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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de M. Louis Maheu, “La conjoncture des luttes nationales au Québec: mode d'intervention étatique des classes moyennes et enjeux d'un mouvement social de rupture”. Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. 11, no 2, octobre 1979, pp. 125-144. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal. [Autorisation formelle accordée par l’auteur de diffuser cet article le 20 octobre 2006 dans Les Classiques des sciences sociales.]. Introduction La société québécoise, depuis déjà un bon moment, attire l'attention tant des hommes politiques que des analystes pratiquant diverses disciplines scientifiques du social. Les dernières décennies, à cet égard, n'auront certes pas été à contre-courant ; dans le milieu scientifique des sciences sociales notamment, la croissance d'une main-d'œuvre spécialisée, dans le réseau universitaire et dans d'autres institutions où se pratique la recherche, aura contribué à une nette expansion des discours plus ou moins scientifiques traitant divers aspects de la société québécoise. Bien que le présent texte ne vise aucunement à produire une recension critique de tous ces travaux, nous tenterons cependant de souligner certaines faiblesses des analyses référant, d'une manière ou d'une autre, aux concepts de technocrates ou de technocratie pour traduire certains enjeux plus contemporains du développement de la société québécoise. Nous illustrerons plutôt qu'une lecture de ces enjeux, élaborée à l'aide d'une partie de la littérature sociologique relative aux sociétés dépendantes, permet d'une part, d'échapper à certaines interprétations trop restreintes et, d'autre part, de mettre de l'ordre dans des ensembles hétéroclites de faits sociaux qui se voient ainsi mieux dotés de sens. Nous soutiendrons encore cependant que bon nombre des enjeux contemporains du développement de la société québécoise demeurent, au terme d'une telle lecture, toujours étanches, imperméables à une analyse qui ne déborderait pas la sociologie des sociétés dépendantes. Il faudra donc résister à toute obnubilation produite par le grand attrait de cette littérature et à toute velléité de n'en rester qu'à une stricte et rigoureuse superposition de ses schémas d'analyses à la réalité sociale québécoise. Au contraire, l'analyse de la société québécoise doit alors être complétée en disposant à son centre les problèmes de la coordination, la régulation, l'organisation sociales globales d'une entité historique concrète, les problèmes donc du Politique, et des rapports de force entre groupes sociaux, incluant aussi les groupes socio-ethniques, mobilisés par un tel enjeu sociétal. Depuis le début des années soixante surtout, circulent au Québec des interprétations du développement de cette société qui misent sur les fonctions et les positions sociales d'agents sociaux dénommés technocrates ou sur les caractéristiques de fonctionnement des technocraties. Il est, bien sûr, plusieurs lectures de ce phénomène social de la technocratie, de la montée au pouvoir des technocrates. L'une de ces lectures, assez répandue somme toute en sciences politiques [1], met en relief les liens d'intellectuels d'un type nouveau et moderne, de spécialistes de la gestion de toute sorte, de la planification et de la rationalisation avec l'État, avec ses divers appareils [2]. Le plus clair de cette littérature nous met alors face au fonctionnement et à l'engagement social d'une élite d'agents sociaux. Comme la plupart des travaux appartenant à semblable sociologie des élites, ces études sont des plus avares de commentaires au sujet du positionnement, de la localisation de tels agents sociaux au sein de la division sociale du travail, de l'ensemble des rapports sociaux. Semblable trait de leur démarche analytique leur enlève beaucoup de leur pouvoir heuristique. Il est, bien sûr, d'autres interprétations des fonctions et positions sociales des technocrates. Entre autres, il y a celles traitant des classes ou fractions de classes dirigeantes et, ou dominantes de sociétés industrielles avancées alors dénommées technocrates, pour les distinguer d'agents exerçant les mêmes fonctions dans des sociétés industrielles plus classiques. Que ce soit par le biais d'une technocratie d'État capitalisant des fonctions effectives de classe dirigeante autochtone au sein de l'État et de ses principaux appareils contrôlés par une couche de hauts fonctionnaires, ou d'une technocratie de société capitaliste libérale, souvent désignée comme post-industrielle [3], l'essentiel est qu'on a alors affaire à une classe dirigeante, également plus ou moins dominante, dans une économie relativement intégrée de sociétés industrielles, non seulement avancées, mais encore centrales et dominantes. Il en est ainsi queue que soit, par ailleurs, la qualité analytique que l'on prête aux aboutissants théoriques d'un tel usage des concepts de technocrate ou de technocratie. Pareille lecture de la montée sociale de la technocratie n'a que peu à voir avec la société québécoise : les enjeux les plus contemporains du développement de cette dernière ne sauraient être ramenés aux fonctions et positions sociales d'une technocratie au sens où il vient tout juste d'en être question. Il en est de même, d'ailleurs, à propos de cet autre langage peut-être plus actuel encore, lui, étant identifié surtout aux années soixante-dix, amenant à soutenir que la société québécoise est essentiellement mue par les soubresauts d'un développement très avancé du mode de production capitaliste, soit de son stade monopoliste d'État. Comme plusieurs travaux devaient l'illustrer, cette forme de régime économique, puis politique, supposerait une forte articulation entre fractions de classes supérieures, les unes à vocation plus dirigeante, les autres à vocation plus dominante. Plus encore : à cause même de l'intervention de l'État dans les cycles du capital, il absorbera ainsi les coûts économiques et sociaux de sa dévalorisation. Un tel régime économique, puis politique, est sous-tendu non seulement par les politiques sociales étatiques mais, encore et surtout, par la militarisation de l'économie que l'État favorise, par ses investissements nombreux, variés, et même abondants, dans les divers réseaux de l'industrie de la connaissance, notamment dans le système de recherche-développement [4]. La conjoncture contemporaine de la société québécoise ne saurait être dissociée de l'intervention de l'État dans les sphères de l'économie, du politique et du social au sens large du terme. Et si ces tendances s'apparentent à celles caractérisant le fonctionnement d'un État au stade du capitalisme monopoliste d'État, on ne saurait pour autant conclure qu'elles puissent y être assimilées. C'est que les caractéristiques d'un tel stade du capitalisme ne traduisent pas de manière satisfaisante et convenable, les traits les plus dominants, centraux et prioritaires de l'interventionnisme de l'État québécois. [1] Voir à ce sujet, Jean Meynaud, la Technocratie, mythe ou réalité ?, Paris, Payot, 1964 ; J. Billy, la Technocratie, 3e éd., Paris, P.U.F., 1975. [2] Voir en particulier le numéro spécial de Recherches sociographiques, vol. 7, no 1-2, 1966, qui porte sur « le pouvoir dans la société canadienne-française », les articles surtout de J.-C. Falardeau, « Des élites traditionnelles aux élites nouvelles » ; de Gérald Fortin « Transformation des structures du pouvoir » [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.], bien que ce dernier utilise non pas le concept de technocrate, mais celui de technicien, de « nouveaux techniciens », dans un sens qui ne diverge pas vraiment de celui auquel nous faisons ici appel en parlant des technocrates. À noter, dans ce même numéro, le texte de Jacques Brazeau - « Les nouvelles classes moyennes » - qui aborde un thème auquel nous viendrons, bien que nous concevions différemment les liens qu'il tente d'établir entre ces couches sociales et l'État, ou même dans son cas, avec la technocratie [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]. Voir aussi pour des analyses qui vont finalement dans le même sens malgré quelques différences : Jean-Jacques Simard, « La longue marche des technocrates », Recherches sociographiques, vol. 18, no 1, janvier-avril 1977 [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.] et Jean-Louis Roy, la Marche des Québécois, le temps des ruptures (1945-1960), Montréal, Leméac, 1976. [Texte en préparation pour Les Classiques des sciences sociales. JMT.] [3] Sur ce thème des sociétés post-industrielles et de leur technocratie, voir l'œuvre d'A. Touraine et notamment, la Société post-industrielle, Paris, Denoël, 1969 et la Voix et le regard, Paris, Seuil, 1978 ; Daniel Bell, The Coming of Post-Industrial Society, New York, Basic Books, 1973. Pour une critique de cette approche, voir A. Giddens, The Class Structure of the Advanced Societies, London, Harper Torchbooks, 1973 et Louis Maheu, « Rapports de classes et problèmes de transformation : la thèse de la société post-industrielle », Sociologie et Sociétés, vol. 10, no 2, octobre 1978, pp. 10-35. Pour une certaine application de ce thème à la société québécoise, voir P.-A. Julien, Pierre Lamonde, Daniel Latouche, Québec 2001, une société refroidie, Québec, Les éditions du Boréal Express, 1976 et la recension critique qu'en fait Jean-Jacques Simard dans Recherches sociographiques, vol. 17, no 3, 1976. [4] Voir sur ce thème, Paul Boccara, Études sur le capitalisme monopoliste d'État, Paris, Éditions sociales, 1973 ; Parti communiste français, Traité marxiste d'économie politique : le capitalisme monopoliste d'État, 2 tomes, Paris, Éditions sociales, 1971 ; A. D. Magaline, Lutte de classe et dévalorisation du capital, Paris, F. Maspero, 1975. Au sujet des études québécoises qui utilisent un tel schéma d'analyse, voir, entre autres, Diane Éthier, Jean-Marc Piotte, J. Reynolds, les Travailleurs contre l'État bourgeois, Montréal, L'Aurore, 1975 ; Paul R. Bélanger, Céline Saint-Pierre, « Dépendance économique, subordination politique et oppression nationale : le Québec 1960-1977 », Sociologie et sociétés, vol. 10, no 2, octobre 1978. [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]
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