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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Raymond MASSÉ, La fin des plantations ? (1980)
Chapitre I. Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Raymond MASSÉ, La fin des plantations ? Évolution des formes de soumission au travail dans deux sociétés néo-coloniales. Martinique, Guadeloupe. Montréal: Centre de recherches Caraïbes, Université de Montréal, 1980, 154 p. [Autorisation accordée par l'auteur le 14 novembre 2008 de diffuser cette oeuvre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Chapitre I

INTRODUCTION

Ce travail constitue le rapport de synthèse d'un projet financé par le Gouvernement québécois qui vise, à travers l'étude intensive d'une région bien connue par les principaux membres de l'équipe à apporter une contribution à la connaissance de l'“évolution des paysannats dans des sociétés largement structurées par les grandes plantations coloniales, à l'heure où celles-ci se transforment ou s'effondrent sous l'effet de la conjoncture mondiale”.

Outre son contenu scientifique, ce projet a fourni à plusieurs étudiants québécois la possibilité de prendre contact avec une réalité extérieure à la réalité québécoise et d'acquérir une formation pratique dans l'analyse des problèmes socio-économiques de sociétés en proie à des profonds problèmes de développement. Axé sur l'analyse de l'évolution de l'agriculture aux Antilles françaises, ce projet, par le biais des divers rapports produits par les membres de l'équipe (voir dans la Bibliographie les titres avec astérisques), contribue à jeter un éclairage nouveau sur un secteur-clé de l'activité économique de l'archipel antillais : l'économie agraire.

Traditionnellement caractérisées par :

- une concentration des terres en grandes propriétés appartenant a une minorité de blancs créoles,

- par la culture d'une denrée unique d'exportation, la canne à sucre,

- par une structure sociale dualiste opposant une aristocratie foncière blanche à une masse de travailleurs de couleur,

- par la multiplication de microfundias servant d'assise économique à une classe de petits paysans qui devaient recourir à un travail salarié sur les plantations pour assurer leur subsistance,

- par le caractère "excentré" des structures de pouvoir tant économique que politique, les Antilles françaises ont connu des changements profonds de structure dans les dernières décennies.

La promotion de la Martinique et de la Guadeloupe au rang de Départements français d'Outre-Mer en 1946, a en effet provoqué un changement fondamental de structure dans ces sociétés qui, de sociétés coloniales de plantation, deviennent sociétés néo-coloniales périphériques de consommation. Ce changement structural a influé directement sur le devenir de la masse des prolétaires ruraux de même que sur le petit paysannat. "Or l'évolution de ces groupes sociaux est encore mal connue. Face aux structures qui se mettent en place, ils peuvent se soumettre, s’adapter, tenter de remanier la société ou au contraire émigrer vers les cités ou hors de leur île. De leurs choix et de leur comportement dépend l'avenir des activités rurales. Or on ignore ces choix, on ignore les réseaux de communication qui les orientent, on ignore les remaniements écologiques, économiques et sociaux qui les traduisent" (Projet et programme de l'équipe, 1975).

Ce groupe des paysans et prolétaires ruraux représente une partie importante de la population martiniquaise. "En dépit de l'intense mouvement d'urbanisation qui frappe la Martinique depuis une génération, la population rurale éparse renferme encore près de la moitié, 45% exactement des Martiniquais qui restent obstinément accrochés à leurs mornes" (Atlas de la Martinique). Toutefois cette population rurale se concentre sur une partie fort limitée du territoire utile. "Sur moins de 250 km2, à peine plus du 1/4 de la zone rurale, vivent plus de 100.000 personnes soit plus de 70% de la population rurale éparse" (Atlas de la Martinique). Or "alors que le thème de l'urbanisation à outrance fait fureur en Martinique comme ailleurs, il faut pourtant bien se rendre à l'évidence : la population rurale éparse (...) s'est légèrement accrue depuis 1954 de 10.000 personnes environ" (Atlas) et ce sur un territoire déjà très densément peuplé.

De même l'agriculture demeure un secteur important de l'économie martiniquaise dans la mesure où elle "fournit l'essentiel des possibilités d'achat du département à l'extérieur et distribue des revenus à 35% environ de la population active" (Atlas). Bien que des données précises fassent défaut pour établir l'importance exacte de la petite paysannerie en Guadeloupe, tous les rapports et études signalent une importance encore plus grande de la petite exploitation agricole dans cette île. Lasserre, par exemple, (1961, tome 1, p.433) disait que "la Guadeloupe se différencie de la Martinique par son plus grand nombre de petits propriétaires : 16.000 cultivateurs indépendants contre environ 5.000, si l'on ajoute que les colons sont 8.000 en Guadeloupe contre 1.000 en Martinique..." on ne peut qu'en déduire la très grande importance de la petite exploitation agricole dans cette île. On peut observer d'ailleurs un développement tout aussi marqué de la population rurale éparse en Guadeloupe.

Dans ce contexte de changement rapide et profond de la société antillaise, l'agriculture et la population rurale représentent donc toujours deux composantes fondamentales de la société martiniquaise avec lesquelles il faut compter.

Bien que statistiquement importante, la classe paysanne se voit attribuer par les chercheurs un rôle très variable dans la dynamique socio-culturelle. Stavenhagen * (1969) relève deux opinions contradictoires :

"In every part of the world generally speaking, peasantry have been a conservative force in social change, a break on revolution, a check on that disintegration of local society which often comes with rapid technological change" (Robert Redfield, Peasant, Society and Culture).

"Il est clair que, dans les pays coloniaux seule la paysannerie est révolutionnaire. Elle n'a rien à perdre et tout à gagner. Le paysan, le déclassé, l'affamé et l'exploité qui découvre le plus vite que la violence seule, paye" (Frantz Fanon, Les damnés de la Terre).

Sans réfuter l'une ou l'autre de ces conceptions du rôle de la paysannerie dans la dynamique socio-politique, un fait fondamental demeure : la classe paysanne fait partie intégrante de la société et joue, consciemment ou non, un rôle déterminant dans l'évolution de cette dernière. La conception la plus nuisible à l'analyse de la paysannerie et de l'agriculture est celle qui fait du monde paysan un monde à part, retardataire, arriéré qui entrave et ralentit le développement des secteurs urbains et industriels. Cette conception dualiste du développement repose sur le postulat que le secteur paysan de subsistance constitue un frein au développement de l'ensemble de la société, qu'il représente un obstacle à l'abolition des disparités régionales et qu'il nuit au libre développement des régions industrialisées. Gunder Frank, à partir de l'analyse de la théorie de deux Brésils en arrive pourtant à la conclusion générale que "le secteur de subsistance, étant précisément résiduel dans sa production et son revenu, joue en quelque sorte le rôle d'un pare-choc qui isole, protège et stabilise partiellement l'économie agricole toute entière. Il contribue ainsi à stabiliser également l'économie nationale et internationale. Loin d'être à la remorque de l'économie nationale et internationale, le secteur de subsistance joue donc le rôle d'un amortisseur contribuant à la marche de l'économie et lui évite de se désagréger à chaque choc, à chaque crise" (1974, p. 237). Le monde paysan et le monde urbain industrialisé et commerçant constituent ainsi deux parties d'un même système économique, parties qui sont reliées par des liens d'interdépendance économique mais aussi par les divers réseaux de communication qui assurent les échanges de valeurs et de marchandises.

Toutefois le monde paysan antillais n'a pas seulement un rôle important à jouer à l'intérieur des sociétés antillaises contemporaines ; de fait le système des plantations fut dès le 17ième siècle un produit du développement du capitalisme international. Gray rappelle que "fundamentally, however, the one-crop system was a result of the selective influence of economic competition leading to world-wide specialization (Gray, 11 : 458-459 cité par E. Frank, 1978, p. 196). Le développement du système de plantation au 17ème siècle dans l'ensemble de la Caraïbe (ce qui deviendra l'Amérique des Plantations), doit donc être analysé en référence à l'extension de la sphère d'influence du capitalisme européen naissant, extension qui se manifesta par un impérialisme économique, politique, légitimé par une idéologie discriminatoire fondée sur la langue, la religion, la couleur de la peau. Même s'il est difficile de cerner les causes fondamentales de cet impérialisme : nécessité pour le capital de trouver sans cesse de nouvelles forces de travail pour sa reproduction élargie (Otto Bauer), nécessité de mobiliser les excédents de capital à l'extérieur des limites de la sphère de production proprement capitaliste (Lénine), nécessité de la réalisation de l'excédent de production par l'élargissement des marchés (Rosa Luxemburg), il n'en demeure pas moins que le développement du système de plantation ne peut être analysé indépendamment du développement du capitalisme marchand en Europe.

D'ailleurs la plantation devient elle-même une entreprise de type capitaliste. Gunder Frank, citant Gray rappelle que "the plantation was a capitalist type of agricultural organization in which a considerable number of unfree laborers were employed under unified direction and control in the production of staple crop" (Gray, 11 : 302). Ces entreprises agricoles partageaient de fait avec les manufactures européennes ces trois principales caractéristiques : a/ une production écoulée par le commerce ; b/ un investissement massif en moyen de production, le recours à une main-d'oeuvre dépossédée de ses moyens de production et au capital bancaire de même que la recherche du taux de profit moyen ; c/ une tendance à la spécialisation.

Les plantations et les usines et distilleries qu'elles possédaient se trouvaient au coeur de la sphère de production spécifiquement capitaliste, sphère qui s'opposait d'ailleurs au sein d'un même mode de production colonial, aux sphères de production pré-capitalistes telles la petite exploitation agricole, le petit commerce et la pêche. La plantation et la petite exploitation agricole, loin d'appartenir à deux sphères de production indépendantes l'une de l'autre, sont liées au sein du mode de production capitaliste de type colonial par une relation fondamentale de soumission-dépendance dans laquelle la petite exploitation est assujettie aux impératifs de reproduction élargie de la sphère productive proprement capitaliste. Il n'existait donc pas à l'époque coloniale deux systèmes de production indépendants, la plantation et la petite exploitation "indépendante" mais bien un seul mode de production qui déterminait l'état des rapports entre ses principales sphères de la production, le mode de production capitaliste de type colonial.

Gray retrace ainsi le développement de ce mode de production : "The plantation system had its genesis in the economic organization of the early joint-stock company ( ... ) The plantation system was the natural successor of the colonizing company. With quasi public functions of colonial foundation accomplished and the functions of government taken over by public agencies (after the initial private colonizing investments had largely proved to be commercial failures) the remaining task was to finance immigration and settlement business of production. It would have been impracticable for the European capitalist to advance to each labourer the necessary expenses of emigration and settlement, leaving him work out his own success and to repay the debt at will. The planter was the effective agent through whom European capital might be so employed, and the plantation was the agency of colonial expansion which brought together and combined three separate factors in utilising the natural resources of the New World ; the labour of the industrial sector or the slave, the capital furnished by the European merchant, and the directive activity of the planters. In some instances, of course, the planters themselves furnished part or all of the capital..." (Gray, 11, 312, 311 in Frank, 1978, p. 194).

Ainsi on peut prendre comme point de départ de cette analyse que dès l'établissement du système des plantations, l'agriculture antillaise était organisée sur un mode capitaliste de production composé de diverses sphères de production dont l'une est dominante (la sphère de production proprement capitaliste fondée sur la plantation) et l'autre dominée (la sphère de production précapitaliste fondée sur l'agriculture de subsistance, la pêche et le petit commerce) et que ce mode de production colonial est lui-même dominé par le capitalisme européen dont il ne constitue qu'une extension. On peut maintenant poser les questions suivantes : de quelle façon la sphère de production précapitaliste est-elle liée à la sphère de production proprement capitaliste et de quelle façon le système de plantation lui-même est-il lié au système économique international ? Quel est le lien par lequel sont reliés ces entités ?

Ce lien comme nous le démontrerons dans cette étude c'est le travail humain exploité comme "force" de travail. Ce qui génère cette interdépendance de la plantation et de la petite exploitation agricole et justifie la reproduction du rapport de domination/subordination qui existe entre ces deux niveaux de la production agricole n'est ni le besoin d'approvisionnement des usines en canne à sucre, bananes ou autres produits d'exportation, ni le besoin pour les paysans d'un recours au travail salarié pour arrondir leurs revenus. Ces deux facteurs ne sont en fait que les conséquences "apparentées" d'une cause première, fondamentale : la nécessité pour le capital de s’assurer la disponibilité d'une force de travail nombreuse qu'il soumettra soit directement (soumission réelle : salariat agricole), soit indirectement (soumission formelle : colonage, fermage, contrat de fourniture). Les diverses sphères de production au sein d'un même mode de production de même que les divers modes de production eux-mêmes sont liés non par le biais de la circulation des marchandises ou de la monnaie mais par la circulation de la force de travail.

Ce choix nous amène alors à poser que le développement agricole aux Antilles françaises est : l/ le produit d'une division internationale du travail et 2/ ... le produit d'une soumission de la force de travail antillaise a la production de matières premières. C'est à ce deuxième aspect que nous nous attarderons principalement.

En fait le point de départ de cette analyse de la paysannerie des Antilles françaises est la considération de la non-possession "réelle" par le petit paysannat de ses moyens de production. Nous prenons comme hypothèse de départ que le petit exploitant agricole n'a jamais eu qu'un contrôle partiel, très réduit sur son travail. Il n'avait que très peu le choix de travailler ou non sur les plantations ou de cultiver de la canne à sucre pour les usines et les plantations. Son statut même de salarié agricole ou de petit propriétaire était déterminé en dernier ressort par les besoins en terres des grands planteurs et en fonction des crises sucrières cycliques qui faisaient tantôt reculer, tantôt avancer les limites des grandes propriétés par un jeu de morcellement/concentration des terres. Ainsi l'ensemble du paysannat sera considéré comme une réserve de main-d'oeuvre utilisée par les habitations sucrières et les usines. La distinction entre salariés agricoles et petits exploitants "indépendants" ne sera envisagée que comme différence entre deux modes de vente de la force de travail aux usines. Dans le premier cas, il y a vente immédiate de la force de travail à l'usine, dans le second il y a vente de travail "matérialisé" sous forme de canne à sucre. On rejoint ici la distinction marxiste reprise par Faure entre soumission réelle et soumission formelle du travail au capital (Faure, 1978). Le premier vend sa force de travail avant que le procès de production n'ait débuté. Le second vend sa force de travail une fois le procès de production terminé. Le petit exploitant agricole devient à la limite un "producteur salarié aux pièces" qui travaille à la maison, souvent sur les terres de l'usine, pour s'assurer un minimum de revenu monétaire. Le salariat, le métayage, le faire valoir direct et l'exploitation des lots de réforme foncière ne représentent donc que diverses modalités de la vente obligatoire de la force de travail du paysan aux plantations et usines à sucre.

Ce schéma d'analyse des rapports de production au sein du secteur de production agricole bien qu'essentiel à la compréhension de l'évolution de l'agriculture aux Antilles françaises ne peut toutefois pas tout expliquer dans ces sociétés marquées non pas par les seuls rapports de classe, mais par des rapports raciaux et ethniques originaux. Nous sommes en présence non de simples rapports patrons-ouvriers, mais de rapports Blancs/Noirs, Blancs créoles/descendants d'esclaves. Or ces deux modes de rapports d'ordre sociologique et culturel ne font pas seulement que masquer les rapports réels de classe, mais ils les modifient profondément, pour produire des rapports de classe originaux. Il faut se rappeler que les rapports de classe ne sont pas déterminés structurellement, par la simple position qu'occupe un groupe par rapport aux moyens de production mais aussi par les conséquences sociales et culturelles de la position structurelle d'un tel groupe, c'est-à-dire par les rapports sociaux de production. Les instances politiques et idéologiques seront à côté des rapports structuraux de production, des éléments clés dans la détermination des classes sociales en présence.

Aussi comme nous le verrons tout au long de ce travail, les modalités de la vente de la force de travail paysanne ont évolué de façon marquée, et ce principalement dans les dernières décennies, avec la déstructuration du système de plantation. Le problème n'est pas seulement que le paysannat vend sa force de travail pure ou sa force de travail matérialisée de plus en plus aux plantations sucrières ou sur les marchés des bourgs (sous forme de produits vivriers et maraîchers). Le problème vient plutôt de ce que de nouveaux types de rapports se sont établis au sein même de l'agriculture, plus précisément entre les sphères précapitalistes (petite exploitation agricole, petit commerce) et capitalistes (plantations, usines, hangars d'emballage des bananes, distilleries) de la production agricole. De même, de nouveaux rapports entre le système colonial et le système économique international sont venus compliquer le tableau.

D'abord nous pouvons établir quatre rôles principaux de la production agricole dans l'économie globale :

I/ Produire à bon marché des denrées alimentaires qui limiteront le coût de reproduction de la force de travail employée dans les autres secteurs de la production.

2/ Élargissement du marché intérieur pour le capital :

a) L'agriculture constitue un marché pour les produits d'origine industrielle (moyens de production).

b) Création d'un secteur de transformation des produits agricoles (donc recours à de nouveaux moyens de production).

c) Création d'un potentiel d'emprunt bancaire.

d) Extension du marché des biens de consommation.

3/ Maintien d'une réserve de main-d'oeuvre disponible pour les autres secteurs de l'économie.

4/ occultation de la position de classe réelle des producteurs qui ont l'illusion de contrôler de façon indépendante leurs moyens de production (voir Faure, 1978, pp.121-158).

Or dans le cas de la Martinique et de la Guadeloupe, l'absence presque complète d'un secteur manufacturier et industriel limite certains des effets possibles du secteur agricole sur l'économie comme celui de maintenir disponible une réserve de main-d'oeuvre pour l'industrie ou encore celui d'une division des forces paysannes et des forces ouvrières. Par contre, la mécanisation à tous les niveaux de la production permet la production à bon marché des denrées alimentaires de même qu'un débouché pour le capital bancaire. Mais surtout, dans la mesure où nous analyserons dans ce travail l'évolution des Antilles au travers du passage d'une société coloniale de production de matières premières à une société néo-coloniale périphérique de consommation d'une surproduction métropolitaine de biens de consommation, le rôle principal que sera de plus en plus appelé à jouer l'agriculture sera celui d'élargir le marché intérieur pour le capital métropolitain et principalement de développer un marché pour les biens importés de consommation ou de production. Cette nouvelle fonction remplie par l'agriculture antillaise sera d'autant plus vitale pour ces sociétés néo-coloniales que face à la stagnation chronique du secteur manufacturier et industriel, l'agriculture demeure le seul secteur de production qui peut pallier au déséquilibre créé dans la balance des paiements par l'hypertrophie du secteur tertiaire des services.

Ainsi l'analyse de la paysannerie martiniquaise [1] n’a de sens que dans la mesure où cette dernière est considérée comme partie intégrante du système néo-colonial de consommation. La paysannerie ne constitue pas un groupe indépendant refermé sur lui-même, mais représente la structure de base sur laquelle se développe le secteur urbain, commercial et fonctionnarisé. Sans ce secteur de subsistance, la société de consommation ne pourrait exister (ou tout au moins n'exister qu'artificiellement, ce qui devient d'ailleurs graduellement le cas aux Antilles françaises avec le déclin de l'agriculture et de là le déséquilibre de la balance des paiements). Telle sera la thèse de départ qui guidera le présent travail.

Assistons-nous aux Antilles françaises, à une simple redéfinition du paysannat, à une réorientation de ses activités vers la production vivrière-maraîchère au dépend des cultures d'exportation (canne, banane), ou à la simple disparition progressive voire planifiée du paysannat traditionnel ?

Qu'advient-il des ruraux dont la subsistance dépendait des rentrées d'argent frais provenant du travail salarié sur les plantations et dans les usines à sucre, dans un contexte de désorganisation des cultures d'exportation où la seule alternative devient le travail fonctionnarisé dans le secteur public ? Quelle est l'évolution de la structure foncière dans un contexte où des milliers d'hectares des meilleures terres des grandes plantations sont laissées en friche pendant que la petite et la moyenne exploitation agricole subissent un mouvement de morcellement sans précédent faute d'espace pour l'expansion ?

Quel rôle jouent encore les cultures d'exportation dans la vie économique des petits exploitants agricoles ? Quelles sont les conséquences des mouvements d'urbanisation et de "rurbanisation" ? Quel fut le résultat des politiques de réforme foncière ?

Toutes ces questions seront analysées dans ce rapport qui se veut plus qu'un simple travail de synthèse des travaux effectués par des étudiants sur le terrain. Ayant puisé des données à des sources très diversifiées, l'auteur s'est en effet efforcé de resituer le problème agraire antillais dans ses dimensions politiques et sociales tant locales qu'internationales. Le cadre théorique d'analyse sous-jacent à ce travail implique donc la seule responsabilité de l'auteur.



* [Voir : Rodolfo Stavenhagen, Les classes sociales dans les sociétés agraires. Sociologie et tiers-monde. Paris: Éditions Anthropos, 1969, 402 pp. Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[1] À cause de l'absence de certaines informations statistiques sur l'agriculture guadeloupéenne, particulièrement sur ses aspects historiques de même que sur le manque d'homogénéité dans la présentation des informations des recensements généraux de l'agriculture des deux Îles et de la prédominance des rapports de recherche portant sur la Martinique, une insistance plus grande sera attribuée au cas martiniquais dans ce travail.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 22 avril 2009 8:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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