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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jean MEYNAUD, RAPPORT SUR LA CLASSE DIRIGEANTE ITALIENNE. (1964)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean MEYNAUD, RAPPORT SUR LA CLASSE DIRIGEANTE ITALIENNE. Lausanne: Jean Meynaud, 1964, 368 pp. Collection: Études de science politique, n° 9. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraite de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi. [Autorisation accordée par les ayant-droit de l'auteur le 19 octobre 2008 de diffuser toutes les publications de l'auteur.]

[7]


Avant-propos



CE TRAVAIL trouve son origine immédiate dans un rapport présenté à une Table ronde de l’Association Française de Science Politique (Paris 15-16 novembre 1963) qui portait sur le thème de La classe dirigeante : mythe ou réalité ? Il me paraît dès lors utile d'indiquer en deux mots l'orientation imprimée à cette enquête par son rapporteur général, Raymond Aron [1].

Dans son rapport introductif, Aron se refusait à poser, au point de départ, l'existence d'une classe dirigeante, c'est-à-dire selon ses propres expressions d'« une minorité délimitée, cohérente, consciente d'elle-même, qui prend les décisions majeures, use et abuse de sa situation privilégiée pour exploiter ou opprimer les masses ». Il suggérait en revanche d'engager les recherches sur les « catégories dirigeantes », celles-ci étant définies comme « les minorités qui, dans la société, occupent des positions telles ou exercent des fonctions telles qu'elles détiennent un pouvoir dans leur sphère propre et ont chance d'avoir une influence sur la minorité qui exerce le pouvoir politique au sens étroit du terme (le pouvoir central ou étatique) ». Mobile de cette préférence : le concept de catégories dirigeantes suppose « le fait oligarchique que personne ne nie et non la théorie de la classe dirigeante que beaucoup rejettent ».

Soucieux d'explorer la capacité explicative d'un tel système d'interprétation, j'ai choisi d'y conformer initialement mon exposé. J'ai donc, en une première partie, établi un tableau des catégories dirigeantes de la vie italienne et, en une seconde, tenté de systématiser le réseau des rapports qui les unissent. Or, sur la base de cette enquête menée aussi impartialement que possible, j'ai abouti à une vue générale du problème qui ne concorde pas avec le cadre de raisonnement proposé par le rapporteur général. Je puis caractériser cet itinéraire en disant que l'analyse des catégories dirigeantes m'a irrésistiblement conduit à tenir pour valable [8] et, en tout cas, pour utile, l'hypothèse de la présence d'une classe dirigeante.

Selon R. Aron, la plupart des spécialistes en science politique tendraient aujourd'hui à rejeter le concept de classe dirigeante. À supposer que ce verdict soit juste, on peut admettre que l'utilisation partisane de ce concept par des auteurs comme Burnham et Djilas explique en une large mesure de telles réticences. Cette attitude est certes compréhensible mais son adoption conférerait aux polémistes le pouvoir redoutable de dévaloriser une représentation correcte ou intéressante des phénomènes par une utilisation abusive de celle-ci.

L'observation de R. Aron m'a poussé au surplus à relire quelques-unes des réfutations les mieux connues du concept de classe dirigeante et, en particulier, le livre de James H. Meisel The myth of the ruling class : Gaetano Mosca and the élite [2]. Un point ne saurait manquer de frapper le lecteur de ces ouvrages : le caractère abstrait de l'argumentation mise en œuvre. La seule manière juste de contester la théorie de la classe dirigeante serait d'établir directement son incompatibilité avec les rapports sociaux de notre temps. Or ces critiques portent de préférence sur les insuffisances et incohérences de la théorie qui, vu l'état de la recherche politique à l'époque où Mosca élaborait son système, ne pouvaient manquer d'être nombreuses et graves.

De tels travaux sont probablement utiles pour l'histoire des idées mais on ne saurait leur attribuer de portée sociologique. Mosca, pas plus d'ailleurs que Pareto et R. Michels, n'est parvenu à donner une présentation absolument satisfaisante des phénomènes étudiés. Cela admis, il est possible que les erreurs et lacunes relevées concernent davantage l'interprétation de la situation que l'existence même de cette situation. En d'autres termes, il n'est pas exclu que Mosca ait correctement identifié l'objet de son investigation sans être pour autant capable d'en proposer une formulation théorique impeccable. Il ne me paraît pas légitime de conclure des faiblesses de l'élaboration de Mosca au caractère mythique de la classe dirigeante. En ce domaine, c'est à l'observation sociologique, non à la discussion philosophique, que revient le dernier mot.

À la suite de R. Aron, je placerai au centre de l'observation et de la réflexion le groupe des détenteurs du pouvoir politique, c'est-à-dire de ceux qui ont la faculté de réaliser les arbitrages suprêmes. Ce choix ne postule pas que le pouvoir politique absorbe nécessairement la totalité [9] des pouvoirs sociaux et, moins encore, que les titulaires du premier soient indépendants des démarches ou pressions accomplies par les détenteurs des seconds. En réalité, l'un des objectifs majeurs de cette recherche, probablement le plus important, est de déterminer la place qu'occupent les leaders politiques dans la classe dirigeante du pays et de préciser la marge d'autonomie dont les premiers disposent à l'égard des autres éléments de cette classe. C'est justement dans la mesure où elles n'explicitent pas ou n'exposent que médiocrement ces relations que l'on a pu dire, et que j'ai moi-même soutenu, que les théories habituelles de la classe dirigeante dissimulent le problème des rapports sociaux plus qu'elles ne l'éclairent.

Par ailleurs, tout en reconnaissant ma dette, et une importante dette, à l'égard des grands classiques du sujet, il ne m'a pas paru utile d'entreprendre une fois encore la discussion de leurs œuvres : l'important n'est pas de ressasser les points acquis mais de participer, si peu que ce soit, au perfectionnement de la théorie [3].

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*     *

Le texte de dimensions assez réduites présenté à l'Association Française de Science Politique a fait l'objet pour l'actuelle publication d'une complète révision et aussi d'un considérable élargissement. J'ai tenu cependant à lui conserver la qualification de rapport, c'est-à-dire d'un document qui signale l'état des problèmes sans procéder à des recherches originales sur ceux-ci. Toutefois, d'abondantes notes bibliographiques permettront au lecteur qui le désirerait d'entreprendre une étude plus approfondie des différents points mentionnés dans ce travail. J'ajoute que, mis à part quelques ouvrages relevant du journalisme, il n'existe en Italie aucune étude d'ensemble de ce sujet [4].

Pour la préparation de la première version de ce rapport, j'ai bénéficié de la collaboration intelligente et dévouée de Claudio Risé, mon assistant pour les questions italiennes pendant deux années. Bien que je porte la responsabilité totale de cette nouvelle version, il est juste que je le remercie du précieux concours qu'il m'a donné en cette occasion comme en beaucoup d'autres. Il est toujours difficile dans le cadre d'une coopération quasi-quotidienne de dire exactement ce qui revient à chacun des interlocuteurs. Je sais pourtant que l'aide de Risé m'a été des plus utiles.

Je m'intéresse professionnellement à l’Italie depuis bien trop longtemps pour qu'il me soit possible de mentionner tous ceux auxquels je [10] suis redevable de mes connaissances sur ce pays. Je veux toutefois réaliser une exception pour Fabrizio Onofri qui a su faire de Tempi Moderni l’une des meilleures revues d'analyse politique publiées en Europe [5]. Encore que notre interprétation des phénomènes diffère sur plusieurs points, je dois beaucoup à ses analyses dont la rigueur va de pair avec la finesse.

Lausanne, mars-juin 1964.



[1] Pour une présentation générale des idées de R. ARON en ce domaine, voir son article : « Classe sociale, classe politique, classe dirigeante » in Archives Européennes de Sociologie, 1960, n° 2, pp. 260-282. Voir aussi du même auteur : La lutte de classes, Nouvelles leçons sur les sociétés industrielles, Paris, Gallimard, 1964, chapitres IX, X et XVI.

[2] Ouvrage publié pour la première fois en 1958 par The University of Michigan Press et republié par le même éditeur en 1962 sous forme de paperback (Ann Arbor Paperbacks, 69). Comme autre exemple de discussion abstraite, voir le livre présentant les discussions, assez sommaires d'ailleurs, qui furent engagées sur ce thème lors du IVe Congrès mondial de sociologie. Les élites politiche, Bari, Laterza, 1961. Je n'ai pas non plus été convaincu par l'ouvrage de Renzo SERENO, The Rulers, Leiden, Brill, 1962 : l'auteur y met en œuvre une érudition plus brillante que profonde pour aboutir à des formulations théoriques superficielles et confuses.

[3] L'édition définitive de l'œuvre de MOSCA, dont la première version remonte à 1895, Elementi di scienza politica, a été réimprimée en deux volumes par Laterza, Bari, 1953. Pour une récente analyse critique de cette théorie, voir : BOBBIO, (N.), « Gaetano Mosca e la teoria della classe politica », Moneta e Credito, mars 1962.

[4] Voir, par exemple, le petit livre de PIERONI (A.), Chi commanda in Italia, Milan, Longanesi, 1959. On trouvera des observations intéressantes quoique assez décousues dans l'ouvrage collectif : Il paese comme se, A cura di Silvio Pozzani, Milan, Lerici, 1961. Voir enfin: BASSETTI (P.), CORNA PELLEGRINI (G.), Le redini del potere, Milan, Ceschina, 1959, ainsi que BUFFA (A.), Dirigenti e dominanti, Caltanissetta-Roma, Salvatore Sciascia, 1963.

[5] En plus de Tempi Moderni, le Centro, Italiano di Ricerche e Documentazione (CIRD) élabore désormais un Annuaire politique italien dont les Edizioni di Comunità ont publié le premier volume (qui couvre la période janvier-septembre 1962). J'utiliserai à plusieurs reprises cet important ouvrage qui constitue un instrument de travail unique en son genre.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 10 janvier 2011 8:38
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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