puisque les directeurs de département, de module, et les vice-doyens, [149] sont des syndiqués au même titre que les professeurs. L’administrateur délégué y assume un contrôle quasi-entier du secteur et cette mainmise centralisatrice signifie, malgré le paravent d’un comité de secteur, la disparition de tout dynamisme.
La récente adjonction des « arts d’interprétation » (théâtre, musique, danse) au secteur Arts apparaît d’abord comme une tentative de donner à ce dernier plus de poids et de représentativité. La mainmise de l’administrateur délégué sur toutes les étapes de mise en place de ces trois nouvelles disciplines a empêché la concertation avec les professeurs du secteur. Sauf dans les cas des professeurs de théâtre, le rapport des nouveaux professeurs avec le syndicat est clair : engagés par l’UQAM, parle biais de l’administrateur délégué, ils sont bien mal placés pour prendre une position critique face à leur employeur, surtout pendant une grève. Implantés parallèlement aux modules et départements déjà existants aux Arts, ils n’ont aucun contact avec les professeurs et étudiants du secteur et sont, principalement pour la musique, maintenus en dehors des réalités sociales et de ses luttes.
Si le secteur est en tutelle, les causes n’en sont pas qu’administratives ; elles tiennent au manque de définition de la recherche en matière artistique mais aussi à l’absence de politiques culturelles démocratiques. D’ici là, il appartient aux professeurs des Arts de s’interroger sur leurs fonctions à l’intérieur de l’université et de reprendre en charge les mécanismes de leur propre développement.
Il ne fait aucun doute que l’enseignement des arts est plus facile à évaluer en terme de coûts que d’effets, mais face à la demande sociale de formation artistique, l’UQAM est contrainte dans son cadre et les limites du système, d’y répondre tout en s’adaptant aux nécessités économiques. Au même titre que toute autre entreprise (avec ses investissements, immobiliers, ordinateurs, journaux, laboratoires et centre sportif), sa survie et son développement dépendent largement des politiques gouvernementales, des régimes de subventions et des projets lucratifs de recherche. La prétendue autonomie universitaire est une illusion mais savamment entretenue pour faire oublier les conséquences de sa transformation en fonction des contraintes économiques. Les politiques de « rationalisation » n’y diffèrent pas de celles des compagnies et devant la nécessité de limiter les dépenses et de les ajuster aux besoins à court terme de l’économie, l’institution universitaire n’hésite pas (même si elle fonctionne à l’idéologie de participation) à user de procédés, tels que celui des « Règlements généraux » de la « réforme Després », décidés à huis-clos par un conseil d’administration ou une assemblée des gouverneurs. L’illusion d’une Université libérale qui fonctionnerait grâce à des mécanismes de participation à la gestion maintient ainsi intouchables les structures autoritaires. Or, devant la tendance actuelle de la politique universitaire à se faire l’auxiliaire du capital, la lutte syndicale apparaît comme le seul moyen de résistance efficace. La question est donc de savoir comment le syndicat (SPUQ) est utilisé par les professeurs. Dans cette conjoncture, la position du secteur Arts est à la fois aussi précise et aussi [150] vague que sa position à l’intérieur de l’UQAM : à l’objectif académique de « faire des artistes », répond l’objectif syndical de protéger les droits acquis. La question qui subsiste reste encore celle de la reconnaissance universitaire de la compétence artistique, mais le nouveau projet de convention collective (Hypothèse de règlement. Dépôt syndical S-15, 13-12-76) semble avoir trouvé une solution à ce problème.
Dans cette optique, donc, nous ne pouvons que souligner à quel point il est urgent que le SPUQ aille au-delà de la seule protection des droits acquis ou de l’obtention d’avantages professionnels pour ses membres. Une politisation des débats, dont un des thèmes porterait sur le rôle qu’une université a à jouer au sein de la société, permettrait sûrement, par ricochet, au secteur Arts de mieux redéfinir son rôle et celui de ses membres, à la fois dans l’université et dans la société. La mise à jour de l’illusion de la liberté universitaire et de la liberté de l’art basée sur la seule nécessité de l’« expression personnelle », vont de pair : il faut enfin radicaliser les positions syndicales qui, en se voulant trop uniquement préoccupées de la protection professionnelle et économique de ses membres, n’insistent pas assez sur une étude des sources de malaises profonds qui, par exemple, affectent le secteur Arts depuis son intégration à l’UQAM. C’est ainsi que la lutte syndicale pourrait alimenter davantage la réévaluation du rôle de l’enseignant universitaire et de l’artiste en situant le débat à un niveau politique, économique et culturel plus large, tout en favorisant ainsi chez les syndiqués à la fois une meilleure prise de conscience de leur situation de travailleurs intellectuels et une identité de vue avec ceux de la fonction publique et des autres services sociaux.
|