Raymond D. LAMBERT
et Marcel J. MÉLANÇON *
“Un Mouvement québécois
pour la responsabilité scientifique :
le MURS-QUÉBEC.”
In INTERFACE, la revue de la recherche, vol. 12, no 3, mai-juin 1991, pp. 43-44. Montréal : ACFAS. Dossier : “Le projet du génome humain : faut-il craindre la science ?”
En cette fin de millénaire, nombreux sont ceux et celles qui se questionnent sur l'avenir de la planète et le devenir de la vie, en particulier, de celle de l'humain. Les défis d'ordre social, culturel, scientifique, politique, économique et autres, auxquels nous sommes confrontés, deviennent de plus en plus urgents. Guerre et paix, développement durable et exploitation anarchique de la nature, biotechnologie et dignité humaine, intérêts communs et besoins particuliers, abondance et misère s'opposent parfois dans l'inextricable complexité des problèmes qui surgissent...
La création des outils par les premiers humains tout comme le développement technoscientifique moderne s'inscrivent dans une même démarche : réduire la pression du milieu, assurer notre survie, améliorer notre qualité de vie et accroître notre prospérité.
Sous certains aspects, nous avons magnifiquement réussi. L'augmentation prodigieuse de notre population planétaire, tout comme aujourd'hui son contrôle, reflètent essentiellement l'efficacité certaine de nos outils agricoles, médico-hygiéniques et de nos techniques de construction, d'élevage et de prédation. Court-circuitant ainsi la pression de la nécessité - celle qui, chez les autres espèces vivantes, entraîne l'élimination des plus faibles et la sélection des mieux adaptés -, nous avons assuré notre survie et notre prolifération. Mais ces objectifs louables d'interventions autour de l'humain ont, à cause même de nos succès, à cause des concentrations de populations et à cause de la surconsommation, parfois dérapé à un point tel que la qualité de l'environnement, l'équilibre de la biosphère et la vie sur la planète sont maintenant menacés. De plus, la capacité destructrice de nos armes militaires est devenue telle que leur utilisation massive entraînerait probablement notre anéantissement. Finalement, en intervenant dans l'humain, la technoscience impose maintenant de nouvelles tâches : redéfinir les concepts d'humain et de personne en regard de la vie initiale (le statut de l'embryon humain en laboratoire) et de la vie terminale (le statut de la vie humaine en coma dépassé) ; fixer des limites aux expérimentations sur l'être humain et sur l'embryon ainsi que réfléchir sur le sens et le devenir de l'humain (le Projet de cartographie et de séquençage du génome humain en est un lieu privilégié).
On le voit à l'évidence, le développement technoscientifique a été bénéfique dans son ensemble, mais il a aussi conduit ou peut conduire à des applications nettement moins désirables et parfois condamnables. Cette constatation, d'une importance primordiale, entraîne que nous ne pouvons, en toute conscience, continuer de développer aveuglément la technoscience. On ne peut prêter d'intentions à la technique sauf celles que nous programmons. En conséquence, les fabriquants de technologie, tout comme les usagers et les preneurs de décisions, ne sont pas forcément innocents. La guerre du Golfe nous l'a récemment rappelé (voir Yves Gingras, INTERFACE, vol. 12, n° 2, 1991, p.4 et D.E. Koshland, Science, vol. 251, n° 497, 1991, p. 4993). Une réflexion, en tant que scientifique et en tant que citoyen ou citoyenne, sur les bénéfices et les risques, et une évaluation globale de ceux-ci lors de l'application d'une technologie, sont donc devenues indispensables. Nous en avons l'obligation morale. Mais, puisque les conséquences à long terme sont dans certains cas impossibles à cerner, l'approche militariste pourra se révéler inapte. Il faudra donc s'interroger au sujet des valeurs sur lesquelles se fondent nos décisions. La philosophie et plus particulièrement l'éthique, mais aussi toutes les disciplines scientifiques des sciences dites humaines, sont ici interpellées au même titre que celles des sciences dites exactes.
Or, la meilleure façon de freiner la mise en place d'un tel processus est de mettre la société devant un fait accompli, tout comme une bonne façon de court-circuiter la discussion et la réflexion sur le sujet consiste à planifier et à exécuter le développement technoscientifique dans le secret des laboratoires. Il faut donc en appeler à beaucoup de transparence de la part des scientifiques et à beaucoup de clairvoyance de la part des penseurs. Cependant, accorder aux femmes et hommes le soin de décider de l'usage des techniques serait leur reléguer un pouvoir qu'ils n'ont pas nécessairement la compétence d'assumer et, surtout, qui irait à rencontre de nos processus démocratiques (voir L. Wolpert, Br. Med. J., vol. 298, 1991, p. 941). Il y a donc une limite à ce que l'on peut exiger des scientifiques.
Afin d'établir un forum propice aux échanges sur ces sujets, une branche québécoise du Mouvement Universel pour la Responsabilité Scientifique (MURS) a été mise sur pied et sera officiellement fondée, le 22 mai 1991, lors du Congrès de l'Acfas qui se tiendra à Sherbrooke. En effet, nous avons été mandatés par le professeur Jean Dausset, Prix Nobel de médecine et président du MURS-FRANCE, pour procéder à la fondation d'un tel mouvement. Avec le MURS-QUEBEC, les scientifiques disposeront d'un outil pour favoriser leurs réflexions et discussions quant à leur responsabilité face à la nature, à l'orientation et aux conséquences de leurs recherches.
1. LES OBJECTIFS DU MURS
Les objectifs du Mouvement universel pour la responsabilité scientifique (MURS) sont:
• « d'établir un forum permanent où les hommes de science et de culture se réuniront et se concerteront avec d'autres personnes intéressées pour mettre en évidence et discuter les problèmes qui peuvent résulter pour l'Humanité du développement de la science et de ses applications ;
• d'inciter à une prise de conscience générale des questions qui se posent à la société et à ses membres en confrontant les évaluations des bienfaits et des risques de ce développement ;
• de servir de tribune pour porter à la connaissance du public les résultats de ces débats et pour formuler les options destinées à ceux qui ont la responsabilité des décisions ;
• de stimuler une réflexion prospective rigoureuse sur l'Homme et la planète et sur les mesures à prendre dès aujourd'hui pur garantir leur avenir. »
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2. LE MURS ET LES DROITS DE L'HOMME
Le Mouvement universel pour la responsabilité scientifique (MURS) a proposé en 1989 l'ajout d'un nouvel article à la Déclaration universelle des droits de l'homme :
Les connaissances scientifiques ne doivent être utilisées que pour servir la dignité, l'intégrité et le devenir de l'Homme, mais nul ne peut en entraver l'acquisition.
Les membres du MURS ont également émis le souhait que l'Organisation des Nations Unies se prononce solennellement sur les trois points suivants:
• toute source d'énergie ne doit être utilisée qu'au bénéfice de l'Homme sans atteinte à la biosphère ;
• le patrimoine génétique de l'Homme, dans l'état actuel de nos connaissances, ne doit pas être modifié de façon héréditaire (ce qui n'exclut pas le traitement des maladies génétiques par modification du patrimoine génétique des cellules non reproductives d'un malade) ;
• le corps humain dans tous ses éléments, cellules, tissus et organes, n'a pas de prix et ne peut donc être source de profit.
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La course aux armements, la dégradation de l'environnement, la misère humaine nous interpellent spécifiquement, car les solutions à ces défis passent par notre savoir, nos technologies, notre sagesse et notre sens de l'humain. La solution ne peut donc consister à bannir la technologie et son développement, mais plutôt à être circonspects dans nos choix technologiques et sociaux. Ce n'est pas nous directement qui décidons de mettre au point une nouvelle arme ou de créer de nouvelles espèces de vie et ce n'est pas nous qui finançons ces projets. Toutefois, nous avons encore la liberté de refuser de participer à toute expérience technoscientifique ne respectant pas le principe fondamental qui s'apparente au nouvel article que le MURS propose de faire ajouter à la Déclaration universelle des droits de l'homme : « Toute invention ne devrait être faite qu'avec l'intention d'aider l'humanité et de ne jamais lui faire de tort ».
Car nous, chercheuses et chercheurs, ne pouvons nous disculper de toute responsabilité face à l'usage que font de nos découvertes, nos dirigeants politiques, militaires et scientifiques. Dans ce contexte, il faut réclamer de ces derniers qu'ils s'engagent dans des activités pacifiques - ce qui signifie qu'ils doivent respecter les vies humaines - et qu'ils définissent avec sagesse la planification et les limites du développement technoscientifique. Nous devons aussi admettre que la solution à certains problèmes repose moins sur la technologie que sur le sens du partage. Les sciences que nous pratiquons ont, en effet, souvent pour objet l'amélioration du bien-être de populations déjà bien nanties. Les investissements massifs dans certains secteurs de la science et de la technologie, et en particulier, dans le projet de cartographie et de séquençage du génome humain, se font-ils au détriment de la lutte contre la misère, la pauvreté et l'exploitation que l'on rencontre surtout dans ce que l'on appelle le Tiers Monde ?
Pour atteindre les objectifs mentionnés plus haut, le MURS-QUEBEC se propose d'organiser colloques et conférences au cours desquels les scientifiques de diverses disciplines, les décideurs publics et les représentants de la communauté, seront appelés à réfléchir et à échanger sur un sujet spécifique. Ce sera le cas, par exemple, le 22 mai 1991 à Sherbrooke, lors du colloque, au Congrès de l'Acfas, intitulé « La cartographie et le séquençage du génome humain : la responsabilité scientifique et sociale ». Le projet du génome humain est grandiose. Il vise à analyser les quelque 3 milliards de paires de bases alignées sur quelque 100 000 gènes répartis sur les 46 chromosomes contenant l'information génétique qui définit biochimiquement l'être humain. Ce projet constitue un lieu privilégié de réflexion sur les espoirs et les risques liés inévitablement à la technoscience.
Les conclusions de ces séances de réflexion quant aux retombées positives ou négatives d'un développement technologique particulier, pourront être acheminées aux personnes ou organismes concernés. Ainsi pourrons-nous suggérer certaines solutions aux problèmes nouveaux posés par la science et mettre en valeur les possibilités qu'elle offre.
Le MURS-QUÉBEC accueillera comme membre toute personne ou institution qui, en accord avec les objectifs du mouvement, désire participer directement ou indirectement au travail de réflexion relié à ces objectifs et s'engage à ne pas utiliser le mouvement à des fins politiques. Plus particulièrement, les scientifiques de toutes les disciplines sont conviés à participer à nos activités. Il s'agit là, croyons-nous, de la meilleure garantie que tout le développement technoscientifique ne nous fera pas perdre le sens de l'humanité et que la science se fera au service de l'humain et non pas l'inverse.
Raymond D. LAMBERT
Centre de recherche du CHUL
(Université Laval)
Marcel J. MELANCON
Professeur-chercheur en bioéthique
Département philosophie (Collège de Chicoutimi)
Toute personne désirant devenir membre du MURS-QUEBEC peut communiquer avec le professeur Marguerite Roberge, présidente du comité de recrutement et de sélection, à l'adresse suivante :
- Département de physique,
Pavillon Alexandre-Vachon, bureau 1632,
Université Laval,
Sainte-Foy (Québec) G1K 7P4,
tél. : (418) 656-3560 ou 2454, télécopieur : (418) 656-2623
* Raymond D. Lambert travaille au Centre de recherche du CHUL. Il enseigne également au Département d’obstétrique-gynécologie à l’Université Laval. Marcel J. Mélançon est professeur-chercheur en bioéthique au Département de philosophie du Collège de Chicoutimi.
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