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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges Leroux, “Claude Lévesque, 1927-2012. En mémoire d'un philosophe libre.” Un article publié dans le journal LE DEVOIR, Montréal, édition du mardi, le 3 avril 2012, page A9 — opinion. [Le 17 décembre 2006, M. Georges Leroux nous autorisait à diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Georges Leroux (2012)

Professeur, département de philosophie, UQÀM
Membre de l’Académie des lettres du Québec

Claude Lévesque, 1927-2012.
En mémoire d’un philosophe libre
.”

Un article publié dans le journal Le Devoir, Montréal, édition du mardi, 3 avril 2012, page A9 — opinion.



Avec la mort récente de Claude Lévesque, c'est toute l'histoire de la pensée philosophique au Québec qui nous apparaît sous la figure de la mutation profonde dont il fut l'un des artisans les plus importants. Je rappelle ici les mots de son ami Jacques Brault, dans la revue Parti Pris en 1965: «Philosopher au Québec a toujours été le contraire d'une délivrance, car la vérité préexistait si purement et si extérieurement à la conscience que nulle initiative de la liberté n'était possible et par là, j'entends non pas le doute, mais ce moment de rigueur et d'angoisse où le moi se pose par un non radical et irréversible [...]. Il y avait, il y a une tâche ici pour les philosophes: nous désapprendre la peur en donnant à notre peur des objets vrais et durs comme le réel.»
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Photo : Famille Lévesque.
Claude Lévesque



Nul ne semble avoir mieux entendu cette injonction que Claude Lévesque. La mention même de cette préexistence de la vérité disait tout de ce que nous laissions derrière nous et chacun pouvait reconnaître en lui la requête de liberté qui se faisait alors entendre partout.


Colère philosophique

Claude Lévesque fut un des premiers philosophes ici à porter un nom propre, à assumer une signature, à penser dans une écriture dont il assumait la singularité. Il n'avait aucun prédécesseur et dans le désert régnant il parla seul. Dans ses cours, mais aussi à la radio où il fit entendre une parole forte, sans concessions. Plusieurs voix nouvelles, inaudibles jusqu'à lui, soudain parlaient avec lui, à travers lui. Lecteur de Maurice Blanchot et de Georges Bataille, de Nietzsche et de Freud, il circulait librement, cherchant à penser ce qu'étaient devenues depuis Heidegger la question du destin de l'humanisme, la pensée du sujet, la fin de la métaphysique.

Par où avait-il lui-même commencé? Au moment où il amorce en 1960 son enseignement à l'Université de Montréal, il présente à ses étudiants la requête inouïe d'un chemin privé de balises, la recherche d'une écriture dont il place l'exigence sous l'égide de la pensée de la différence, du divers. La liberté philosophique était à ce prix. Chaque morceau de l'édifice ancien, et en particulier la métaphysique, était livré à une critique intempestive, au sens nietzschéen que Claude Lévesque revendiquait pour son travail, et cette critique n'évitait pas par moments une sorte de fureur, une colère philosophique. Expression d'une forme de scandale au spectacle des conforts du passé, cette colère se communiquait à nous sous la forme d'une invitation à la révolte et d'une amitié généreuse. Le répertoire où cette amitié de la pensée allait pouvoir se nourrir, nous lui devons de nous en avoir ouvert l'accès.

Et d'abord Freud. Comment Claude Lévesque était-il venu à la psychanalyse? C'est au cours de ses années d'étude en psychologie, entre 1957 et 1960, qu'il rencontre l'oeuvre freudienne. Dès 1963, alors qu'il se trouvait à Paris, il avait assisté, en même temps que Jacques Derrida, au séminaire de Jacques Lacan, et il ne cessa de lire l'un et l'autre. Quand paraît en 1976 son premier livre, un recueil d'essais sur Nietzsche, Freud, Blanchot et Derrida, sous le titre de l'essai consacré à Maurice Blanchot, L'étrangeté du texte, chacun peut constater que les amarres sont rompues et qu'un nouveau lieu de pensée se configure: le texte, en tant qu'écriture.

Ce déplacement, de tous le plus important, vers les penseurs de l'écart et de la différence est pleinement revendiqué dans la forme de ce livre autant que dans ses objets. Lequel de ces penseurs fut le premier ou le plus déterminant? Maurice Blanchot lu en même temps que Freud a certes rendu possible tout ce qui a suivi, dans la mesure où sa pensée a conduit Lévesque à Jacques Derrida et à Georges Bataille, et ensuite à Nietzsche. Mais il faut renoncer à démêler cet écheveau de textes, tant il semble constituer un même univers, un monde de renvois où une liberté unique permet de se déplacer de l'un vers l'autre.


Courage de la solitude

Dès ces premiers textes, l'écriture manifeste cette ouverture à la précarité, cette attention à la vulnérabilité du langage qu'il entend à la fois chez Blanchot et chez Nietzsche. L'effet le plus important de cette décision est de brouiller la frontière du texte philosophique et de la littérature. L'un est toujours déjà dans l'autre, justement parce qu'il n'y a plus d'écriture de maîtrise: seulement, au contraire, une écriture s'ouvrant au travail de la différence. Tel est le précepte des essais de Claude Lévesque depuis ses tout premiers travaux jusqu'aux plus récents, ce respect de l'indécidable.

Faisant retour, dans son récent recueil, Philosophie sans frontières, sur le sens renouvelé de ce principe dans son oeuvre, Claude Lévesque évoque une «tendresse envers l'étrangeté», expression qui invite à entendre une affection de la philosophie, une attention à la fragilité qui résulte de son économie nouvelle, dès lors qu'elle accepte le jeu de la différence. Il écrit: «L'histoire de ma vie [...] serait ce passage d'un régime de pensée et de vie platonicien à un régime nietzschéen où la pensée et l'art, le savoir et la jouissance, le concept et la métaphore, la littérature et la philosophie se compénètrent sans se confondre.» La forme de cette oeuvre met à nu cette exigence de dissémination et de parcours multiples: elle se diffracte en essais qui résistent à tout rassemblement sous un projet unitaire, à tout arraisonnement.

Claude Lévesque a frayé un chemin solitaire, il fut pour ma génération et celles qui l'ont suivie un exemple de la liberté qu'appelait Jacques Brault. De ce courage de la solitude, il a tiré une écriture forte, abrupte, transgressive, dont le caractère décisif lui venait sans doute d'abord du moment historique qui en soutenait la percée. Écrire dans un moment de rupture, esthétique, sociale, politique, cela devait être pour le philosophe la décision d'accompagner cette rupture, de la constituer dans la philosophie elle-même, sur le registre sur lequel elle voulait advenir depuis si longtemps. Il n'y eut dès lors qu'une libération, ferme et continue, des soumissions antérieures, et l'invention d'une écriture somptueuse où un idéal de souveraineté sous-tend la liberté de penser. À cette injonction de liberté qu'il avait placée sur le seuil de son oeuvre, Claude Lévesque est demeuré fidèle toute sa vie et notre dette immense commence à peine de nous apparaître alors que nous prenons conscience de tout ce qu'il a rendu possible.

*  *  *

Georges Leroux,

Académie des lettres du Québec


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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 7 avril 2012 8:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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