Introduction
L'objet de ce court essai n'est pas de dresser un bilan des structures et des activités de la dictature qui écrase la Grèce depuis cinq ans. Un tableau de cet ordre même réduit à l'essentiel, exigerait pour avoir quelque signification un cadre bien plus vaste. Il s'agit seulement, en ces pages, de dégager un fil directeur qui permette d'analyser correctement les intentions et les démarches des putschistes comme aussi de comprendre, du même coup, les mobiles des différents groupes d'opposition.
La tyrannie, instaurée le 21 avril 1967 et maintenue depuis sans modification substantielle, n'est pas un accident. Elle représente simplement un aspect, particulièrement sauvage et répugnant, des efforts entrepris, avec beaucoup de constance, pour bloquer l'évolution sociale et politique de la Grèce, pour empêcher les transformations économiques de retentir sur la distribution du pouvoir. De Metaxás à Papadopoulos, en passant par Papagos et Caramanlis, il n'y a pas de solution de continuité. Or le régime militaire qui, comme ses prédécesseurs de la Droite, joue à fond la carte des possédants, s'est trouvé en proie, presque dès le début, aux critiques et dénonciations de porte-parole de ces milieux. Corollaire de ces attaques il est vrai : la propagande pour des formules de remplacement dont l'inspiration fondamentale consiste dans la remise en vigueur des procédés anciens de la sauvegarde bourgeoise. Si ces projets aboutissaient, la dictature n'aurait été qu'une parenthèse, ouverte et fer-[p. 8] mée sans que les classes privilégiées dans leur ensemble aient cessé de tirer des avantages matériels de la situation.
Il s'agit donc, en premier lieu, de bien comprendre les mobiles des assauts venus de la Droite. Mais les formules proposées par celle-ci exercent une influence au-delà même des milieux ayant pour seul critère la conservation intégrale du système social établi. Ainsi des groupes d'inspiration libérale, voire progressiste, participent-ils, pour des raisons diverses à une œuvre de mystification qui tend, de manière pourtant évidente, à brouiller les responsabilités et à assurer la perpétuation d'un système dont le putsch d'avril 1967 a été le fruit naturel. Il est dès lors nécessaire de spécifier les fondements et les risques de cette mystification cet effort de classification impliquant, on doit l'admettre dès le début, une évaluation critique des appels à l'union nationale dans l'état actuel du rapport des forces. La notion d'un regroupement de tous ceux qui, pour une raison ou l'autre, s'opposent à la Junte n'est pas seulement un mirage dont la poursuite serait susceptible de faire perdre inutilement beaucoup de temps et d'énergie : elle constitue une faute politique de première grandeur et ne peut avoir objectivement d'autre résultat qu'un nouveau renforcement de la Droite.
|