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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Georges Leroux, Facultés, inc...” Un article publié dans la revue Analyses et discussions, no 8, printemps 2006, pp. 59-63. Numéro intitulé: “L'Université contemporaine: un bateau à la dérive ?” Montréal: SPUQ, Le Syndicat des professeurs de l’UQÀM, 2006, 85 pp. [Autorisation formelle accordée le 19 août 2008 par le SPUQ, Le Syndicat des professeurs de l’UQÀM, de diffuser ce document dans Les Classiques des sciences sociales.]

Facultés, inc… 

par Georges Leroux
Département de philosophie 

 

Georges Leroux, “Facultés, inc...” [pp. 59-63 de l’édition originale.]

 

Le modèle transversal en question
La concurrence du modèle professionnel
Tel modèle, telle direction

 

Il ne servirait à rien de le cacher : l’implantation des facultés fut une opération rapide, voire improvisée. Mais pouvait-on, après tant d’années de tergiversations, faire autrement ? Les institutions, comme les personnes, se lassent de ces périodes de transition au cours desquelles des structures, qui paraissaient en leur temps dynamiques, n’en finissent plus de résister aux changements exigés par le passage du temps. C’était le cas du système modulaire et des regroupements en familles : tributaire d’une idéologie qui valorisait les programmes et la participation étudiante, ce système ne pouvait plus répondre aux défis de la concurrence dont le poids en vint à peser d’abord sur les départements. Ce constat fut répété dix fois plutôt qu’une, mais la formule de remplacement n’apparaissait pas claire pour autant. 

Quand la décision fut prise de restructurer toute l’Université sur un modèle facultaire, personne ne sembla pourtant s’aviser que les temps avaient changé de ce côté-là aussi : un modèle qui s’était imposé ailleurs, et avec une si remarquable constance, pouvait-il être simplement transplanté dans une institution qui n’en avait recueilli ni l’inspiration ni les contraintes lors de sa fondation ? Et fallait-il le faire au moment précis où il entrait en crise partout ? 

Pour le dire d’un mot, la greffe du système facultaire, parce qu’elle n’a pas été précédée ni accompagnée d’un effort de réflexion et de concertation approfondi, engageant tous les acteurs de l’UQAM, présente aujourd’hui un ensemble de problèmes qu’il semble urgent de discuter. Le Comité conseil de la planification institutionnelle, dont le Rapport synthèse sera bientôt soumis à la discussion, ferait bien de ne pas traiter ces problèmes comme s’il ne s’agissait que de questions d’organisation ou de simples ajustements. Préciser les objectifs, évaluer les contextes, définir des mandats, il le faut absolument. Mais cela ne doit jamais faire oublier que les structures ont leur propre efficacité et que, laissées au seul jeu de leur évolution, elles ne recréeront pas le coeur de l’Université qui semble être victime d’arythmie depuis la mise sur pied des facultés. 

Les problèmes qu’on peut entrevoir sont de trois ordres : la question de la transversalité, la concurrence des modèles professionnalisants et la question de la direction. Je les esquisse ici trop brièvement pour permettre une discussion approfondie, mais d’autres forums pourront permettre d’aller plus loin.

 

Le modèle transversal en question

 

Depuis leur première formulation, sur la base du système médiéval des Arts libéraux, les facultés universitaires ont toujours été des unités reliées par un principe de transversalité qui avait pour mission de réaliser leur unité. Les Arts, la Médecine, le Droit et la Théologie entretenaient, faut-il le dire, un rapport au monde très particulier : il s’agissait de quatre professions, chacune disposant de sa « clientèle » propre, entièrement refermées sur elles-mêmes. Ce modèle a cédé au dix-neuvième siècle sous la pression des regroupements de scientifiques, héritiers des académies modernes et désireux de participer aux privilèges des clercs : l’université libérale, contrairement à ce qu’on entend souvent, n’est pas la victoire des expertises sur une université de lettrés, c’est la victoire au contraire des savants sur un cénacle de professions. Son évolution a consisté, principalement sous la poussée des cultures nationales qui en ont fait le coeur de leur système, à regrouper dans un ensemble unifié les connaissances d’une époque. Au cours de cette évolution, les professions ne perdirent pas leur place, mais devinrent pour ainsi dire secondaires. 

C’est ce modèle qui, partout en Occident, se défait sous nos yeux, sous la poussée d’une nouvelle professionnalisation [1]. Les profils de formation ne découlent plus des systèmes disciplinaires, ils s’y substituent. La transversalité qui liait les modèles antérieurs est donc en train de s’effacer au profit d’une production experte de connaissances spécialisées, toujours plus locales, toujours plus articulées sur des objets, c’est-à-dire des questions à résoudre par une expertise. Ce mouvement n’a rien de mauvais en soi, mais il a des conséquences que nous devons chercher à mesurer, si nous voulons que les effets de structure qu’il impose ne se retournent pas contre les disciplines que les nouveaux modèles pourraient prétendre remplacer. 

Une université qui maintient une faculté unifiée des Arts et des Sciences pense que la transversalité de sa structure a encore des effets bénéfiques sur l’évolution des disciplines qui y sont regroupées. Une autre qui sacrifie cette unité au profit d’agrégats plus ou moins circonstanciels de départements, d’instituts, de chaires et d’écoles pense sans doute que les ajustements atomisés au marché des professions et des expertises imposent une structure différente. Elle ne mesure peut-être pas bien les conséquences des écarts, des distances, des brèches qu’elle institue ainsi dans le corps de l’Universitas. 

La transversalité est alors remplacée par un principe d’unité qui risque de devenir purement économique et organisationnel, rendant particulièrement périlleuse l’articulation pyramidale des cycles supérieurs avec des instituts, des premiers cycles, à la fois mono et multidisciplinaires, et des écoles qui n’en partagent ni les finalités ni surtout les difficultés (recrutement, diplomation, formation). L’hétérogénéité qui en découle devient en soi une difficulté. Je n’argumente pas ici pour le maintien de structures facultaires traditionnelles, je dis seulement que leur évolution vers des formes nouvelles, à la fois composites et désarticulées, doit être maîtrisée. Il y aurait plusieurs exemples, je ne veux en mentionner aucun. Chacun peut regarder dans sa cour et tenter de voir ce qui s’y passe.
 

La concurrence du modèle professionnel

 

Le second problème, fortement lié au premier, est la croissance exponentielle des formes « School ». Comme dans Business School, Law School. À suivre ce mouvement, pour favoriser son autonomie et surtout sans doute se protéger des difficultés inhérentes à la transversalité d’un modèle universitaire substantiel, de nombreuses unités souhaitent devenir de telles écoles. Il ne s’agit pas seulement d’attitudes rhétoriques, permettant d’avoir un logo et des cartes de visite, renforçant le sentiment d’appartenance, mais d’une évolution fondamentale des finalités : là où les disciplines de l’université libérale ne se reconnaissaient aucune autonomie, les nouvelles écoles se conçoivent comme des unités fonctionnelles, ajustées sur des expertises et des demandes sociales particulières. La disciplinarité n’y possède pratiquement plus aucun sens. 

Quel est le risque, demandera-t-on ? Pourquoi ne pas favoriser au contraire l’émergence d’une « réingénierie » complète, la chose finissant toujours par réaliser le concept, comme on l’espère partout en ce moment ? 

Les enjeux sont ici trop lourds pour qu’on puisse même les énoncer : évoquons seulement le problème de la perversion des finalités de la recherche fondamentale, les risques associés à la définition de la discipline par l’expertise (know how), en lieu et place d’une définition par la connaissance (know that), pour ne rien dire des contraintes exorbitantes sur la programmation et ses finalités de formation. Une université qui ne serait faite que d’écoles est-elle encore une université ? Une université qui appellerait « faculté » un ensemble d’unités liées seulement par leur volonté de constituer une ou des écoles demeure-t-elle une université ou n’est-elle qu’un think tank financé par les fonds publics ?

 

Tel modèle, telle direction

 

Le troisième problème me servira de conclusion : quel concept peut encore déterminer une telle structure ? Qui peut diriger une telle université, abandonnée à ses forces centrifuges ? Quel Ulysse attaché sur son mât peut résister à de telles sirènes ? 

La Commission des études, qui devient chaque jour davantage un lieu d’arbitrage, a sans doute perdu le pouvoir (mais pas la légitimité) de repenser un modèle d’évolution qui prendrait en considération les exigences des disciplines et les impératifs d’une formation ouverte et libre. Elle consent des moyens, mais peut-elle encore réfléchir sur des fins ? Ici encore, il ne faut pas exclure que ce ne soit plus nécessaire, et que l’université à venir ne sera plus une université, seulement une organisation. On voit se multiplier aux États-Unis et en France des universités corporatives qui se passent parfaitement de la légitimité des institutions nationales héritées des réformes du dix-neuvième siècle. Personne ne saurait leur reprocher d’aller vers la prospérité et de vendre à prix d’or des diplômes à ceux qui le désirent. 

La question devient la suivante : diriger une université, est-ce travailler à exaucer les voeux les plus divers de toutes les unités, y compris de leurs alliances stratégiques variant au gré des marchés, ou de tenter, contre les rafales de l’esprit du temps, de garder l’universalité de la recherche et la liberté de la formation sur l’horizon de ses priorités ? Il faut souhaiter que la planification stratégique, qui range parmi ses objectifs de « mener à terme la facultarisation », fasse de toutes ces questions l’objet de ses efforts.


[1] Je ne connais pas de meilleure analyse de toutes ces questions que celle de Bill Readings, The University in Ruins. Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1996.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 30 août 2008 18:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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