Avant-propos
La notoriété de l'œuvre de Condorcet a beaucoup fluctué depuis son suicide « préventif » dans la geôle de Bourg-Égalité la nuit du 27 mars1794 (7 germinal de l’an II). Ignorée pendant presque un siècle, l'œuvre a connu une nouvelle vogue à l'occasion de la législation sur l'instruction publique, laïque, mixte et obligatoire en France en 1881-1882.
Autre rebond à la fin du XXe siècle avec les rééditions de ses écrits lors du bicentenaire de la Révolution. Entre ces deux temps forts, l'éclipse est presque totale. L'anecdote concernant le lycée de la rue du Havre à Paris illustre bien cette mouvance : son nom fut gravé, radié, puis réinscrit sur le frontispice de l'institution.
Nous avons essayé de trouver une explication à ce destin erratique (chapitre I). Si nous retenons l’hypothèse de son suicide afin d’éviter la guillotine (conjecture controversée), il se pourrait bien que sa mémoire fût enfouie sous l’opprobre collective suscité par les exactions de la Terreur.
Mais, après sa brève réhabilitation en 1848, il disparait de nouveau de l’horizon jusqu’aux années 1880. S’il inspire alors les lois sur l’Instruction publique de Jules Ferry, il est oublié une seconde fois, sauf dans les cercles érudits, jusqu’aux années 1980.
Cette absence est encore plus surprenante dans le monde de l'éducation, puisque ce mathématicien-philosophe qui a posé les fondements de la mathématique des Sciences sociales conçoit également les principes des systèmes d’enseignement modernes. Durkheim, considéré comme un des pères de la sociologie, en serait largement responsable, bien qu’il eût une connaissance précise de l’œuvre de Condorcet. Pourtant, l’auteur de Sociologie et éducation passe outre tout simplement.
Au chapitre II, nous avons fait une synthèse des principes de Condorcet relatifs à l’instruction publique, concept crucial qu’il préférait à celui d’éducation.
Un retour aux thèses de Condorcet semble aujourd'hui incontournable alors que cette institution qu'il considérait comme nécessaire à l'affranchissement des liens de dépendance implose sous une crise de la raison. Nous pensons que de nombreuses controverses actuelles trouvent des solutions éclairées dans l’esprit condorcétien : de la langue maternelle aux accommodements raisonnables, du statut de l’école privée à la mixité dans les écoles, de la séparation de l’État et des églises à la perspective d’une charte de la citoyenneté. Comment introduire une science de la citoyenneté qui fonderait un espace civique commun? Ces questions génèrent de profondes divisions dans l’opinion publique, mais reçoivent des réponses d’une grande clarté et cohérence avec Condorcet.
Nous avons abordé certains de ces enjeux dans le cadre d’un mémoire relatif au projet de Loi 94 du gouvernement du Québec sur les accommodements suite aux travaux de la Commission Bouchard-Taylor; ils sont présentés au chapitre III.
Au chapitre IV, nous proposons des éléments de solution pour contrer le phénomène du décrochage scolaire, une calamité sur le plan individuel et collectif qu’il est préférable d’analyser à partir des « bonnes raisons » que les acteurs sociaux se donnent dans la conduite de leurs affaires.
Enfin, nous soulevons l’hypothèse d’un revenu citoyen-étudiant comme une alternative à la revendication du gel des frais de scolarité universitaire qui a fait tant de bruit au cours du « printemps-érable » au Québec en 2012.