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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de M. Louis Maheu, [sociologue, Université de Montréal], “Les lieux du pouvoir entre la scène politique et les rapports sociaux: des interrogations en quête d'un cheminement intellectuel”. Un article publié dans Continuité et rupture. Les sciences sociales au Québec (2 tomes). Textes réunis par Georges-Henri Lévesque, Guy Rocher, Jacques Henripin et al., éditeurs. Tome II, chapitre XXVIII, pp. 455-490. Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal, 1984, tome I, 309 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur de diffuser cet article le 16 octobre 2006 dans Les Classiques des sciences sociales.]. Introduction Ce texte n'a pas vraiment la prétention de rendre très fidèlement compte d'un cheminement intellectuel. Il s'avère plutôt une lecture critique de la littérature des sciences sociales québécoises consacrée au thème du pouvoir. Et bien sûr, les divers points de vue adoptés, pour procéder à pareille lecture, eux, témoignent à leur manière d'interrogations constitutives d'un cheminement intellectuel. Les études dont ce texte rendra principalement compte traitent de diverses dimensions du pouvoir le constituant en tant que système d'action sociale. Les interrelations entre, d'une part, le thème du pouvoir et, d'autre part, les catégories sociales que sont les nations et les classes sociales seront un peu négligées : d'autres participants à ce colloque livreront leur perception des traditions des sciences sociales relatives à ces catégories sociales. Pour échapper à une présentation strictement chronologique de textes et donner un caractère plus heuristique à un examen de travaux relevant surtout de la sociologie puis des sciences politiques, le recours à une grille de classification s'imposait. Cette grille de classification de thèmes en fonction d'une taxonomie claire, explicite, comporte trois grands volets. Ces volets circonscrivent le système d'action sociale que constitue le pouvoir au sein d'une structure sociale. Et chacun d'entre eux identifie une dimension analytique de ce système d'action sociale. C'est ainsi que le pouvoir, au sein d'une société pratiquant la démocratie parlementaire, est certes connoté avec le fonctionnement de la scène politique, vue comme un marché où des partis, des organisations politiques se disputent le droit d'exercer, d'abord et avant tout, un certain pouvoir législatif et dans une certaine mesure un pouvoir aussi exécutif. La scène politique, en tant que palier ou composante du système d'action sociale du pouvoir, possède sa logique propre de fonctionnement avec ses règles, ses normes, ses mécanismes particuliers. Et les sciences sociales québécoises n'ont pas négligé cette question du fonctionnement de la scène politique dans la mesure où d'importantes études lui ont été consacrées. Ce palier ou cette dimension du système d'action sociale du pouvoir est à distinguer de celui du fonctionnement même des appareils, des multiples appareils de l'État. On ne s'éloigne pas vraiment des questions du pouvoir, notamment du pouvoir plus strictement politique, quand on s'arrête au fonctionnement même de l'État et de ses divers appareils. Et bien sûr, une structure fédérative d'État recèle à cet égard de plus grands problèmes encore du fait de l'existence, dans un tel régime constitutionnel, d'appareils régionaux ou provinciaux d'État. Ces derniers ne sauraient mener à l'économie d'appareils d'État encore plus locaux, soit les appareils municipaux. Aussi, les nombreuses analyses du champ d'action sociale du pouvoir ne peuvent vraiment échapper aux interrogations relatives au fonctionnement même des appareils d'État. Mais il est encore une troisième composante du champ d'action sociale du pouvoir qui ne peut, à vrai dire, être assimilée au seul fonctionnement de la scène politique, des appareils d'État, fussent-ils les appareils mêmes du pouvoir exécutif d'État. Elle n'est pas pour autant déconnectée de ces médiations, plus strictement politiques du pouvoir et, bien au contraire, elle s'articule à ces dernières. Force est de reconnaître qu'au-dessus de ces médiations, il est un enjeu : comment sera façonné le pouvoir, et quels agents sociaux y participeront, de donner une direction, un sens à l'ensemble du tissu social, de commander et de contrôler l'organisation globale du social ? Le champ d'action sociale du pouvoir comporte cette composante essentielle et c'est sur son terrain même que se structurent tout un ensemble de rapports conflictuels entre groupes sociaux pour le contrôle du pouvoir politico-social global. Il s'agit là d'un enjeu clé, objet et produit tout à la fois de rapports entre groupes sociaux structurés tout au moins sur la base de classes sociales, d'ethnies, de groupes de sexe, même le cas échéant de groupes d'âge. Aussi, le centre unifié, institutionnalisé du pouvoir politique exécutif, assorti le plus souvent du droit d'user de la force physique et symbolique et que d'aucuns appellent l'État, ne peut se concevoir que dans la mesure où ce centre est investi du poids social que donnent une position, une fonction clé dans le système des rapports sociaux structurés autour de l'enjeu du pouvoir politico-social global. En ce sens, le pouvoir politico-social déborde et marque tout à la fois le pouvoir s'exerçant à d'autres paliers du champ d'action sociale du pouvoir, soit à ceux de la scène politique et du fonctionnement des appareils d'État. De même, les luttes, les tensions et les revendications sociales se développant d'abord sur la scène politique ou à propos du fonctionnement des appareils d'État et de leurs politiques sociales ne sont pas sans effet pertinent sur les rapports entre groupes sociaux se disputant l'enjeu du pouvoir politico-social global. Si une telle grille de classification de thèmes de la littérature des sciences sociales québécoises renvoie finalement à l'identification des composantes du pouvoir en tant que système d'action sociale, elle ne présente pas pour autant les interrogations les plus fondamentales auxquelles peut obéir et correspondre une lecture voulant rendre compte de certaines tendances analytiques ou paradigmatiques à l'œuvre dans des travaux des sciences sociales. Nous l'utiliserons ci-après pour mettre un peu d'ordre dans la littérature couverte mais, tout en poursuivant cette démarche, nous développerons simultanément certains questionnements. Questionnements qui se sont présentés, au départ un peu confusément, au moment des premiers contacts avec la littérature, puis qui se sont imposés de plus en plus clairement. En tout premier lieu, une tendance de plusieurs travaux examinés sera relevée : ces études, qu'elles s'arrêtent à l'une ou l'autre composante du pouvoir en tant que système d'action sociale, véhiculent une certaine naturalisation des faits sociaux, voire des processus sociaux essentiels. Une telle manière de traiter un processus social le met à la remorque de facteurs naturels, matériels, même techniques ou technologiques. Le mode de production sociale du processus, à même les conflits, les rapports sociaux le sous-tendant, est ainsi gommé. Ou bien encore, autre trait d'une certaine naturalisation du fait social, l'ordre de la contrainte structurelle est à ce point déterminant que la compétence sociale des agents à produire et à modifier leurs systèmes de rapports sociaux n'est plus perceptible. Du coup, une importante tradition paradigmatique des sciences sociales occidentales contemporaines, soit celle du conflit social en tant que processus essentiel constituant une structure sociale [1], semble n'avoir pratiquement pas été empruntée par une fraction importante de la production québécoise des sciences sociales. Et quand elle l'a été par la production la plus récente, il n'est pas évident qu'un tel emprunt ait vraiment échappé à toute naturalisation du fait social. Il est aussi intéressant, dans un tel contexte, d'identifier les voies par lesquelles, et les objets plus spécifiques d'analyse à propos desquels, un débordement ou un dépassement de cette tendance à la naturalisation du fait social a pu être tenté. Des dépassements sont en voie d'émergence au niveau tant de l'une que de l'autre des trois composantes du pouvoir en tant que système d'action sociale. Il faut d'ailleurs noter que toute tentative proposant une explication du fait social qui prend ses distances par rapport à sa naturalisation est susceptible de produire un effet analytique de la plus grande pertinence. En effet, elle montrerait que toutes et chacune des composantes du pouvoir social sont fonction, à leur niveau, de rapports sociaux et partant elle faciliterait l'articulation entre elles des composantes de ce système d'action sociale. Ce qui ne veut en rien dire que certains thèmes d'analyse donnant a priori l'impression d'une aptitude à déborder la naturalisation du fait social y parviennent vraiment. La jonction tentée, par exemple, entre l'industrialisation de la société québécoise et la montée d'élites sociales n'est pas sans poser beaucoup d'interrogations à cet égard quand il est question de caractériser la structuration même du pouvoir politico-social global au sein de notre société. Puis, un deuxième questionnement a marqué le relevé de la littérature couverte à l'aide de la grille identifiée : peut-on relier d'une quelconque manière certains traits caractéristiques des études examinées à la question du positionnement, des fonctions sociales des intellectuels appartenant à l'univers des sciences sociales et par là à l'ensemble du champ intellectuel ? En ces milieux intellectuels comme en d'autres, on rencontre des groupes, des générations se disputant entre eux des positions sociales différenciées, plus ou moins élevées et prestigieuses. Mais de telles oppositions sont-elles réductibles à la seule logique purement interne du champ intellectuel ? Les débats et les affrontements entre groupes d'intellectuels adoptent souvent comme fond de scène les tensions, les contraintes d'une structure sociale donnée ; et si de tels débats révèlent les tensions secouant une structure sociale, ils s'en nourrissent aussi. Bref, on procédera, dans les pages qui suivent, à une identification et à une classification des points de convergence d'une certaine littérature sur le pouvoir. La démarche suivie amènera à repérer des études s'adressant à chacune des trois composantes du pouvoir en tant que système d'action sociale. Et, en même temps, les études qui seront commentées permettront de poursuivre un double questionnement : l'un relatif à la naturalisation de certains faits sociaux et aux tentatives présentes ici et là pour y échapper, l'autre cherchant à articuler des interrogations sur le positionnement et les fonctions sociales des intellectuels à certains traits ou thèmes caractéristiques des études produites au sujet du pouvoir en tant que système d'action sociale. Un mot encore pour souligner qu'il s'agit ici d'une présentation d'une production intellectuelle cherchant davantage à identifier et dénommer quelques pistes d'interrogations qu'à pousser celles-ci à leurs extrêmes raffinements et aboutissements. Et bien sûr, elle n'a aucune prétention à l'exhaustivité : un cheminement intellectuel pourra-t-il jamais être à l'abri de la critique qui veut qu'un texte aurait dû être lu ? La sollicitation à évoquer son cheminement intellectuel aurait-elle comme finalité de nous mettre en devoir de mieux connaître, hic et nunc, une tradition intellectuelle nous ayant peut-être échappé ? Il a fallu cependant se résigner a ce que soit mieux couverte cette fraction de la littérature québécoise sur le pouvoir qui ne date pas des toutes dernières années. [1] Pour une bonne présentation de l'importance du paradigme du conflit social dans les sciences sociales contemporaines, voir E. C. Cuff et G. C. F. Payne, 1979.
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