David MANDEL *
“La lutte idéologique en Union soviétique :
conscience ouvrière et alternative socialiste.”
Un article publié dans la revue Critiques socialistes, no 7-8, printemps-automne 1990, pp. 97-121. Numéro intitulé : “Démocratie... à l'Est.” Hull, Qc.: Les Éditions critiques.
La grève du mineurs de juillet 1989 a marqué l'émergence d'un mouvement ouvrier en Russie pour la première fois depuis soixante ans. Bien que le niveau de développement de ce mouvement soit aujourd'hui très inégal dans un pays si grand et si différencié, dans certains endroits, notamment dans les régions minières, il a connu une évolution rapide. Ce qui a été, à l'origine, une grève spontanée pour des revendication économiques, a acquis très rapidement un caractère politique en débouchant sur l'apparition d’organisations ouvrières, syndicales et politiques, indépendantes.
De nombreuses raisons expliquent pourquoi les mineurs sont devenue l'avant-garde : leur homogénéité sociale, la solidarité nourrie par leurs conditions de travail dures et dangereuses, l'insuffisance [98] d'investissements sociaux dans leurs régions, le fait que la réforme risque de les frapper plus que d’autres groupes. Mais, même si les choses ne sont pas allées si loin dans les principaux centres urbains, on peut être assez confiant qu'ils seront capables de rattraper assez vite. Apparemment, il n'y a eu que des changements très limités dans les conditions politiques et économiques de ces ouvriers. Mais, leur conscience a connu un développement très significatif. Et lorsque ce processus arrivera à un point critique, ces ouvriers dépasseront eux aussi leur désunion et leur dépendance économique de l'administration des entreprises et cette prise de conscience s'exprimera finalement dans des actions collectives.
Cet article traite de la nature de la conscience de la classe ouvrière industrielle en Russie et, dans une certaine mesure, en Ukraine (en laissant de côté les Républiques où la question nationale est devenue centrale) et des perspectives et des problèmes qui se posent pour le développement du socialisme en Union Soviétique. Puisque la classe ouvrière soviétique est diversifiée - et les données sont encore insuffisantes (même après les grèves de juillet, très peu de travail systématique a été fait en Union Soviétique sur ces questions), - nos remarques sont nécessairement assez impressionnistes.
L'attitude des ouvriers à l'égard du pouvoir politique et celle à l'égard de la réforme du système économique sont deux points fondamentaux. La politisation de la classe ouvrière a progressé rapidement depuis 1985, notamment dans les mois qui ont suivi l'élection du premier Congrès des députés du peuple au printemps 1989. Lorsque les mineurs de Vorkouta ont relancé leur grève fin octobre de l'année dernière, ils ont commencé par publier une "Déclaration aux travailleurs d’Union Soviétique" qui disait : "L'expérience des grèves économiques démontre que, si on ne porte pas un coup décisif au système bureaucratico-totalitaire, ça n'a pas beaucoup de sens d'avancer des revendications économiques".
Il en suivait une série de revendications politiques : confirmation du statut des comités ouvriers (les comités de grèves transformés) en tant « organismes permanents de défense sociale des travailleurs ; droit des travailleurs à s’unir dans des organisations syndicales indépendantes ; insertion dans l'ordre du jour du Soviet suprême des questions suivantes : abolition de l'article 6 de la Constitution (l'article qui proclame le "rôle dirigeant" du parti) ; droit de tous les citoyens "à s’unir dans des associations, des partis et des groupes politiques sur une plate-forme d'actions non-violentes" ; droit de tout citoyen à exprimer ses opinions [1].
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Mais si les travailleurs de Vorkouta sont parmi les plus avancés politiquement, aucune couche de la classe ouvrière West restée à côté de ce processus de politisation. Il s'agit d’un des acquis, les plus importants de la perestroïka de Gorbatchev. Des ouvriers qui il y a trois ans ne s'intéressaient pas à la politique, aujourd'hui, suivent régulièrement les événements et discutent avec leurs camarades. Quant au contenu de cette politisation, personne ne peut douter désormais des sentiments fortement anti-bureaucratiques et démocratiques qui se sont exprimés lors des élections du Congrès des députés du peuple -les candidats de l'appareil et des organisations grand-russes ont été sévèrement battus - de même que lors des grèves de l'été dernier, au cours desquelles les travailleurs ont exprimé à plusieurs reprises leur manque de confiance dans le régime à tous les niveaux et avancé des revendications impliquant, en fait, l'abolition du pouvoir et des privilèges bureaucratiques.
Par exemple, un membre du comité de grève de Vorkouta a expliqué : "Nous avions l'habitude de parler de pouvoir ouvrier, mais où se trouve-t-il ? Il n'y a aucun pouvoir populaire. Nous devons faire grève pour obtenir tout simplement que quelqu'un parle avec nous. C'est pour cette raison aussi que nous luttons pour obtenir un statut officiel de nos comités ouvriers. Nous revenons aux sources, aux écrits de Lénine, Mieux moins, mais mieux et Comment organiser l'inspection ouvrière et paysanne. L'inspection ouvrière et paysanne avait le statut d’un commissariat avec le droit de surveiller y compris le Bureau politique. Aucun document n'a jusqu'ici supprimé ces droits, Beria et Staline les ont tout simplement enterrés" [2].
On reconnaît aussi, par ailleurs, que Pamyat et d'autres organisations nationalistes du même acabit dont pas réussi à se créer une base dans la classe ouvrière de Russie. Lorsque V. Ivanov, président du Front populaire russe, organisation chauvine grand-russe, s'est présenté à Vorkouta, les mineurs dont pas perdu leur temps avec lui. l'occasion d’une enquête menée dans le Küzbass qui demandait aux mineurs en qui ils avaient confiance, il n'y a eu aucune réponse favorable à Pamyat ou à Patrie (il n'y a pas eu non plus des réponses favorables aux comités locaux du parti). Bien que les mineurs constituent une couche plutôt mixte du point de vue ethnique, les divisions nationales semblent n'avoir joué aucun rôle dans leur mouvement. En général, les mineurs expliquent que le caractère dangereux de leur travail ne permet pas de tels luxes, d’autant plus, disent-ils, que sous terre dans l'obscurité tous semblent pareils. Selon Youri Bondarev, membre du comité de grève du Donetsk, le mouvement ukrainien Rukh n'a été non plus capable de se donner une base sociale dans les zones d'Ukraine où la majorité de la population [100] parle russe. Lors de la grève, ses représentants se sont heurtés dans le Donetsk à des attitudes hostiles, et Bondarev, qui est pourtant un partisan de Rukh, estimait que la situation ne changerait pas aussi longtemps que le Rukh ne se présente pas comme un front populaire (c'est-à-dire démocratique) ukrainien et non comme un mouvement nationaliste [3].
Ces aspirations démocratiques découlent directement de l'expérience que lei ; ouvriers ont fait de leur oppression dans les entreprises et plus généralement dans la société. En même temps, surtout sous l'influence des médias et de l'intelligentsia favorables à l’économie de marché, ces sentiments anti-bureaucratiques ont tendance à prendre la forme d’une suspicion ou tout simplement d'un rejet de tout pouvoir délégué et de toute réglementation et planification économique directive en opposition au fonctionnement indirect et anonyme du marché.
Cela mène à la question de savoir comment l'économie doit être réformée. Il faut noter à ce propos qu’une très forte pression, pour ne pas dire oppression, idéologique empêche une discussion publique sur toute véritable alternative au marché conçu comme le mécanisme de coordination dominant pour remplacer le vieux "système administratif de commande". Même le terme omniprésent "administratif de commande", qui met ensemble le régime politique autoritaire et les méthodes administratives de réglementation et de gestion, contient le message libéral implicite selon lequel toute planification et gestion administrative est nécessairement non démocratique et oppressive. D'où les appels à la désétatisation de l'économie sans aucune référence à la nature de l'État, sans préciser s'il s'agit d'un État démocratique ou d'un État bureaucratique. Dans le discours des économistes radicalement favorables au marché (en réalité, le plus souvent, pro-capitalistes), on peut trouver des passages repris presque littéralement de prophètes de l'économie libérale de "marché libre" comme Hayek et Friedman.
La critique de Boris Eltsine
La critique développée par Eltsine au Congrès du peuple en décembre 1989 à l'égard du programme gouvernemental de cinq ans est un exemple de la technique propagandiste de nombreux intellectuels liés au groupe parlementaire inter-régional. Eltsine critique violemment le programme gouvernemental qui serait un compromis entre les intérêts de la société et ceux de l'appareil (en fait, il s'agit d'un compromis qui concerne les intérêts de l'appareil, mais la référence aux intérêts de la société est, tout au moins, douteuse). Il attaque la timidité du programme en matière de [101] démocratisation en disant que si on avait demandé à Honecker aux derniers jours de son pouvoir combien de temps il faudrait pour introduire la démocratie, il aurait répondu "des années". Mais le peuple l'a réalisée pour son propre compte dans l'espace de quelques semaines. Et il demande : en Union Soviétique, avec toutes ses carences, sa semi-glasnost et l'absence de garanties démocratiques, le processus sera-t-il aussi civilisé ? Pourquoi l'appareil ne peut pas décider de renoncer à ses privilèges au lieu d'attendre d'être exproprié ? Eltsine se prononce aussi pour une réforme monétaire, revendication populaire visant la richesse acquise d’une façon illicite. Le gouvernement prétend qu'il faut ralentir pour rassembler des forces et ensuite entreprendre la réforme du marché. Mais sera-t-il capable d'aller de l’avant plus tard demande Eltsine ? Les forces conservatrices sont en train de consolider leurs positions.
Ensuite, Eltsine passe plus directement aux questions économiques. Il souligne correctement que les propositions du gouvernement sont un mélange stérile £éléments de marché et d'éléments administratifs de commande. Il se prononce en faveur d'un système qui établisse un statut d'égalité des différentes formes de propriété : étatique, coopérative et privé (c'est-à-dire un système basé sur une propriété "collective ou £autres formes de propriété"), du démantèlement des leviers fondamentaux de l'économie administrative (les ministères de branches) et de la création d'un échange de travail qui ouvre davantage le pays aux investissements étrangers. "Nous avions besoin de désidéologiser l'économie".
Mais le point essentiel du message vient après : "La déformation de la forme des rapports économiques a donné naissance à sa jumelle dans la sphère politique". La conclusion est claire : si on ne démantèle pas l'économie administrative de commande, on ne peut pas changer radicalement le système [4]. Pourtant, la vérité historique est différente : d'abord, il y a eu l'usurpation bureaucratique du pouvoir et cela s’est passée dans les années vingt, sous la NEP, qui était une espèce d’économie de marché. Ce n'est que lorsque ce système est entré en crise, que Staline, en tant que leader de la bureaucratie, a entrepris la transformation vers une économie de "commande", mettant sur pied un système qui correspondait parfaitement aux intérêts de gens qu'il représentait. Le message implicite de Eltsine est que seul le marché constitue la base de la démocratie et que toute sorte de planification ou de réglementation est une déformation des rapports normaux et une base du totalitarisme. Ainsi, les partisans les plus résolus du marché se présentent comme les défenseurs les plus conséquente de la démocratie alors qu'ils avancent un programme économique qui excluerait, en fait, tout contrôle démocratique sur l'économie nationale.
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La presse soviétique présente régulièrement les partisans les plus résolus du marché comme la "gauche", alors que les bureaucrates conservateurs représenteraient la "droite". Cela exclut, encore une fois, les socialistes du panorama politique et nie toute possibilité d’alternative socialiste. En réalité, les partisans du marché et les bureaucrates représentent des ailes différentes de la droite ; sous des formes différentes, leurs programmes constituent des choix anti-démocratiques et anti-populaires.
Bien que le gouvernement soit critiqué à sa "gauche", sa vision sous-jacente n'est pas, en principe, très différente de celle des partisans radicaux du marché, sauf que, du moins pour le moment, il ne veut pas aller aussi rapidement et aussi loin. Le premier ministre Ryzhkov a déclaré dans son rapport au Congrès que pour la première fois le gouvernement avait pris sérieusement en considération des programmes alternatifs. Mais ces programmes n'étaient en réalité que des versions différentes de la même réforme : une version lente, une version rapide et une version comportant des étapes (c'est celle-ci qui a été finalement choisie). Le problème est que le gouvernement avait amorcé une libéralisation de l'économie sans introduire d'abord. des mécanismes de réglementation étatique, a expliqué Ryzkhov. Cette introduction doit être le prochain pas, avant de procéder à la réforme de marché, mais le gouvernement a l'intention d'aller de l'avant, comme l'indique clairement son programme (s'il le fera effectivement, c'est une autre question) [5].
L'économie soviétique assume une saveur de "wild west" (ouest sauvage). Les grands meneurs du jeu sont les ministères et les associations, essentiellement des producteurs monopolistiques, qui, à la suite de la réforme, ont obtenu une autorité plus grande pour opprimer le consommateur. Ce sont aussi la mafia bureaucratique et les "entrepreneurs" de l'économie souterraine, qui a été plus ou moins légalisée et autorisée à s'élargir avec l'apparition d’une nouvelle couche bourgeoise. Le tableau d'en bas est celui d'une augmentation des prix (malgré la renonciation du gouvernement, sous la pression de l'opinion, à la réforme des prix au détail), la disparition des filières bon marché de biens provenant de la production. Les soi-disant coopérateurs (en fait, des entrepreneurs privés) pillent le trésor de l'État et exploitent le public. Des sommes considérables sont accumulées facilement par tous ceux qui ont accès aux devises étrangères, et il y a une véritable floraison de corruption et de spéculation. Certes, la plupart de ces phénomènes existaient déjà sous Brejnev, mais pas à une échelle aussi grande et si ouvertement, car à l'époque ils étaient formellement illégaux et, dans une certaine mesure, objet de sanctions. Ce qui a été révélé en Ouzbékistan sous Rachidov, c'est-à-dire la fusion entre la bureaucratie [103] et l'économie souterraine, est en train aujourd'hui de caractériser l'économie soviétique toute entière, avec la seule différence que cela est devenu légal et le gouvernement ne veut ou ne peut rien faire à ce propos, ce qui provoque la consternation et la rage des gens. S'il y a du vrai dans l'affirmation de Eltsine selon laquelle la caution du gouvernement reflète des pressions de la part des éléments conservateurs de l'appareil, il est encore plus vrai que le gouvernement a peur qu'un programme de réformes accéléré, sur la base des propositions de la "gauche", ne provoque une explosion sociale.
Débat sur la propriété privée
Un article récent sur les résultats d'une enquête sociologique sur les attitudes à l'égard de la propriété, un sujet très controversé qui a été longuement débattu au Soviet suprême, illustre bien la situation politique actuelle en ce qui concerne la réforme économique. Alors que les trois quart des personnes interrogées sont favorables à l'idée de la propriété privée de petits ateliers, de restaurants, de magasins, etc., seul un quart d’elles se prononcent pour la propriété privée des grandes entreprises, et 57% y sont fermement opposées. En ce qui concerne le travail salarié (dans les entreprises privées ou les coopératives), alors que la moitié le considère admissible, trois cinquièmes de ces mêmes personnes estiment quand même qu'il devrait être sévèrement limité.
L'auteur, un sociologue du Centre d’études sur l'opinion publique, tire la conclusion suivante : "La propriété privée sous la forme la plus fréquente dans les pays à économie de marché (le terme "capitaliste" n'est plus à la mode dans les médias soviétiques qui préfèrent utiliser le terme plus neutre "économie orientée par le marché") n'est défendue que par 25-30% des gens interrogés. La majorité, tout en n'étant pas opposée à la propriété privée, veut qu'elle soit rigoureusement limitée quant à l'échelle de son application, à ses formes et à ses sphères d'activité... Ainsi le processus d'introduction de la propriété privée devrait, si non être précédé, aller de pair avec le développement de formes collectives, basées sur le leasing, l'achat d'entreprises par des collectifs ouvriers, la création de compagnies mixtes, etc... Bien que d’un point de vue économique la priorité au développement de formes collectives de propriété et la limitation de la propriété privée ne soient pas le chemin le plus sûr pour sortit de la crise, des transformations plus radicales seraient grosses « explosions sociales. La conscience des masses pourrait tout simplement ne pas supporter une telle surcharge (!). Puisque les formes collectives rencontrent [104] plus de faveur, elles devraient être utilisées pour entraîner les couches les plus larges de la population dans le processus de désétatisation du pouvoir [6].
En d'autres termes, ce sociologue estime que le but ultime doit être l'introduction d'entreprises privées à une grande échelle. Mais la population devrait s’habituer à cette idée en passant par une étape intermédiaire de formes de propriété de groupe. Sinon, elle pourrait se révolter contre la réforme.
Ainsi, les libéraux, qui aiment se présenter comme des démocrates, n'hésitent pas à avoir recours à une petite manipulation pour combattre des "stéréotypes dépassés" auxquels la population reste accrochée "par inertie". Toujours est-il que, étant donné les valeurs et les intérêts propres des ouvriers, il n'y a pas de projet libéral qui puisse être réalisé démocratiquement. C'est pourquoi les libéraux deviennent des alliés objectifs de l'aile réformiste de 'appareil, qu'ils se plaisent à critiquer publiquement, mais qu'ils soutiennent en pratique.
Malgré l'hostilité ouvrière envers le capitalisme - des sondages d'opinion, indiquent que l'Union démocratique, parti procapitaliste, n'a aucun soutien parmi les ouvriers de l'industrie [7] -, la plupart des ouvriers militants sont aujourd'hui favorables à l'introduction du mécanisme du marché comme moyen de surmonter la crise économique et emploient souvent des arguments et des termes empruntés aux articles et aux discours omniprésents des intellectuels libéraux.
Un programme des travailleurs du Kuzbass
Un bon exemple de la position des ouvriers militants sur la réforme économique est le programme de l’Union des travailleurs du Küzbass, adopté à la IVe Conférence des collectifs ouvriers de l'Oblast de Kemerovo, qui a eu lieu a Novokuznestsk le 18 novembre 1989. Ce document jouit d'une popularité considérable parmi les ouvriers de la région, alors qu'il a provoqué une réaction hostile de la part des autorités locales du parti, qui le considère comme un défi à leur pouvoir [8]. Le programme décrit les réformes gouvernementales comme "conciliatrices" et appelle à une transformation révolutionnaire du système économique et politique. La partie politique du document est une dure condamnation du pouvoir bureaucratique et un appel en faveur d'un véritable pouvoir soviétique avec un système pluripartiste, le libre accès à la presse, des élections directes, des référendums sur des questions majeures. En même temps, l'Union se réclame fermement du socialisme (en Union Soviétique ce mot West pas considéré comme mauvais dans le milieu ouvrier. La situation semble être aujourd'hui assez différente dans la plupart des pays de l'Europe orientale).
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Mais si la partie politique du programme est cohérente et très claire, le programme économique présente un tableau plus complexe. Il indique comme tâche principale "le transfert du droit de disposer de la richesse à ceux qui la produisent", en se prononçant pour la pleine autonomie des unités de production et pour des rapports entre elles basés sur l'avantage réciproque. Cette autonomie ne peut être réelle que dans le cadre des rapports de marché, "expérience inestimable de la civilisation humaine". Toutes les formes de propriété (nationale, étatique, républicaine, municipale, coopérative, de travailleurs individuels, mixte, joint-venture, privée, etc.) doivent être traitées de manière égale et les collectifs ouvriers doivent avoir la possibilité de choisir librement la forme de propriété et de gestion, y compris le leasing et rachat d’entreprises de l'État. On devrait introduire graduellement le commerce en gros des matières premières et de la technologie. Le texte se prononce aussi pour l'autonomie régionale et l'instauration d’un échange égal entre les entreprises du Küzbass et leurs partenaires (cela reflète une réaction très répandue, virtuellement dans toutes les régions, contre ce qu'on considère comme "le colonialisme' de Moscou). Dans le Küzbass, lui-même, il faudrait créer une zone d’entreprises libres pour faciliter la solution des problèmes sociaux et élever le niveau de vie.
En même temps, il y a dans le texte de nombreux éléments qui contredisent ou, tout au moins, précisent beaucoup plus rigoureusement cette orientation radicale en faveur du marché. Le programme fait appel pour que le marché soit combiné avec le plan, "l'une des plus grandes inventions du XXe siècle". La réglementation doit être assurée par des moyens économiques fiscaux, une politique d'investissements, des crédits, des subventions et une fixation de prix maxima. La propriété sociale doit rester la forme prédominante dans les branches principales de l'industrie et de la construction. L'union des travailleurs du Donbass considère que l'utilisation de la propriété privée basée sur l'exploitation de l'homme par l'homme n'est pas possible". Elle exclut notamment le chômage. "Nous sommes résolument opposés à ceux qui pensent surmonter la crise de notre économie en étudiant d'une façon artificielle la propriété privée capitaliste". Le programme se prononce également pour l'éligibilité et la révocabilité du personnel de direction des entreprises à tous les niveaux avec le droit des collectifs de contester toutes les décisions" [9].
Une contradiction similaire caractérise la position du député du peuple N. Belous, un soudeur, membre du groupe inter-régional. Belous explique dans une interview qu'il n'a pas peur de la propriété privée. Le problème est plutôt de réglementer strictement par la loi les revenus qui proviennent de cette propriété et mettre hors la loi [106] les "revenus non gagnée" (à la lettre, non provenant du travail) [10]. Mais, pour l'ouvrier moyen, et probablement pour Belous lui-même tous les revenus provenant de l'achat de la force de travail ou de l'exploitation habile des conjonctures du marché sont des revenus "non gagnés". D'où le rejet de l'exploitation dans le texte du Kuzbass. Cela est très loin de ce que pensent la plupart des intellectuels du groupe inter-régional.
La presse soviétique a très largement présenté la grève des mineurs au mois de juillet dernier comme un mouvement de soutien à la réforme du gouvernement du fait que la revendication principale des ouvriers aurait été l'autonomie des entreprises. En réalité, il y a une série d'« éléments qui autorisent à tirer la conclusion que cette revendication n'était pas inclue parmi les revendications principales dès le début. Du moins dans le Donbass, il existait un assez grande scepticisme à propos de l'autonomie des entreprises. De nombreux mineurs estimaient qu'une telle mesure favoriserait les mines les plus productives en pénalisant celles qui avaient été négligées ou celles dont le charbon facile à extraire avaient été déjà très exploitées. C'est le cas de beaucoup de mines dans ce bassin. En outre, toute application de critères purement de marché dans le Donbass provoquerait la fermeture d'un nombre considérable de mines, le déplacement de dizaines de milliers de familles de mineurs, la mort de communautés dans leur ensemble. Il y a quelques années, les mineurs britanniques ont combattu durement contre l'application de critères pareils. Lorsqu'on lui a posé une question à ce propos, Yuri Bondarev du comité de grève de la ville de Donetsk a répondu : "Aucune revendication West juste à 100%. Nous avons besoin de soutenir la réforme. C'est la position du comité de grève. Oui, il y a des gens qui disent que, si on adopte le critère du calcul des coûts, des mines seront fermées. Mais il s'agit là d'une question sociale... Nous ne voulons pas être un frein à la réforme » [11].
Si l'opinion de Bondarev correspond aux idées d'une certaine couche d'ouvriers militants, ce ne sont pas tous les mineurs qui pensent que 'les questions sociales" puissent être si facilement séparées des questions concernant la réforme économique. Selon A. Dubovik, membre du Conseil régional des comités de grève du Donbass, "circulent constamment des rumeurs selon lesquels le Donbass sera fermé dans cinq ans. Nous ne le permettons absolument pas" [12]. En fait, une restructuration éventuelle de l'économie du Donbass ne pourra pas être réalisée d’une manière qui corresponde aux intérêts des ouvriers, si les entreprises seront autorisées à prendre séparément leurs décisions et à se débrouiller toutes seules dans un cadre de marché. C'est justement ce genre [107] de problèmes - les mêmes qui se posent à l'économie soviétique dans son ensemble - qui exigent des solutions collectives démocratiques, aussi bien au niveau national qu'au niveau régional.
Pour les ouvriers qui y sont favorables, l'autonomie des entreprises ne signifie pas l'instauration du "système orienté par le marché" des intellectuels libéraux. Par exemple, S. Grebenyuk, travailleur des mines du charbon pendant treize années et actuellement président d’une coopérative de réparation « immeubles à Vorkouta, rejette nettement ridée d’un prix unifié du charbon puisque cela désavantagerait les mineurs du Donbass et du Nord, régions où la production et le transport du charbon comportent des coûts plus élevés que dans le Kuzbass (entre parenthèses, après la grève, les mineurs ont élu Grebenyuk à la commission chargée de la liquidation des coopératives. En novembre, 30% avaient été fermées, notamment parmi celles du commerce, puisque il s'agissait de "revenus non gagnés". Grebenyuk critique durement les coopératives médicales et remploi très répandu d’enseignants privés parce que cela va à l'encontre des principes socialistes de services sociaux gratuits pour tout le monde) [13]. Plus généralement, aux yeux des mineurs, il est injuste que leurs revenus dépendent des résultats d'une compétition entre des mines autonomes sur la base des prix fixée par le marché. Même en Pologne, où les leaders de Solidarnosc sont tout à fait favorables au marché, selon une enquête récente, seule 4% des travailleurs industriels sont d’accord de recevoir des salaires selon la rentabilité indiquée par le marché [14].
Dans la mesure où les ouvriers sont attirés par le concept d'autonomie des entreprises - c'est incontestablement le cas de beaucoup d'entre eux -, c'est parce qu'ils estiment que dans un tel cadre il y aura plus d'espace pour l'autogestion, pour une organisation plus efficace de la production, pour des ressources plus grandes destinées aux investissements sociaux et pour leur libération d'une bureaucratie pléthorique oppressive qu'ils considèrent à juste titre comme la source principale de l'inefficacité et de l'injustice. Mais il ne s'agit pas pour eux de souhaiter la réforme de marché sapant les garanties sociales et aggravant la stratification socio-économique qu'envisagent la plupart des intellectuels libéraux et l'équipe de Gorbatchev. En réalité, la réforme dans sa version modérée ou dans la version plus "radicale", présentée comme "démocratisation de l'économie", est interprétée plus correctement comme un substitut de la démocratie, si celle-ci est conçue comme contrôle populaire sur l'économie.
M. Anokhin, membre du Bureau des comités de grève de la ville de Porkokopevsk dans le Küzbass, décrit comme suit ce qui lui semble être le scénario le plus probable : "Les ouvriers demandent une [108] pleine autonomie. Ils y feront leurs épreuves, ils gagneront une expérience et ils souffriront sans doute des difficultés qu'elle comportera. Alors ils décideront eux-mêmes : voyez, camarades, c'est mauvais pour nous « être isolés. Nous devons nous unir" [15].
Anokhin a fort probablement raison : les contradictions dans la conscience de la classe ouvrière ne seront surmontées que par l'expérience concrète de la réforme de marché. Cette expérience ne pourra qu'accroître la politisation des ouvriers et « aggraver les contradictions sociales. Dans ce cadre, l'élément subjectif, l'émergence dans le débat publique d'une alternative socialiste, deviendra crucial.
Il existe aujourd'hui en Union Soviétique deux courants politiques principaux qui offrent des programmes alternatifs ou des éléments de tels programmes. Le premier, un courant populiste, est centré autour du Front unique des travailleurs. L'autre est constitué par les intellectuels marxistes indépendants et les militants politiques socialistes. Mais si le premier a un certain accès aux médias, même s'il est toujours accompagné par des commentaires critiques de dénigrement, le deuxième est virtuellement exclu de la presse de masse. C'est pourquoi il est difficile d'évaluer le nombre des sympathisants des deux courants. Ils représentent incontestablement une minorité, bien que probablement significative.
Les deux fronts de Léningrad
Le Front unique des travailleurs a été fondé à Leningrad en juin 1989 presque le même jour que le Front populaire de Leningrad. Il a été immédiatement marqué par celui-ci comme un rejeton de l'appareil du parti en train de se préparer aux élections républicaines et locales. Les autres "informels" partagent toujours cette opinion. Néanmoins, le FUT de Léningrad, se réclame ouvertement du socialisme et ses revendications sont adressées à la classe ouvrière, alors que ce n'est pas le cas du FP, qui est surtout une affaire d’intellectuels. Le programme du FP est plus abstrait et aborde fondamentalement les problèmes de la démocratie politique. Parmi les revendications originaires du FUT, il y a, entre autres, une diminution des prix, une réduction de la journée de travail, un prolongement des congés, la suppression des tours de nuit, l'interdiction du travail féminin dans les industries dangereuses, des conditions égales pour l'éducation des enfants indépendamment de leurs origines sociales, des conditions économiques d'égalité pour les travailleurs dans le secteur étatique et dans les coopératives, le pouvoir d’élire démocratiquement les députés des soviets, l'introduction de référendums comme forme principale de consultation du [109] peuple, l'évaluation publique du point de vue écologique de tous les projets de production et de construction, le contrôle populaire sur la création d'entreprises mixtes et sur l'utilisation des ressources naturelles, la conservation et la restauration des vestiges culturels et historiques [16].
Le Conseil régional des syndicats de Léningrad a donné son soutien politique et matériel au FUT [17]. Selon le Centre de Léningrad pour l'étude et le pronostic des processus sociaux, le FUT de Léningrad a 350.000 partisans environ et le FP plus d'un demi-million [18] quoique la plupart des activistes "informels" ont une aptitude plutôt sceptique envers le premier chiffre. Le 23 novembre, la télévision de Léningrad a diffusé le compte-rendu d'un meeting de masse de militants du parti, organisé supposément à l'initiative d'une organisation d'entreprise, dans lequel les orateurs ont reproché à Gorbatchev et plus généralement, à la direction du parti de négliger le parti et sa mission socialiste et ont lancé un appel pour que Léningrad devienne un centre militant de défense du socialisme contre les "pseudo démocrates" et ceux qui veulent imposer un système étranger. Plusieurs observateurs ont vu en cela le début de "la révolte" de l'appareil.
Après Léningrad, des FUT ont été formés dans de nombreuses villes. Ces FUT ont des liens plutôt compromettants. Ainsi, au mois de septembre, des représentants du FUT de Léningrad et de celui de Moscou ont participé à la conférence de fondation de l'organisation droitière "patriotique" Soviet uni de Russie [19]. Toujours en septembre, Sverdlovsk a accueilli des délégués provenant de 29 villes qui ont fondé le FUT de Russie. Parmi ces délégués il y avait Nina Andreeva, le symbole de la réaction stalinienne aux yeux de l'intelligentsia soviétique. Parmi les revendications avancées par les FUT, il y a souvent celle du maintien de l'unité de l’URSS et de la défense de la langue russe. Beaucoup de gens murmurent à Moscou que le FUT a des liens avec l'organisation chauvine Pamyat ou, du moins, que des membres de celle-ci sont actifs dans le FUT.
Le mouvement a avancé aussi la demande que les circonscriptions pour les prochaines élections aux soviets soient basées sur les unités de production. Selon lui c'est le seul moyen d’assurer la représentation de la classe ouvrière dans les organes du pouvoir alors que peu d'ouvriers ont été élus aux élections du printemps 1989 et que les intérêts ouvriers sont très peu représentés au Congrès du peuple. Mais cette demande a été attaquée par d'autres comme une manoeuvre de l'appareil pour être sûr que ses hommes soient élus étant donné que les ouvriers dépendent économiquement des dirigeants des entreprises et peuvent être plus facilement manipulés dans le cadre de celles-ci. Les partisans du FUT [110] répondent que le vote serait secret. D'autres revendications du FUT sont la réforme monétaire et une réglementation rigoureuse des coopératives.
Si beaucoup des accusations lancées contre le FUT sont incontestablement fondées, l'hostilité à son égard exprime, en partie la peur de l'intelligentsia que n'apparaisse une véritable opposition ouvrière à leur réforme de marché. En dépit de l'avalanche d'articles tendancieux et d'enquêtes selon lesquelles la classe ouvrière soutiendrait la réforme, dans les conversations privées les libéraux expriment des doutes sur le fait que les ouvriers acceptent leur projet.
Venymain Yarin, député du peuple et ouvrier de la sidérurgie, est le président du FUT de Russie. Le 21 novembre dernier, dans une interview diffusée par Radio Moscou, il a demandé comment il est arrivé qu'il y a maintenant tant de millionnaires en Union Soviétique alors que, après trente années de travail, toute sa propriété était ce qu'il avait sur lui [20]. Comment ça se fait que la richesse créée par les ouvriers passe dans d'autres poches ? Lorsque l'intervieweur lui a demandé si sa situation ne serait meilleure, s'il possédait une partie son usine, il a demandé, à son tour, pourquoi il devrait désirer d'être propriétaire dune usine en faillite dont la technologie est vieille de cinquante ans. Voilà le commentaire de l'intervieweur : "Ce point de vue amène à défendre le système administratif obsolète et à s'allier ainsi avec les fondamentalistes". Il n'est pas venu à l'esprit du journaliste que ceux qui avancent de telles idées, pourraient être ou devenir des partisans d’une alternative progressiste socialiste, si une telle alternative pouvait être présentée devant un publie large.
Dans une autre interview, Yarin explique : "Le travailleur est en train de perdre ses garanties sociales. L'idée qu'il faudrait payer les services, l'éducation, des types différents de super-écoles, gagne du terrain. Qui pourrait payer tout cela ? Un ouvrier qui gagne 300 roubles par mois ? Les députés ouvriers et paysans doivent travailler durement pour arrêter la légalisation de la propriété privée. Dans quelles mains pensez-vous qu'elle finirait ? ... Je ne suis pas contre les coopératives. Je suis contre les crimes commis dans leur cadre... Bakatin (ministre de l'Intérieur) aurait pu donner beaucoup d’information à ce sujet. Des entrepreneurs privés malhonnêtes ne font rien pour approvisionner les rayons des magasins. Et « est-ce qu'on peut dire du deuxième pas, le contrôle, la responsabilité ? Je m'attendais que des mesures soient adoptées au deuxième congrès. Mais elles ont été remises. Le FUT a été organisé parce qu'on était peiné du fait qu'au premier congrès on n'a dit pas un seul mot à propos des ouvriers.... Notre idée [111] principale est de remettre l'ouvrier au premier rang dans la vie politique. Aujourd'hui, beaucoup de radicaux ne disent rien à ce sujet... Il ne faut pas reprocher au FUT les pêchés d'autrui. Même Nina Andree va nous a été attribuée... Il y a dans le Groupe inter-régional (fraction libérale du Congrès des députés du peuple NDLR) beaucoup de gens que je respecte sincèrement. Mais tourner constamment autour de certaines idées. Je suis pour une opposition raisonnable. À une réunion du Conseil général des syndicats, quelqu'un a proposé que les syndicats passent à l'opposition. Mais je ne suis pas d'accord de diviser l'État en "principautés". Yakouts, Rhazakes, Russes ont vécu ensemble pendant des centaines d’années et, si Dieu le veut, ils continueront à vivre ensemble. Oui, nous avons besoin de construire des rapports nouveaux, mais dans le cadre d'une fédération démocratique. Qu'est-ce que je vois aujourd'hui ? Du sang, du sang, partout. Et c'est le jeune russe en uniforme qu'on blâme..." [21]. Les positions de Yarin sont, sur de nombreux points, très proches de celle adoptées par le VIe Plénum des syndicats [22].
Les idées de A. Sergeev
Le théoricien le plus important du FUT est A. Sergeev, un économiste de la Haute École syndicale, qui a abandonné son poste de chercheur à l'Institut économique de l’Académie des sciences après que L. Abalkin, l'un des principaux conseillers de Gotrbatchev, en soit devenu le directeur [23]. Sergeev accuse, non sans fondement, les intellectuels radicaux de s'efforcer de restaurer le capitalisme tout en ayant peur de le dire ouvertement. Ils expliquent en même temps que les collectifs ouvriers doivent devenir propriétaires de leurs entreprises et qu'il faut un marché des capitaux. Mais si un marché des capitaux existe, il doit y avoir un marché du travail. Le travail comme marchandise implique l'exploitation et le chômage.
En tout cas, le capitalisme dont rêvent ces libéraux, un capitalisme pré-monopolistique, est une utopie dans les conditions de l'Union Soviétique. Étant donné le niveau objectif de socialisation de la production de l'économie, l'idée d'établir un système de marché concurrentiel est un rêve total : le résultat serait de maintenir le même pouvoir des monopoles, mais sous une forme nouvelle. Certes, on pourrait liquider complètement le centre économique, mais cela entraînerait un parallélisme terrible des investissements, un gaspillage énorme, et rendrait impossible toute politique unifiée de développement technologique. Il n'existe pas en Union Soviétique les conditions nécessaires pour une restauration du capitalisme qui assure à la classe ouvrière un niveau de vie similaire à [112] celui des pays capitalistes avancés. En même temps, l'économie soviétique deviendrait une appendice du monde capitaliste développé. Ceux qui prônent la restauration sont en réalité les porte-parole de la nouvelle bourgeoisie et des couches qui aspirent à devenir bourgeoises, les coopérateurs et 'les hommes d’affaires" de l’économie souterraine, les "sovbours", comme les appelle Sergeev, empruntant ce terme à Lénine (même si Lénine se référait aux bureaucrates). Cette nouvelle ploutocratie a ses origines dans les années 1960 ; son développement s'est accéléré sous Brejnev et maintenant il avance au galop. Sergeev estime à un demi-trillion de roubles au moins cette accumulation primitive.
Il prône une perestroïa socialiste, basée politiquement sur la classe ouvrière toute entière et non seulement sur ses "éléments entrepreneurs". Son programme prévoit une économie centralement planifiée, démocratique et non bureaucratique, assurant le plein emploi, un salaire égal pour des résultats du travail égaux à l'échelle de la société, des prix stables (avec une tendance à diminuer dans le temps), assistance médicale et enseignement gratuits, logements accessibles. Cela présuppose que l'efficacité de l'économie centralement planifiée augmente. La planification centrale doit être rétablie, mais les mécanismes du plan devront être adaptés, de sorte à réduire les coûts de revient, et orientés vers des objectifs stratégiques sociaux à long terme, tels que l'accroissement de l'égalité socio-économique, l'élimination progressive du travail manuel, le renforcement des garanties sociales, etc. Ce n'était pas le cas dans le passé : la planification n'était pas démocratique et se réduisait le plus souvent à des calculs technocratiques à court terme visant à mettre en équilibre les ressources matérielles ou, au mieux, à réduire les coûts. En même temps, l'autonomie des entreprises serait élargie. Cela implique une différentiation de l'économie dans les différents secteurs, selon les formes de gestion les plus adaptées. Cela signifie concevoir un système dans lequel le marché soit combiné au plan, tout en lui étant subordonné et en le servant [24].
L'analyse des marxistes
Le courant politique marxiste, du moins à Moscou, est composé de spécialistes de sciences sociales indépendants de différents instituts et de l'Université de même que des membres de l'organisation "informelle" les Nouveaux Socialistes [25]. Ceux-ci existent dans plusieurs villes et sont liés au Sotspropf [26], dont le but est la formation d'une fédération de syndicats indépendants. Ces deux organisations ont réussi à établir des liens avec les mineurs. Du dehors, [113] il n'est pas toujours facile de saisir les différences entre Sergeev et le courant politique marxiste (l'analyse de Sergeev est certainement marxiste, mais sa politique peut être mieux caractérisée comme populiste). En réalité, d'autres intellectuels honnêtes connaissent la même difficulté. Mais des divergences importants existent entre eux. Bien que le courant marxiste ne rejette pas une collaboration avec le FUT et que ses membres respectent généralement Sergeev comme économiste et comme individu, ils sont préoccupés par les liens du FUT avec l'aile conservatrice de l'appareil. Il est significatif que ni le FUT ni Sergeev ne parlent beaucoup des privilèges bureaucratiques alors qu'ils lancent des invectives très dures contre la nouvelle bourgeoisie. Ils prônent le pouvoir des soviets, mais ils n'incluent pas la démocratisation des syndicats parmi leurs mots d'ordre [27]. Même leurs appels pour un pouvoir des soviets sont suspects à la lumière du fait que, comme nous l'avons vu, le FUT insiste sur la nécessité que les circonscriptions électorales soient basées sur les entreprises. Une telle idée (avancée par Lénine) pourrait avoir un sens si les ouvriers avaient déjà brisé leur dépendance matérielle vis-à-vis de leurs directeurs, c'est-à-dire s'il y avait de fortes organisations syndicales et une autogestion réelle. Mais ce n'est pas le cas et, de surcroît, les activités du FUT ne semblent pas orientées dans cette direction.
Bien que Sergeev déclare qu'il ne veut pas revenir au système des années 1965-1984, de nombreux marxistes soupçonnent ceux qui sont derrière ce mouvement de vouloir en réalité introduire une version plus civilisée de l'économie planifiée stalinienne qui avait précédé Brejnev et dans une certaine mesure Krouchtchev, avant que l'économie ne soit "féodalisée". C'était un système où le centre était en état « imposer une discipline économique aux branches et aux ministères, les objectifs étaient fixés par le centre et les ministères et les entreprises étaient obligées de les réaliser. À cette époque-là, les objectifs du plan étaient atteints, du moins les objectifs principaux.
L'analyse des marxistes est différente de celle de Sergeev surtout parce qu'ils mettent beaucoup plus l'accent sur les rapports de pouvoir dans l'économie - l'usurpation bureaucratique du pouvoir - comme le facteur-clé pour comprendre la crise, et sur le rôle central de la démocratie pour la réussite de tout modèle de planification socialiste. Ils ne s'opposent pas à l'utilisation de mécanismes de marché : tout dépend de la question de savoir qui a le pouvoir de les introduire, qui fixe le cadre et quelles sont les limites du fonctionnement du marché. Cela doit être réalisé dans un cadre véritablement démocratique dans lequel le peuple dans son ensemble décide quelle société il veut construire. Le marché doit être un [114] moyen pour avancer vers le type de développement économique et social que la société a choisi ; la société ne doit pas devenir l'objet des forces du marché introduites et réglementées de façon non démocratique, dans l'intérêt d’un nombre réduit de gens, comme c'est le cas maintenant. En fait, dans les mains d'une bureaucratie libéralisée, le marché peut être un instrument d'oppression plus puissant et plus flexible que l'ancien système administratif.
La libéralisation relative, introduite comme "comptabilité économique" dans le cadre de la réforme actuelle, ne fait que provoquer l'accroissement de fait de l'autonomie des ministères et des associations économiques qui a commencé dans les années soixante. Le centre est en train de perdre le peu de pouvoir qu'il avait encore sous Brejnev. En même temps, l'économie souterraine est en train d'être légalisée et de s'élargir, dans une symbiose croissante avec les monopoles de l'État. Tout cela au détriment du commun des citoyens, qui, en tant que consommateur ne dispose guère de plus de pouvoir « auparavant. Les résultats de l'introduction de rapports de marché sont déjà là : inflation, pénurie de biens de consommation, déclin de la production et du niveau de vie, différentiation socio-économique croissante.
Dans un système qui n'a pas connu des rapports de marché pendant soixante ans, toute expérimentation dans ce sens devrait être faite de façon bien réfléchie et sous un contrôle démocratique à tous les niveaux, surtout aux niveaux les plus élevés. Ce qui se passe maintenant rassemble beaucoup aux vieilles campagnes bureaucratiques style rouleau compresseur, tant décriées par la nouvelle direction. L'introduction de rapports de marché sous une forme qui puisse faire progresser en direction du socialisme, et non éloigner de celui-ci, dans l'intérêt de la majorité du peuple et non tout simplement d'une bureaucratie libéralisée et modernisée et d’une couche de nouveaux riches, exige, comme l'affirme Sergeev, le rétablissement d'un centre fort, capable de contrôler et de fixer les conditions du succès du processus de réforme. Ce centre doit être démocratique et ouvert, si on veut que la réforme réussisse. Les libéraux peuvent bien attaquer cette approche comme révélatrice du désir d'un gouvernement fort. Mais une planification et une réglementation qui fixent des directives, ne constituent pas une oppression si elles se réalisent sous contrôle démocratique. En outre, c'est justement ce que les gens veulent, même si certains prônent en même temps l'autonomie des entreprises. Ceux d'en bas se plaignent, en réalité, de plus en plus du fait que personne ne semble agir au centre.
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La tâche immédiate est, donc, celle d’établir ce contrôle sur les décisions et la gestion économiques par le truchement de collectifs ouvriers, des soviets, d'organisation de consommateurs, de syndicats démocratiques, de comités populaires de contrôle. Lorsqu'un pourcentage si grand de la production est gaspillé ou disparaît dans l'économie souterraine, un contrôle démocratique peut être, à lui même, très payant économiquement, tout en ne changeant rien d’autre au système. Dans le contexte actuel, les travailleurs sont témoins quotidiennement de ce gaspillage, mais ne peuvent rien faire et, le plus souvent, ils ne feraient probablement rien, puisqu'ils ne croient pas que leurs efforts, au niveau personnel ou collectif, seraient utiles. La contribution fondamentale de la démocratie réside dans le fait qu'elle donne la garantie qui permet de libérer l'énorme potentiel économique, qui sous le système bureaucratique (et, de ce point de vue, sous le régime capitaliste aussi) reste bloqué au niveau du producteur direct et du simple citoyen.
En même temps, il faut éliminer les privilèges bureaucratiques et les "revenus non gagnés". Cela ne signifie pas introduire un "nivellement" absolu, mais mettre fin à une différentiation socio-économique qualitative croissante. Seules ces mesures peuvent donner confiance au peuple et l'impliquer dans le processus de réforme. Toute restructuration comporte nécessairement des sacrifices, mais le peuple ne les acceptera pas aussi longtemps qu'il voit que les bureaucrates, qu'il considère à juste titre comme les responsables du gâchis, et la nouvelle ploutocratie affairistes et intermédiaires divers, qui ont accumulé leur richesse par la spéculation et le crime, vivent dans le luxe.
Si ces conditions sont remplies et le peuple décide collectivement quel est le but qu'il veut finalement atteindre, on pourra expérimenter le marché. Il n'y a aucune formule simple permettant de rectifier les mécanismes économiques, de combiner effectivement des formes directes de planification et de gestion avec des rapporte de marché. Des erreurs et des faux départs sont inévitables. Mais, alors que les bureaucrates se sentent obligés à cacher les erreurs et récidivent inévitablement, le peuple a tout intérêt d'analyser à fond ses erreurs et en tirer les leçons [28].
Cette approche correspond dans une très large mesure aux intérêts de la masse des ouvriers. Si, face au barrage médiatique néolibéral et en l'absence d'une alternative socialiste dans le débat public, ces intérêts s'expriment souvent sous une forme contradictoire, lorsque les ouvriers parlent de réforme économique, ils ne remettent jamais en question leur choix fondamentalement socialiste. Même dans ce cadre répressif du point de vue idéologique, des lettres d'ouvriers qui reflètent, ne fut-ce qu'à un niveau [116] "instinctif', la position des marxistes, trouvent parfois une place dans la presse (surtout dans la presse destinée aux ouvriers comme l'organe central des syndicat Trud et Rabochaya tribuna (dont le titre était jusqu'à cette année Industrie socialiste).
V. Dobrotolyobov, ouvrier dans une usine de construction de machines à Frunze et membre du Parlement, décrit le degré de politisation atteint par la société soviétique. "Tu appelles un ami et, au lieu de te dire "comment ça va ?", il te lit un article de N. Shmelev (économiste libéral et star médiatique) expliquant que tout ce qui est économique et rentable, est aussi moral. Je cherche de lui répondre que nos pères et nos grands-pères ne nous ont pas appris à mettre le gain au dessus de la conscience. Mais, ne t'en fais pas, il ne t'écoute pas du tout... Démocratie signifie pouvoir, c’est-à-dire argent, propriétés immobilières, usines, aux mains du peuple. À qui tout cela appartient pour l'instant ? Il me semble que cela appartient à l'État, aux ministères, aux bureaucrates, à tout le monde, sauf au peuple. Il est donc trop tôt pour parler d'une démocratie réelle... L'adoption de lois sur la propriété, la terre, le leasing, nous aideront, du moins je l'espère, à voir clair dans toute cette économie compliquée et négligée. Mais vivrons-nous mieux avec ces lois ? Regardez ce qui se passe... Les entreprises de l'État ne respectent pas leurs plans de livraison aux entreprises qui sont leurs clients dans le pays parce qu'elles ont trouvé à l'étranger des clients plus intéressants qui paient en devises étrangères. Notre entreprise est en état de produire du matériel d'outillage moderne dont on a besoin... Mais nous travaillons à un rythme fou car nos fournisseurs ne respectent pas les contrats. Je pense que nous devrions chercher les causes de cela au niveau de l'efficacité de gestion et de la discipline des livraisons. Je ne me réfère pas seulement aux retards au travail et à l'absentéisme, bien que ces phénomènes peuvent ruiner même les mécanismes économiques les plus parfaits... Non, je parle d'ordre dans le sens le plus large. Sur la base de ma propre expérience, je sais que les ouvriers en ont marre de tout ce bavardage sur la perestroïka, des changements constants de direction. Mais ils ne sont pas du tout indifférents à la question de savoir par quel chemin et par quels moyens la stabilité peut être atteinte. Je veux être sincère : ce n'est pas commode de vivre dans un pays qui s'autoproclame socialiste, mais dans lequel, à côté de millions de gens qui vivent au dessous du seuil de la pauvreté, il y en a d'autres qui jouissent de grosses fortunes. Je ne suis pas partisan du nivellement, et je ne voudrais pas apparaître envieux au lecteur, mais je suis prudent et préoccupé quand il s'agit de nouveaux hommes d'affaires et des intermédiaires qui prospèrent dans notre [117] société. En effet, ces gens accumulent des fortunes par des moyens malhonnêtes, sinon carrément illégaux...
Oui, je voudrais bien pouvoir vaincre l'hostilité qui s'est développée en moi à l'égard de certains coopérateurs, qui ramassent de l'argent par des opérations douteuses et non en fournissant des produits de qualité. Est-ce qu'on peut parler de justice, si 45 millions de personnes ont des revenus au dessous de 70 roubles' ? Nous avons donc besoin de discipline... La politisation de notre société est croissante, mais il y a encore beaucoup de gens qui sont indifférents au sort historique de leur propre pays. Personnellement, je ne considère pas que les meetings de masse et les grèves sont des manifestations d'une conscience civique développée. Plutôt le contraire. Auparavant, beaucoup de gens répétaient les mots d'ordre de nos dirigeants sans trop rouspéter. Aujourd'hui, ces mêmes gens suivent de la même façon irréfléchie et mécanique les nouveaux "dirigeants". Si on me demande qu'est-ce que je veux, je réponds : je désire travailler dans des conditions normales, sans les tensions qui font sauter les nerfs et sans être obligé de courir sans arrêt. Mais aussi pas de façon aveugle, comme dans le passé. Nous devons connaître la vérité sur la situation de notre pays, sur l'augmentation des revenus monétaires et des salaires, qui, hélas, est bien supérieure à l'augmentation de la productivité du travail. Nous devons savoir où nous allons. Nous déciderons nous-mêmes avec qui" [29].
Une bataille encore ouverte
La bataille idéologique pour gagner la classe ouvrière soviétique a été sérieusement engagée. Pour l'instant, l'aile réformiste de la bureaucratie, soutenue critiquement par l'intelligentsia libérale, la mafia et les couches petites bourgeoises et bourgeoises croissantes, semblent avoir marqué des points à leur avantage, dans une large mesure grâce à leur monopole sur les médias. Leur but est tout simplement transformer la base idéologique du régime. Cela signifie pousser les ouvriers à renoncer à leur attachement à l'idée du socialisme comme un système qualitativement différent du capitalisme. La tentative des libéraux d'identifier le marché avec la démocratie n’est qu’une partie de cette campagne idéologique, qui comporte également des tentatives de plus en plus audacieuses de démontrer qu'il existe une continuité fondamentale entre la Révolution d'Octobre et Lénine, d'un côté, et le stalinisme et la mauvaise situation actuelle, de l'autre.
C'est là le message politique sous-jacent de l'oeuvre de Solzhenytsin, dont la réhabilitation complète et acritique (des parties très importantes de l'Archipel du Goulag ont paru l'année [118] dernière dans le prestigieux périodique libérale Novyi Mir) fait partie intégrante de cette entreprise idéologique. Dès lors que les idées de Solzhenytsin ont obtenu une marque officielle de respectabilité, des intellectuels soviétiques, qui depuis longtemps échangeaient les mêmes idées entre eux, ont commencé à les exprimer par écrit. V. Kostykov, journaliste de l'agence de presse Novosti, se demande si Lénine avait eu raison de lancer la Révolution d'Octobre (qui, semble-t-il, n'était pas du tout un mouvement populaire, mais un complot militaire mûri dans la tête de Lénine). Il pose la question de savoir si le projet de Lénine n'était pas elle-même erronée. Le débat est maintenant ouvert. Kostykov, de sa part, a tranché : "Staline était un fils du bolchévisme, un fils de Lénine" [30].
Si Kostykov hésite encore à tirer la conclusion logique de sa pensée, certains des économistes ci-devant "radicaux", comme le journaliste bien connu V.S. Selyunin (une autre star libérale des médias, qui écrit souvent dans Novyi Mir) ne mâche pas ses mots : "Le marxisme est mort et cela sera clair pour tout le monde dans un futur très rapproché... En construisant notre société, nous n'avons rien déformé : nous avons tout fait selon les indications classiques de Marx et de Lénine". Selyunin se prononce pour la privatisation de l'industrie et de l'agriculture. Il admet qu'une telle transformation exige "des décisions économiques extrêmement impopulaires" [31]. Il ne se demande pas comment ni si elles pourraient être réalisées dans un cadre démocratique.
Mais la bataille idéologique pour gagner la classe ouvrière est loin d'être décidée. L'attachement des ouvriers à la conception révolutionnaire du socialisme, à la Révolution d’Octobre et à Lénine ne peut pas être facilement effacé par la machine de propagande libérale. Il y a des éléments qui indiquent qu'il ne s'agit pas de "stéréotypes dépassés", de résidus de la "période de la stagnation", mais de parties authentiques et intégrales de la conscience ouvrière, avec des racines profondes dans l'expérience historique et contemporaine. C'est le principal atout dont disposent les forces politiques socialistes, qui savent que le rapport de forces dans les médias ne reflètent pas le rapport de forces politique dans la société. Ces socialistes commencent à s'organiser, sont en train d'accumuler des forces et pourront compter sur la combinaison des intérêts ouvriers et de leur propre expérience de la réforme pour attirer les ouvriers de leur côté.
* David Mandel enseigne au département de science politique à l'UQAM. Il a publié Petrograd Workers and the Old Regime et Petrograd Workers and the Soviet Leizure of Power (Londres, MacMillan, 1983 et 1984).
[1] Sobesednik, no 49, 1989, p. 1.
[2] Rapport sténographique de la conférence "Conscience économique et comportement économique dans les conditions de la perestroïka", Zvenigorod, 20 novembre 1989.
[3] Ibidem., p. 13 ; Moskovskie novosti, no 33, 1989, p. 7 ; interview avec Yuri Bondarev, Rubikon, Leningrade, no 10, 1989, p. 40.
[4] Izvestiya, 12 décembre, 1989.
[5] Sotsialisticheskaya industriya, 14 décembre 1989.
[6] Medelya, no 32, 1989.
[7] Moskovskie novosti, no 33, 1989, p. 7.
[8] Rabochaya tribuna, 3 janvier 1990.
[10] Rabochaya tribuna, premier janvier 1990.
[11] Rubikon, no 10, premier janvier 1990.
[12] Sotsialisticheskaya industriya, 9 septembre 1989.
[13] Conférence de Zvenigorod.
[14] Zycie gospodarcze, août 1989, Trud 6 juin 1989.
[15] Sotsialisticheskaya industriya, 9 septembre 1989.
[16] Izvestiya, 12 décembre 1989.
[17] Vesti iz SSSR, no 12, 1989, p. 11.
[18] Izvestiya, 12 décembre 1989.
[19] Vesti iz SSSR, no 17/18, 1989, p. 25.
[21] Rabochaya tribuna, premier janvier 1990.
[22] Voir David Mandel, "Soviet Trade Unions at the Crossroads", Canadian Dimension, janvier-février 1990.
[23] Une conférence sur la réforme économique a eu lieu àMoscou du 13 au 15 novembre 1989. Parmi les orateurs il y a eu des économistes très connus (la plupart partisans de la réforme du gouvernement ou des critiques libéraux de cette réforme) de même que des représentants de haut niveau. Sergeev n'était pas parmi les invités. Une manifestation du FUT devant la salle de la réunion, qui dénonçait les partisans radicaux de la réforme, provoquait un appel téléphonique à Sergeev : il était invité à parler mais pouvait-il demander aux manifestants de rentrer chez eux ? Sergeev a parlé le jour suivant. Les manifestants n'ont pas fait leur réapparition. À la conférence quelqu'un a décrit le FUT comme une organisation fasciste. Gorbatchev est resté silencieux. Sergeev m'a raconté tout cela pour prouver que son organisation n'avait pas le soutien de l'appareil.
[24] Des idées de Sergeev sont exprimées dans les articles suivantes : "Iz segodnya v zavtra ili pozavchera", Ekonomicheskie nauki, no 9, 1989 ; "Sotisalizm i tovcarnove proizvodstvo : o chom stoit sporit", ibidem, no 1,1989 ; "Problemy obnovleniya ekonomicheskoi teorii sotsializma i kontseptual'nye varianti radikalnoi perestroïiki", ibidem, no 3, 1989.
[25] Les "nouveaux socialistes", dont Boris Kagarlitskii est l'un des dirigeants, ont surgi de l'aile gauche du Front populaire de Moscou en mai-juin 1989.
[26] La direction du Sotsprof ou Fédération des syndicats socialistes, formée au printemps 1989, semble ne pas être homogène : elle inclut une aile de gauche, marxiste, et une aile libérale, c'est-à-dire "al-démocrate. Pour l'aile modérée, la construction de syndicats libres semble être le but. Pour les marxistes, c'est un moyen pour la construction du socialisme en Union Soviétique. (conversations privées et texte "Les syndicats soviétiques et les socialistes").
[27] Sergeev me Fa affirmé en disant qu'à ce moment le FUT ne pouvait pas combattre l'appareil des syndicats parce que c'est de celui-ci qu'ils recevaient le peu de soutien matériel qu'ils avaient.
[28] Voilà les auteurs et les titres de quelques écrits de ce courant : V. Bogachev, "Polny khozraschet i tsentralldzovannoe khozyaistvennce upravlenie", Voprosy ekonomiki, no 5, 1988 ; A. Buzgalin, Protovorechiya samoupravIeniya, tsentralizma, i samostoyatel'nosti v planovom khozyakstve, Moscou, 1988 ; V. Dement'ev et Yu. Sukhotin", Kobnovleniyi orientirov ekonomicheskoi teorii', Ekonomika i matematicheskie metody, no 3, 1989 ; Yu. Sukhotin, Potentsial ekonomicheskoi teorii, Moscou, 1989. En ce qui concerne les "nouveaux socialistes, v. "Déclaration du comité de Moscou des nouveaux socialistes", Neyskie zapiski, Leningrade, no 8, 1989.
[29] Rabochaya tribuna, 23 janvier 1990.
[30] The Gazette, Montréal, 26 janvier 1990.
[31] Ibidem, 28 janvier 1990.
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