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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Christophe Marcel, “Mauss et Halbwachs: vers la fondation d’une psychologie collective (1920-1945)” Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol 36, no 2, automne 2004, pp. 73-90. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal. [Autorisation formelle de l’auteur accordée le 14 juin 2005] Introduction Dans l'histoire de l'école française de sociologie, et plus spécialement sur la période de l'entre-deux-guerres, il me semble qu'on puisse accorder une attention particulière à la relation entre Mauss et Halbwachs. En effet, chez la plupart de ceux qui ont écrit l'histoire de la sociologie française, il est communément admis que l'école française de sociologie a disparu, dans les années 1940 avec ses derniers représentants, faute d'avoir su faire évoluer un paradigme dont la rigidité se serait avérée toujours plus stérile à mesure que la IIIe République vacillait, et qu'on s'acheminait vers la guerre (Heilbron, 1985). Il nous semble qu'au contraire, on peut se risquer à poser une hypothèse toute différente, selon laquelle, sur la période, les travaux de Mauss et Halbwachs (mais aussi de Simiand, et à d'autres égards celui de Bouglé ; sur ce point voir Marcel, 2001) manifestent un souci de penser le social d'une façon originale, qui les démarque en partie d'un programme « dur » élaboré antérieurement par Durkheim, particulièrement dans Les Règles de la méthode sociologique, et relatif notamment à la règle selon laquelle il est essentiel de traiter les faits sociaux comme des choses. Cette inflexion dans le discours, traduit, semble-t-il particulièrement chez ces deux auteurs, la volonté de comprendre comment le social s'inscrit dans l'inconscient ou, si l'on préfère, comment les représentations collectives façonnent en l'individu des états psychologiques particuliers, collectivement constitués. Dans ce cas, c'est plutôt au Durkheim de « Représentations individuelles et représentations collectives » (1898) qu'on peut rattacher leur réflexion, c'est-à-dire à l'idée de l'existence d'une hyperspiritualité propre à la vie sociale. Grosso modo, l'argument de Durkheim est le suivant : on peut introduire en sociologie une conception parallèle à celle qui tend à prévaloir en psychologie, selon laquelle les représentations individuelles, une fois qu'elles existent, sont susceptibles d'agir directement les unes sur les autres. La vie représentative subsiste en partie indépendamment de la matière nerveuse qui la rend possible. De la même façon, les représentations collectives, produites par les actions et réactions échangées entre les consciences élémentaires dont est faite la société, ne dépendent pas directement de ces dernières et les débordent. De l'association des consciences, une « synthèse chimique [1] » se produit qui unifie et transforme les éléments de la sorte unifiés. Une fois qu'un premier fonds de représentation s'est formé, les représentations collectives deviennent des réalités partiellement autonomes qui vivent d'une vie propre, et les représentations nouvelles qui se forment ont pour cause d'autres représentations collectives. Ces produits du second degré résultent donc de tout un travail de la vie mentale collective, en conséquence de quoi une des tâches de la sociologie est aussi de mettre au jour les lois de l'idéation collective.
En ce sens, la sociologie deviendrait une « psychologie appliquée », ou mieux encore une « psychologie collective » qui est « la sociologie tout entière » (ibid.). Dans la lignée de ce programme esquissé par Durkheim, Halbwachs et Mauss vont de plus en plus parler de « psychologie collective [2] », dont ils s'efforcent de définir le domaine et l'objet, et non plus de « sociologie » (Simiand quant à lui préférant le terme de « psychologie sociale [3] »). Il y a, dans les années 1920-1930, une certaine identité dans la posture intellectuelle que défendent les textes de Mauss et Halbwachs : il s'agit pour eux de promouvoir une sorte de phénoménologie rationaliste qui s'efforce de décrire comment l'individu vit son appartenance à la société. En ce sens, grâce à eux, la sociologie durkheimienne s'efforce de prendre comme objets d'études l'individu et ses états de conscience, dans une perspective plus « compréhensive » si l'on veut, pour reprendre une catégorisation à la mode aujourd'hui, bien que continuant à être résolument holiste. On peut dès lors s'autoriser à voir en eux les deux principaux artisans du renouveau de ce qu'on pourrait qualifier de « programme scientifique » de la sociologie durkheimienne. De plus, dans ce travail d'élaboration d'une nouvelle science sociale, les apports de Mauss et Halbwachs paraissent aussi relativement complémentaires, alors qu'apparemment il n'y avait pas de concertation volontaire et consciente entre eux, même s'ils semblent être restés toujours en contact l'un avec l'autre. Pour dire vite, tandis que Mauss s'efforce de baliser le champ et les méthodes de la psychologie collective, Halbwachs investit des objets particuliers (mémoire, Suicide, classes sociales), qu'il assortit de concepts appropriés à cette nouvelle perspective plus « psychologique » [4]. C'est à une description comparée de ces deux versions durkeimiennes de la psychologie collective qu'est consacré ce texte, afin d'essayer de livrer une réflexion sur ce qu'on peut se risquer à interpréter comme une ultime tentative pour sauver une posture intellectuelle rationaliste et positiviste, que nombre de contemporains (et notamment les chercheurs de la génération suivante), sommés de répondre aux questions brûlantes de l'actualité de l'époque (nature du nazisme, du socialisme soviétique, montée des classes moyennes, conséquences de la crise économique de 1929) étaient déjà tentés d'abandonner pour cause « d'obsolescence ». [1] L'expression est de Durkheim. [2] Rappelons qu'en 1944 Halbwachs est élu au Collège de France à la chaire de psychologie collective. [3] Sur ce point, voir Marcel, 2001. [4] Pour une histoire intellectuelle plus complète de cette « psychologie collective » durkheimienne, voir Mucchielli, 1994.
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