Alain MASSOT
sociologue et professeur agrégé,
retraité du Département des fondements et pratiques en éducation,
Université Laval
“Alerte à la bioaltérité.” *
Québec : 25 janvier 2023. Chicoutimi : Les Classiques des sciences sociales, novembre 2023, 10 pp.
Si le sexe est un choix, alors pourquoi pas : «iel », préfigurant ce choix ?
Simone de Beauvoir y serait pour quelque chose :
« On ne naît pas femme. On le devient.»
… Sauf qu’on le reste, à l’exception près !
L’exception confirmant l’état de nature.
Reprise d'un vieux philosophe :
« On ne naît pas chrétien. On le devient. »
… Et on ne le reste pas nécessairement !
Les lois de la nature n’évoluent pas en symbiose avec le changement des normes socio-culturelles.
On pouvait répliquer ainsi à l’égérie du féminisme en son temps.
Mais le vivant aurait, depuis, changé de nature.
Voilà que la science établit une confusion sexuelle induite par les nanoparticules des polluants qui métamorphosent le vivant. Ce que l’on appelle les perturbateurs endocriniens ou hormonaux. Ce sont les six poisons issus de la pétrochimie :
Pesticides,
Plastifiants,
Perfluorés,
Pharmaceutiques (médicaments et additifs),
Parabènes (conservateurs),
Polybromés (retardateurs de flammes). Soit les six « P».
Cela inverserait la problématique du choix du genre qui deviendrait l’expression d’une indétermination sexuelle biologique, voire d’une intersexualité.
Ce qui fait dire à Jacques Balthazart : « On naît hétéro ou homosexuel, on ne choisit pas de l’être. » (2021). On peut lire aussi : « On devient homme et femme avant même de naître », à moins que cette potentialité ne soit pas altérée par des polluants chimiques (Corinne Lalo, 2021, p. 435).
Nous sommes aux prises avec une tout autre question que celle des stéréotypes sexuels ou genrés.
Voici le plus gros scandale scientifique depuis l’affaire Galilée :
« Quand les poissons se féminisent,
Quand les escargots de mer voient apparaître des « femelles à pénis »,
Quand les alligators développent un micro pénis,
Quand les mâles ne sont plus attirés par les femelles,
Quand les crapauds deviennent hermaphrodites,
Quand les ibis deviennent homosexuels,
Quand les garçons ont des testicules qui ne descendent plus,
Quand les hommes perdent la moitié de leurs spermatozoïdes en une génération,
Quand leur taux de testostérone baisse significativement,
Quand les calvities deviennent légion,
Quand les petites filles ont des pubertés précoces,
Quand les jeunes filles ont des règles plus douloureuses,
Quand les jeunes femmes découvrent l’endométriose et les ovaires polykystiques,
Quand les cancers du sein et de la prostate explosent,
Quand les couples ont du mal à procréer,
Quand les obèses se multiplient,
Quand le nombre de diabétiques triple en vingt ans,
Quand les enfants ont des cerveaux déficients et un QI en berne,
Quand le taux de thyroïdiens a presque doublé en quatre générations…
… c’est qu’il y a un problème. Et ce problème porte un nom : les perturbateurs hormonaux » [1].
Déni scientifique dans le cas de l’héliocentrisme pour sauvegarder l’interprétation littérale de la Genèse; déni scientifique dans le cas des perturbateurs endocriniens de la part des oligarques et de leurs lobbys pour défendre l’esprit du capitalisme.
Le darwinisme fut également un cas de déni scientifique pour les mêmes raisons que l’affaire Galilée en ce que cette théorie s’oppose à l’histoire biblique de l’origine du monde, débat toujours en cours aux États-Unis avec les créationnistes puisque l’on enseigne cette théorie, le créationnisme, au même titre que la théorie de l’évolution comme si le vrai et le faux étaient indiscernables. L’erreur en la matière consiste à traiter ces deux discours sur le même registre. Le premier relève de la rationalité scientifique qui suit ses propres règles de validation. Le second relève de la mythologie et de l’ordre du croire. Or, une croyance échappe au test du vrai et du faux. On y adhère, ou pas.
Dans ces deux grandes affaires, il s’agit d’un conflit d’interprétation de la nature des choses. Dans le cas des perturbateurs endocriniens, il s’agit d’un conflit sur la pénétration du vivant et de sa manipulation. Est soulevée, ici, la question de la modification structurelle de l’ADN, transmissible génétiquement. Ce qui est autrement plus grave de conséquence. De plus, ces deux affaires avaient un nom : Galilée, Darwin. Il n’y a pas de nom associé aux perturbateurs endocriniens si ce n’est un système : le capitalisme. En réalité, voici le crime parfait contre la Nature. Une Cour internationale de l’altérité biologique (CIAB ou International Court of Biological Alterity, ICBA) devrait en saisir la cause.
Ce nouvel enjeu se heurte frontalement aux conglomérats névralgiques que sont les complexes pétrochimique, pharmacochimique et agroalimentaire, responsables des nanoparticules intrusives dans la biodiversité. Coupables, ces géants de l’industrie dans la mesure où ils développent une stratégie du doute en toute connaissance de cause sur laquelle s’appuient commissions, hautes autorités…; celles-ci en retour, orientent les décisions du pouvoir politique. Et la boucle est fermée dans une pure « Fabrique du mensonge » [2]. Nous ne sommes pas dans le registre des fausses nouvelles (Fake News), mais bien face au tableau du savoir effacé. Ainsi en est-il du dernier scandale des géants de la pétrochimie en regard de leur responsabilité parfaitement connue depuis au moins quarante ans envers le changement climatique. Tel en fût pour l’amiante, le plomb, le charbon, le tabac, le thalidomide, le DTT, les micro plastiques des bouteilles et des biberons… et aujourd’hui, les perfluoroalkylées (PFAS), le chlorothalonil, les néonicotioïdes [3]... La liste des « contaminants éternels » est infinie !
Alors qu’une alarme sonne depuis longtemps pour préserver la biodiversité, la nature des espèces, et de l’espèce humaine elle-même, est en péril. Les anomalies de la nature s’avéraient marginales jusqu’à une époque récente. Elles se généralisent par les effets induits des perturbateurs endocriniens. L’exception deviendrait une norme socioculturelle. L’éloge de la diversité s’est transformé en un « Mélodrame de la différence ». «Suis-je un homme ou une femme? » devient une question originelle sous le biais du « ressenti sexuel » [4]. À ce point nous sommes à l’interface antagonique du législatif et des lois de la nature. Qui de l’éthique, qui de l’économie y apportera une résolution raisonnée? La dénaturation des espèces s’accompagne de l’idéologie de la diversité. Si bien que la défense de la biodiversité présuppose une stratégie radicale pour enrayer la bioaltérité, en espérant n’avoir pas franchi un point de non-retour.
Devant le désordre mondial de la biosphère, se pose donc toujours la question de la détermination sociohistorique des savoirs.
Alain Massot ©
25 janvier 2023
* Une version précédente a été publiée dans Le Traitd’union de l’Université Laval, septembre 2022.
[1] Corinne Lalo, Le grand désordre hormonal. Ce qui nous empoisonne à notre insu, Le Cherche midi, 2021, p. 18-19.
[2] Stéphane Foucart, La fabrique du mensonge, Folio, 2014.
[3] Radio Télévision Suisse, Temps présent. Pesticides. À quand la fin du carnage? Février, 2022. Radio Canada, Une histoire qui ne sent pas bon, 1er décembre 2022.
[4] Jean Baudrillard, «Transexuel» et « Mélodramme de la différence », La Transparance du Mal. Essai sur les phénomènes extrêmes, Paris, Éditions Galilée, 1990.
Voir aussi : Pr Guillaume Decocq, Boomerangs. Comment la mise à mal de notre environnement met en danger la santé humaine, Monaco, éditions du Rocher, 2023.